L’Âme bretonne série 3/Le château de Barberine


Honoré Champion (série 3 (1908)p. 1-50).

LE CHÂTEAU DE BARBERINE



À Louis Le Guennec.


L’État vient d’acheter le château de Barberine.

Musset l’avait placé en Bohême. Il n’était pas si loin. M. Dujardin-Beaumetz l’a retrouvé en Bretagne et en a fait l’acquisition pour le compte des Beaux-Arts.

Le château de Barberine s’appelle Kerjean : il appartenait aux Barbier ou Le Barbier[1] et, de ces Barbier, Musset a peut-être tiré Barberine. C’est l’une des trois merveilles de l’architecture civile léonarde. Les deux autres, qui forment la base d’un court triangle dont Kerjean occupe le sommet, étaient Kergounadec’h et Kerouzéré. De Kergounadec’h, par malheur, il ne reste que les tours et les cheminées, mais quelles tours et quelles cheminées ! La douairière de Granville qui, par jalousie, dit-on, et pour que sa belle-fille n’héritât pas de ce joyau, fit scier les planchers et abattre la façade de Kergounadec’h, voulut que tours et cheminées subsistassent, afin d’attester jusque dans les siècles les plus reculés la barbare grandeur de son acte. Kerouzéré nous est parvenu à peu près intact : sa restauration n’a pas exigé grand effort du service des Beaux-Arts qui l’a conduite, d’ailleurs, avec beaucoup d’intelligence. On ne saurait voir un plus joli château féodal. Tout y est grâce, légèreté, au point qu’on ne fait pas attention que ce bijou, monté sur affût, était une forteresse en même temps qu’un plessis…

Il s’en faut bien que Kerjean soit aussi bien conservé ; mais trente Kerouzéré et plusieurs Kergounadec’h tiendraient à l’aise dans l’enceinte de Kerjean. Un aveu de la terre de Maillé, cité par Miorcec de Kerdanet, compare les Barbier « aux géants qui bastirent la tour de Babel » et l’on est presque tenté de souscrire à cette formule hyperbolique. Aujourd’hui encore, les vastes proportions du château font l’étonnement des architectes. Le choix du site est une autre cause de surprise : à trois lieues de Saint-Pol-de-Léon, loin des grandes routes, derrière un rideau de futaies, Kerjean s’élève, solitaire et magnifique, dans la commune finistérienne de Saint-Vougay.

Tous les touristes le connaissent pourtant et ceux qui n’ont pas eu l’heur d’y être reçus ont pu, tout au moins, admirer de l’esplanade son massif rempart de six mètres d’épaisseur, baigné de douves profondes et flanqué aux quatre angles de bastions carrés et crénelés « avec meurtrières à feu de sape, rasant et plongeant sur toutes les faces. » Cette enceinte, unique de son espèce et faite pour recevoir une solide artillerie — qu’on lui enleva sous la Révolution[2] —, ne mesure pas moins de 250 mètres de long sur 150 de large. Une faible partie seulement du vaste espace ainsi embrassé est à ciel ouvert : il y avait là ce qu’on appelle en Bretagne un liorz, un jardin intérieur et familial ; tout le reste est occupé par des édifices qui couvrent, d’après certains calculs, une superficie d’un hectare soixante ares. Pour trouver un ensemble architectural ayant ces proportions, il faut sortir de la province et pousser jusqu’à Versailles : d’où le nom de « Versailles breton » donné à Kerjean, bien que rien n’y rappelle le chef-d’œuvre de Mansard, auquel il est antérieur d’un bon siècle[3]. Les auteurs de la comparaison n’ont eu égard sans doute qu’à la grandeur de l’édifice. En outre, Kerdanet et les continuateurs d’Ogée voudraient que son parc ait été dessiné par Le Nôtre, et ce serait une nouvelle ressemblance avec Versailles. Mais j’ai vu attribuer à l’ancien directeur des jardins royaux tant de jardins hauts et bas-bretons que je ne suis pas autrement convaincu du fait. Il suffit qu’un parc, chez nous, soit du xviie siècle pour qu’on le mette sous la signature de Le Nôtre. Tant il y a que ce parc de Kerjean était fort beau, qu’il mesurait trois hectares de superficie et qu’avec ses futaies, son étang, son labyrinthe et ses avenues on ne pouvait rien voir de plus à souhait pour les yeux : c’était le cadre le plus congruent au château lui-même, dans lequel, pour ruiné qu’il soit en partie[4], M. Chaussepied discerne avec raison l’un des spécimens les plus heureux que nous ayons en Bretagne du château à la française, caractérisé par « son corps de logis principal placé au fond, ses deux ailes et sa clôture d’entrée formant une cour d’honneur où se passait toute la vie intérieure des châtelains et de leurs gens. »

En vérité, c’eût été grand’pitié que de laisser s’en aller en poussière une merveille comme celle-là, et c’est le chemin qu’elle était tout justement en train de prendre. Triste fin du long effort qu’avait coûté Kerjean ! Les archéologues ne s’accordent point sur la date de sa construction : les continuateurs d’Ogée veulent la retarder jusqu’au règne de Henri IV ; Léon Palustre, avec beaucoup plus de raison, la place vers 1560, M. Chaussepied vers 1543[5], peu après la mort de Jean Barbier (1538), lequel avait fait dresser par un maître d’œuvre des plans et devis qui servirent peut-être à ses successeurs. Les travaux, en tout état de cause, durèrent fort longtemps, une trentaine d’années, selon Palustre, « pendant plus de dix ans », selon M. Chaussepied. C’est ce qui explique qu’on découvre plusieurs styles dans Kerjean : un portique Henri III, un campanile Henri IV et un corps de logis « presque » Louis XIII. Le plus curieux est qu’au lieu de commencer par l’habitation des maîtres, l’architecte se soit d’abord occupé des communs, de la chapelle et des remparts. Palustre suppose que Louis Barbier, pour le compte duquel se faisaient ces travaux, « voulait s’éviter ainsi la tentation de laisser incomplète une œuvre qui avait été le rêve de son oncle et pour laquelle tant de richesses s’étaient trouvées un jour réunies entre ses mains ».

L’oncle dont il s’agit — un oncle comme en souhaiteraient tous les neveux — s’appelait Hamon Barbier. Il était chanoine de Léon, Nantes et Cornouaille, ce qui n’est pas une dignité ecclésiastique si extraordinaire. De plus, les Barbier n’avaient qu’une illustration médiocre[6]. Avec ces moyens insuffisants, notre homme s’arrangea pour accaparer les plus beaux bénéfices de Bretagne : il n’en laissait passer aucun qui fût supérieur à 300 livres. Cela alla au point, dit l’abbé Manet, « qu’à son décès il y eut plus de quarante vacances et que le pape demanda si tous les abbés de Bretagne étaient morts le même jour. » M. Hauréau confirme le fait dans la Gallia Christiania et met le propos dans la bouche de Jules III. Palustre cependant marque une prudente réserve ; il aimerait qu’on lui dît où étaient tous ces bénéfices qu’on prête à l’avide chanoine et dont il n’a trouvé trace nulle part, sauf en ce qui concerne l’abbaye de Saint-Mathieu, dont Hamon Barbier fut nommé abbé commendataire en 1533.

Palustre a mal cherché. En même temps qu’ès qualités de chanoine de Léon, Nantes et Cornouaille et abbé de Saint-Mathieu-Fin-de-Terre, Hamon Barbier signait, percevait et donnait décharge es qualités d’official et grand vicaire de Léon, archidiacre de Quémenet-Illy, conseiller aux Grands-Jours de Bretagne, recteur de Plougoulm, Plounévez-Lochrist, Plouzané, Plouvien, Guipavas, Plabennec, Plounéour-Trez, Plougar, Lannilis, Guimiliau, Sizun et île de Batz. Cela ne fait pas quarante bénéfices, mais en fait tout de même près de la moitié. Et je n’assurerais pas que ma liste soit complète. Il reste que, nanti de vingt ou de quarante bénéfices, Hamon Barbier était fort riche, fort économe aussi et qu’il thésaurisait dans les meilleures intentions du monde, non pour son propre plaisir, mais afin « de mettre un neveu dont la tutelle lui était confiée, Louis Barbier, fils de son frère Jean, à même de construire un château aussi vaste que magnifique. » Il poussa l’amour pour ce neveu jusqu’à dépouiller à son profit les moines de Saint-Mathieu dont il fit transporter le chartrier à Kerjean. Et il eut la satisfaction, avant de mourir, de voir sortir de terre les admirables remparts, la majestueuse galerie à pilastres doriques et les beaux pavillons d’angle aux campaniles superposés qui composent à Kerjean une ceinture de pierre sans pareille et que le temps a respectée. L’histoire ne dit pas si Hamon Barbier fut pleuré de ses neveux, Louis Barbier et dame Jeanne de Gouzillon, sa femme : on aime à le penser et qu’un si digne oncle n’aura pas été payé d’ingratitude. Pour ma part, et quelles qu’en soient les origines, je me sens incapable de blâmer le brave chanoine qui fit un tel emploi de sa fortune. Que nos grands flibustiers d’aujourd’hui lèguent à l’avenir des Kerjean et je leur garantis comme au chanoine l’amnistie de la postérité !

On ignore malheureusement le nom de l’architecte auquel il confia l’exécution de Kerjean. Palustre, après avoir songé à Julien Ricand, qui, de 1575 à 1580, transforma le château d’Espinay, aux environs de Vitré, concède que ce n’est là qu’une simple conjecture, « sur laquelle il est peut-être raisonnable de ne pas trop appuyer. » Il est certain d’ailleurs que Kerjean remplaça un château plus ancien et singulièrement plus modeste, bien qu’Ogée prétende qu’il soutint divers sièges sous les ducs. Caution insuffisante : tout fait croire au contraire que ce premier Kerjean ne passait pas les dimensions d’une modeste gentilhommière bâtie sur la terre de Lanven par une famille noble du nom d’Ollivier. À la réformation des fermages de Saint-Vougay, en 1444, figurent Olivier Henri, seigneur de Kerjean, et dame Marguerite de Lanrivinec, sa femme, en qui Kerdanet et Courcy voient le prototype de la Barberine de Musset. Les Ollivier se fondirent-ils par mariage dans les Barbier ? Le premier membre de cette famille qui prit le titre de seigneur de Kerjean est Jean Barbier, écuyer, fils aîné d’Yves, seigneur de Lestorhan et de Marguerite de Lisle[7]. Il mourut en 1538 et sa statue tombale se voit encore dans le cimetière de Saint-Vougay, adossée au mur extérieur de l’église. Il avait épousé en premières noces une Parcevaux, en secondes noces une Kersauzon, d’où naquit Louis qui acheva le nouveau Kerjean commencé par son oncle Hamon et qui signait seigneur de Kerjean, Kerhoent, Kerallau, Kerbiquet et Lanven.

Aucun des titres qui précèdent ne l’élevait au-dessus de la petite noblesse rurale du pays. Et le fait est que Kerjean devait l’hommage lige à Coatzeisploé, dépendance des seigneurs de Maillé, qui, à plusieurs reprises, protestèrent, même par la force[8], contre les prétentions des Barbier et de leurs hoirs à s’affranchir de cette obligation, d’un rite vraiment pittoresque : chaque année le sire de Kerjean devait porter « en la ville de Lanhouarneau » un œuf dans une charrette, le faire cuire et l’offrir, chapeau bas, au sire de Maillé. Marchangy, qui raconte longuement la scène dans Tristan le Voyageur, l’a gâtée en la délayant : l’œuf est devenu chez lui tout un menu. Nous voyons le sire de Kerjean aborder le « sire de Lanhouarneau » (sic), assis sous un chêne, et lui présenter « avec respect la rente annuelle, en outre un morceau de pain, deux œufs durs et une bouteille de vin. » Après quoi le sire de Lanhouarneau se lève de son trône rustique, fait siéger à sa place le sire de Kerjean et le sert comme il en a été servi lui-même.

C’est une scène à la Walter Scott. Marchangy, qui campe des cigognes sur les cheminées de Lanhouarneau, ne l’a pas inventée de toutes pièces, — comme ses cigognes ; mais il l’a, suivant son habitude, fortement « romantisée ». En réalité les rapports de vassal à suzerain n’avaient nullement, entre Kerjean et Maillé, le caractère de réciprocité que leur prête Marchangy et l’hommage du sire de Kerjean n’était payé d’aucun retour. Ainsi s’explique que les Barbier, grisés par leurs richesses et l’élévation de Kerjean en marquisat, aient été si avides de s’en affranchir. Dans l’intervalle ils avaient annexé à leurs terres les châtellenies de Languet, Rodalvez, Trocurum, etc., et s’étaient alliés aux plus illustres familles de la province. Henri III leur écrivait et, sur le bruit qu’on trouvait à Kerjean une race de lévriers « des plus beaulx, grands et forts », se faisait envoyer un couple de ces chiens pour son chenil particulier[9]. François Barbier, fils de Louis, épousa en 1589 Catherine de Goesbriand. De ce mariage naquit René, marié en 1605 à Françoise de Quélen et avec qui s’épanouit, pour se flétrir presque aussitôt, la tige des Barbier de Kerjean [10]. En dépit de ses alliances et de ses richesses, estimées à trente et quelques mille livres de revenus, qui en vaudraient le triple ou le quadruple aujourd’hui, la famille Barbier n’était point sortie encore de page et ses chefs ne portaient que le titre modeste d’écuyers. Tout changea, grâce à René et à sa femme. Je ne garantis point l’authenticité de la jolie anecdote qu’on place à l’origine de leur élévation et dont on a vu que certains auteurs faisaient honneur à une autre Françoise et à un autre seigneur de Kerjean. Mais est-il vraisemblable que les Olivier en aient été les héros ? Ces petits gentilshommes ruraux, anoblis de fraîche date, se confinaient d’ordinaire dans leurs manoirs et y menaient l’existence des paysans. Il est plus raisonnable d’attribuer l’aventure à René Barbier et à Françoise de Quélen et de la situer aux environs de 1610. Musset, qui en avait lu peut-être le récit abrégé dans Kerdanet, y a brodé les délicieuses arabesques de sa fantaisie. La légende bretonne est plus simple, mais elle a encore quelque grâce et une fleur de naïveté que nous avons tâché de lui conserver[11] :

LES BALINIERS DE KERJEAN
I

René Barbier, sieur de Kerjean, n’avait jamais été à la Cour, bien qu’il fût, au dire de chacun, gentilhomme accompli, savant, sage et généreux, que la mort de ses parents l’eût mis en possession du plus beau château de Bretagne et que sa femme, Françoise de Quélen, ne le cédât à aucune dame de son temps pour la vertu, le savoir-vivre et la beauté. À la fin pourtant, il fallut bien que le jeune seigneur fît comme les autres et s’en vînt présenter ses hommages à la mère du nouveau roi qui exerçait le pouvoir pendant la minorité de son fils. Mais, comme René ne comptait point s’éterniser à la Cour et qu’il tenait son Kerjean pour un séjour mille fois plus agréable que le Louvre, il partit seul et laissa Françoise à la garde de sa nourrice.

— Je vous reviendrai bien vite, mon cœur, lui dit-il, et nous ne nous quitterons plus.

— Le ciel vous écoute, mon cher seigneur ! répondit Françoise. Le temps que vous passerez loin de moi, je l’occuperai en oraisons et à filer ou à carder l’étoupe. Je voudrais qu’il n’y eût si pauvre ménage aux environs qui n’eût sa toile de balin pour l’hiver et qui ne la reçût de mes mains. J’y ajouterai volontiers un écu par ménage, si Dieu me fait la grâce que vous reveniez sain et sauf…

L’aube était à peine levée. Les équipages du jeune seigneur piaffaient d’impatience dans la magnifique cour d’honneur dallée à l’italienne, dont le corps de logis principal et ses ailes occupaient trois des côtés et sur l’autre côté de laquelle régnait une galerie aux pilastres finement ouvragés. René s’arracha en soupirant à la magie de ce beau décor familier. Comme il franchissait le portique de la première enceinte, où deux lions en pierre rouge de Ploumanach soutenaient un écusson aux armes des Barbier, il aperçut quatre corbeaux qui volaient de concert dans la direction de Kerjean et qui, après avoir tournoyé au-dessus de sa tête, se perchèrent sur l’écusson et y demeurèrent immobiles.

« Voilà de hardis coquins, pensa René. Si je ne connaissais Françoise et que je crusse aux présages, je ne pousserais pas plus avant. Portez-vous bien, Messieurs les corbeaux !…»


II

Cependant, quand elle apprit que le sire de Kerjean n’était pas accompagné de sa femme, la régente conçut un vif mécontentement, et son humeur vindicative et jalouse, qui tournait en injures personnelles les actions les plus innocentes, lui inspira d’intéresser à sa vengeance un brelan de mauvais sujets, grands coureurs de ruelles et d’aventures, le marquis de Belz, le comte de Bruc, le chevalier de Saint-Phar et le vidame de Bombelles.

Pour les piquer au jeu, elle demanda devant eux à René s’il se faisait une si fâcheuse idée de la Cour qu’il crût que l’honneur de Madame de Kerjean n’y pût être en sûreté. René protesta n’avoir point eu cette idée, dont le respect qu’il portait à sa souveraine aurait suffi à le défendre.

— Alors, dit aigrement la régente, il faut donc que Madame de Kerjean soit quelque monstre dont vous rougissiez.

— Françoise de Quélen est ma femme depuis cinq ans, dit René. On nous a mariés quand elle n’avait que douze ans et moi quinze. Je l’aime comme au premier jour. Elle n’a rien dans le visage et le cœur dont il me faille rougir ; elle est aussi honnête que belle, Dieu merci. C’est la longueur du voyage qui m’a effrayé pour elle, non le jugement de la Cour et encore moins, ajouta-t-il d’une voix forte, en se tournant à demi vers les muguets qui ricanaient dans l’embrasure d’une croisée voisine, les œillades et les entreprises des galants.

— Eh ! là, dit la régente, vous regardez M. de Belz et ses amis comme si précisément c’étaient les galants dont vous parlez !…

— Moi, Madame ? dit René. Je ne connais aucun de ces messieurs et n’ai nulle envie de les connaître, fors que Votre Majesté ne l’ordonne. Ils peuvent se moquer tant qu’il leur plaira de la confiance que j’ai dans ma femme : je ne suis pas homme à m’en soucier.

— J’aime ce langage, dit la régente. Mais je l’eusse encore mieux goûté si Madame de Kerjean avait été céans. Outre que l’éclat de ses mérites n’eût pas manqué de rejaillir sur notre Cour, c’est à l’œuvre qu’on voit l’ouvrier et nous ne pouvons raisonnablement juger d’ici cette haute vertu ni deviner comme vont les choses dans votre Kerjean.

— Ne suffit-il pas que je le sache ? dit René avec un bon sourire. Les yeux du cœur sont perçants. Ils m’assurent que rien n’a changé à Kerjean depuis mon départ et, jusqu’au laneret qui baille sur son perchoir, aux lévriers qui, chaque matin, flairent le vent et se recouchent, tout y est occupé du maître absent et soupire après son retour. Les seules fêtes y sont la prière et le travail et, pour hôtes de qualité, Kerjean n’a plus que les mendiants et les pèlerins…

À cette déclaration ingénue, les rires des muguets redoublèrent et, se détachant de l’embrasure, M. de Belz s’avança vers René et lui dit à brûle-pourpoint :

— Fi, Monsieur, quel discours ! Des gueux, des manchots, des culs-de-jatte, voilà les rivaux que vous vous donnez ! C’est triompher trop aisément. Et je soupçonne maintenant la vérité : vous êtes de ces maris jaloux qui tiennent leurs femmes en chartes privées et se fient beaucoup moins dans leur honneur que dans la solidité des verrous sous lesquels ils les enferment. Le calcul est bon, tant que les verrous résistent. Mais supposez-les cédant et que quelqu’un que je sais pût s’introduire dans la place…

— Moi, par exemple, dit Bruc.

— Ou moi, dit Saint-Phar.

— Ou moi, dit Bombelles.

— Ou votre serviteur, dit Belz : je gage qu’il ne se passerait pas longtemps avant que vous n’ayez changé d’antienne.

— Paix ! dit la régente. Nous ne saurions tolérer qu’on fasse céans de semblables gageures et, si agréable qu’il nous eût été de penser que Kerjean fût une nouvelle Ithaque, la sagesse commande que nous n’exposions pas la vertu de sa châtelaine à de trop rudes assauts. Pour recommencer avec quelque chance de succès l’expérience de Pénéloppe et des prétendants, la première condition nous manque : Pénélope était femme d’âge et de raison et ses prétendants de méchants petits seigneurs campagnards, non quatre roués, les plus redoutables de Paris et dont la chronique publie qu’ils n’ont pas encore trouvé de rebelles. Saint Denis m’aide ! J’en ai quasi regret, car il eut fait beau voir qu’une simple beauté de province rabattît le caquet à ces impertinents et rétablît l’honneur de notre sexe, gravement compromis par leurs scandaleuses conquêtes. Mais, avec la meilleure volonté du monde, ce n’est pas Madame de Kerjean qu’on peut charger d’un tel soin.

— Si, Madame, elle s’en chargera, j’accepte la gageure ! s’écria René qui fut pris à ce langage perfide. En faveur du résultat, souffrez que fléchisse un instant la sévérité de vos principes et daignez me permettre de relever le défi qui m’est publiquement porté. Je donnerai à chacun de ces quatre seigneurs une lettre d’introduction pour Kerjean. Ils y seront reçus comme des amis et je veux qu’ils prennent tout le temps de pousser leur pointe. Dans un mois j’irai les retrouver et nous ferons nos comptes.

— Gardez que ce ne soit là une imprudente requête, Monsieur de Kerjean !

— Elle n’est imprudente que pour ces quatre seigneurs, Madame.

— Tant d’assurance me décide et j’autorise la gageure. Que pariez-vous, Messieurs ?

— Mon plus beau cheval, dit Belz.

— Ce diamant, dit Bruc.

— Les trente muids de ma dernière récolte, dit Saint-Phar.

— Mille écus, dit Bombelles.

— Et vous, Monsieur de Kerjean ?

— Tout mon bien. Madame.

— Y pensez-vous ? C’est trop et les enjeux ne sont pas proportionnés.

— Que Votre Majesté me pardonne : ils ne pouvaient pas l’être. Ces Messieurs ne jouent que leur réputation et il me plaît de reconnaître qu’ils n’en exagèrent pas la valeur : tel fixe la sienne à mille écus et tel au prix d’un beau cheval ou de trente muids de vin. Moi je joue ce qui m’est plus cher que la vie et je reste fort en deçà de son vrai prix, quand je l’estime seulement égal à tout mon bien.


III

Il avait été convenu entre nos quatre muguets qu’ils se présenteraient séparément à Kerjean et à huit jours d’intervalle, pour ne point donner l’éveil à Françoise et révéler leur entente.

Tous quatre cependant firent route de compagnie jusqu’à Morlaix, où trois d’entre eux s’allèrent loger au Chapeau rouge et le quatrième, que désigna le sort, poussa droit à Kerjean. René demeura au Louvre, moins en hôte qu’en prisonnier. Mais son humeur ne s’en ressentit point ; il opposait à tous les regards un front calme et des yeux où ne se lisait aucune contrainte. Et cette assurance ne fut point ébranlée si peu que ce fût par l’arrivée d’un messager qui remit à la régente, de la part du vidame de Bombelles, un sachet qu’elle était priée d’ouvrir devant René. Le sachet ouvert, on vit qu’il contenait un ruban, — un joli ruban de soie bleue pareil à ceux dont Françoise avait coutume de serrer ses cheveux blonds, le soir, en se couchant.

— Oh ! oh ! fit la régente. Voilà un ruban qui en dit long sur les progrès de M. de Bombelles et, à votre place, Monsieur de Kerjean, je n’aurais pas l’esprit en repos.

— Il y a des rubans de soie bleue ailleurs qu’à Kerjean, répondit seulement René.

Mais, une semaine plus tard, il arriva au Louvre un second messager qui venait de la part du chevalier de Saint-Phar et qui apportait un nouveau sachet. La régente l’ouvrit comme le premier devant René et en tira une épingle d’or.

— Je la reconnais, dit sans qu’on l’en pressât René : c’est l’épingle dont se sert Françoise pour attacher sa guimpe.

— Et vous n’en prenez pas quelque ombrage ? demanda la régente.

— J’en pourrais prendre, dit René, si je croyais que ce fût un cadeau de Françoise à M. de Saint-Phar. Mais les épingles sont sujettes à choir, à se perdre et à se retrouver.

Huit jours passèrent encore. Il arriva au Louvre un troisième messager, avec un troisième sachet dont l’envoyeur était le comte de Bruc et qui contenait une boucle de cheveux blonds, d’un blond si fin, si doré, que le cœur de René sauta dans sa poitrine et que ses yeux se mouillèrent soudain : s’emparant de la boucle, il la porta vivement à ses lèvres, la baisa, puis la respira et la baisa encore.

— Ce sont bien des cheveux de Françoise, dit-il. Elle seule dans la province a des cheveux de cette nuance et de cette souplesse. Le peigne se fatigue à les retenir. Quand elle les dénoue, ils coulent jusqu’à ses hanches. O cheveux de ma mie, puissé-je bientôt vous respirer et vous baiser à l’aise !

— Oui da ! Mais en attendant un autre les respire et les baise pour vous, dit la régente avec une joie maligne,

— Non ! dit René. Il suffit qu’une chambrière infidèle ait coupé cette boucle à Françoise pendant son sommeil et l’ait baillée contre argent à M. de Bruc. Je châtierai cette félone à mon retour.

Au fond d’elle, la régente admirait une confiance si robuste et si bien défendue contre toutes les surprises, mais ne s’y laissait point gagner. Cependant, par prudence, elle réservait encore son jugement jusqu’à l’arrivée du quatrième messager qui ne pouvait tarder beaucoup. Des quatre muguets, Belz était le plus hardi et le plus expérimenté. Ses fines moustaches, cavalièrement troussées, son œil impérieux et qui savait pourtant s’attendrir, sa prestance, son phébus et cette réputation d’invincibilité qui le précédait partout en faisaient un séducteur fort au-dessus du commun : si Bombelles, Saint-Phar et Bruc n’avaient qu’ébréché la vertu de Madame de Kerjean, Belz était l’homme qui devait emporter la place du premier coup. Ce César de ruelles n’avait qu’à paraître pour vaincre et la régente attendait de lui la preuve décisive qui terrasserait le présomptueux René.

Son attente ne fut point trompée. Au bout d’une nouvelle semaine, il arriva au Louvre un quatrième messager, avec l’envoi du marquis de Belz. La régente était si impatiente d’en apprendre le contenu qu’elle déchira le sachet : une bague s’en échappa qui alla rouler aux pieds de René. Celui-ci la ramassa et pâlit.

— C’est l’alliance de Françoise, dit-il. Nos chiffres et nos noms sont gravés à l’intérieur de l’anneau.

— Vous ne doutez donc plus ? dit la régente, car, plutôt que de livrer son alliance, une honnête femme préférerait mourir…

— Madame, dit René, et qui vous dit que Françoise n’est pas morte ?


IV

Quand, au soir tombant, du haut de la montée de Saint-Vougay René, qui chevauchait sans rompre selle depuis cinq jours, distingua sur l’horizon la ligne sombre de ses futaies, son cœur, déjà serré par l’angoisse, se contracta terriblement et les rênes lui échappèrent des mains. Il lui fallut faire effort pour se remettre d’aplomb et franchir au galop la petite traite qui le séparait encore du domaine.

Enfin, au bout de l’avenue, derrière son grand rempart crénelé de quinze pas de large, gardé par des coulevrines et des bombardes, il aperçut Kerjean, la « merveille » du Léon et de toute la province, à la fois château et forteresse et dont les bâtiments, plus beaux et plus vastes que ceux d’Anet, couvraient trois journaux et treize cordes de terre. Ce n’avait pas été trop, pour subvenir aux frais d’une si gigantesque entreprise, de l’énorme fortune du chanoine Hamon Barbier et du revenu accumulé de ses quarante bénéfices : intérêts et capital y passèrent, dit-on, sans que le chanoine en marquât d’autre regret que de ne pouvoir se ruiner un peu plus, tant il avait souci du renom d’un sien neveu et pupille à qui le château était destiné.

René, en des conjonctures plus propices, n’eût pas manqué de bénir la mémoire de ce parangon des oncles et de l’associer à la joie de son retour : son oreille eût été doucement caressée en chemin par le chant des jets d’eau dans leurs vasques de granit ; ses jeux se fussent reposés avec délice sur les châtaigniers et les charmes du labyrinthe, sur l’étang, rose encore de l’adieu du soleil, sur la jolie fontaine ionique qui, avec son grand vase à godrons tout rempli de jacinthes et d’iris, le faisait songer aux mythologies champêtres de M. de Ronsard. Et ils se fussent portés de là sur le château lui-même, sur ses campaniles, ses combles et ses lanternons d’un si élégant dessin que c’était à qui les copierait dans la province, sans parvenir à les égaler. Mais, aujourd’hui, rien ne parlait à ses oreilles ni à ses yeux dans ces lieux enchanteurs, René n’était pas plus sensible à leurs beautés qu’à l’effroi de ses vassaux qui, trompés par le crépuscule, s’imaginaient voir un fantôme dans ce cavalier insolite coupant à travers friches sur son cheval blanc d’écume. La nuit était presque tombée quand, ayant franchi au galop le pont-levis de la première enceinte, il s’arrêta devant la poterne et, du pommeau de son épée, frappa trois coups précipités contre le vantail.

Bien qu’il n’eût prononcé aucune parole et que les bâtiments du château fussent assez éloignés, Françoise, qui filait à son rouet, reconnut les coups et dit à sa nourrice :

« C’est mon mari qui frappe ! »

Elle descendit aussitôt de sa chambre et arriva dans le vestibule comme René y pénétrait au milieu des bonds et des abois de ses lévriers.

Le premier mouvement de M. de Kerjean, en retrouvant sa femme vivante, fut de se jeter dans les bras qu’elle lui ouvrait. Mais, réfléchissant qu’il n’évitait un malheur que pour tomber dans un autre et que le ciel ne lui rendait Françoise qu’en y mettant comme condition la perte de son honneur, il écarta la perfide et lui demanda si elle était assez folle pour croire qu’il pouvait encore l’aimer.

— Que voulez-vous dire, mon cher seigneur ? s’enquit Françoise.

— Osez-vous le demander, coquine, et ne vous souvenez-vous plus des cadeaux que vous avez faits à Bombelles, à Bruc, à Saint-Phar et à Belz ?

— N’étaient-ce donc point vos amis, dit Françoise, et les lettres qu’ils m’ont présentées de votre part seraient-elles supposées ? Vous m’y mandiez de faire bon accueil à ces quatre seigneurs et de ne leur rien refuser que l’honnêteté permit de leur accorder.

— Et depuis quand l’honnêteté permet-elle d’accorder aux galants des épingles, des rubans, des boucles de cheveux et des bagues ?

— C’est aussi la question que je me suis posée, dit Françoise. Mais, craignant de vous désobliger, j’ai voulu pousser jusqu’à la limite des concessions que je croyais permises, afin de voir quelles étaient les intentions véritables de ces seigneurs.

— Elles n’étaient que trop claires et une honnête femme ne s’y fût point trompée un instant !

— Pardonnez-moi : seule et sans expérience, je n’osais m’en fier à mon jugement. Quand M. de Bombelles eut son ruban, il me pressa de lui donner autre chose…

— Autre chose ! Un rendez-vous, peut-être ?

— Précisément. Toujours par crainte de vous désobliger, j’y consentis. Mon choix s’était porté sur l’une des petites chambres de l’ancien corps de garde dont on a fait une tisserie. C’est l’endroit le plus retiré du château. Les chambres, vous le savez, communiquent à la fois avec la tisserie et avec la cour intérieure. Je remis la clef d’un de ces petits retraits à M. de Bombelles et le priai de m’attendre à la brune…

— Grand Dieu !

— Et M. de Saint-Phar, huit jours après, quand il tint son épingle, en agit exactement comme M. de Bombelles : sur quoi je lui remis la clef du retrait voisin. M. de Bruc, un peu plus tard, eut aussi la sienne et presque aussitôt M. de Belz qui s’était montré le plus pressant des quatre…

— Suis-je assez puni de ma confiance, s’écria René avec désespoir, et peut-on rêver disgrâce plus complète !… Ah ! traîtresse qui m’accablais de protestations quand je partis et qui voulais que tout ton temps se passât en oraisons et à filer ou carder l’étoupe ! Ce n’est pas de ce balin-là que les pauvres garniront leurs lits cet hiver. Mais le peu que tu en as tissé suffit et je veux en faire ton linceul.

— Oh ! messire, quel langage ! Il est constant que ces quatre seigneurs que vous m’avez envoyés m’ont fait dissiper bien des heures que j’eusse voulu mieux employer. Mais les pauvres n’y perdront rien, au contraire, et ils auront cet hiver plus de balin que je n’espérais en tisser toute seule pour eux.

— Vraiment ? Je serais curieux de savoir qui le leur tissera ?

— Vos amis. Sans doute il leur a fallu quelque temps pour s’y mettre. Mais ils en ont pris leur parti à la longue et M. de Belz, nommément, se montre un balinier hors de pair. Nos gens en ont déjà fait un proverbe :

Ar c’hoent euz an incardeuret
A zo bet e Kerian savet[12].

— Madame, dit René, je n’ai pas l’esprit tourné aux charades en ce moment. Cessez donc ce jeu, s’il vous plaît : les gentilshommes ne portent pas quenouille, mais épée.

— Oui, seigneur, quand ils en sont dignes, comme vous. Mais les larrons d’honneur qui, sous le couvert de l’amitié, se glissent au foyer du mari absent et paient son hospitalité d’une trahison, ces gentilshommes-là sont bons tout au plus à faire des fileurs ou des cardeurs d’étoupe. Ç’a été du moins mon sentiment. Et c’est pourquoi je m’avisai que les petites chambres de la tisserie, qui sont munies de solides verrous extérieurs, étaient les lieux du monde les plus propres à recevoir nos galants. Je leur avais promis de les y rejoindre à la brune. Je n’y manquai point. À l’heure convenue j’étais dans la cour, devant le guichet ; je l’ouvris…

— Et vous entrâtes ?

— Le guichet n’est pas assez large, seigneur. Je me contentai d’y passer la tête et d’annoncer à chacun de ces jolis cœurs que les verrous ne jouaient plus et qu’il faudrait donc, à mon vif regret, qu’ils restassent léans jusqu’à votre retour, mais que, par bonne fortune, ils auraient chacun de quoi s’occuper, vu qu’en poussant la porte du refend ils trouveraient une grande salle où il y avait de la compagnie et autant d’étoupe qu’on en pouvait filer et tisser en un mois.

— Vous ne me ferez jamais croire qu’ils ont accepté une semblable proposition !

— Il l’a bien fallu pourtant. Tout le monde ici travaille et, qui ne travaille pas, c’est qu’il n’a ni faim ni soif. Quand, après avoir bien tempêté, sacré, juré, vos amis ont vu qu’ils n’y gagnaient pas d’avoir leur dîner et leur souper plus vite, ils ont fait contre fortune bon cœur et, l’un aidant l’autre, ils sont devenus en peu de temps de parfaits baliniers. Vous allez, du reste, pouvoir en juger par vos yeux.


V

Ce disant, Françoise prit un flambeau et, précédant son mari qui ne savait plus que penser, elle le mena, par de longs corridors et un étroit escalier à vis, jusqu’à l’entrée de l’ancien corps de garde, dans le refend duquel étaient percés les retraits dont elle lui avait parlé. On entendait, derrière la porte, haute et bardée de fer, des caquets, des rires et des chants, mêlés au ronflement des rouets et au tic-tac des navettes dans les métiers.

— Ce sont eux, dit Françoise. Ils ont si bien pris goût à l’ouvrage qu’ils travaillent même aux chandelles. Maintenant, cher seigneur, il vous appartient de décider si l’épreuve fut suffisante et s’il n’est pas temps de leur rendre la liberté : nos pauvres sont assurés de plus de balin qu’il n’en faut pour passer l’hiver.

Le tapage des muguets couvrait la voix de Françoise, si bien que, la porte s’étant ouverte presque aussitôt, ils furent surpris par René dans la plus étrange occupation où se fussent encore vus quatre gentilshommes : l’épée au côté et le feutre à plumes sur la tête, le vidame de Bombelles filait la quenouille, le chevalier de Saint-Phar tournait le rouet, le comte de Bruc poussait la navette et le marquis de Belz enroulait le balin. Tous quatre se levèrent en apercevant René et, comme ils étaient hommes d’honneur dans le fond, ils ne firent aucune difficulté pour reconnaître qu’ils avaient perdu leur pari.

— Ce n’est point assez, dit Françoise, et il faut encore que vous me rendiez les gages que je vous avais livrés.

À ces mots, une vive rougeur se peignit sur le visage des quatre muguets,

— Les auriez-vous égarés, continua Françoise d’une voix irritée, et si c’est tout le cas que vous faisiez de mes dons ?

— Calmez-vous, mon cœur, dit René. Je les ai sur moi.

— Ô mon cher seigneur, dit Françoise, je le savais… Si j’ai montré tant de complaisance pour vos amis, c’est que je me doutais bien du chemin qu’allaient prendre mes gages : leur fatuité ne se fût point accommodée de les garder pour eux et il fallait qu’ils en donnassent le régal à toute la Cour. Mais il me plaisait qu’en agissant ainsi ils se fissent, sans le savoir, les truchements de ma tendresse pour vous, car j’étais certaine que c’était à vous qu’iraient en fin de compte mon ruban, mon épingle, mes cheveux et ma bague… Pour celle-ci, dont il me coûtait le plus de me séparer, je ne m’y décidai qu’en pensant que sa vue hâterait peut-être votre retour. Béni soit Dieu : je ne m’étais pas trompée.


L’histoire ajoute que le bruit d’une si belle défense se répandit bien vite dans le monde et accrut encore le renom de sagesse des dames bretonnes. La régente, convertie à de meilleurs sentiments, voulut en donner témoignage par un acte public : peu de temps après l’aventure des balins, elle créa René chevalier de l’Ordre et gentilhomme de la Chambre (1612). Six ans plus tard, Kerjean, par lettres-patentes de Louis XIII, était érigé en marquisat. Les Maillé, inconsolables de cette élévation, essayèrent bien d’y contrevenir et arrachèrent même à la faiblesse de Françoise, restée veuve, un aveu en date du 9 septembre 1620 où elle reconnaissait qu’une enclave de son manoir, dépendante du lieu de Kerallau, relevait de leur seigneurie. Piètre satisfaction, si la fortune ne s’en était mêlée et n’avait pris à charge d’abaisser les Barbier. Des incidents qui seront rapportés plus loin, Kerdanet, généalogiste à la dévotion de Kerjean, ne souffle mot dans sa Notice et son silence n’est que trop compréhensible. Quelques lignes de la correspondance de Missirien, publiée par M. de Rosmorduc, éveillèrent mon attention et m’engagèrent à des recherches qui ne furent pas toujours heureuses[13], mais m’en apprirent assez cependant pour me permettre de reconstituer à grands traits la vie incroyablement féconde en péripéties de René Barbier, deuxième du nom, et de Joseph-Sébastien Barbier, son fils.

Ce second René avait épousé en 1627, à l’âge de quatorze ans, Françoise Parcevaux, âgée elle-même de douze ans, fille et héritière d’Alain Parcevaux, seigneur de Mézarnou, la Palue et autres lieux, et de Suzanne de Guémadeuc, dame de Kerliver. Kerdanet se borne à dire qu’elle « aimait la toilette à la passion » et que sa beauté avait donné lieu au proverbe :

Caer eo, var ar nienou,
Evel princes a Mézarnou[14]

Il eût fallu ajouter qu’on ne vit jamais pareille dépensière et qu’interdite dès 1640 et séparée de son mari depuis 1633, elle avait mis à profit ses relations de cour et son crédit personnel près d’Anne d’Autriche, dont elle était dame d’honneur, pour passer outre à la loi et dilapider ses biens de la manière la plus folle. Son excuse est qu’elle trouvait en René un mari taillé sur son propre patron, dont elle prit avantage pour lui rendre la monnaie de sa pièce et le faire interdire à son tour. L’extraordinaire ménage que celui de ces deux bourreaux d’argent ! « Nés l’un et l’autre avec un caractère emporté et violent, dit Missirien, ils possédaient des biens considérables (33.000 livres de rente) et néanmoins ils contractaient des dettes immenses. » À quelles fins ? Pour quelles satisfactions de luxe, de toilettes ou de débauches ? Il n’importe. Mais il serait plus intéressant de connaître l’origine de ces « dettes immenses. » La plus considérable fut contractée envers un certain Hamon Le Dall, sieur de Feunteuméan, marchand de draps à Landerneau, dont la créance, avec intérêts accumulés, finit par monter à 150.000 livres. Il est fort possible que René Barbier et Hamon Le Dall aient fait de concert le négoce et peut-être la contrebande : ainsi s’expliquerait la découverte récente d’une réserve de draps dans un caveau de Kerjean. Et, si ce commerce illicite n’est point prouvé, il est assuré du moins que René arma en course et obtint commission du « roy d’Angleterre (Charles Ier) pour faire la guerre aux parlementaires », qu’avec un « grand vaisseau » et une « patache », il tint la mer et donna la chasse aux « pirates », qu’il gagna même sur neuf de ceux-ci, dans le havre de Sein, la semaine de Pâques 1648, une vraie « petite bataille », prit trois de leurs navires, en coula trois autres et dispersa le reste.

Missirien, qui plaisante de la prouesse[15], met cette humeur guerrière du marquis sur le compte de la « mélancolie » et des ennuis que lui causait sa séparation de biens et de corps d’avec la dame de Mézarnou. N’y pourrait-on voir plutôt un effet de cette passion du lucre qui se révèle dans ses louches tractations avec Hamon Le Dall ? Et le goût de l’aventure, la fougue d’un sang trop riche et qui avait besoin de se dépenser en démarches violentes, enfin un vieux ferment de haine contre l’ennemi héréditaire des Bretons, ar Saozon miliguet[16], n’y furent-ils pas aussi pour quelque chose ? Le peu que nous savons de ce second René nous le fait voir comme une manière de barbare à peine dégrossi, livré à ses impulsions, capable des pires traits comme des plus héroïques, fonçant en aveugle sur l’obstacle et distribuant à tort et à travers ses coups de boutoir. Je veux bien qu’avec ce caractère il n’ait pu supporter sans impatience les méchants procédés de sa femme qui, en 1650, obtenait contre lui un arrêt d’interdiction, dont elle ne fut pas longue à tirer « occasion pour piller les revenus de Kerjean, tantôt en son nom, tantôt sous des noms empruntés et toujours de concert avec les curateurs de son mari, qui, étant de son choix, lui étaient entièrement dévoués[17]. » Le vainqueur du havre de Sein trouva sans doute que la reconnaissance officielle se manifestait d’étrange façon à son endroit et, ne pouvant s’en prendre au roi lui-même, il s’en prit à celle que, non sans raison, il rendait responsable de sa disgrâce. Je n’ai pu savoir exactement ce qu’il tenta contre elle, mais le traitement qu’il lui infligea dut être assez rude et mettre la vie de la dame de Mezarnou en danger, puisqu’à la suite de deux procès-verbaux du grand prévôt un arrêt du Parlement de Bretagne en date du 2 mai 1653 condamna par contumace le marquis à la peine de mort et à la confiscation de ses biens meubles. Cette double condamnation semble avoir été de pure forme d’ailleurs : on dut craindre d’affronter le sanglier dans sa bauge. Non seulement le marquis n’eut pas « la tête tranchée », comme le portait l’arrêt, mais on ne l’inquiéta même pas et il put jouir de son patrimoine, tant mobilier qu’immobilier, jusqu’au 26 juillet 1665, date de sa mort, où il trépassa fort honnêtement au manoir de Kerc’hoent, paroisse du Minihy de Léon, « dans son lit, chez lui, au milieu de sa famille, après avoir fait les 6 et 7 du même mois un testament où il disposa en pleine liberté de ses biens et qui reçut sa complète exécution. »

La dame de Mézarnou, sa veuve, lui survécut vingt-trois ans. Elle habitait Paris, mais n’avait qu’une fille de chambre et logeait en garni. Cela ne suppose pas un grand train de maison et l’on ne sait vraiment trop à quoi passait son argent. En 1687 encore, âgée de soixante-douze ans, elle signait à sa fille de chambre « procuration générale pour vendre tous ses biens, en vertu de laquelle elle aurait même vendu pour la somme de 5.000 livres seulement des bois taillis qui estoient de plus de valeur de 30.000 livres. » Les 5.000 livres fondirent comme le reste et, quoique ayant « 10.000 livres de rente au moins de son propre et plus de 4.000 livres de provision sur les biens de son mary », sans compter les tours de bâton, cette incorrigible personne s’arrangeait en mourant (1688) pour laisser le bec dans l’eau son logeur, l’abbé de Grammont, et son tailleur, le sieur Darcé, l’un créancier d’une somme de 500 livres par an depuis…, l’autre d’une somme de 9.000 livres, qu’il leur fallut disputer à sa succession.

Les tailleurs et les marchands de draps jouent décidément un grand rôle dans l’histoire des Barbier de la cinquième et sixième génération. Nous allons retrouver un Le Dall mêlé aux aventures de Joseph-Sébastien, marquis de Tromelin[18], puis de Kerjean, seigneur de Mézarnou, etc., et fils aîné des précédents[19]. L’arrêt de 1650, qui avait prononcé l’interdiction de René Barbier, portait en outre que les enfants des deux époux seraient « envoyez au collège, pour apprendre les bonnes lettres, jusqu’à ce que l’aisné fût en âge d’être mis à l’Académie ; et cela par l’un des trois parents nommez pour donner leur suffrage, lorsqu’il s’agiroit de l’éducation. » En conformité de cet arrêt, Joseph, ayant atteint ses dix-sept ans, partit pour Paris au mois de janvier 1653 et fut placé « à l’Académie, pour y apprendre les exercices et les devoirs d’une personne de qualité. » Par surcroît de précaution, la mère et les parents de Joseph, « qui connaissaient la facilité (sic) du marquis de Kerjean le père, dans la juste crainte qu’il n’engageât son fils dans un mariage qui ne seroit ny heureux, ny honorable », obtinrent du Parlement un second arrêt lui défendant de tirer l’enfant de l’Académie ou de le marier.

C’était le vrai moyen de le piquer au jeu. Ainsi provoqué, notre homme jette feu et flammes. Il jure de « se vanger » et n’y réussit que trop bien : cinq jours lui suffisent pour bâcler le mariage de Joseph avec une demoiselle Marie Martin de Laubardemont (contrat signé le 27 mars 1654, ban unique le dimanche 29, mariage le 31), laquelle n’avait ni sou ni maille[20] et ne pouvait donc être qu’une charge pour son mari, si le vieux marquis ne s’était engagé à servir aux conjoints une rente de 6.000 livres et à les entretenir, « eux et leur train », au château de Kerjean.

L’engagement lui pesa-t-il à la longue ? Marie de Laubardemont se montra-t-elle une bru revêche ? Sa conduite prêtait-elle à la critique déjà ? Ou fut-ce seulement de n’avoir pas donné d’héritiers à son mari qui indisposa son beau-père contre elle ? Toujours est-il que le vieux marquis ne tarda pas à se repentir de « ce qu’il avoit fait par dépit et colère. » Avec autant de passion qu’il avait mis à conclure le mariage de son fils, le voilà qui en réclame la cassation, soutenant qu’il était nul, puisqu’il avait été contracté en violation des arrêts du Parlement et dans des formes illégales. Le jeune marquis, qu’on n’a pas consulté, se refuse, « soit par honneur ou inclination », à se séparer de sa femme. Et même, apprenant que son père et sa mère poursuivent « chaudement » au Parlement de Bretagne l’annulation de son mariage, il décide de se rendre à Rennes pour « empescher la surprinse » ; mais, Marie de Laubardemont « lui ayant remontré que les sollicitations des femmes estoient toujours puissantes et qu’il seroit plus à propos de lui laisser faire ce voyage », il change d’avis et, après lui avoir fait « compagnie pendant deux journées et s’être donné bien des témoignages d’une amitié réciproque », il l’expédie à sa place, munie d’une procuration en règle, sous l’escorte de trois valets, Laguillette, Vendosme et Laburthe, dit « père Michelet ».

Un vrai trio de coquins, selon le jeune marquis. Encore s’explique-t-on mal qu’à leur suggestion Marie de Laubardemont, qui avait tout intérêt à demeurer marquise de Tromelin, au lieu de s’arrêter à Rennes pour défendre la validité de son mariage, ait brûlé l’étape et s’en soit courue d’une traite à Paris où elle commença de mener, au témoignage du bon Missirien, « la vie la plus scandaleuse. » Tout n’est donc point mensonge dans les accusations si précises portées contre elle par son mari et qui la représentent comme s’étant faite « la dame des plaisirs de M. le Grand Maistre[21] » et tenant commerce public de galanterie au Palais-Royal, puis rue des Tournelles et, en dernier lieu, dans le quartier de l’Arsenal. Son appartement « estoit un lieu de débauche, où tout le monde estoit bien venu… Elle estoit propre à tout faire ; elle payoit de sa personne ou de la personne de quelqu’autre : les Amans n’avoient qu’à choisir. » Après avoir été «  entretenue par un mousquetaire et par le nommé Duval, elle avoit passé entre les bras du sieur de Grandmont », de l’abbé de Parsibelle, du valet La Chapelle, du duc du Lude enfin, de qui « elle recevait de bons présens » et servait les intrigues, notamment avec « une demoiselle de qualité » dont il « estoit extrêmement amoureux » et qu’elle essaya d’attirer à l’Arsenal. Aussi bien « sa plus sérieuse occupation » était-elle « de débaucher les jeunes filles et de mettre leur pudeur à l’encan. » Outre la nommée Faverolle, « fille de débauche », elle avait « auprès d’elle une petite fille qui estoit libre et hardie en paroles sales et déshonnestes » ; un témoin, Grandnom, dépose qu’ayant été prié à déjeuner par La Chapelle « chez la dame marquise de Querjan » (sic), il y vit « des filles qui dansèrent toutes nues. » Et ce sont les mêmes paroissiennes sans doute dont elle se fit escorter chez le lieutenant-criminel Dessita, qui, saisi par Joseph d’une demande d’informer, au lieu de « décerner un décret de prise de corps contre cette emportée » et « pour faire les choses plus honnestement », l’avait invitée à se rendre « chez lui » à fin d’interrogatoire : la Laubardemont n’eut garde d’y manquer et, ne voulant point être en reste avec un magistrat si galant, lui offrit la surprise d’ « une compagnie de Syrènes auxquelles Ulysse même n’aurait pas résisté[22]. »

Il semble bien qu’en tout ceci Joseph soit de bonne foi et nous avons vu que tel était aussi l’avis de Missirien. Malheureusement pour le plaignant, les juges ne partagèrent pas cet avis : convaincu (ou présumé tel) de subornation de témoins, Joseph fut condamné une première fois par le Châtelet (13 mai 1682) à faire « amande honorable devant Notre-Dame, puis banny à perpétuité hors du Royaume, ses biens confisqués », etc. Le Parlement confirma purement et simplement cette sentence par arrêt du 21 août 1682. Et tant de sévérité ne laisserait pas de surprendre si, avec tous ses titres, Joseph-Sébastien Barbier, « chevalier, seigneur marquis de Querjan, chef d’escadre de Bretagne, commandant le Régiment de Léon », n’avait été encore, au moment du procès, un assassin et un contumace.

La Laubardemont ne valait sans doute pas cher : mais que penser de Joseph lui-même ? Les procès pendant entre son père et Hamon Le Dall suivaient toujours leur cours : la mort des deux parties ne les avait pas éteints ; ils continuaient entre leurs hoirs ; les saisies succédaient aux saisies, les arrêts aux arrêts. La justice ne fut jamais pressée : elle l’était encore moins sous l’ancien régime que de notre temps. Cependant, au lieu de s’en remettre à ses décisions, Joseph Barbier, de retour à Kerjean, se portait à une tentative de meurtre sur la personne de Jérôme Le Dall (fils de Hamon ?). L’attentat, qui se place vers 1680, eut pour théâtre Plouescat, où Jérôme s’était rendu sans doute pour son commerce, un jour de foire ou de « pardon. » S’il ne s’agit pas d’un guet-apens, ce dut être à tout le moins une de ces violentes bagarres entre gentilshommes et manants, feutres à plumes contre calaboussen, épées contre penn-baz, comme nous en peignent les gwerziou de Luzel. Nombre de seigneurs bretons ressuscitaient en plein XVIIe siècle les mœurs de la féodalité. Et le fait est que l’abbé de Penanprat, qui « a laissé un armoriai et nobiliaire manuscrit où il épargne peu les grandes familles bretonnes »[23], dit expressément que le marquis de Kerjean « se tenoit bloqué dans son château, où il exerçait la tyrannie, avec les marquis de Maillé et Locmaria du Guerrand[24]. » De ces aires féodales, nos brigandeaux se lançaient sur les manants qui avaient le mauvais heur de leur déplaire, raflaient les jolies pennerez et ne se gênaient pas au besoin pour détrousser les marchands.

Ils se flattaient d’une impunité que la justice royale n’était pas toujours disposée à leur accorder, Joseph Barbier en fit l’expérience. Ecroué dans les prisons de Quimper-Corentin, d’où il s’évada par effraction, et condamné à 10.000 livres d’amende, il était repris peu après, peut-être à l’instigation de sa mère, et enfermé au Petit-Châtelet de Paris, puis à la Conciergerie du Palais. C’est seulement pendant sa détention qu’il apprit, si on l’en croit, les débordements de sa femme, dont il était séparé depuis plus de vingt ans[25], et c’est du Châtelet qu’il adressa requête au lieutenant criminel pour obtenir permission d’informer contre elle (25 juillet 1681).

On sait l’accueil que ménagèrent les juges à cette requête, renouvelée avec un égal succès le 2 mars 1682. Banni du royaume, dépouillé de son patrimoine, abandonné de ses parents, dont certains, qui convoitaient son héritage, avaient lié partie avec la Laubardemont, le triste sire se retira dans le Comtat Venaissin et entre temps, pour n’en pas perdre l’habitude, fit quelques années de prison au château de Pierre-Encise, près Lyon. Après sa femme, peut-être n’eut-il pas d’ennemi plus acharné à sa perte qu’Euphrasie Barbier, dame de Coatanscour, sa « niepce cruelle », qui, à défaut d’héritier direct, était appelée à lui succéder dans ses biens et qui mit tout en œuvre, d’après Missirien, pour entrer plus tôt en leur possession[26]. Joseph, non sans quelque fondement, l’accuse de l’avoir dénoncé et fait arrêter en 1689 à Paris, où elle l’avait attiré dans l’espoir de « le faire condamner à mort pour infraction de son ban. » Vainement, au décès de sa mère, argua-t-il près des tribunaux que, d’après la coutume de Bretagne, le bannissement n’entraîne pas la mort civile et ne prive pas le banni de son patrimoine et de l’aptitude à recevoir un héritage[27] : le château de Kerjean, ses dépendances, ses revenus, passèrent à la dame de Coatanscour. Joseph n’obtint qu’une dérisoire pension de 2.500 livres. Il vivait encore en 1715. Presque octogénaire, « sans secours, sans crédit », il adressait au roi, cette année-là, d’Avignon, une supplique lamentable : il y affirmait le sincère repentir de ses fautes, retirait toutes les accusations qu’il avait portées contre sa femme, lesquelles, disait-il, étaient la suite « de quelques méchants conseils, pendant qu’une longue prison lui ôtait la liberté du corps et celle de l’esprit » et terminait en implorant la clémence royale. La supplique fut écoutée et Joseph obtint des Lettres de rémission qui révoquaient l’arrêt de 1682 et restituaient le suppliant « dans sa bonne fâme et renommée, honneurs, dignitez et privilèges, et dans tous ses biens non d’ailleurs confisquez, droits et actions, pour en jouir et les exercer comme si le dit arrêt n’était pas intervenu. »

Il est toutefois fort probable que ces Lettres, au moins en ce qui concerne la clause récupérative des « biens, droits et actions », ne furent suivies d’aucun effet, car les Coatanscour se substituèrent paisiblement aux Barbier dans la jouissance de Kerjean. Celle que Joseph appelait sa « niepce cruelle », Gabrielle-Henriette-Euphrasie Barbier, née en 1665, mariée en 1689 à Alexandre de Coatanscour, était morte dans l’intervalle (17 nov. 1703). Elle avait eu de son mariage, le 17 juin 1690, Alexandre-Paul-Vincent de Coatanscour qui servit dès l’âge de quinze ans dans les mousquetaires et fut nommé colonel du régiment d’Angoumois le 28 février 1714. Il épousait la même année Louise-Marguerite Chambon d’Arbouville, qui lui donnait un fils mort en bas âge et trois filles, dont l’aînée seule nous intéresse.

Née « dans la grande chambre du château de Kerjean », le 25 mai 1724, Suzanne-Augustine de Coatanscour ne démentit point cette noble origine. Je veux bien qu’elle ait été belle, puisque Kerdanet s’en porte garant, mais elle a laissé surtout une réputation d’arrogance qui perce au travers des lignes du panégyriste de Kerjean. Cette fière personne ne trouvait aucun parti assez haut pour elle. Elle en rebuta tant qu’elle faillit sécher sur tige. À la fin elle fut heureuse qu’un gentilhomme de bonne famille, mais sans fortune et presque quadragénaire, Louis-François-Gilles de Kersauzon-Brézal, lui fit la grâce de l’épouser (1755). Et il est vrai qu’elle avait alors trente et un ans sonnés. Mais elle y mit comme condition qu’il prendrait « en seigneurie » le nom de Coatanscour[28]. Deux enfants, un garçon et une fille, naquirent de cette union tardive et n’eurent qu’une courte fleur de vie. Kersauzon-Coatanscour mourut lui-même en 1767, à l’âge de cinquante et un ans. La marquise de Coatanscour continua d’habiter Kerjean avec sa sœur Anne-Marie, veuve d’un Launay de l’Estang, baron du Saint-Empire. Elle tenait son château sur le pied de guerre, comme au moyen-âge, les coulevrines et les bombardes chargées, les herses baissées, les pont-levis « exhaussés » chaque soir au son de la cloche et les clefs de la place déposées en grand arroi « sous » son chevet[29]. Les continuateurs d’Ogée rapportent d’elle, d’après Kerdanet, des traits d’un orgueil fou. C’est ainsi que M. de la Marche, évêque de Léon, l’étant venu voir avec six curés des environs, elle fit servir ceux-ci à l’office. M. de la Marche, témoin de cette insolence, prit son couvert et se leva.

— Où donc allez-vous ? lui dit-elle.

— Dîner avec mon clergé, répondit l’évêque.

Une autre fois, un huissier apporte des papiers à la marquise ; elle les lit lentement et laisse l’homme de loi debout. Celui-ci s’impatiente et s’assied.

— Que faites-vous ? Sachez que jamais huissier ne s’est assis ni couvert en ma présence.

— C’est, réplique l’autre sans se lever, que ces huissiers-là n’avaient ni c… ni tête !

À la bonne heure ! Et cet huissier parlait déjà comme les « patriotes » qui s’apprêtaient à envahir Kerjean. Un tel orgueil se pouvait-il concilier avec la pratique des plus hautes vertus et nommément de la charité chrétienne ? Kerdanet l’affirme et nous voulons l’en croire. Peut-être cependant pousse-t-il la complaisance ou la simplicité un peu loin en assurant que nul obstacle n’arrêtait Madame de Coatanscour pour faire le bien, qu’elle ne s’occupait que de bonnes œuvres et à visiter les pauvres et les malheureux, qu’on racontait partout des prodiges de sa bienfaisance et qu’elle était enfin à ce point adorée de ses domestiques que quelques-uns ne purent lui survivre. Ce qui est vrai et hors de conteste, c’est que la marquise de Coatanscour, bien qu’elle eût fourni, en 1790, une somme de 4.500 livres à la « contribution patriotique », fut traduite devant le tribunal révolutionnaire de Brest après une détention de plusieurs mois dans les prisons du district[30], qu’elle ne perdit pas devant ses juges un pouce de son arrogance et que, condamnée à mort, malgré son grand âge (70 ans), elle périt sur l’échafaud le 27 juin 1704[31]. Le régime qu’elle symbolisait ne pouvait tomber plus fièrement.

Kerjean, veuf de ses hôtes, râlait pendant ce temps aux griffes de la racaille. Une nuée d’aigrefins et de maraudeurs s’était abattue sur cette riche proie : meubles, tentures, argenterie, vaisselle, ils brisèrent ou flambèrent tout ce qu’ils ne purent emporter ; avec les archives du chartrier, si précieuses pour notre histoire bretonne, on fit des bourres et des enveloppes de gargousses. Vrai miracle que les murs aient été épargnés ! Par décision du 17 avril 1793, le directoire de Brest avait ordonné la démolition de Kerjean. L’ordre eût été exécuté, si l’excellente position stratégique du château et les ressources qu’il offrait à la défense, quand les esprits s’échauffaient dans les campagnes, n’avaient plaidé en sa faveur. C’est ainsi que Canclaux, en mars 93, pendant l’insurrection du Léon, prit Kerjean pour quartier général.

Vendu comme bien d’émigré et racheté par un dévoué serviteur des Coatanscour, M. Le Tersec, notaire à Lesneven et sénéchal de Kerjean, le domaine fut restitué par celui-ci, après la Révolution, à un petit-neveu de la marquise, Charles de Brilhac, officier au régiment du roi, des mains de qui il passa par mariage aux Forsanz et aux Coatgoureden. Je ne dirai pas, avec Pol de Courcy, que les derniers propriétaires de Kerjean « l’ont achevé » ; mais enfin il n’était que temps d’aviser et aucune acquisition n’était plus souhaitable que celle dont M. Dujardin-Beaumetz vient de prendre l’initiative. On prête à notre sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts l’intention de restaurer Kerjean[32] et d’y installer un musée du mobilier et du costume bretons. L’idée est heureuse. Les musées urbains ont toujours quelque chose de froid, qu’ils tiennent de ces airs de grange ou de caserne qu’on donne maintenant à tous les monuments officiels. Mais ce musée-ci, placé au milieu des bois, à l’écart des grandes routes, réalisera l’idéal du genre ; on y jouira du calme nécessaire à l’évocation du passé : chupens, béguins, cornettes, bragou-braz, coffres, bahuts, pétrins, listriers, vieux lits-clos à étages, toute la chère et naïve défroque du romantisme armoricain sera là dans son cadre naturel — près de la quenouille et du rouet de Barberine.



  1. Le vrai nom semble avoir été Le Barbier. « C’est en effet sous ce nom, m’écrit M. Saulnier, conseiller honoraire à la Cour, à l’obligeance et à l’érudition duquel je ne saurais assez rendre hommage, que, d’après un extrait copié par moi à la bibliothèque publique de Rennes, cette famille a été maintenue noble d’ancienne extraction par la chambre de réformation de la noblesse. » Mais, dans l’usage courant et même sur les actes publics, on l’appelait plus communément Barbier. Preuves : « René, marquis de Kerjean et Françoise de Parcevaux, dame de Mézarnou, ont eu une fille née le 28 août 1637 : ils l’ont fait nommer à l’église paroissiale de Saint-Etienne de Rennes le 10 février 1644 et, dans l’acte dont j’ai un extrait sous les yeux, le nom est écrit Barbier. C’est ainsi encore que se fait appeler leur fils aîné, Joseph-Amador, dans un acte de baptême de la même paroisse où il comparait comme parrain, le 5 mai 1649 » (Saulnier).
  2. Je lis cependant sur une fiche manuscrite de M. Le Guennec : « En 1791, on fouilla Kerjean pour y saisir des armes, mais on n’y trouva qu’un couteau et trois fusils de chasse qu’on dut restituer en présence des réclamations de M. Le Tersec, fondé de pouvoirs des dames de Coatanscour. Les canons que Fréminville dit avoir été conduits de Kerjean à Lesneven provenaient du château de Kerno. »
  3. « Il serait plus juste, dit M. Chaussepied, de le nommer l’Anet breton, car il est contemporain de ce beau château et l’architecte de Kerjean s’en est beaucoup inspiré. » (Notice sur le château de Kerjean. Quimper, 1907.)
  4. Le pavillon nord-est de la façade et une partie des communs à la suite furent détruits par un incendie (vers 1615), et il est assez singulier qu’on ne les rebâtit pas. Plus tard, dit M. Chaussepied, « on a abattu des pans de mur qui menaçaient de s’écrouler, on dispersa (sic) des arcades et l’on construisit un bâtiment moderne qui fait tâche au milieu de cet ensemble d’un autre âge. » — C’est au cours de cet incendie que se passa la scène rapportée par Kerdanet : « Catherine de Goësbriand, la grand’mère, vivait encore. On vint lui annoncer que son petit-fils à la bavette était dans le pavillon menacé : « Allons, allons, dit-elle, qu’on jette bien vite mon petit-fils par la fenêtre pour le sauver des flammes ! » Le petit-fils fut sauvé, mais d’une autre manière. »
  5. C’est par erreur évidemment que la Notice imprime 1453.
  6. La famille Barbier ou Le Barbier, non mentionnée dans les premières réformations du Léon, paraît descendre (Courcy, notes mss.) d’un certain Jean Le Barbier, anobli par grâce spéciale du duc en 1427 (Communication de M. Louis Le Guennec).
  7. Courcy, notes mss. (Communication Le Guennec).
  8. Et ce jusqu’à la veille de la Révolution. Cf. Keratry : le Dernier des Beaumanoir. La terre de Maillé appartenait alors aux Rohan-Chabot. « Louis-Antoine-Auguste de Rohan vendit ce beau domaine à un gentilhomme vannetais, le 13 murs 1789, pour une somme de 400.000 livres. Le nouveau propriétaire, comme de raison, pensa à exercer ses droits. On en parla à la marquise [de Coatanscour, héritière des Barbier], qui en fut très peu alarmée. Elle ne pouvait supposer qu’on osât venir planter, dans sa cour de Kerjean, un poteau chargé d’armes étrangères. D’ailleurs, connaissant le naturel doux et modeste de l’acquéreur de Maillé, elle méprisa le bruit parvenu à ses oreilles. Mais ce à quoi, pour son malheur, elle n’avait pas songé, c’est que le gentilhomme avait aussi une femme jeune, jolie, spirituelle et, malgré cela, friande de droits seigneuriaux comme une vieille marquise. Voilà qu’un beau matin cette jeune dame met le feu au ventre de son mari, qu’elle le jette dans une voiture, avec un procureur fiscal et deux huissiers, affublés de leurs robes ; qu’elle fait attacher derrière la voiture le fatal poteau armorié ; qu’elle lance en avant dix domestiques à cheval, sans oublier de mêler à ce cortège deux gardes-chasses, munis des instruments nécessaires pour ficher un poteau en terre, après l’extraction d’un pavé. Tout cela arrive, dès huit heures du matin, en face du noble château. La marquise de Cuatanscour voit la berline, voit le poteau et n’en peut croire ses yeux. Ses gens étaient épars, aucun ne répond à ses ordres ; de sa fenêtre elle commande qu’on relève le pont-levis ; personne ne l’entend, et le pont-levis reste immobile. Les degrés sont franchis, elle accourt ; aidée de ses nièces, elle essaie de mettre en jeu les leviers destinés à mouvoir la masse protectrice : efforts impuissants ! Rien ne crie, rien ne bouge, et les deux chaînes ne quittent seulement pas la ligne courbe qu’elles décrivent dans les airs. La marquise est prise au dépourvu : les cavaliers passent, la berline entre en triomphe à leur suite, avec le terrible poteau, et l’agonie commence. Le regard fixe, les dents serrées, terrassée plutôt qu’assise dans un coin de sa cour (vierge jusqu’alors d’armes étrangères), la marquise est témoin du sinistre appareil. Attirés par le bruit, son sénéchal et son chapelain arrivent. « Protestez, dit-elle à l’un. Excommuniez, dit-elle à l’autre, car jamais un Rohan ne se fût permis envers moi une pareille infamie. Et c’est un propriétaire de deux jours !… » La parole expire dans sa bouche. Sous la protection des domestiques étrangers, rangés des deux côtés du pont-levis, les gardes-chasses procèdent à l’excavation ; les huissiers verbalisent en présence du procureur fiscal et de leur seigneur ; on appose les signatures : le poteau est planté ! »
  9. La race de ces lévriers de Kerjean semble s’être conservée jusqu’à la Révolution, si j’en crois cette anecdote inédite que me communique M. Le Guennec, qui la tient de M. de Kerdrel-Keruzoret, qui la tenait lui-même de Mlle de Trogoff, sa grand’tante :

    « Mgr de la Marche, dernier évêque de Léon, étant descendu à Kerjean, lors d’une de ses tournées épiscopales, la marquise [de Coatanscour] lui raconta que, depuis quelques jours, elle et ses hôtes étaient effrayés par des bruits étranges de chaînes qui se produisaient la nuit dans l’une des salles basses du château, sans que personne osât aller en reconnaître la cause. Le prélat, qui était un ancien officier de cavalerie et n’avait pas plus peur des morts que des vivants, offrit de passer la nuit dans le sous-sol, d’où les bruits semblaient sortir, et il insista tellement que la marquise dut promettre de lui faire dresser un lit en cet endroit. L’heure du coucher étant arrivée, l’évêque descendit dans le sous-sol, fit sa prière, se mit au lit et s’endormit paisiblement. Mais, au moment où l’horloge du château sonnait minuit, il fut réveillé en sursaut par un bruit de chaînes traînant sur le dallage. Sans s’émouvoir et sans pousser un cri, l’évêque saisit son briquet, le battit et alluma un flambeau, à la lueur duquel il reconnut… le grand lévrier noir de la marquise, qui s’était introduit dans la salle basse par un des soupiraux, en traînant après lui la chaîne de sa niche qu’il avait réussi à arracher. Tout s’expliqua dès lors. Comme on avait coutume de mettre des provisions dans cet endroit, le chien, attiré par l’odeur, y pénétrait quelquefois, après avoir arraché sa chaîne, et y faisait le vacarme qui avait tant effrayé la marquise et ses hôtes. »

  10. La branche cadette des Barbier du Lescoat s’est très dignement continuée jusqu’à nous.
  11. Voir, dans le Foyer breton de Souvestre, une variante de cette légende.
  12. « Le premier des baliniers, c’est à Kerjean qu’il fut élevé. »
  13. Je parle de celles qui furent faites, à ma prière et avec tant d’obligeance, par M. Joseph Baudet, conseiller à la Cour, dans les archives du Parlement de Rennes. Ces archives ne garderaient trace ni de l’arrêt du 21 novembre 1647 portant séparation entre René Barbier et Françoise Parcevaux, ni de l’arrêt du 2 mai 1653 condamnant ledit René à avoir « la tête tranchée », ni de l’arrêt du 21 juillet 1681 condamnant Joseph-Sébastien à 10.000 livres de dommages et intérêts pour tentative d’assassinat sur « Hiérome Le Dall ».

    En revanche les recherches faites, sur les indications de M. Saulnier, dans la collection de factums de la Bibliothèque nationale, ont abouti à la découverte de plusieurs pièces importantes dont je me suis servi pour la rédaction de ce qui va suivre. Mes citations (sauf celles tirées de Missirien) sont empruntées à ces pièces, dont on trouvera un résumé à l’Appendice. Qu’il me soit permis de remercier en outre ici, après MM. Saulnier et Baudet, et pour l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée dans le dépouillement et le classement des pièces, M. Louis Le Guennec, l’érudit morlaisien à qui rien n’est étranger du passé de nos châteaux bretons, et M. Pierre Laurent, délicieux poète élégiaque, doublé, à l’occasion, d’un fureteur émérite.

  14. « Elle brille, sur les monts, comme la princesse de
    Mézarnou ».
  15. Était-elle de si petite conséquence ? Ce ne fut point, en tout cas, l’avis des marchands qui, « de tous nos havres, convient Missirien, ont député vers [le marquis], l’ont envoié remercier et lui ont fait rendre des vivres et des vins en abondance. »
  16. « Le Saxon (l’Anglais) maudit ».
  17. À la vérité, l’arrêt laissait au marquis la jouissance pleine et entière de ses biens, mais portait qu’il ne pourrait les vendre, aliéner ou engager sans le consentement de quatre parents du côté paternel et de quatre parents du côté maternel. L’un de ces curateurs était Jean de Lannion, sieur des Aubrays (le fameux Lézobré des légendes bretonnes), qui avait épousé Mauricette Barbier, fille du premier René et de Françoise de Quélen, et qui était donc le beau-frère de René II. Il est cité dans une des rares pièces concernant la famille Barbier qui se trouvent aux archives du Parlement de Bretagne (Série B. — Extrait des registres d’audience de Grand-Chambre. Arrêt du 21 nov. 1647).
  18. C’est le titre qu’il porta du vivant de son père.
  19. Ce Joseph-Sébastien est-il le même qui signa Joseph-Amador dans l’acte cité plus haut par M. Saulnier ? Je le pense. Et, d’autre part, son frère cadet, père de la marquise de Coatanscour, se prénommait aussi Sébastien.
  20. Il serait intéressant de savoir si un lien de parenté quelconque rattachait cette Laubardemont au trop célèbre magistrat à la dévotion de Richelieu, mort l’année précédente.
  21. Le duc du Lude, grand-maître de l’Arsenal.
  22. Voir à l’Appendice un résumé du factum la concernant. Missirien attribue le gain de son procès aux « influences que lui procurait son inconduite ». Parmi ces « influences », il faut mettre au premier rang celles du duc du Lude, du duc de Foye, de MMmes de Roussereau, de Vaubrun et de Montlévrier.
  23. Communication de M. Le Guennec.
  24. Voir sur ce dernier nos Passions celtes : le Marquis rouge.
  25. La séparation, prononcée à la requête de Marie de Laubardemont, est du 12 juin 1661.
  26. Missirien dit en propres termes qu’elle « aida » la Laubardemont dans ses manœuvres contre le marquis.
  27. Voir à l’Appendice le résumé du factum concernant cette nouvelle affaire.
  28. Ce Kersauzon-Coatanscour fut, avec Kerguézec, l’un des plus acharnés adversaires du pouvoir royal aux États de Bretagne. Il « était, dit M. de La Lande Calan, le chef des intransigeants, l’adversaire intraitable de toute conciliation. » Son intervention fut particulièrement décisive aux États de 1762 où il fit refuser aux commissaires royaux la demande du sol par livre et tint vigoureusement tête au duc d’Aiguillon en se basant sur le contrat de mariage d’Anne de Bretagne, d’après lequel on ne pouvait lever d’impôts en Bretagne sans le consentement des trois ordres. La noblesse l’élut à cette session pour son président.
  29. « On observait en outre, dans le château, l’étiquette et le cérémonial qui rappelaient les premiers âges de la féodalité. Dans les repas, la marquise, placée au haut bout de la table, assignait aux convives les rangs dans la juste mesure du mérite qu’elle leur supposait : les marquis et les comtes ses parents, puis les chevaliers, occupaient les postes d’honneur et, par gradations insensibles, la ligne descendait jusqu’à la roture, qui commençait par le procureur fiscal et finissait par le chapelain. » (Keratry : le Dernier des Beaumanoir.)
  30. L’Histoire de Bretagne par une pauvre chercheuse de pain dit que, dès le 15 juillet 1791, le Directoire de Lesneven, poussé par la société des Amis de la Constitution, donna l’ordre au commandant de la garde nationale de Lesneven de se rendre, à la tête d’un détachement de 40 hommes, au château de Kerjean. Mais il semble qu’on se soit borné, cette première fois, à une simple perquisition. La marquise avait eu le temps, d’ailleurs, avec le concours du concierge Paulin, de cacher ses objets les plus précieux. Ils furent déterrés peu après par Douzé-Verteuil, qui s’empara de l’argenterie.
  31. On exécuta en même temps qu’elle sa sœur Anne-Marie. D’après l’Histoire de Bretagne par une pauvre chercheuse de pain, M. Le Tersec, notaire à Lesneven et sénéchal de Kerjean, qui avait plus d’une fois exposé sa vie pour sauver ces dames, avait réussi à pénétrer jusqu’à elles au château de Brest, pour les faire évader, mais elles refusèrent. Le comité de Sûreté Générale, au mois d’octobre suivant, après la dissolution du tribunal révolutionnaire de Brest, ordonnait leur élargissement. Le malheur est qu’on les avait déjà « raccourcies ».
  32. M. Charles Chaussepied, architecte à Quimper, dont nous avons plusieurs fois cité l’excellente Notice au cours de cette étude, a exposé, en 1907, au Salon des Artistes français, un projet de restauration de Kerjean dont les dessins lui ont valu une première médaille et ont été acquis depuis par l’État. Il serait donc tout désigné pour mener à bien cette restauration.