L’Âme des saisons/La vitrine

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 265-268).
IV


LA VITRINE


Le maigre gosse emmitouflé dans son écharpe,
Par la vitrine aux feux féeriques ébloui,
Colle au verre, en ouvrant une bouche de carpe,
Son nez bleui.
 
Le houx aux baies de sang pointe en roides guirlandes
Ses feuilles, et le gui serpente dans l’hiver,
Des châteaux de Souabe aux moulins de Hollande,
En ruisseau vert.


Un peuple de Turcos agiles et d’Arabes
Se bat sur des remparts propres et crénelés,
Au-dessus d’une plage où s’avancent des crabes
Articulés.

Au pied d’un groseiller blanc de neige, trois lièvres,
Les oreilles traînant jusques au râble roux,
Vivent si bellement qu’on voit leurs roses lèvres
Mâcher des choux.

Un carrousel de soie où mille glaces brillent,
Aux sons pinces d’un luth mince et méticuleux,
Tourne avec ses chevaux et ses petites filles
En chapeaux bleus.

Deux kobolds, souriant sous leurs capuchons rouges,
Manœuvrent une scie à travers un tronc mort,
Et sur leurs fracs givrés leurs barbes grises bougent
A chaque effort.

Les vaches, entourant le molosse et le pâtre,
Broutent au flanc du mont l’herbe drue et le thym,
Tandis qu’on voit, debout sur un rocher bleuâtre,
Un bouquetin.


On voit aussi, tout blanc et tout chargé d’étrennes,
Un vieux Russe, barbu de givre et moustachu,
Sur un traîneau rapide enlevé par deux rennes
Au front branchu.
 
En chausses de dentelle et justaucorps de soie,
Un rang de cymbaliers choque les disques d’or,
Tandis qu’un chevalier dont le casque flamboie
Sonne du cor.

Un joueur de guitare aux jambes bien posées
Sourit vers un balcon où un bras grassouillet
Laisse négligemment pendre une main rosée
Et un billet.

Dans un flot vaporeux de dentelle et de gaze,
La fée Urgèle passe en carosse mignard,
Et six phalènes d’or aux ailes de topaze
Traînent son char.
 
Bannière au vent, la garde aux mille baïonnettes
S’avance, flux d’acier, de soie et de velours,
Derrière vingt gaillards qui croisent les baguettes
Sur les tambours.


Un cheval au-dessus du fouet qui siffle et claque
Dresse son brun poitrail, tandis qu’à petits pas
Trottine un riche clown, vêtu du zodiaque,
La tête en bas.
 
Et le gosse, écrasant son nez à la fenêtre,
Pâle d’enthousiasme et le cœur oppressé,
Ecarquille ses yeux fiévreux et rêve d’être
Le fiancé

De la très délicate et très mignonne reine
Qui craque dans la soie ardente et les bijoux
Et que suit comme un page, en soulevant sa traîne,
Un sapajou.