L’Âme des saisons/La prière d’avril

Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 77-79).
LA PRIERE D’AVRIL


O mon Dieu, Vous avez disposé ce printemps
Selon votre sagesse insondable ! J’accorde
Qu’il convient de louer votre miséricorde,
Si j’ai le cœur si gros et si je souffre tant.
 
Oui, mon Dieu, Vous avez disposé l’aventure
Pour que mon cœur fût pris saintement dans les rets
Des prunelliers en fleurs et des bois violets
Où papillonne un peu de frileuse verdure.


Vous avez disposé ces choses, je le sais,
O mon Dieu ! et j’avoue et conviens sans cautèle
Qu’il est bon que mon cœur se traîne, privé d’Elle,
Et rôde dans l’avril comme un oiseau blessé.

Vous avez ordonné tout ceci, je le sais,
Ce fabuleux espoir de doutes oppressé,
Et cet amour en pleurs parmi les fleurs, et cette
Enervante langueur dans la brise inquiète...
 
Oui, Seigneur, il fallait que je fusse meurtri ;
Il était juste et bon, utile et nécessaire,
Qu’une Enfant au regard plus doux que la lumière
Fît sangloter mon cœur vers un Bonheur sans prix.
 
Car l’hiver léthargique avait glacé mon âme ;
Un édredon mortel la couvrait peu à peu ;
Pour la faire revivre, il fallait, ô mon Dieu,
Le doux rayonnement d’un sourire de femme.

Maintenant, réveillé de mon somme en sursaut,
Je sens un feu divin brûler dans ma poitrine,
Et, malgré que mon cœur soit couronné d’épines,
Je comprends la noblesse et la beauté qu’il faut.


Oui, Seigneur, je comprends, moi, le faible et le lâche,
La souffrance sacrée, et l’héroïsme pur,
Et la nécessité de marcher sous l’azur
Avec un cœur, blessé peut-être, mais sans tache !
 
Depuis que cette Enfant a rayonné sur moi,
Je hais, comme l’enfer même, le mal infâme,
Et je sens noblement se lever dans mon âme
Une fîère moisson de candeur et de foi.

Que votre volonté très sainte s’accomplisse.
Décidez, ô mon Dieu, selon votre justice,
— Et, s’il se peut aussi, selon votre bonté, —
Du chemin qui me doit guider vers la clarté.

Qu’il s’allonge à travers la souffrance ou la joie,
Sous l’azur lumineux ou les nuages bas,
Parmi l’ortie ardente ou les tendres lilas,
Merci, Seigneur, si votre Droite m’y envoie !


7 avril 1906.