L’Âme de mon violon : simple chanson en six couplets
L. Vanier, libraire-éditeur (p. 83-92).
Demain  ►

V

LE NID

Pour toi, Margot, rien que pour toi,
J’ai construit un nid sous mon toit,
Un doux nid tout chaud de tendresse,
De bonne joie et de caresse,
Où ton cœur n’aura jamais froid.
 
Tiens ! regarde avec quel beau zèle,
L’amour m’ayant ouvert son aile
D’où neigeait un duvet soyeux,
J’ai tendrement garni le creux
De ce nid, pour tes jours fidèles.



LE NID



Tu m’illuminas Paris
D’un sourire, et, mieux encore
Je fus de ta grâce épris,
Car, plus vifs, je vis éclore,
— Parfumée et claire flore
Des doux rêves de mon choix —
Tous tes charmes à la fois.

Et nulle déconvenue
Ne nous vint quand, envolé,
S’enfuyait dessus la nue
Notre amour comme un follet :
Savions-nous pas qu’aux volets
De nos cœurs, frappant de l’aile,
Vite il reviendrait fidèle ?

Or voici trente ans passés
Que son cher manège dure
N’ayant jamais vu lassés
Pour moi ta tendresse pure,
Ni mes désirs, je te jure,
Comme au premier jour vers toi
Sous ton balcon d’autrefois.

Et c’est lui qui nous assiste,
En pleurs, malheureux amour,
Alors que hélas ! l’heure triste
(Chacun l’ouït à son tour ! )
Sonne, assombrissant le jour,
Comme elle tinte aux paroisses
Son glas noir de nos angoisses.

Car survinrent les grands deuils,
Ô larmes des père et mère !
Sur de tout petits cercueils
Ô ces roses funéraires,

Et leur blancheur trop amère,
Et tant de rêves défunts....
Dans la chambre, ô quels parfums !
 
Malgré qu’elle soit vivace
Et bien chère, la douleur,
Le temps qui passe l’efface ;
À la longue, adieu les pleurs !
Mais il reste en nous tes fleurs,
Ô souvenir des tristesses
Que notre âme encor caresse.
 
Il reste aussi dans le nid.
Pour le consoler de celle
Que, las ! le ciel nous reprit,
Trois oiselles et leurs ailes
Et leur gai babil d’oiselles
Comme les sources en ont :
Jane, Totty-tott’, Manon.

Ô leur petit front baissé
Sur le livre, dans la classe
Où, chantonnant l’A B C
Avec elles, je délasse
Mon humeur — si ne l’agace
Leur étourderie en vain
Réprimée ici sans fin.

Et c’est leur course, au parterre,
Au parc de Fontainebleau,
Qu’avec grand’peine on modère
Derrière les hauts cerceaux ;
C’est leurs gambades, leurs sauts
De gamines presque grandes
En forêt parmi les brandes.

C’est au piano leurs doigts,
Oh ! déjà de jeune fille !
Leurs doigts véloces, adroits ;
Ou c’est leurs travaux d’aiguille

Au jardin sous la charmille ;
C’est leurs pinceaux, leurs couleurs
Peignant bêtes, gens et fleurs.

Les voilà Communiantes,
Cierge à la main, voile blanc,
En leur grâce édifiante
Marchant d’un pas grave et lent
Et le cœur pieux tremblant
D’une ferveur où s’applique
Leur allégresse mystique.

Comme il vient vite le jour
Que nous devons, fiancées
Les voir, souriant d’amour,
Revêtir par la pensée
Leur robe de mariée,
Leur seconde robe en blanc
Qui nous fait gais et dolents !

L’une après l’autre déserte
Le nid… « Oh ! n’allez pas loin !
Notre amour serait inerte
Sans vous, enfants, sans vos soins.
Vos voix, dont il a besoin,
Venez les lui faire entendre
Si consolantes, si tendres. »

Et nous voici maintenant
L’âme un peu mélancolique
Et le cheveu grisonnant ;
Mais le devoir point n’abdique
Qui nous veut, tel un distique
Bien rimant, unis, mon cœur !
Dans la joie et la langueur.

Il nous veut aussi, mon âme !
Agenouillés devant Dieu
Qui créa la double flamme
D’un amour mélodieux

Comme les harpes des cieux
Et sur notre vie entière
En fit vibrer la lumière.

Pour tant de bonheur permis
À côté de quelques peines,
Pour tous nos songes amis
D’ingénuités sereines,
Pour cette coupe enfin pleine
De votre bon miel béni,
Merci, Seigneur ! pour mon nid.