L’Âme bretonne série 4/Une cellule de l’organisme breton Coup d’œil général


UNE CELLULE
DE L’ORGANISME BRETON
(PLOUGASTEL)



COUP D’ŒIL GÉNÉRAL


À Charles Cottet.


Plougastel est triplement célèbre dans le monde : par son calvaire, par ses mariages, par ses fraises. Il devrait l’être encore par le pittoresque de ses mœurs, la douceur de son climat, le charme et la variété de ses paysages, surtout le bel équilibre de sa population et l’accord harmonieux qu’elle a su établir entre la tradition et les formes les plus perfectionnées du progrès économique.

Cette presqu’île du Finistère, taillée en bec d’espadon, qui s’allonge entre la rade de Brest, l’Elorn, les landes de Loperhet et le cours inférieur de la rivière de Daoulas, est l’une des mieux délimitées qui soient ; c’est à peu près aussi, malgré son étendue (4.682 hectares) et l’importance de sa population (8.000 âmes), la seule commune de ce département, si riche en tramways, que ne sillonne aucun rail. Mais les routes y sont bonnes, sans être larges : montueuses, mais bien entretenues. Point d’ornières, fût-ce dans les chemins de petite communication et d’intérêt privé.

Voilà qui n’est pas si commun en Bretagne. Les Plougastélois, de toute évidence, connaissent le prix du temps et diraient volontiers qu’une bonne route c’est de l’argent. Croyez, d’ailleurs, que, s’ils avaient trouvé quelque avantage à l’établissement d’un railway, ils n’eussent point attendu jusqu’à ce jour pour en demander l’exécution. Mais la mer leur suffit. Elle est la grande voie naturelle de cette région péninsulaire qu’elle étreint et qu’elle sculpte amoureusement. Son flot y pousse des pointes profondes et pénètre, par les quatre anses du Caro, de Penavern, de l’Auberlac’h et du Teven, jusqu’au cœur du pays. Brisé à son entrée dans la rade de Brest par la formidable barricade granitique de Roscanvel, il n’a plus ici aucune âpreté ; il s’est fait souple et insinuant. Pourquoi la terre résisterait-elle à ce séducteur ? Même en hiver, il ne lui apporte que des caresses, de molles écharpes de vapeurs irisées et la tiédeur de ses courants ; aux syzygies, il chasse vers elle les dépôts de fucus et de sable coquillier dont elle amende son sol siliceux ; en mai et en juin, il s’attelle aux steamboats rebondis, où elle entasse les prémices de ses fraisières et qui laissent derrière eux, à travers la Manche, un sillage parfumé.

On peut avancer sans témérité que la péninsule plougastéloise est l’œuvre de la mer. C’est comme une seconde Floride que ses effluves ont créée à l’autre extrémité du Gulf-Stream, une Floride bretonne, presque aussi lumineuse et aussi luxuriante que la Floride américaine. Mais, cette Floride, il faut la découvrir. Elle ne se livre pas du premier coup d’œil à l’observateur superficiel, et les touristes qui abordent Plougastel par le bac de Kerhuon sont loin de la soupçonner. Vu de la rive droite de l’Elorn, le paysage plougastélois est, en effet, un des plus tourmentés que je connaisse. Une côte à pic, où l’ajonc et les pins ont peine à s’agripper et que crénelle une chaîne d’énormes roches schisteuses, veinées de quartz blanc, donne à cette face septentrionale de la presqu’île l’aspect d’un vaste camp retranché. Et l’impression n’est pas tout à fait trompeuse : de Roc’h-Nivelen au bourg de Plougastel, sur une demi-lieue de plateau, s’étend une zone rase et désertique comme les zones militaires. Mais quel changement, sitôt le bourg franchi !… Brusquement le plateau fléchit, cède, s’échancre et coule, dirait-on, vers les bords de sa mer intérieure par toutes les pentes de ses vallées et de ses criques. Autant la rive de l’Elorn est sombre, hérissée, verticale, autant la rive opposée, qui regarde Logona-Daoulas et Crozon, est déclive, facile, accueillante. Nulle contrée n’a de routes plus délicieuses au printemps ; on glisse sous un entrelacs de néfliers, de pommiers, de cerisiers, de pruniers, dont le moindre frémissement de l’air secoue sur le promeneur la neige odorante. Et peut-être, dans cette configuration singulière de la péninsule plougastéloise, faut-il voir autre chose qu’un simple hasard et y distinguer une attention délicate de la Nature. On croirait volontiers qu’en mère prudente elle a voulu favoriser l’isolement des Plougastélois, sauvegarder l’intégrité de la race : elle a entassé les obstacles sur la frontière nord de la presqu’île, directement exposée à l’invasion brestoise et insuffisamment défendue par le fossé de l’Elorn ; vers le sud, où les risques étaient moins grands, elle n’a pas eu besoin de prendre les mêmes précautions et elle a laissé la mer et la terre consommer à loisir leurs fécondes épousailles.


I

LE PASSAGE.


À moins d’emprunter la voie maritime et de gagner Plougastel par l’Auberlac’h ou l’anse du Teven, il n’est, du reste, qu’un moyen pratique de se rendre à Plougastel pour le voyageur qui arrive de Paris ou de Brest : c’est de s’arrêter à la station de Kerhuon et de descendre jusqu’à la cale du bac à vapeur qui fait communiquer la rive droite de l’Elorn avec le petit port du Passage.

L’Elorn, quoique resserré à cet endroit, y mesure encore près de 700 mètres. C’est un vrai fleuve ; mais comme tous les fleuves bretons, un fleuve très succinct : à deux lieues en amont, il n’était qu’un ruisseau ; la mer a brusquement élargi ses berges et le voilà qui prend des façons de Mississipi. Son flot d’un gris mauve, moiré par les courants, s’enveloppait d’une imperceptible buée le matin d’avril où nous le traversâmes. Le soleil riait à travers cette gaze qui ne cachait point l’horizon et en amortissait seulement les contours. Brest, au creux de sa rade, en paraissait tout argentée, comme une ville musulmane, une cité en burnous. Et, sur nos têtes, le vent balançait de minces et languissants stratus qui ressemblaient eux-mêmes à de grandes palmes d’argent. Fugitive impression d’exotisme, bien vite dissipée par la vue des blocs de roches accores qui bastionnent la rive gauche de l’Elorn, Roc’h-Nivelen, Coat-Pehen, Roc’h-Quilliou, et qui, dans cet épanouissement de la lumière, continuaient à se draper d’une ombre hargneuse. Des orfraies tournoyaient autour