Légendes chrétiennes/Le brigand et son filleul


VI


le brigand et son filleul.



Il y avait une fois un sabotier qui demeurait sur la lisière d’un grand bois, et dont le travail suffisait à peine à le faire vivre, lui, sa femme et ses enfants. Il avait onze enfants, et tous en bas âge, le pauvre homme, et il lui en naquit encore un douzième. Presque tous ses voisins lui avaient nommé un enfant, et il ne savait où s’adresser, cette fois, pour trouver un parrain et une marraine pour son dernier né. Un matin, il mit sa veste des dimanches, prit son penn-baz de chêne, et, après avoir fait le signe de la croix, il se mit en route pour aller prier le seigneur du château voisin de vouloir bien nommer son dernier enfant. Il n’allait guère vite, car il craignait d’être mal reçu. Comme il cheminait ainsi, il rencontra un homme assez âgé, qu’il ne connaissait point, et qui lui demanda :

— Où allez-vous ainsi, mon brave homme ?

— Je vais chercher un parrain à mon dernier né, monseigneur.

— Avez-vous une marraine ?

— Oui, j’ai une marraine.

— Eh bien ! si vous le voulez bien, je serai le parrain de votre enfant.

— Je ne demande pas mieux, mon bon seigneur.

— Retournez à la maison, alors, et trouvez-vous demain avec l’enfant et la marraine dans l’église de votre paroisse ; je serai là à vous attendre.

— Merci, et la bénédiction de Dieu soit sur vous, mon bon seigneur.

Et le sabotier retourna à sa hutte, satisfait de sa rencontre.

Cet homme-là était le chef d’une bande de brigands, qui habitaient le bois et qui faisaient beaucoup de mal dans tout le pays ; mais il ne le connaissait pas.

Quand le sabotier rentra chez lui, sa femme lui demanda :

— Eh bien ! mon homme, avez-vous trouvé un parrain ?

— Oui, femme, j’en ai trouvé un.

— Comment, le seigneur daigne donc nous nommer aussi un enfant ?

— Je ne suis pas allé jusqu’au château, femme ; j’ai rencontré en mon chemin un homme bien mis, qui s’est offert de lui-même pour être le parrain de notre enfant.

— Et vous ne connaissez pas cet homme-là ?

— Non sûrement, je ne le connais pas.

— Et vous l’avez accepté pour aider à faire un chrétien de notre enfant ? Et si c’est un méchant, mon pauvre homme, un brigand peut-être ?

— Je ne le crois pas, femme ; je croirais plutôt qu’il nous a été envoyé par Dieu.

— Je désire que ce soit vrai, mon Dieu !

Le lendemain, le père se rendit à l’église avec l’enfant et la marraine. Le parrain les attendait dans le cimetière. L’enfant fut baptisé et nommé François, et tout se passa pour le mieux. Au sortir de l’église, le parrain donna une poignée de pièces d’or au sabotier et lui dit qu’il irait voir son filleul dans un mois. Puis il s’en alla seul de son côté.

Le sabotier acheta au bourg du pain blanc, de la viande et du vin, et l’on fit, ce jour-là, dans sa hutte un dîner comme il n’y en avait eu depuis longtemps.

L’enfant mourut huit jours après, et il alla tout droit au paradis. Arrivé près de la porte, il s’y assit. Saint Pierre le vit et lui dit :

— Entrez, mon joli petit ange.

— Je n’entrerai pas, répondit l’enfant, si mon parrain ne vient pas avec moi.

— Qui est ton parrain, mon petit ami ?

Et l’enfant dit qui était son parrain.

— Hélas, mon petit ange, reprit saint Pierre, ton parrain est un méchant homme, un chef de brigands, et il ne viendra pas au paradis ; mais viens, toi ; entre vite.

— Je n’entrerai pas sans mon parrain, dit encore l’enfant.

Saint Pierre appela alors le bon Dieu, pour venir voir ce qui se passait. Le bon Dieu vint et dit à l’enfant :

— Viens, mon enfant, mon petit ange blanc ; viens avec moi dans ma maison, le paradis.

— Je n’irai pas, répondit l’enfant, si mon parrain ne vient pas avec moi.

— Hélas ! mon pauvre enfant, reprit le bon Dieu, tu ne sais pas ce que c’est que ton parrain. D’après ce que je vois, ton parrain est un méchant, un chef de brigands, et il a fait tout le mal et commis tous les crimes possibles : le paradis n’est pas fait pour de pareilles gens.

— Peu m’importe ce qu’est mon parrain et ce qu’il a fait ; c’est lui qui m’a assisté pour être fait chrétien, et je ne veux pas entrer au paradis sans lui.

— Tu es un bon petit enfant, lui dit le bon Dieu, et je ferai pour toi ce que je ne fais pas pour tout le monde. Prends cette burette ; porte-la à ton parrain, et dis-lui qu’il pourra entrer avec toi au paradis quand il l’aura remplie des larmes de ses yeux, des larmes de repentir et de douleur. Tu le trouveras couché et dormant sur un rocher, dans le bois.

L’enfant prit la burette et se rendit auprès de son parrain. Il le trouva, comme le lui avait dit le bon Dieu, qui dormait sur un rocher, dans le bois. Il réveilla, lui présenta la burette, et lui rapporta les paroles de Dieu.

Quand le brigand apprit que le Dieu tout-puissant et miséricordieux daignait avoir pitié de lui, à la prière d’un enfant, il se mit à pleurer si abondamment qu’il remplit la burette de ses larmes en un instant, et son cœur se brisa de douleur, et il mourut sur la place.

Son âme monta alors au ciel avec celle de son filleul, et Dieu les reçut tous les deux dans son paradis.

Ceci montre clairement, chrétiens, qu’il est bon de tenir des enfants sur les fonts du baptême, car ils peuvent nous aider à aller au ciel.

(Conté par Katoïc ar Bêr, mendiante.)