L’Âme de mon violon : simple chanson en six couplets
L. Vanier, libraire-éditeur (p. 93-99).
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VI

DEMAIN

Nos cœurs ailés comme le son
Des douces cloches vespérales,
Devant le glas du jour qui râle
Volent plus haut sur l’horizon.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Sans nuages, ma chère, encore
Les couchants ont des feux d’aurore.

(Extraits de Couleur du Temps.)



DEMAIN


I



Si les hiers furent cléments et, jusqu’au faîte,
Vinrent fleurir ainsi la maison des époux,
Dites, que serez-vous, lendemains de leur fête,
Lendemains incertains ! dites, que serez-vous ?

Serez-vous, oh ! la joie ou bien, hélas ! la peine,
Et nos cœurs devront-ils vous subir inclinés
Sous le faix du malheur ou, devant votre aubaine,
Se réjouir debout de leurs jours fortunés ?

Dites, que serez-vous ? notre aile est inquiète.
Ô ce bonheur uni et si calme et si long,
Entier gardez-le nous, faites qu’il ne s’émiette…
Pitié pour l’âme qui vibre en mon violon.



II



Pitié pour l’âme qui vibre en mon violon !
Donnez-lui l’espérance encore et que, peut-être,
Puisse en elle chanter l’écho d’un carillon
Autrefois entendu sous de chères fenêtres ;

Que de même, aux parfums d’un jardin ancien
Grisant de souvenirs toutes heures nouvelles,
Elle puisse goûter le charme des liens
Qui, non mystérieux, enchaînèrent ses ailes ;

Et, des pampres jadis sur un balcon joli
En treilles se penchant vers le front de l’aimée,
Versez-lui l’ombre douce et fraîche qu’elle élit
Pour, à l’heure éternelle, y dormir protégée.



III



Pour, à l’heure éternelle, y dormir protégée
Par tout un long passé de zèle continu,
Cette âme, ô lendemains, rêve d’un apogée
Où son amour toujours planerait ingénu.

Sur lui, si pur, veillez et qu’ainsi rien n’en trouble
Durant les quelques jours de sa durée encor
Ni la sérénité, ni l’allégresse double
De sa tendre harmonie au si parfait accord.

C’est peu vous demander, en somme, et c’est justice
Puisqu’elle se complut au geste de bonté,
Souffrant aux maux d’autrui, parfois consolatrice,
Éprise d’idéal et de sincérité.



IV



Éprise d’idéal et de sincérité
Sa voix hier chantante ou plaintive ou joyeuse
Se pourrait-il qu’elle ait du ciel démérité
Et que Dieu la voulût, vers sa fin, malheureuse ?…

Elle n’ignore pas qu’ici bas rien ne dure,
Aussi qu’après la joie une tristesse est là
Qui souvent lui succède et, sans pitié, torture.
Tout cela, la pauvre âme, elle le sait, hélas !

Et voilà ses raisons d’être tant inquiète…
Elle fut trop heureuse et demain lui fait peur.
Ô quels vents souffleront ? calme brise ou tempête ?
Souriras-tu, mon âme, ou verrai-je tes pleurs ?



V



Souriras-tu, Margot ! ou verrai-je tes pleurs ?
Mais non ! pourquoi la crainte ici m’envahit-elle ?
Gardons notre espérance et cueillons-en les fleurs ;
Il en reste à foison dans ton jardin fidèle.

Et si vient la vieillesse avec l’âge sournois
Poudrant nos fronts de neige et les sculptant de rides,
Nous lui raconterons qu’au balcon d’autrefois,
Sous la vigne jolie et le ciel bleu splendide,

Nous fîmes le serment de nous aimer toujours !
Et nos cheveux peuvent blanchir tout à leur aise,
Qu’importe ! si le temps conserve à notre amour
Sa vive couleur rose et son parfum de fraise.