L’Âme bretonne série 1/Le barde du Dîner Celtique : N. Quellien



LE BARDE DU DÎNER CELTIQUE

(NARCISSE QUELLIEN)




Un corps maigre, étriqué, qu’emprisonnait une redingote trop longue et qu’on eut dite taillée dans une ancienne lévite de sulpicien, des yeux pâles, timides, comme inquiets derrière la vitre du lorgnon, une tête mate et languissante de Christ brun et, brusquement, d’une barbe orageuse que le fluide intérieur crevait, abondantes et pressées comme la grêle, des paroles, des paroles et des paroles, — tel m’apparut, un soir de 1886, le barde Narcisse Quellien, et tel je le retrouve dans mes souvenirs les plus récents.

Son type fixé, il lui resta fidèle. L’âge ne l’avait pas changé. Tout Paris le connaissait et il connaissait tout Paris. Renan, vingt fois, le supplia de se laisser nommer archiviste ou bibliothécaire en Bretagne : Quellien refusa toujours. Il y a des maux qui nous sont chers et dont nous ne voulons pas guérir. La nostalgie des bruyères natales était un de ces maux-là pour Quellien : il en tirait mille jouissances intimes et des effets d’art délicieux. Puis je croirais volontiers, pour parler comme les Allemands, que sa Bretagne était surtout intestine et subjective. Favorable disposition qui lui permettait de la promener sur l’asphalte des boulevards, dans les salles de rédaction, aux terrasses des cafés et de l’y installer confortablement avec lui devant un bitter-curaçao. Ainsi le plus Breton des Bretons de Bretagne avait fini par devenir une « figure éminemment parisienne. » Les gazetiers ne s’en sont pas moins ébaubis devant l’étrange destinée qui faisait écraser ce primitif, cet homme d’un autre âge, par un automobile dont le conducteur s’appelait Agamemnon Schliemann. Sa fin est apparue aux plus érudits comme le dernier crime des Atrides ; pour d’autres elle a pris l’importance d’un symbole où l’écraseur représentait le Progrès, l’écrasé la Tradition.

Voici le dragon rouge annoncé par Merlin,


avait déjà dit Brizeux. Quellien, du reste, croyait fermement au « Sort » et que tout homme naît « voué », c’est-à-dire prédestiné. Il écrivait dans la préface de sa Bretagne armoricaine : « J’ai le pressentiment que les orages de la vie m’auront déraciné avant le temps. » Ces « orages de la vie », renouvelés de Chateaubriand, sont une façon de parler. Comme beaucoup de Celtes, notre ami n’était vraiment triste que la plume à la main ; dans l’existence courante, il n’y avait pas de plus gai, de plus exubérant compagnon. Mais enfin l’essentiel de la prédiction s’est accompli : Quellien a été déraciné avant le temps et comme il entrait seulement dans sa cinquante-quatrième année.

Ar c’hleier en Breiz hirvoude ;
Ann ekleo war-dro a lare :
« Piou a zo iaket en he ve ?… »

« Les cloches, au pays, gémissaient ; — les échos disaient aux alentours : — « Qui vient d’être mis dans sa tombe ? » — Et, avec une chanson de douleur, — notre douce mère la Bretagne, assise sur un tertre, — a été vue, en ses bras, tendrement — berçant un pauvre corps défunt : — « Celui qui m’a tant aimée, — jamais je ne l’abandonnerai à l’oubli… »


I


Narcisse Quellien était né le 27 juin 1848, sur la lisière du pays de Goëlo, dans la Bretagne trégorroise, à la Roche-Derrien ou de Rien, comme orthographie naïvement Michelet. Et l’enfant, « de pauvre estrace », n’eut guère « de quoi » en effet. Je pense qu’il s’est peint lui-même dans ce petit Trolann des Contes du pays de Tréguier que M. le recteur (lisez : le curé) avait distingué « à sa voix d’argent et qui, dans le chœur de la vieille église romane, chantait les motets aux grandes fêtes carillonnées ». Ce bon ecclésiastique le prit en affection et lui obtint une bourse au petit séminaire de Tréguier. L’enfant y mena la vie des écoliers pauvres de Bretagne, nourri de taloches, de patates et d’eau claire et n’ayant en propre, pour ses études, qu’une grammaire latine dont lui avait fait cadeau la mère de sa petite amie Mona. Il n’était pas « au bout de ses humanités » quand mourut le recteur, son unique appui ; les portes du collège lui furent fermées. Comme il rentrait chez son père, un mendiant l’accosta sur la route :

— Tu m’as l’air bien désolé, fit cet inconnu. Tu croyais donc, mon garçon, que l’avenir n’appartient qu’à cette maison d’où l’on te renvoie aujourd’hui ? Regarde le soleil : il est si haut dans le ciel parce qu’il doit éclairer partout. Si l’on m’avait donné ton instruction, je ne serais pas à présent un pauvre Job. À ton âge les longs chemins sont permis et c’est péché de rester en détresse…

Spiritus dei fiat ubi vult. La destinée de Quellien, comme celle de son Trolann, dépendit d’une rencontre fortuite et d’un propos de mendiant. « Ce jour-là, dit-il, l’obscur coureur-de-route eut le don de prophétie. » Rentré sous le toit paternel, un « toit où l’on mangeait à peine du pain », Quellien complète ses études hâtivement. Bachelier, il n’a pas le « choix pour vivre entre deux vocations ». L’enseignement s’impose à lui ; il y pousse une pointe en province. Puis il vient à Paris. Il vit tant bien que mal — plutôt mal — de leçons données çà et là dans les chiourmes universitaires du Quartier-Latin ; il partage le pain et le sel avec des compagnons de chaîne qui s’appellent Ferdinand Brunetière et Paul Bourget ; il écrit auprès d’eux ses premiers vers, cette délicieuse Annaïk qui est l’un des plus parfaits modèles de l’amour breton et que Renan, débonnaire, accepte de tenir sur les fonts baptismaux de la publicité. Alors commencent de se nouer entre le grand philosophe et l’humble barde armoricain ces relations de maître à disciple qui devaient trouver leur épanouissement définitif dans les agapes du Dîner celtique. C’est vraiment où il fallait voir Quellien. Le Dîner celtique, à l’origine, n’était qu’une simple réunion de linguistes où « bretonnisaient » sous la rose d’Arbois de Jubainville, Loth, Gaidoz, Luzel, Tabbé Louis Martin, etc. Quellien l’élargit démesurément jusqu’aux proportions d’une gigantesque Table Ronde des lettres contemporaines. On y vit à la fois des Belges, des Roumains, des Espagnols, des Tchèques, un nègre ! Ce nègre du Dîner celtique fut longtemps fameux parmi nous. Il assistait aux obsèques du pauvre Quellien ; mais ce n’était pas le même. Les Bretons se sentaient bien un peu débordés dans cet afflux de nationalités étrangères. Mais enfin, pourvu qu’il y en eût là deux ou trois, Renan — l’Artur de la nouvelle Table Ronde — laissait entendre que l’honneur était sauf. C’était le plus indulgent des hommes. Il acceptait de conférer l’investiture celtique à tous les convives de bonne volonté : Henri Martin, Coppée, Theuriet, Bourget, Ledrain, Richepin, Barrès, Tellier, Vicaire, Bouchor, la reçurent ainsi tour à tour. Assesseurs ordinaires de notre illustre président, ils se prenaient les premiers au réseau de cette parole enveloppante et subtile, la plus captieuse peut-être qui soit sortie d’une lèvre humaine depuis les entretiens du Cratyle et du Banquet. Quellien avait un magnifique don d’éveilleur. Dans ce corps gourd et tassé de septuagénaire, il savait raviver d’un mot la flamme assoupie ; pour employer une expression triviale, mais juste, il « allumait» Renan. Lui-même avait d’étonnantes improvisations, une puissance d’hyperbole dont nous demeurions confondus et qui ravissait notre président.

Cette décade de 1884 à 1894 fut l’âge d’or de Quellien. Il vivait dans l’auréole de Renan : un peu de la gloire du vieux maître rejaillissait sur lui. La flamme s’éteignit avec Renan. Quellien chercha bien à en prolonger le reflet dans les dîners qui suivirent. Mais l’âme de ces agapes s’était évanouie. Quellien s’agitait vainement pour la ressusciter : il était trop visible pour tous que le dieu était parti et qu’il n’y avait plus là que son sacristain. En cette stérile contention il consuma un temps précieux et qu’il eût mieux employé à des œuvres personnelles. Outre sa délicieuse Annaïk, il avait publié une étude sur le patois des nomades de la Roche-Derrien et un recueil de mélodies et de danses populaires, fruit de la mission dont il avait été chargé, en 1880, par le ministère de l’Instruction publique. Peut-être n’apporta-t-il pas à ces œuvres de recherches savantes tout le sérieux désirable. Son Argot des Nomades ne parut pas, autant qu’il le voulait dire, personnel aux stoupers[1] de la Roche-Derrien. Deux volumes de nouvelles : Loin de Bretagne et Bretons de Paris le montrèrent sous un jour plus heureux. Mais il faut convenir que la langue française le gênait un peu aux entournures. C’est une condition fâcheuse de penser dans une langue et de s’exprimer dans une autre. Le rythme et les idiotismes de la phrase bretonne le suivaient dans sa phrase française. Il ne pouvait se soustraire à leur obsession. Cela donnait quelquefois des effets charmants, d’une grâce rare et inattendue ; cela déconcertait le plus souvent[2]. Dans ses Contes du pays de Tréguier, puisés pour beaucoup aux sources vives de la tradition populaire, on sentit moins la gêne. Il y a là des rencontres exquises, comme l’histoire du vieux Louf et du nain Rossignolic. Je ne rappelle que pour mémoire son précis d’histoire de la Bretagne armoricaine, œuvre de vulgarisation hâtive, où l’on dirait qu’il a voulu ignorer de parti pris les derniers travaux de l’érudition moderne, et cette extraordinaire Perrinaïk qu’il inventa de toutes pièces, le nom compris[3], et à la réalité de laquelle, par un phénomène d’auto-suggestion dont on trouverait plus d’un exemple chez les écrivains de race celtique, il finit par croire fermement lui-même. Tout ce qui restera de Perrinaïk, c’est une cantilène ravissante qu’on réunira quelque jour à ses autres chansons, à cette Annaïk et à ce Breiz, merveilles de la littérature élégiaque, les plus pures fleurs peut-être et les plus parfumées qui aient éclos dans une âme de barde armoricaine.


II


Un barde, voilà en effet ce que fut Quellien. Dans l’intimité, avec ses familiers, il ne s’appelait pas autrement. Il était le barde par excellence. Quelquefois même il signait : « le dernier des bardes », mais il se flattait. Loin que la source soit près de tarir où s’alimentait l’âme nostalgique du bon Quellien, je crois avoir montré que le bardisme armoricain ne fut jamais plus vivant qu’à cette heure[4]. Ploujean, la restauration du théâtre indigène et l’investiture officielle que lui donnèrent au Parlement un éloquent interpellateur, M. le marquis de l’Estourbeillon, et le rare libéralisme d’un ministre ami des lettres, M. Georges Leygues, ont plus fait pour le développement de la poésie bretonne que cinquante années de bouderie et de repliement systématique. Quellien lui-même, si jaloux de son indépendance, s’apprêtait à entrer dans la lice. « Un mystère en trois actes » Perrinaîk, sera bientôt représenté dans nos quatre diocèses bretonnants », dit-il dans la préface de Breiz, L’écrivit-il, ce mystère ? Le rêva-t-il seulement ? Ses exécuteurs testamentaires nous l’apprendront. Mais, si le mystère existe et qu’on le représente un jour, je crains qu’il ne déçoive les admirateurs du barde. Quellien, je le répète, fut surtout un élégiaque. Il possédait sur le bout du doigt sa métrique bretonne. Il savait toutes les ressources de l’impair, de ces vers de sept et de treize syllabes qui demandent une oreille si exercée et si sûre. Il en tirait des effets insoupçonnés jusqu’à lui. Il leur faisait proprement exprimer l’inexprimable et, dans telle petite pièce d’un fini merveilleux, parvenait, je ne sais comment, à enfermer tout l’infini du rêve celte :

J’ai reçu ces nouvelles de ma fiancée — qu’elle s’est mise en chemin, un jour,

Et qu’à ma suite elle est venue dans la grande ville, — pour me chercher ou pour me revoir.

Près de l’église, pour l’attendre, — j’étais à me promener comme je faisais jadis tous les soirs ;

Et elle de passer ; mais Dieu seulement sait — si une femme regarde d’un œil froid ou aimant.

Pas une parole entre nous deux ; — mais sur-le-champ elle disparut dans l’église, comme autrefois.

Il me fallut l’attendre sur la route : — car Dieu et les saints me sont voilés.

Depuis que j’ai perdu l’amour, — j’ai renoncé au paradis de Dieu…

Que cela est d’un miel sauvage et bien breton ! Que voilà bien ces voluptés solitaires de la conscience dont a parlé Renan, ces réminiscences poétiques où se croisent à la fois toutes les sensations de la vie, si vagues, si profondes, si pénétrantes que pour peu qu’elles vinssent à se prolonger, on en mourrait sans qu’on pût dire si c’est d’amertume ou de douceur ! Mais tout n’était point que grâce souffrante et penchée dans le poète d’Annaïk. Au milieu de ses pièces impersonnelles, si je puis dire, comme l’élégie du Chuféré ou celle de Perrinaïk, éclatait tout à coup une note épique, la fanfare d’une strophe de colère, le même War-sa ! War-sa I Paotred-vad Breiz ![5] que nous entendîmes gronder, en 1870, aux quatre aires de la péninsule armoricaine. Ce ne sont là sans doute que des accidents chez Quellien. Comment n’être pas pris cependant à la tragique beauté de ces ternaires trop peu connus où crie la stérile lamentation d’une race de plus en plus asservie par l’alcool ?

Ils étaient une troupe de douze chevaliers, — accompagnant une princesse aux cheveux blonds ; — et ils étaient à festoyer dans une île.

Princesse Blondine versait à boire. — Elle mêla du sang de paon d’abord — à leur hydromel, pour les rendre plus légers.

Dans la deuxième écuellée (elle versa) du sang de vipère ; — et les voilà, au milieu de leurs beaux ébats, — de s’étrangler soudain comme des bêtes farouches.

Du sang de pourceau dans l’autre écuellée : et aussitôt ils tombèrent ivres-morts, — elle riant avec des regards mauvais.

Et, saisissant le korn-boud du roi, — elle sonna les Anglais… Et, depuis, — la Bretagne est asservie par un charme.

L’une de ces sônes, Ann ofer wenn (la messe blanche) est restée célèbre par le commentaire qu’en fit Renan dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Les douze coups de minuit viennent de tinter. Un ivrogne, couché dans la douve, aperçoit une procession d’âmes qui gagne en silence l’église ruinée de Saint-Michel, près de Tréguier. L’office commence. Le vent de nuit, par les arceaux brisés, fait vaciller la flamme des cierges.

Et, ensuite, aussi merveilleux encore — c’eût été d’entendre dans la nuit aveugle,

Autour du clocher, demandant à entrer, comme autour d’un navire, un pauvre oiseau de mer.

Trois fois fut entendue, cette nuit-là, — la plainte de la mouette voltigeant à l’entour ;

Comme une cloche d’appel à cette grand’messe : — Introïbo, disait-elle, à chaque fois…

Les jours suivants, un voyageur — demandait au sacristain de Tréguier :

« Pourquoi depuis trois nuits, — sont les cloches en branle ?

C’est pour un incendie peut-être ? » — « C’est pour quelqu’un destiné à être prêtre.

Et qui s’en est allé dans l’autre monde sans avoir dit sa messe — que sonnent les cloches toutes seules.

Mais il ne trouvera pas un enfant de chœur pour son office, disait le sacristain,

Si ce n’est un homme ivre, dans la douve du chemin, — avec le péché mortel en son cœur :

Hélas ! c’est pour Renan, mort — avant d’avoir été prêtre dans son pays… »

« Effectivement, ajoutait Renan avec sérénité, voilà ce que je suis : un prêtre manqué. Quellien a très bien compris ce qui fera toujours défaut à mon église, c’est l’enfant de chœur. Ma vie est comme une messe sur laquelle pèse un sort, un éternel Introïbo ad altare Dei, et personne pour répondre : Ad Deum qui lœtificat juventutem meam. Ma messe n’aura pas de servant. Faute de mieux, je me la réponds à moi-même ; mais ce n’est pas la même chose. »


III


Quellien n’aurait écrit que la Messe blanche qu’il faudrait encore lui faire une place de choix parmi nos bardes bretons. Si la Bretagne avait eu des ollamhs comme l’Irlande, des sortes de bardes-majeurs élevés en grade au-dessus de leurs confrères, il eût été digne d’être un de ces bardes avec La Villemarqué, Luzel, Prosper Proux, l’abbé Guillôme et Ollivier Souvestre qui eussent complété le sextuor réglementaire. L’auteur des Souvenirs d’enfance et de jeunesse a fait de lui ce grand éloge qu’il était le seul homme de ce temps chez lequel il avait trouvé la faculté de créer des mythes. Peut-être, dans la suite, Quellien abusa-t-il et mésusa-t-il même quelquefois de cette faculté infiniment précieuse pour le poète, dangereuse et surérogatoire pour le philologue et l’historien. Son excuse, s’il en a une, est qu’il était sa première dupe. Je ne doute pas, encore un coup, qu’il n’ait fini par ajouter foi au roman de Perrinaïk, « cette queue de cerf-volant composée de chiffons attachés avec des ficelles », suivant la plaisante expression du même Renan dans sa lettre au sévère Luzel. Un des traits du caractère celtique et qui prenait chez Quellien un relief extraordinaire, c’est en effet cet illuminisme permanent et obstiné qui n’est ici, je le veux bien, que de l’idéalisme à la troisième puissance, mais qui partout ailleurs, dépouillé du prestige de la poésie, risquerait de porter un nom moins honorable. Certains Bretons de pure race, par besoin, se nourrissent de divagations et en nourrissent leur entourage. Comment concilier ces extravagances avec le sérieux qu’on s’accorde généralement à leur reconnaître ? Si l’homme en soi est un abîme de contradictions, qu’aurait dit Pascal du Celte de race pure ? Pour Quellien, sans doute, on ne saurait oublier qu’il était né à La Roche, le quartier général de ces stoupers nomades dont il a parlé avec une sympathie presque fraternelle et qui y ont leur ghetto dans les masures de la basse ville. Effrénés maraudeurs, ils rachètent ce manque de vergogne par une verve abondante et narquoise, mille trouvailles d’expression qui laissent leurs juges désarmés. Quellien tenait de ces pauvres hères. À bien réfléchir, ne fut-il pas lui-même une sorte de stouper partant au petit matin et passant les trois quarts de sa journée à battre le pavé de Paris autour des salles de rédaction et des cafés « littéraires » ? Battre le pavé est une recette de Mathurin Régnier pour prendre les strophes à la pipée. C’eût pu être aussi bien une recette de stouper rochois. Sans doute, comme à ces nomades de son pays, il arriva plus d’une fois à Quellien de rentrer chez lui « le bissac vide » ; mais que de fois aussi il lui arriva de rallier le gîte avec un butin merveilleux, avec des pièces comme Fiançailles, la Messe Blanche, le Chuféré, qui valaient des perles et des diamants et que notre pauvre ami, sur l’autel intérieur qu’il lui avait dressé, suspendait ensuite d’une main pieuse au cou de celle qu’il nommait sa mammik-goz Breiz’Izell, sa douce mère-grand la Bretagne !

  1. Chiffonniers.
  2. J’ai été heureux de me rencontrer sur ce point avec un excellent juge, M. Édouard Beaufils, qui dans un article du goût et du tour le plus fin, paru au lendemain de la mort du pauvre barde, écrivait : « Il avait une façon de sentir et d’exprimer un peu souffreteuse et gauche, mais qui, par cette maladresse même, donnait au récit plus de poésie et de rêve. »
  3. Cf. les articles de MM. de la Borderie et Trévédy, dans le Correspondant et la Revue de Bretagne et de Vendée.
  4. Cf. Au cœur de la race : la langue et les bardes.
  5. Debout ! Debout ! Vaillants gars de Bretagne.