L’Outrage du 4 janvier 1642, Histoire d’un coup d’état avorté

L’Outrage du 4 janvier 1642, Histoire d’un coup d’état avorté
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 32 (p. 802-856).
L'OUTRAGE
DU 4 JANVIER 1642
HISTOIRE D'UN COUP D'ETAT AVORTE

Une des curiosités historiques du règne de Charles Ier est l’influence, décisive à certains momens, qu’exerça sur la destinée du monarque anglais le ressentiment du puissant ministre qui gouvernait alors la France. Richelieu contribua pour sa bonne part, — sans l’avoir prévue ni désirée, — à la catastrophe qui ébranla jusque dans ses racines la dynastie des Stuarts, et, après avoir conduit l’un d’eux sur l’échafaud, prépara l’exil définitif de ses successeurs. Il y contribua de deux manières : indirectement par son exemple, directement par les menées secrètes de sa politique. Charles Ier succomba pour avoir voulu imiter et pour avoir osé affronter le terrible cardinal. Sans tenir compte de circonstances essentiellement différentes, il lui parut beau de procéder contre les dissidens des trois royaumes à la façon de Richelieu contre l’église réformée de France ; puis il crut pouvoir mettre sa politique extérieure en opposition directe avec celle que suivait Richelieu, débarrassé des protestans et s’acharnant contre la maison d’Autriche[1]. Ces deux inspirations, également malheureuses, comptent en première ligne dans la longue liste de ses fautes.

La seconde pouvait être évitée. En 1637, tandis que Hampden plaidait encore devant les douze grands-juges son fameux procès pour refus du ship money, et quelques mois après les premiers symptômes de ces mouvemens anti-épiscopaux d’Ecosse qui, aboutissant au fameux covenant, donnèrent le signal de la révolution. Richelieu parut oublier ses anciens griefs contre le roi d’Angleterre, Il ne semblait plus se souvenir des secours apportés jadis par Buckingham aux protestans de La Rochelle, ni de l’opposition menaçante qui plus tard (1634) avait fait échouer ce fameux plan de partage en vertu duquel la France et la Hollande se distribuaient les Pays-Bas espagnols[2]. À ce moment (novembre 1637), les succès militaires de nos généraux étaient encore indécis. Les médiocres victoires que le cardinal La Valette et Schomberg remportaient, l’un dans le nord, l’autre au midi, ne semblaient point compenser aux yeux du peuple l’oppression fiscale, devenue de plus en plus lourde. Il recommençait à murmurer ; les parlemens, relevant la tête, essayaient de refuser l’enregistrement des édits bursaux ; les mécontens s’agitaient de tous côtés. Il était donc essentiel pour Richelieu de courtiser l’alliance anglaise. Les embarras naissans avec lesquels Charles Ier était aux prises lui donnaient la chance de l’obtenir. À défaut de l’alliance intime, la neutralité de l’Angleterre eût suffi au grand cardinal pour l’accomplissement d’un des projets qui lui tenaient le plus à cœur. Il s’agissait, en vertu de la ligue secrètement concertée entre la France et les Provinces-Unies, de s’emparer de toutes les places maritimes des Pays-Bas espagnols. Après avoir hésité longtemps, le prince d’Orange consentait à être de moitié dans cette entreprise hardie, qui allait anéantir jusqu’au dernier vestige de la domination espagnole chez les Flamands. L’Angleterre prêterait-elle la main à la réalisation d’une conquête qui pouvait à bon droit l’effrayer ? voudrait-elle du moins la laisser s’accomplir sans y mettre obstacle ? C’est ce que le comte d’Estrades eut mission d’éclaircir. Appuyé à regret par Henriette-Marie, qui n’aimait point Richelieu, le persécuteur de sa mère, l’ambassadeur avait de puissans motifs à faire valoir. L’issue favorable de l’entreprise chassait à jamais la marine espagnole de ces parages, où elle faisait concurrence à celle des Anglais. Ceux-ci, maîtres désormais de la mer, auraient le monopole du commerce flamand. Pendant la guerre, eux seuls fourniraient les approvisionnemens des armées belligérantes, soit des alliés, soit des Espagnols. Enfin, — et c’était la séduction sur laquelle Richelieu comptait le plus, — dans le cas où Charles accepterait l’espèce de complicité dont on lui offrait ainsi le bénéfice, le cardinal lui proposait l’aide militaire de la France contre ses sujets rebelles. À ces ouvertures conciliatrices, Charles répondit en véritable roi d’Angleterre. « Il tenait, dit-il, à conserver l’amitié de son frère le roi de France ; mais il ne la voulait ni préjudiciable à son honneur, ni achetée au prix des intérêts de son peuple. Si donc les ports des Flandres étaient attaqués par la France et la Hollande confédérées, une flotte anglaise partirait tout aussitôt pour les Dunes, et sur cette flotte une armée de quinze mille hommes. » Charles remerciait le cardinal du secours qu’il lui promettait en cas de rébellion ; « mais, ajoutait-il, je n’ai besoin, pour venir à bout des révoltés, que de mon autorité royale et de l’aide que je trouverais infailliblement, en pareille circonstance, dans les lois de mon pays. » Belles paroles, à coup sûr, si tant de fierté eût été de saison ; mais au moment même où Charles parlait si légèrement d’une guerre avec la France, il armait contre les presbytériens écossais. D’ailleurs, comme il eût dû le prévoir, d’Estrades avait une double mission. S’il échouait auprès du roi, le comte offrirait aux mécontens d’Ecosse cette aide imprudemment refusée. Aucun scrupule de religion ne gênait la redoutable éminence qui guerroyait contre l’Espagne catholique et s’alliait fort bien à Gustave-Adolphe, ce « boulevard de la foi protestante. » D’Estrades n’était pas à Londres depuis plus de cinq jours qu’il avait déjà noué des relations avec deux Écossais propres à servir ce nouveau dessein, et nous le voyons dans ses dépêches féliciter le ministre tout-puissant de « ces conjonctures favorables, qui lui permettront d’embarrasser les affaires du monarque anglais. » La réponse de Richelieu est remarquable : « Il est heureux, dit-il, que le couple royal d’Angleterre ait si nettement fait connaître ses dispositions. Plus d’adresse et de dissimulation eût embarrassé la politique française. Maintenant l’année ne s’achèvera pas sans que Charles Ier et Henriette-Marie n’aient eu à regretter d’avoir rejeté ses propositions[3]… Ils sauront bientôt que je ne suis pas un homme à mépriser, » ajoute ironiquement le sinistre prophète. L’action suit de près les paroles. Un des chapelains de Richelieu, l’abbé Chambres (ou plutôt Chambers), part aussitôt pour Edimbourg avec un des pages- secrétaires du ministre, « le sieur Hepburn. » Tous deux sont Écossais de naissance et ont des relations dans le pays où il s’agit d’ourdir les trames vengeresses. Plus acharné que jamais à poursuivre Marie de Médicis, Richelieu l’imposera bientôt à sa fille humiliée, et Henriette-Marie verra l’impopularité de cette misérable exilée s’ajouter à l’espèce d’aversion qu’inspire au peuple anglais une reine à la fois catholique et française. Au terme fixé par Richelieu, la prédiction menaçante du cardinal était accomplie. Elle est du mois de novembre 1637. Dès le mois de décembre, le covenant s’établissait en Écosse. Plus tard, en 1639, l’implacable cardinal poussait la flotte hollandaise à venir attaquer, dans les mers anglaises, sous les yeux et sous les canons de la flotte anglaise, les vaisseaux espagnols d’Oquendo, pour la protection desquels le cardinal-infant, gouverneur des Pays-Bas, avait promis subside à Charles Ier. L’escadre espagnole fut traitée par van Tromp comme l’a été de nos jours l’escadre turque, de Sinope. Et tandis que la populace côtière disputait leurs épaves aux matelots hollandais, le vice-amiral anglais, sir John Pennington, qui était à l’ancre dans les Dunes avec trente-quatre vaisseaux de guerre, se contentait, pour sauvegarder le principe de protection, d’un simulacre de canonnade.

Ces préliminaires historiques avaient pour but de préparer le lecteur à bien comprendre, — malgré le silence que gardent sur ce point la plupart de nos historiens, — le rôle joué dans une des phases les plus importantes de la révolution d’Angleterre par les agens de la politique du cardinal à Londres, et notamment par un de nos compatriotes jusqu’ici parfaitement inconnu. Le capitaine Hercule Langres était, dans les derniers mois de 1641, attaché d’une manière plus ou moins ostensible à l’envoyé français à Londres, M. de Montreuil. Homme de ressources, — nous le verrons bien, — homme d’esprit aussi, et, selon la mode du temps, fort empressé à « faire sa cour aux dames, » il avait noué des relations épistolaires avec une personne dont le nom est arrivé jusqu’à nous pour avoir figuré dans un incident du règne de Charles Ier, fort antérieur à ceux dont nous venons de parler.

Lorsqu’au mois de juin 1625 la fille d’Henri IV, sœur de Louis XIII, alla prendre place sur le trône d’Angleterre, elle y mena une suite assez nombreuse, composée en grande partie de dames d’atours, de pages et de vingt-neuf ecclésiastiques, dont plusieurs moines (théatins), à la tête desquels se pavanait un jeune évêque, ambitieux et remuant. Peu à peu cette cohue, qui grossissait chaque jour, envahit le palais de White-Hall, et par ses déportemens indiscrets, ses allures légères, ses bravades papistes, devint un sujet de scandale et de plaintes universelles. Le roi Charles, d’humeur assez débonnaire, — et d’ailleurs astreint, en sa qualité de jeune mari, à beaucoup de complaisance. — supporta durant quelques mois, outre la dépense toujours croissante que lui occasionnait la maison française d’Henriette-Marie, l’impopularité qui résultait pour lui de la tolérance témoignée à des étrangers si peu retenus dans leurs propos, si compromettans par leurs démarches irréfléchies. Il finit pourtant par se lasser de voir pulluler autour de lui et de sa jeune femme cet entourage de prêtres intrigans et de femmes évaporées ; peut-être aussi lui sembla-t-il dur de solder, à raison de 6,000 francs (soit 240 liv. sterl.) par jour, cette bande de serviteurs exigeans et mécontens. Lorsqu’ils eurent mis sa patience à bout, il chargea le duc de Buckingham, alors à Paris, d’annoncer à la reine-mère qu’il ne supporterait pas plus longtemps ces ennuis domestiques[4], et le maréchal de Bassompierre fut envoyé tout exprès à Londres pour essayer de concilier à cet égard les vœux contraires des deux royaux époux. La première entrevue de Charles avec le brillant ambassadeur fut aussi orageuse que possible. — Pourquoi ne pas remplir votre mandat jusqu’au bout ? s’écriait le jeune roi. Pourquoi ne pas me déclarer la guerre sans plus de vaines paroles ? — Ce sont les hérauts, sire, qui déclarent la guerre, répondit Bassompierre avec sa présence d’esprit habituelle ; moi, maréchal de France, je la fais. Buckingham, présent à cette scène, s’offrit assez audacieusement comme arbitre-médiateur ; mais les choses étaient allées trop loin pour que sa bonne volonté, d’ailleurs douteuse, pût amener une transaction qui satisfit toutes les parties engagées dans cette querelle intime. Bassompierre repartit ; peu de temps après son départ (juin 1626) ce drame domestique eut le dénoûment qu’on pouvait prévoir. « Le roi, venu dans la chambre de la reine pour lui notifier ses volontés à cet égard, l’y trouva entourée de ses serviteurs, qui dansaient et s’amusaient autour d’elle sans nul respect de l’étiquette. Il la prit par la main et la conduisit dans une pièce reculée où il s’enferma seul avec elle. Lord Conway en même temps avait prié l’évêque français et les autres ecclésiastiques de l’accompagner dans Saint-James-Park. Là, quand il leur eut exposé les motifs que le roi pouvait avoir de trouver à dire à leur conduite, il les informa, dans les termes les plus catégoriques, de l’ordre donné que tous, prêtres et laïques, jeunes et vieux, hommes et femmes, eussent à quitter immédiatement le royaume. » L’évêque fit hardiment valoir ses droits « comme ambassadeur, disait-il, et tenu à ne point quitter, sans un ordre exprès de son maître, la cour auprès de laquelle il se prétendait accrédité. » Les femmes aussi tinrent bon, et l’une d’elles se distingua par la véhémence de ses récriminations et de ses plaintes. Elle est mentionnée dans la Life of Henrietta-Maria comme « une belle et hardie Française (handsome and flippant), qui se fit en cette occasion l’organe de ses compagnes. » Elle se nommait Mme de Saint-Georges, et devait sans doute la place de première dame d’atours (principal lady of the bed-chamber) à sa mère, Mme de Montglat, jadis gouvernante d’Henriette-Marie. Particulièrement signalée à Charles comme l’une des personnes qui avaient le plus contribué à semer la zizanie dans son intérieur, elle ne devait avoir aucune prise sur sa volonté, désormais irrévocable. L’expulsion des Français eut lieu, le 1er juillet 1626, malgré la résistance qu’ils opposèrent à des procédés de plus en plus violens. Il ne fallut pas moins de quatre jours et de quarante voitures pour les reconduire sous escorte jusqu’à Douvres, où ils devaient être embarqués. Une foule curieuse et généralement hostile assistait à leur départ. Au moment où la belle Saint-Georges mettait le pied sur le bateau, non peut-être sans protester hautement par son attitude contre la violence qui lui était faite, un homme du peuple, quelque matelot ivre de bière, lui lança un caillou qui vint effleurer la coiffure assez étrange de la jeune Française, Un des seigneurs anglais qui l’escortaient, elle et ses compagnes, ressentit vivement cette indigne brutalité. Il marcha droit à celui qui s’en était rendu coupable, et, lui passant son épée au travers du corps, le jeta mort sur la place.

C’est à cette dame, si bien vengée seize ans auparavant, que, dans les premiers jours de 1642, le capitaine Hercule Langres adressa, en un style souvent incorrect, une relation des graves événemens qui venaient de se passer. Aussi avons-nous pris la liberté de rectifier plus d’une fois le procédé du narrateur et même de combler de nombreuses lacunes signalées à notre attention par les chroniqueurs du temps et les historiens qui ont, de nos jours, résumé, classé, éclairé l’un par l’autre les innombrables documens relatifs à l’épisode si curieux que nous voulons remettre en lumière. Le dernier surtout, M. John Forster, l’un des plus savans et des plus brillans reviewers de la presse anglaise[5], nous a fourni des matériaux précieux qu’il n’était point permis de négliger. Si cette relation ainsi reconstituée jette quelques lumières nouvelles sur un épisode essentiellement dramatique et d’une importance Incontestable, notre but sera complètement atteint. Ces explications données, la parole doit être laissée au capitaine Langres, témoin oculaire des scènes qui vont suivre, et qui s’y mêla peut-être plus activement qu’il ne lui convient de le dire.


I. — LA LUTTE.

Le grand intérêt que vous prenez au pays où nous sommes, et particulièrement à l’illustre princesse auprès de qui vous avez passé vos plus belles années, vous ayant portée, madame, à requérir de moi le récit des notables événemens qui viennent de s’accomplir, je croirais manquer à mon devoir si je ne vous en envoyais le récit sincère. Il n’est point mal à propos, approchant, comme vous le faites chaque jour, certains personnages éminens[6], que vous puissiez au besoin les entretenir, en toute connaissance de cause, des services qu’on leur rend et que ne leur rappelle pas toujours une mémoire quelquefois ingrate.

Je ne vous ennuierai point du récit des événemens qui ont marqué les vingt derniers mois. Vous savez peut-être aussi bien que moi comment le roi d’Angleterre donna brusquement congé (15 mai 1640) à son parlement, qui semblait disposé à lui refuser l’argent nécessaire pour reprendre la guerre contre les mécontens d’Ecosse. Ceux-ci, jusque-là incertains, en reçurent un grand encouragement, se croyant bien plus forts si le peuple anglais était avec eux. De leur côté, les ennemis du roi et des ministres ne négligèrent point cette occasion de faire tumulte, et furent assez faiblement réprimés. Suivit la seconde guerre écossaise, où lord Conway, à la tête des troupes royales, se laissa repousser par le général Leslie jusqu’aux frontières du comté d’York, après quoi nos covenanters écossais, tout vainqueurs qu’ils fussent, au lieu de pousser leur pointe, adressèrent au roi une de ces humbles suppliques auxquelles il n’est pas toujours sûr de faire un mauvais accueil. Le roi d’Angleterre, volontiers dissimulant, les ajourna, pour gagner du temps, devant les lords du pays, convoqués à York en grand conseil. Il comptait, par cette mesure inusitée, éviter la réunion d’un nouveau parlement ; mais, à grand renfort de pétitions suscitées par M. Pym et ses amis, qui déployèrent en cette occasion une activité surprenante, on obtint qu’il céderait sur ce point comme il avait été contraint de céder sur bien d’autres, et dès la première séance du grand conseil il fut annoncé aux membres qui le composaient qu’un parlement serait réuni dans un court délai. En attendant, on traitait avec les Écossais, qui, moyennant qu’on les payât bien (et ce à raison de quelque chose comme 15,000 pistoles par semaine), consentaient à rester en paix dans leurs quartiers, vivant d’ailleurs à merci sur les riches comtés de Northumberland et de Durham.

Si vous voulez bien ne pas oublier que nos agens d’Edimbourg n’étaient point étrangers à cette prise d’armes des presbytériens d’Ecosse, qui en définitive a mis le monarque anglais dans la nécessité de recourir une fois encore à ses turbulentes communes, peut-être trouverez-vous et trouvera-t-on avec vous que certaines gens ici n’ont pas mal employé leur temps et l’argent de sa majesté le roi de France. C’est ce que je vous prierai de faire remarquer, avec votre discernement des circonstances, à qui vous savez.

Du procès et de la mort de lord Strafford, à quoi s’employa, dès qu’il fut établi (novembre 1640), le parlement nouveau, je n’ai pas à vous entretenir longuement. Cette tragédie (mai 1641) a fait assez de bruit, et les lettres de la cour d’Angleterre, où vous avez des amis, vous ont tenue au courant d’une si lamentable histoire. Vous vous serez peut-être étonnée que le roi Charles Ier, à qui l’habile ministre avait rendu tant et de si grands services, ait pu se résoudre à le livrer au ressentiment de ces anciens collègues en compagnie desquels il avait combattu la prérogative royale, qu’il avait ensuite abandonnés pour passer au service du prince, et qui s’étaient promis de lui faire payer cher sa trahison. Il serait un peu long de vous dire là-dessus tout ce qui peut servir à expliquer cette faiblesse étrange, la plus grande qu’eût commise encore le roi d’Angleterre, celle qui doit peser le plus à sa conscience et porter le plus de préjudice à son autorité. Ce sang versé lui fait des serviteurs méfians et des ennemis qui se sentent à jamais sous le coup de sa vengeance. Les uns désormais n’oseront plus en sa faveur rien tenter qui les expose au courroux du parlement ; les autres ne croiront jamais qu’il puisse, de bonne foi, leur pardonner l’étrange violence qu’ils lui ont faite. C’est la pensée de plusieurs d’entre eux, je le sais à n’en pas douter. En particulier, c’est celle de M. Pym, le principal adversaire de l’infortuné qu’ils appellent encore, après l’avoir fait périr, « le grand apostat, » et celui de tous les parlementaires qui a le plus de hardiesse, de talent et d’autorité, à telles enseignes qu’en maint pamphlet, rimé ou non, le « roi Pym » est opposé au roi Charles[7], comme si le véritable prince était l’homme en qui la majorité du parlement a mis toute sa confiance. M. Pym est un ancien commis supérieur aux finances (ce qu’ils appellent un clerc de l’échiquier), très versé dans la connaissance des lois et des usages parlementaires ; c’est aussi un homme de résolution et d’une merveilleuse activité. Il n’a nulle bigoterie, et les rigides de son parti l’accusent de faire trop grande part à l’esprit mondain. Ils lui reprochent d’aimer la bonne chère et de se plaire dans le commerce des dames. Je vous garantis cependant qu’il a trop d’affaires sur les bras pour accorder beaucoup d’heures à de plus doux passe-temps.

Si le trépas du feu lieutenant d’Irlande a surpris et affligé ici nombre d’honnêtes gens, vous devez penser en quel état cette catastrophe soudaine a mis une personne qui était attachée à mylord Strafford depuis plusieurs années, et qui, jusqu’à ses derniers momens, lui a donné les marques de la plus vive tendresse. Vous aviez entendu parler, sans nul doute, de ces relations, que votre grande amie[8] ne devait point ignorer, puisque la dame dont je parle est, à ce qu’il semble, dans sa confiance la plus intime. Si vous ne l’avez connue au temps où vous vécûtes ici (elle était alors déjà mariée au plus fantasque et au plus prodigue des seigneurs de notre temps), M. de Voiture, qui l’a célébrée en ses vers, pourra vous en donner des nouvelles. Demandez-lui ce qu’il pense de la belle Lucy Percy[9]. En ce pays, il n’est poète qui n’ait célébré sa beauté, son esprit, les grâces de sa personne, les charmes de sa conversation. M. Waller, l’un des plus ingénieux rimeurs de la cour, la comparait, il y a peu d’années, quand elle prit les noirs habits de veuve, à « Vénus sortant d’une mer de jais, » et en effet ce fut en ce temps, c’est-à-dire en 1636, que sa beauté, dont on eût pu s’aviser bien plus tôt, fit en quelque sorte explosion. Les méchantes langues, trouvant partout à gloser, pourraient dire ici que ces attraits tant vantés n’ont été mieux connus que lorsqu’elle en fut moins avare. Pour moi, je ne suis point disposé à si mal interpréter les choses, et vous serez, je pense, de mon avis, en songeant que la même aventure est arrivée à bien des femmes chez nous, lesquelles n’ont été avancées dans l’estime des gens que par rang d’ancienneté, et ont vu le soleil couchant de leur automne plus radieux que l’aurore de leur printemps. Sans donner plus longtemps dans le phébus, revenons à la douleur que laissa éclater la belle comtesse de Carlisle quand son ami, le lord-lieutenant d’Irlande, périt victime de ses anciens amis. Cette douleur parut extrême ; elle s’exhalait en plaintes amères contre la faiblesse et l’ingratitude des maîtres que mylord Strafford avait, à son dam, trop fidèlement servis, et dans lesquels il avait si mal à propos placé sa confiance. Il fut remarqué par quelques-uns, au nombre desquels je me puis compter, que ces plaintes, ces doléances prirent fin d’une manière toute soudaine. Ni le roi d’Angleterre ni la reine n’eurent sujet de penser que milady Carlisle eût conçu contre eux aucun ressentiment caché. Comme à l’ordinaire, on la vit hanter le palais de White-Hall, où, elle porta le même air gracieux et les mêmes flatteries que devant. En même temps, il est vrai, cette extraordinaire personne, qui avait en vain, durant le procès de son ami, essayé de fléchir la terrible haine de M. Pym contre le plus redoutable adversaire des communes, continua de voir, et fréquemment, le principal auteur de la ruine de mylord Strafford, si bien que la médisance publique s’empara de leurs rapports, et ce fut une rumeur générale que M. Pym avait succédé au ministre déchu dans les bonnes grâces de la volage comtesse. Tenez pour certain (pour autant que ces sortes de choses admettent de certitude) que ce furent là de vains propos. La comtesse, que ceux qui la connaissent le mieux, dans les portraits qu’ils tracent d’elle, représentent « jouant avec l’amour comme avec un enfant, » n’aurait pas, à l’âge où elle est, après vingt ans de mariage et un veuvage de cinq années, accepté comme soupirant un muguet de l’espèce de M. Pym, gros homme grisonnant, à face pleine et rubiconde, espèce de bœuf parlementaire, embesogné de jurisprudence et de politique. Lui-même, encore que ses ennemis aient quelque droit de lui reprocher sa courtoisie envers les dames et son penchant aux plaisirs qu’elles donnent, ne se fût pas volontiers enchaîné aux pieds de cette Omphale aristocratique, au risque d’y perdre la virile ténacité qu’il porte dans les affaires d’état. Le fait est néanmoins que la comtesse, à partir du jour où elle ne fit plus retentir la ville de ses griefs, changea subitement d’habitudes. Elle fréquenta non plus les assemblées et les bals, mais les chapelles où se réunissent les presbytériens de Londres ; elle y est toujours assidue, et repaît ses oreilles, encore hier caressées par les madrigaux de ses poètes familiers, MM. Davenant, Suckling et leurs pareils, de fastidieux sermons, qu’elle écoute avec la plus religieuse attention, prenant même des notes au crayon sur son livre d’heures afin de mieux retenir les saintes paroles.

Je ne me chargerais pas volontiers, madame, de vous expliquer une si bizarre métamorphose, et n’aurais Là-dessus que de simples conjectures à vous proposer. Votre perspicacité n’a guère besoin qu’on lui vienne en aide, et démêlera sans doute les sentimens qui ont fait agir la belle et remuante Carlisle. Le mot de l’énigme, si je le savais, je me garderais bien de vous le donner d’avance. À plus forte raison, me bornant à croire que je l’ai deviné, vous laisserai-je le plaisir de le chercher à votre tour.

Quel qu’il puisse être, vous avez assez connu, — ne fût-ce qu’en lisant notre Mercure français, où un illustre personnage[10] a fort grand soin de mettre en substance ce qui, dans nos rapports secrets, peut être livré au public, — vous avez assez connu, dis-je, ce qui suivit la mort de mylord Strafford. Sous un ministère choisi parmi les chefs de la noblesse opposante, comme feu le duc de Bedford, les lords Bristol, Essex, Hertford, Mandeville, Savile et Say, les communes, mal contenues, obtinrent coup sur coup des victoires signalées. Sans parler du voyage que la reine d’Angleterre voulait faire en France, et qu’elles empêchèrent par une pétition concertée avec les lords du royaume (juillet 1641), elles abolirent les cours de chambre étoilée et de haute commission, la fameuse taxe du ship money, établirent la réunion, — même sans convocation royale, — des parlement futurs à chaque troisième année, et enfin firent ratifier ce bill qui défend de dissoudre, proroger ou ajourner le présent parlement sans le préalable consentement des deux chambres : ce que voyant, le roi, forcé de céder sur tous ces points, chercha secours dans la chambre haute, où, en distribuant aux principaux membres quelques grandes charges vacantes, il réussit à susciter une sorte de jalousie des pairs contre les communes. Il essaya aussi de reprendre en sous-œuvre cette « conspiration de l’armée » que, l’année précédente, avaient fait échouer les prétentions et l’ambition du sieur Goring[11] ; mais il avait affaire à des ennemis prompts et vigilans. La trame fut éventée et rompue. Le second voyage du roi d’Angleterre en Écosse suivit de près cette déconvenue ; comme il se rattache étroitement à ce qui vient de se passer ici, souffrez que je vous dise quelques mots des motifs secrets qui déterminèrent en cette occasion le monarque.

Après avoir été en fort mauvais état, ses affaires d’Écosse semblaient prendre un tour plus favorable. M. de Montrose et bon nombre d’autres, jadis ses ennemis, commençaient à se raviser et tendaient à se séparer du fameux covenant en formant une ligue à part. Une correspondance secrète qu’ils avaient avec le roi ayant été découverte au mois de juin 1641, il y eut grande émotion parmi les presbytériens, qui firent arrêter et emprisonner les quatre principaux chefs de cette nouvelle ligue au château d’Edimbourg. Leur procès allait s’instruire, et le roi, dont tout l’espoir était maintenant dans la désunion des deux parlemens d’Angleterre et d’Écosse, voulait saisir cette occasion de pratiquer quelques intelligences dans ce dernier, en intercédant pour sauver ses partisans compromis ; mais si c’était là peut-être sa principale visée, il avait un autre dessein, moins public, qui était de saisir les fils d’une conspiration ourdie, lui disait-on, entre quelques-uns des chefs du parti populaire anglais et ceux des Écossais qui dès lors avaient en vue non-seulement l’abolition de l’épiscopat, mais le renversement de l’autorité royale, ou la séparation de l’Ecosse d’avec l’Angleterre, et le don volontaire de l’Ecosse à la France. Vous devez savoir qu’il en a été fortement question.

Dans la correspondance établie entre les chefs du parti parlementaire anglais et les covenanters d’Ecosse, certaines gens promettaient au roi d’Angleterre qu’il trouverait les preuves légales d’un crime de haute trahison. Il y avait en effet des lettres où les covenanters étaient invités à faire marcher leur armée en Angleterre (pareil appel à l’invasion étrangère[12] est trahison au premier chef selon les lois anglaises). Il y avait aussi un engagement souscrit par divers membres de la pairie et des communes qui les liait envers les Écossais, et cela lorsque ces derniers étaient encore en armes contre l’Angleterre, puisque cet engagement remontait à l’année 1640. Armé de ces pièces écrites et signées qui mettaient entre ses mains la tête de ses principaux ennemis, le roi d’Angleterre pouvait tirer une terrible vengeance du supplice qu’ils avaient infligé à mylord Strafford. Fort heureusement pour eux, elles se trouvèrent en des mains fidèles, celles du sieur Archibald Johnston, qui, pour telles prières que le roi lui fît et telles offres dont il les accompagnât (sachant bien qu’il les avait en dépôt), ne consentit à les lui livrer[13].

Le séjour du roi dans Edimbourg portait également ombrage aux presbytériens de ce pays et aux gens du parlement anglais. Vous comprendrez ceci, madame, en vous représentant l’Ecosse comme une femme dont deux prétendans rivaux se disputent les faveurs. Le roi Charles y a des serviteurs zélés et sait bien qu’il pourrait, surtout parmi les montagnards, y réunir une armée fidèle à sa race. Le parlement d’un autre côté, qui a déjà expérimenté les avantages d’une alliance avec le covenant, serait fort marri si le fanatisme religieux de ces gens qui font la guerre aux évêques ne venait en aide à ceux qui volontiers prendraient les armes pour le maintien de ce qu’ils appellent « les libertés de la nation. » C’est donc, entre les deux, à qui gagnera l’appui de ce pays pauvre, mais puissant par la valeur militaire de ses habitans et le curieux entêtement religieux du bas peuple. Quant aux principaux parmi les covenanters, une fois qu’ils eurent tiré du roi toutes les largesses par lesquelles, en même temps que par son apparente docilité, il espérait les mettre dans son parti, sa présence leur devint gênante. Peut-être est-ce là ce qu’il faut conclure de cette peur subite qu’affectèrent de prendre trois des plus grands seigneurs du parti, le marquis de Hamilton, son frère le comte de Lanark et le comte d’Argyle, qui, le 12 octobre dernier au matin, se sauvèrent tout soudainement, comme gens menacés dans leur vie. M. de Montrose (encore prisonnier au château, notez ce point-ci,) les avait, prétendaient-ils, vilainement dénoncés, et le roi, sur l’offre qu’il avait faite de les convaincre de trahison envers sa personne, devait les mander auprès de lui pour les faire enlever ou tuer, selon qu’il jugerait à propos. Fondée ou feinte (car nous ne savons encore ici à quoi nous en tenir)[14], leur crainte les servit à point. Les bourgeois d’Edimbourg s’émurent et prirent les armes. Les communes d’Angleterre s’effrayèrent. Sur la demande du roi, qui manifestait la plus violente indignation, une enquête fut ouverte ; mais comme le parlement d’Ecosse, loin de s’émouvoir en faveur du prince, tirait l’affaire en longueur, et que le conseil de Westminster insistait pour le prompt retour de sa majesté, dont l’absence durait déjà depuis près de trois mois, cette affaire si obscure s’éteignit dans un accommodement singulier. Du côté du roi, qui céda comme toujours sur les points importans, il y eut des faveurs considérables accordées à ceux qui prétendaient qu’il les avait voulu faire exécuter secrètement. Hamilton était marquis, on le fit duc ; Argyle était comte, on le fit marquis ; Lanark (qui, par parenthèse, avait proposé à sa majesté, au cas où son frère Hamilton serait reconnu traître, de l’immoler de sa main) resta tout aussi avant que jamais dans la faveur royale. L’un des plus terribles covenanters, M. Archibald Johnston, — vous venez de voir pour quel service, — reçut le titre de chevalier et fut fait lord des sessions. Enfin les biens des évêques furent largement distribués aux chefs presbytériens, qui faillirent se prendre aux cheveux quand il fut question de partager ces riches dépouilles. En échange de tant de libéralités, sa majesté n’obtint que le droit de pardonner à ses partisans, et d’anéantir les procédures dont ils étaient menacés. M. de Montrose recouvra sa liberté, ainsi que les autres « incendiaires et fauteurs de complot, » comme on appelle en Écosse les agens dévoués de l’autorité royale. Puis, satisfait à bon marché comme vous voyez, le roi d’Angleterre, après avoir donné une grande fête à ses fidèles états d’Écosse, s’en revint ici à la fin de novembre dernier.

Les affaires, médiocrement pacifiées dans le pays turbulent où il venait de séjourner, prenaient en Irlande une tournure singulière. En cherchant à y faire des enrôlemens secrets pour sa cause sous prétexte de lever des hommes pour l’armée espagnole, le roi Charles avait déchaîné sur le pays tout entier le parti des « anciens Irlandais. » Le complot ourdi par ses ordres pour s’emparer du château de Dublin avait échoué, et les principaux conspirateurs royalistes s’étaient enfuis, appelant aux armes les catholiques irlandais, qui, se livrant d’ailleurs à toute sorte de pillages, attaquèrent immédiatement sur tous les points les garnisons anglaises. Les lords-justiciers d’Irlande, chargés du gouvernement depuis la mort de mylord Strafford, se tinrent prudemment enfermés dans la ville de Dublin, réclamant et attendant les secours que le parlement d’Angleterre leur pourrait envoyer. Du roi, ils n’en espéraient guère, les rebelles irlandais étant incités à guerroyer par les deux émissaires de sa majesté, les comtes d’Antrim et d’Ormond, le dernier nommé commandant des troupes d’Irlande peu de jours avant que sa majesté ne partît d’Edimbourg pour s’en revenir à Londres. Quant au parlement, qui s’était donné sans trop de prudence six semaines de repos, il se trouvait en une passe difficile. Refuser des troupes au roi pour dompter les rebelles irlandais, c’était, comme on dit vulgairement, montrer le bout de l’oreille ; en accorder sans précaution, c’était se mettre en grand péril, puisque, une fois réunies, ces troupes pouvaient être employées à ruiner son autorité. D’un autre côté, comment éviter une grave inconséquence ? Le parlement venait d’appuyer les Écossais dans leur résistance à l’épiscopat, que le roi voulait leur imposer, et aux catholiques d’Irlande il irait, à force ouverte, disputer leur croyance ! Défendre la liberté religieuse dans un pays et en même temps écraser dans un autre pays cette même liberté, ne voilà-t-il pas une étrange contradiction ? Ainsi pourtant le voulait la nécessité politique, les catholiques irlandais étant au fond pour la royauté absolue, tandis que les presbytériens écossais, en même temps qu’ils combattaient pour la liberté de conscience, réclamaient aussi les privilèges de la nation, quelques-uns d’entre eux inclinant même déjà vers une république. L’Écosse à peu près satisfaite, l’Irlande se révoltant au nom du roi, dont les chefs des rebelles disaient hautement avoir des lettres, les affaires du monarque reprenaient donc un aspect des plus favorables. Ceci se sentait de loin, et les royalistes d’ici montraient une contenance joyeuse, tandis que les autres étaient en grand souci de ce qui allait se passer. Votre grande amie, reprenant le courage qui lui avait un peu failli depuis le départ de madame sa mère, ne voulut point manquer cette occasion de montrer qu’après tout le roi pouvait compter encore sur cette bonne Cité de Londres, où on lui avait, en ces derniers temps, suscité de si grands embarras, et nous croyons savoir qu’elle s’entendit à ce sujet avec le sieur Gournay, lord-maire, bon royaliste et courageux, à qui la chevalerie fut promise, si les choses se passaient au gré de leurs majestés. Il arrangea tout selon leur désir, sans tenir compte du ressentiment des communes, qu’il doit aujourd’hui se repentir d’avoir encouru, car elles lui ont déjà ôté sa mairie, et il est en ce moment prisonnier à la Tour.

Le 25 novembre 1641, jour de la rentrée du roi dans sa capitale, fut, je puis vous l’assurer, une fête comme vous n’en avez guère vu. Toutes les maisons étaient tendues de tapisseries, les rues pleines d’une foule joyeuse qui criait à tue-tête : Long live king Charles ! Plus de cinq cents bourgeois de la Cité, dans leurs plus riches costumes, formaient la cavalcade d’honneur qui escortait sa majesté, montée sur un admirable alezan. À Moorgate, sous une tente des plus magnifiques, elle fut haranguée par le lord-maire, et lui répondit de bonnes paroles, qui étaient répétées de toutes parts avec mille bénédictions. Le gala royal, donné à Guild-Hall, fut de la plus grande richesse. Les journées étant très courtes au mois de novembre, sa majesté, qui s’en revint sur les quatre heures en son palais de White-Hall, parcourut les rues, toujours à cheval, à la clarté de mille torches. La populace, pour qui l’on avait percé maint tonneau de claret dans Corn-Hill, Cheapside et Fleet-Street, poussait des clameurs à fendre la nue. Si jamais prince put se croire adoré de ses sujets, ce fut bien Charles d’Angleterre à ce moment de son règne. Je me souviens pourtant que, ce jour-là même, milady Carlisle, qui me vit passer de son balcon, me parut avoir les yeux bien brillans et les lèvres bien serrées, et comme je lui montrais White-Hall fort illuminé, elle, du doigt, m’indiqua Westminster, ce que je compris le lendemain seulement, lorsqu’un de nos gens me vint dire que le parlement y avait débattu toute la journée et toute la nuit, non sans beaucoup d’opposition, une remontrance au roi, dans laquelle tout son règne est passé en revue depuis qu’il a pris le sceptre et la couronne, l’état du royaume peint sous les couleurs les plus sombres, et les réformes à faire indiquées à côté des réformes déjà obtenues.

Quatre jours plus tard, à savoir le 29° de novembre, M. Sydney Bere, qui venait d’être nommé sous-secrétaire d’état, s’expliquait, dans une lettre qui nous fut vendue, sur les grands dissentimens qui existaient entre les deux chambres, et même au sein des communes, relativement à la publication de la remontrance, que les uns voulaient faire imprimer, les autres non. Le roi, qui avait été informé par l’évêque Williams[15], déjà depuis plusieurs semaines, de cette nouvelle trame, en était fort ému, et d’avance faisait composer par M. Hyde une réponse aux griefs énumérés en cette espèce de pétition. Il y voyait, avec plus ou moins de vérité, la conséquence de négociations antérieures à son voyage d’Ecosse, et qui avaient échoué. Effectivement le premier projet de la remontrance datait du mois d’août, après qu’eut avorté une négociation ouverte en juillet, et qui devait faire entrer dans les conseils de sa majesté les plus dangereux de ses adversaires. MM. Hampden et Denzil Hollis étaient d’abord désignés comme candidats à la charge de principal secrétaire d’état (plus tard ils abandonnèrent leurs prétentions à cet emploi en faveur de lord Mandeville-Kimbolton), lord Say and Seale devait être lord-trésorier, et M. Pym, — le plus à craindre de tous, — chancelier de l’échiquier[16]. Celui-ci avait déjà reçu des offres semblables ; mais adressées à lui seul, quand le roi désespérait de sauver autrement la tête de son ministre Strafford, elles avaient été silencieusement déclinées : — peut-être venaient-elles trop tard. Cette fois encore, elles le furent par suite de la méfiance regrettable en laquelle était tenue désormais la parole royale. En voyant le monarque travailler de si grand cœur tantôt à éteindre les troubles d’Ecosse par des concessions qu’on savait répugner à sa conscience et qu’il espérait bien retirer à l’occasion, tantôt à susciter par des menées couvertes la révolte des catholiques irlandais sans tenir compte des graves dommages qui en résulteraient pour le pays, tantôt à désunir les deux chambres, ou même à décomposer l’opposition des communes en lui enlevant, par l’appât des grandes charges, ses principaux chefs, Pym et ses amis en étaient venus à douter qu’ils fussent en sûreté dès qu’il les aurait dépopularisés en les faisant entrer dans le conseil. Chaque fois que le roi les appelait à lui, c’était en désespoir de cause et pour un but déterminé : hier pour sauver Strafford, aujourd’hui pour conserver l’épiscopat. Au fond, ils se sentaient haïs de lui, et ne pouvaient s’assurer en la bonne foi d’un homme qui jouait si fréquemment avec des dés pipés. Ils avaient donc refusé, et depuis ce moment, au lieu de caresses vis-à-vis d’eux, il n’était plus question que de menaces, la plupart du temps à mots couverts.

Onze voix seulement de majorité firent passer, le 1er décembre, la fameuse remontrance. Le même jour, les deux chambres adoptèrent une résolution contre toute tolérance du culte catholique en Irlande ou dans toute autre partie des domaines du roi d’Angleterre. Si elles étaient d’accord sur ce point, il s’en faut qu’elles marchassent du même pas dans d’autres voies. Ainsi les communes contestaient au roi la prérogative de presser des soldats pour l’armée ; le roi défendait ce privilège, exercé sans conteste par tous ses ancêtres. Les lords, en cette délicate question, inclinaient pour maintenir au roi sa prérogative, fondée sur une constante pratique ; pourtant ils étaient quelque peu effrayés du ton menaçant que les communes avaient pris vis-à-vis d’eux : ce que voyant, sa majesté intervint assez gauchement, comme dans le procès de mylord Strafford, et offrit de ratifier le bill pour la levée des troupes, sous réserve de ses droits royaux, remettant à d’autres temps la discussion du principe constitutionnel.

Grâce à la remontrance, qui commença de circuler vers le 22 décembre, et aussi grâce à tous ces débats durant lesquels l’autorité royale était mise en soupçon chaque jour avec plus de hardiesse, l’effet passager de la rentrée du roi et le souvenir de sa réception triomphante s’étaient rapidement affaiblis. Profitant du répit qu’il leur avait laissé, malgré le dessein qu’il avait déjà formé de les perdre, — dessein dont nous verrons éclater les preuves, — ses adversaires étaient désormais en mesure de lui tenir tête, et leur popularité renaissante ne pouvait manquer de leur servir de bouclier à l’heure du péril. Ce n’était pas à nous autres, agens de la politique française, qui les avions aidés et soutenus en de moins favorables circonstances, de les abandonner quand l’ascendant paraissait leur revenir, et je vous avouerai sans détour que nos relations, déjà fréquentes avec les principaux du parlement, devinrent de plus en plus intimes ; mais nous avions aussi des amis de l’autre côté, et vous savez assez qu’aucune démarche de sa majesté le roi d’Angleterre ne reste longtemps cachée aux envoyés du roi de France. Nous commençâmes donc, tout des premiers, à noter quelques mesures qui donnaient à prévoir de ce côté des résolutions violentes. Un des postes les plus importans en temps de crise, à savoir la lieutenance de la Tour de Londres, était aux mains du sieur Balfour, Écossais, fort ami du parlement, et qui le fit bien voir, il y a quelques mois, en refusant les sommes énormes qu’on lui proposait, avec la main d’une des filles mêmes de mylord Strafford, s’il voulait favoriser l’évasion de ce prisonnier. Nous eûmes vent, dès le 22 décembre au soir, jour de deuil et de jeûne officiels ordonnés pour l’apaisement des troubles d’Irlande, que le roi venait de nommer à la place du sieur William Balfour un officier d’aventure, le colonel Thomas Lunsford, homme de sac et de corde, ruiné, perdu de dettes, quoique issu d’une ancienne et honnête famille. Il venait de l’armée du nord, où il avait été fort compromis dans cette conjuration militaire que je vous ai rappelée plus haut. Un pareil choix en disait long, et avait de quoi faire réfléchir les citoyens de Londres, qui appellent eux-mêmes « la bride » cette forteresse, au moyen de laquelle on les tient en respect. Il n’est donc pas étonnant qu’il causât des ombrages au parlement, dont quelques membres se pouvaient dire intérieurement qu’ils seraient bientôt sous la garde d’un si infâme geôlier. Aussi, dès le 24 décembre, y eut-il une protestation des communes, une adresse votée à l’unanimité pour le renvoi du nouveau lieutenant, et une invitation au connétable de la Tour, le comte de Newport, qu’il eût à se loger provisoirement en cette forteresse et à prendre le commandement de la garnison ; mais quand les deux membres envoyés pour notifier à ce gentilhomme le vœu de la chambre furent arrivés auprès de lui, il leur apprit, à leur grand étonnement, que, pour certaines paroles déloyales qu’il était accusé d’avoir tenues pendant le séjour du roi en Écosse, la charge de connétable venait de lui être ôtée[17]. Vainement avait-il nié à plusieurs reprises le propos à lui imputé : sa majesté n’en avait pas moins maintenu la destitution prononcée, et lui avait ensuite tourné le dos avec mépris.

Toutefois, sur les représentations du lord-maire Gournay, qui, mieux que tout autre, pouvait juger l’effet de ces mesures sur l’esprit des citoyens de Londres, le roi avait cru nécessaire de révoquer le colonel Lunsford, en la place duquel fut mis sir John Biron, et cela dès le 25 décembre. De même, le 29, le roi allait déclarer aux communes qu’il n’avait jamais cru à l’accusation portée contre le comte de Newport et n’y voulait donner aucune suite ; mais pour l’un comme pour l’autre de ces démentis qu’il se donnait ainsi à lui-même, il était déjà trop tard. Dans les foules répandues par la ville à l’occasion des fêtes de Noël, mille rumeurs menaçantes avaient circulé, et bien des gens de partis contraires s’étaient insultés les uns les autres. Là, pour la première fois, j’ai ouï les partisans du roi appeler « têtes-rondes » (à cause de leurs cheveux ras) ceux qui tiennent pour le parlement, et ceux-ci riposter par le mot de « cavalier, » qui, pris dans notre langue, est comme une accusation d’être Français et catholique, — autant dire partisan de la reine et du pape, — plutôt que bon Anglais et bon protestant. Les choses allèrent ainsi s’échauffant jusqu’au 27 décembre, où, pour la première fois dans ces tumultes populaires, le sang allait couler.

Le 27 était un lundi : la saison sévissait avec une rigueur extraordinaire. Il n’y en avait pas moins, autour de Westminster, foule de peuple et surtout de ces turbulens apprentis qui ont leur place dans toutes les émeutes de la capitale anglaise. Ils étaient là pour assister au passage des lords, qui, à l’exception de vingt-deux, avaient refusé de se joindre à la pétition des communes relative au renvoi de Lunsford. Les vingt-deux ayant protesté publiquement, leurs noms étaient connus, et ce n’étaient pas les moins illustres de la pairie (Bedford, Northumberland, Pembroke, Essex, figuraient dans la liste). Aussi, quand l’un d’eux venait à passer, l’accueillait-on avec des cris de bénédiction et de joie. A good lord !… a good man !… let him pass !… Mais les autres, et plus particulièrement les évêques, en fort mauvais renom depuis quelque temps, étaient au contraire injuriés. L’un d’eux, Williams, l’évêque de Lincoln tout récemment promu à l’archevêché d’York, eut, je crois, sa robe quelque peu déchirée. Or il est bon de vous dire que, depuis le commencement de ces agitations populaires, le roi, soit à dessein, soit autrement, a laissé se former dans l’enceinte même de son palais de White-Hall une sorte de corps de garde où se réunissent en grand nombre les officiers de l’armée tout nouvellement licenciés, lesquels sont venus à Londres pour solliciter, soit la solde de leur paie arriérée, soit d’être employés dans l’armée qu’on doit former pour réprimer les troubles d’Irlande. Ce sont, la plupart, bravaches déterminés qui, se voyant bien accueillis à la cour, nourris aux frais de sa majesté, encouragés dans leurs offres de la servir, ont fondé là-dessus de grandes espérances. Ils méprisent naturellement le menu peuple, et dès qu’ils virent de quoi il retournait à Westminster, ils s’y portèrent en bon nombre, la main à l’épée. Des gros mots qu’ils échangèrent tout d’abord avec la vile rabble, ils en vinrent bientôt aux coups, et du plat de l’épée à se servir du tranchant, il n’y a pas aussi loin que de Paris à Pontoise. Le colonel Lunsford était là d’ailleurs, à la fois irrité de sa destitution et tout fier d’en avoir été dédommagé d’une manière éclatante par sa majesté, qui l’a fait chevalier et lui a donné cinq cents louis (ou livres) de pension sa vie durant. Vous pouvez croire qu’il ne prêchait pas la concorde, si bien que le tapage augmenta. Il y eut bientôt des blessés par douzaines. Les watermen de la Tamise, les matelots des vaisseaux ancrés dans le port, vinrent au secours de la populace et des apprentis, qui se défendaient, tant bien que mal, à coups de bâton et de couteau : malgré tout, ils furent chassés ce premier jour ; mais le lendemain 28 ils revinrent bien plus nombreux, « voulant, disaient-ils, mettre à bas l’abbaye où on avait introduit un autel et des orgues à la papiste. » Ils étaient menés, entre autres, par un gentilhomme, sir Richard Wiseman, qui, dans cette nouvelle échauffourée, fut assez grièvement blessé pour en mourir. Le 29, il y eut encore de nouvelles rixes. Quinze ou seize officiers, groupés devant la porte de White-Hall, tombèrent sur la foule accourue pour les regarder et les narguer. Ils blessèrent une soixantaine d’hommes, ayant bien soin de ne frapper qu’avec le tranchant, non la pointe de leurs épées, car ils ne voulaient que blesser et non tuer. Ce jour-là aussi, cinq cents jeunes gens des écoles de droit (innés of court) vinrent, armés de leurs épées, offrir en corps leurs services à sa majesté. Enfin une compagnie de soldats fut placée dans l’abbaye même de Westminster, et comme, venant à passer, je leur demandais par l’ordre de qui ils se trouvaient là, l’un d’eux me répondit : « Par ordre de l’archevêque d’York, » ce que je ne laissai pas de trouver singulier, bien que j’aie vu en mon pays de grandes armées fort bien conduites par d’illustres prélats ; mais en Angleterre cela est plus rare, et les gens d’église depuis longtemps ont renoncé à mener les troupes. Bref, de tous côtés, à partir de ce moment, on ne vit plus guère de boutiques ouvertes, et, chacun s’armant pour sa défense particulière, il se répandit par tout Londres comme un avant-goût de guerre civile, dont s’alarmaient fort les gens honnêtes et pacifiques.

Pendant ces mêmes journées où les rues de Londres s’ensanglantaient de la sorte, le parlement s’occupait principalement du renvoi de lord Newport. J’y entendis, pour la première fois, parler un député de Cambridge, nommé Oliver Cromwell, — bien petit personnage auprès de M. Pym, de M. Denzil Hollis, de M. Hampden et autres, — mais qui me parut avoir quelque sens politique. « Laissons de côté, disait-il, les paroles plus ou moins vaines que l’on prête au roi. L’important est de savoir si quelque conseil qu’on puisse taxer de haute trahison fut donné à sa majesté, et par qui, de savoir si on a réellement nourri le projet d’intimider le parlement à l’aide des troupes… » Il entendait, m’a-t-on dit, faire allusion au comte de Bristol, qu’il accusait aussi, à mots couverts, d’avoir voulu convertir le roi d’Angleterre au catholicisme, et il termina par demander que ce noble personnage fût éloigné des conseils de la couronne. Je crois qu’ils poursuivent ainsi ce vieux seigneur, non pas tant à cause de ses anciens méfaits politiques, (assez nombreux cependant) que par suite de la rancune qu’ils nourrissent contre son fils, le jeune lord Digby. Traître à leur cause comme Strafford, le lord Digby les a tout d’un coup abandonnés lors du procès de cet infortuné ministre, qu’il défendit de son mieux, et vainement, en parlant contre le bill d’attainder qui l’a perdu. Les gens des communes, furieux de cette défection, commencèrent par ordonner que le discours de lord Digby fût brûlé publiquement comme renfermant des doctrines de trahison. Puis, apprenant que le roi le voulait nommer son ambassadeur en France, à la place de lord Leicester, ils le déclarèrent expressément incapable d’occuper aucun emploi ou fonction dépendant de sa majesté. Après M. Crpmwell, M. Denzil Hollis prit la parole pour répondre à un discours que lord Digby avait prononcé la veille, et par lequel sa seigneurie avait voulu démontrer à la chambre haute que le parlement actuel ne délibérait pas librement, mais sous le coup d’une véritable oppression : paroles que M. Hollis signalait à la chambre comme essentiellement pernicieuses et dangereuses. Personne autre, à la séance du 28 décembre, ne s’offrit à parler. On a remarqué en général que par les temps difficiles les orateurs sont plus rares. En particulier ce jour-là les communes, à quelques exceptions près, me parurent effrayées des événemens qui se préparaient.

Le jour suivant, des citoyens qui apportaient une pétition à la chambre furent honteusement dispersés et battus par les gens armés qui, sortis des cours encombrées de White-Hall, se dispersaient en patrouilles dans les rues autour de Westminster. M. Cromwell reprit encore la parole pour insister sur la nécessité de donner des officiers qui eussent la confiance des représentans de la nation à l’armée en général, et particulièrement aux troupes destinées à l’Irlande. Pendant qu’il parlait, sur la requête d’un des membres, on fit comparaître un quidam, du nom de Rowley, pour recevoir une déposition qu’il avait à faire. Ce Rowley avait tout bonnement entendu dans Cheapside, le lundi précédent, un papiste français dire à un autre : « Il y a beaucoup de brise-raisons (hurly-burleys) du côté de Westminster. S’ils n’y prennent garde, ils nous amèneront, d’ici à peu, quinze mille Français qui viendront de France pour leur travailler les côtes. » Après ce beau rapport, un membre se leva pour témoigner qu’un prêtre français avait dit devant lui qu’il « espérait, avant peu, voir à la potence une demi-douzaine de membres du parlement. » Ce mot-ci, comme vous verrez, avait plus de valeur que l’autre, et m’a donné à penser que, parmi les prestolets qui hantent la cour, quelques-uns écoutent aux portes. Pour moi, quand me fut rapporté le propos répété par le membre en question (sir Arthur Haselrig), je le trouvai merveilleusement d’accord avec d’autres informations que M. de Montreuil et moi recevions d’une autre source, et qui, depuis trois semaines environ, nous tenaient en éveil. Pendant ces mêmes journées d’ailleurs, ce n’était dans le palais de White-Hall que chuchotemens, conférences mystérieuses, le roi s’enfermant fort avant dans la nuit tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre de ses conseillers. Nos agens nous disaient aussi que le lord Bigby et son féal ami le colonel Lunsford y venaient fréquemment, l’air très affairé. M. Pym, non moins bien averti que nous, sinon mieux, nous entretint une fois du projet qu’avait le roi de porter une accusation en bonne et légale forme contre les principaux des communes, et peut-être aussi contre quelques lords. Comme pour le rassurer nous lui disions qu’il était question de faire entrer dans le conseil quelques hommes qui avaient pris souvent parti pour les privilèges parlementaires, tels que le vicomte Falkland, sir John Colepeper et M. Hyde : « Ceux-là, nous répondit-il, qui accepteront le pouvoir dans ce temps si agité savent d’avance qu’ils s’engagent à des mesures extrêmes contre les défenseurs des libertés nationales. » Bien que M. Pym parût soucieux, il n’était nullement découragé. On dit même qu’il a refusé une fois encore la place de chancelier de l’échiquier. Elle lui fut offerte, à ce qu’on assure, deux heures avant que Colepeper ne fut mandé près du roi, qui l’a finalement fait accepter à ce dernier. Et c’est une assez bizarre fantaisie, convenez-en, de choisir pour ministre un homme que l’on prétend faire condamner pour trahison.

Vous avez vu ce qui s’était passé sur les degrés de Westminster, et comme quoi messeigneurs les évêques y avaient été honnis et conspués par la populace. Le plus remuant de ces prélats, Williams, le nouvel archevêque d’York, vit dans cet accident, assez peu important au fond, l’occasion de jeter un nouveau brandon de discorde dans le parlement, et ce au profit de sa majesté, dont il a besoin de se faire bien venir après une longue disgrâce suivie d’un retour de faveur. Le lendemain du jour où il avait eu sa robe déchirée par quelques croquans (c’est-à-dire le 28 décembre), le débat de la chambre des lords s’étant un peu prolongé, on apporta des torchères, et comme il faisait déjà nuit, les cris de no bishops ! no bishops ! (plus d’évêques !) se firent entendre un peu plus haut dans les environs du palais. Soit qu’il fût d’accord avec l’archevêque Williams, soit de son propre mouvement et par manière de raillerie, lord Hertford (qui vient d’être fait marquis, et a reçu maintes autres preuves de la faveur royale) s’approcha du banc des évêques et dit à leurs seigneuries ecclésiastiques qu’elles couraient vraiment de grands dangers, les exhortant à prendre quelques mesures de sûreté. Leurs mines s’allongèrent incontinent, et plusieurs se hâtèrent de lui demander : « Que voulez-vous dire ? que faut-il faire ? » Sur quoi le marquis, gardant à peine son sérieux, leur conseilla de demeurer tout le reste de la nuit dans l’enceinte du parlement, « car, ajouta-t-il, ces gens du dehors vous guettent au passage. Ils viendront avec des torches visiter les carrosses, et vous ne leur sauriez échapper. » Alors quelques prélats se levèrent, et, s’adressant à l’assemblée, demandèrent qu’on prît des mesures pour les garantir de la fureur populaire. Cette motion fut reçue avec des sourires moqueurs par plusieurs des lords à qui elle était proposée. Il y en eut pourtant (lord Manchester entre autres) qui offrirent de prendre sous leur protection l’archevêque et sa compagnie, qu’ils reconduiraient chez eux. Ce qui fut dit fut fait, et chacun en somme put rentrer fort paisiblement chez soi ; quelques prélats même ne jugèrent pas à propos de se faire ainsi escorter, et se bornèrent à sortir quelques minutes plus tard que le reste des lords.

Quelques-uns de ceux qui s’en étaient allés avec l’archevêque Williams passèrent la nuit dans sa maison, où ils élaborèrent de concert une assez étrange pétition au roi. Ils y disaient « qu’à raison des tumultes qui depuis trois journées assiégeaient Westminster, ils étaient empêchés de prendre librement leurs places aux séances, qu’ils n’entendaient plus assister aux délibérations jusqu’à ce que sa majesté les eût mis à l’abri de pareils dangers et de pareilles insultes, et qu’en conséquence les soussignés protestaient contre toutes lois, ordonnances, résolutions quelconques et déterminations qui seraient débattues et votées en leur absence, comme étant en elles-mêmes nulles et de nul effet. » Le lendemain, ils convoquèrent leurs collègues, et, sous l’influence de Williams, onze autres évêques joignirent leur signature à la sienne. L’un d’eux (Hall) a soutenu depuis qu’ils étaient convenus d’en délibérer encore avant de remettre cette pétition ; mais à peine Williams eut-il en main les précieuses signatures que le jour suivant, de bon matin, il porta la pétition à White-Hall. Là, tout à point et par une assez étrange coïncidence, le lord keeper[18] Littleton se trouvait avec le roi, qui, jetant à peine un coup d’œil sur le papier (dont peut-être il connaissait déjà le contenu), le remit incontinent au lord keeper, et une heure après la pièce était lue à la chambre des lords, où vous pouvez juger qu’elle produisit une vive indignation. Aux communes, quand on la connut, ce fut bien une autre tempête. L’outrecuidance des évêques y parut monstrueuse. — « Eh quoi ! disait-on, ces gens-ci ne se contentent pas de se plaindre ! ils prétendent, par leur absence, toute volontaire, infirmer nos délibérations et paralyser l’autorité du parlement ?… » Ce Cromwell, dont je vous parlais, était un des plus indignés. Je l’ouïs pérorer en un groupe où il disait : « Ah ! certes, voilà de vrais évêques !… Voilà bien l’esprit épiscopal !… Ces hommes-là ne connaissent point Dieu. Ils ne savent ni se rendre compte de ses œuvres, ni en mesurer la grandeur. Ils porteraient volontiers le trouble dans les peuples pour un intérêt mélangé, si ce n’est pire ; fer et boue comme les pieds de cette effigie où Nabuchodonosor était représenté… » Chacun du reste, même M. Hyde, s’étonnait de trouver tant de sottise et de folie en ces révérends personnages. Le parlement, si grièvement insulté par eux, ne demeura pas longtemps à se venger. Deux heures après la lecture de la pétition des évêques, la chambre des lords la déclarait « une violation (breach) des privilèges fondamentaux et une atteinte à l’existence même des parlemens, » après quoi il y eut conférence des deux chambres, et un député des communes (Glyn) vint à la barre de la chambre haute accuser les évêques signataires « de tentative pour la destruction des parlemens et par conséquent contre les lois fondamentales du royaume… » Le débat ne fut pas long, personne ne prenant fait et cause pour les prélats, pas même le comte de Bristol et son fils, lord Digby, lesquels passent néanmoins pour avoir été les complices de l’archevêque Williams dans toute cette manœuvre. À huit heures du soir, dix sur douze des pétitionnaires furent envoyés à la Tour ; deux seulement, à raison de leur grand âge, furent simplement remis à l’huissier de la verge noire. C’était le 30 décembre dernier, par un rude froid, et les right reverends prisonniers durent terriblement souffler dans leurs doigts ; mais on ne s’en égayait pas moins à leurs dépens, et les méchantes langues se donnaient carrière sur cette aventure qui réunissait dans la même cage l’archevêque d’York et celui de Cantorbéry, Laud et Williams, ces deux rivaux irréconciliables. Même on en fit une sorte de dessin burlesque où le. premier emprisonné des deux (Laud) était représenté comme un de ces canards sauvages dont on se sert pour attirer les autres dans le piège.

Ce même jour, et tandis que les lords expédiaient la besogne de messeigneurs les évêques, M. Pym, — après avoir demandé à l’improviste que les portes des communes fussent fermées, qu’aucun membre ne pût quitter l’assemblée, que même on fît vider les salles extérieures par toute personne non attachée au service de la chambre et clore les fenêtres pour que nul papier ne pût être jeté dans la rue, — M. Pym, dis-je, prononça un discours où il laissa entrevoir, sans les dévoiler entièrement, les dangers qui menaçaient soit quelques membres du parlement, soit le parlement lui-même. Son objet (qu’il eut soin de tenir longtemps en suspens) était de faire inviter les citoyens à former une garde pour veiller à la sûreté de la chambre. Il est à croire que les gens chargés de lui faire accepter l’emploi dont il n’avait pas voulu s’étaient laissés aller à quelques demi-confidences sur les périls prochains que courraient les parlementaires obstinés dans leur résistance à l’autorité du monarque. M. Pym se garda bien toutefois de laisser paraître qu’il sût le moindre détail des attaques préméditées contre la chambre. Il ne parla qu’en termes généraux de la lutte engagée, des militaires assemblés à White-Hall, et des extrémités auxquelles il fallait s’attendre. Pourtant il demandait que les milices municipales (trained bands) fussent convoquées à l’heure même, comme s’il s’agissait d’une résistance immédiate. Fort peu d’orateurs secondèrent sa motion ; un bien plus grand nombre la combattirent ; quelques-uns proposèrent de s’ajourner et de se rendre à Guild-Hall, où l’on délibérerait sous la protection immédiate de l’autorité municipale[19]. M. Pym, pressé de questions, ne se départit point de la réserve qu’il s’était imposée. On se borna donc à décider qu’on présenterait au roi une requête des communes réclamant pour elles une garde prise dans les milices de la Cité et placée sous les ordres du comte d’Essex. Vous remarquerez peut-être qu’il était étrange de solliciter ainsi du monarque les moyens de se défendre contre lui-même. Tant de hardiesse et de confiance s’expliquent pourtant par l’indécision et la faiblesse habituelles de ce prince, à qui, le 31 décembre, M. Denzil Hollis porta verbalement le message des communes. Le roi, qui cherchait à gagner du temps, si peu que ce fût (ses préparatifs n’étant peut-être pas achevés pour le coup de partie qu’il méditait), refusa de recevoir le message, qui, disait-il, devait être présenté par écrit. On se hâta de le rédiger et de le lui renvoyer sous la forme exigée par lui ; mais, faute d’une réponse immédiate, dans cette même journée du 31, trois membres des communes (MM. Pym, Glyn et Wheeler), tous trois juges de paix de Westminster, eurent ordre de placer en divers endroits de bonnes gardes, suffisamment armées, pour protéger la chambre. On ordonna aussi que des hallebardes fussent apportées, dont au besoin pourraient s’armer ceux des membres qui sauraient s’en servir. Ces ordres furent exécutés, à telles enseignes que ces mêmes hallebardes (une vingtaine environ) sont encore aujourd’hui dans l’enceinte de la salle des délibérations, où elles font une singulière figure.

Le 1er janvier de la présente année 1642, qui était un samedi, la chambre se donna le congé d’usage, mais non sans avoir nommé un comité pour recevoir la réponse de sa majesté à la pétition de la veille, si tant est qu’il en fût fait une. À White-Hall cependant, le conseil siégeait avec le roi. Mylord Falkland y parut comme membre du conseil privé, en attendant que sa nomination de secrétaire d’état fût signée, et il y prêta serment, ainsi que sir John Colepeper, pour qui l’on donna ordre de préparer les lettres patentes qui le nommaient chancelier de l’échiquier sa vie durant : ces derniers mots étaient ajoutés contre l’usage, et aussi contre le droit constitutionnel d’Angleterre, pour apprendre aux communes que le roi n’entendait plus se laisser enlever ses ministres par le bon plaisir de messieurs les députés. Le dimanche 2 janvier, les affaires publiques demeurèrent en suspens ; mais j’eus pour ma part une visite suffisamment importante, celle d’un sieur Fleury, notre compatriote, lequel, récemment attaché à cette nouvelle garde assemblée autour du roi, me tenait au courant de ce qui se passait à White-Hall. Déjà, depuis trois semaines, il m’avait donné plusieurs informations utiles, et ce jour-là il m’annonça que « le four chauffait » plus que jamais. Lord Digby ne quittait plus le roi, qu’il excitait contre ses rebelles communes, et le mot d’ordre dans les rangs de cette troupe armée, qu’il passait fréquemment en revue dans les cours de White-Hall, était « qu’il en fallait finir avec ces bavards, ces usurpateurs, détrôner le roi Pym, et rendre le trône au roi Charles. » Ayant fait part de ces détails à M. de Montreuil, nous jugeâmes bon d’en informer aussi nos amis du parlement. Un d’eux vint le soir, le manteau sur le nez, nous remercier en leur nom, et quand il sortit, je m’avisai de dire à M. de Montreuil : « Que pensez-vous de tout ceci, monsieur l’envoyé ?… Ne trouvez-vous pas étrange le rôle que nous jouons ? Il est bon à Londres ; mais à Paris, si nous nous mêlions dans le même sens des affaires entre le parlement et le roi notre maître, ne croyez-vous pas que Mgr le cardinal nous ferait pendre tous les deux en moins de temps qu’il n’en met à lire son office ? — Vraiment, me répondit-il en riant, un homme de sa trempe n’y manquerait guère, et je vous en réponds… Mais son éminence et le roi d’Angleterre sont d’une humeur fort différente… Au surplus, ajouta son excellence d’un air plus grave, ne nous y fions pas trop, et gardons de nous laisser prendre, comme on dit, la main au sac. »


II. — L’OUTRAGE.

Le lundi 3 janvier, le tonnerre qui s’amassait à l’horizon, dans les nuages, commença d’éclater. Les communes écoutaient avec assez de mécontentement la réponse du roi, par laquelle sa majesté leur refusait la garde urbaine avec le lord Essex pour commandant, mais leur promettait (bonne plaisanterie !) d’être elle-même au besoin leur protecteur contre tout péril. Cependant un de leurs membres, sir Edward Herbert, aujourd’hui attorney general et siégeant chez les lards[20], déposait sur la table du clerc de la chambre haute un autre message royal, accusant de haute trahison cinq membres des communes et l’un des pairs du royaume sous sept chefs distincts[21]. Un grand trouble, une grande agitation suivirent le dépôt de cette pièce importante, que l’attorney general prétendait lui avoir été remise, sans avis préalable, toute rédigée et tout écrite. Les lords semblaient atterrés. Toutefois ils ne voulurent point permettre au magistrat, ainsi qu’il le requérait, de « prendre possession immédiate des accusés. » Élevant au contraire quelques doutes sur la régularité de l’accusation, ils désignèrent quelques-uns d’entre eux, non pour procéder à l’enquête réclamée par l’homme du roi, mais pour réunir les précédens et. traditions relatifs à un si grave incident. En même temps ils dépêchaient aux communes un message pressant, et leur demandaient une conférence immédiate. Or ces mêmes lords, dans plusieurs occasions toutes récentes (notamment pour la dernière pétition envoyée au roi), s’étaient refusés aux instances des communes, qui leur demandaient de se joindre à elles ; mais, devant la menace royale et l’atteinte qui pouvait détruire les privilèges parlementaires, la nécessité de s’unir leur semblait urgente. En attendant la réponse au message, le seul lord compris dans l’accusation (lord Kimbolton) se leva pour repousser les charges portées contre lui. Justement à son côté siégeait le lord Digby, fortement suspect d’avoir connu d’avance l’accusation, et qui, dit-on, s’était même chargé de proposer l’emprisonnement de son collègue. Il parut surpris de trouver Kimbolton si ferme et si prêt à la riposte, ce qui n’eût peut-être pas été si, le matin même, un pauvre diable de poète, nommé Marston, prisonnier pour dettes, ne l’eût averti secrètement de la trame, qu’il avait découverte Dieu seul peut savoir comment. Cette assurance inattendue déconcerta Digby, qui, manquant à sa promesse, n’osa point appuyer l’accusation. Bien mieux, comme il voyait le sentiment de la chambre, il affecta une grande surprise. Et même, quand l’attorney general eut achevé sa réplique, se penchant à l’oreille de Kimbolton : « Le roi est mal conseillé, lui dit-il ; mais je finirai bien par découvrir qui est l’auteur de ceci, et je vais mettre ordre à ce qu’on ne pousse pas l’affaire plus loin. » Quittant aussitôt sa place, il sortit à grands pas de la chambre.

Aux communes, le débat s’était ouvert par un discours de M. Pym sur la réponse du roi, qu’il trouvait peu satisfaisante. Il proposait (et on la vota) une requête aux autorités de la ville « pour qu’elles eussent à permettre que des compagnies de milices vinssent garder les deux chambres du parlement, et qu’on garnît fortement de ces mêmes milices les rues et murailles de la Cité. » Tout d’un coup, pendant un autre discours dans le même sens, MM. Pym et Denzil Hollis furent appelés à la porte de la salle par quelques-uns de leurs gens, et une grande agitation s’établit, les députés parlant à haute voix de ce qui venait de se passer chez les lords. M. Pym, revenu à sa place, attendit que l’autre orateur, un moment interrompu, finît sa harangue, et alors, d’une voix un peu émue, à l’ébahissement de l’assistance qui l’écoutait avec avidité, il annonça que son domicile avait été violé, ses armoires et caisses mises sous les scellés, ainsi que sa chambre à coucher et son cabinet : « Autant en est arrivé, ajouta-t-il, chez M. Denzil Hollis et chez M. Hampden, ainsi que peuvent vous le déclarer ces deux honorables personnages ici présens. »

Aucun débat ne suivit cette dénonciation. Il y eut dans l’assemblée comme un seul mouvement pour déclarer que le privilège parlementaire était violé, et ordonner immédiatement que « si n’importe quelle personne, sans en avoir prévenu la chambre et obtenu ses instructions à cet égard, tentait d’arrêter ou de détenir un membre des communes, il était licite, en vertu de la protestation votée pour garantir les privilèges du parlement[22], de se mettre en défense contre icelle et de repousser la force par la force. » En fait, ce n’étaient pas seulement les privilèges exceptionnels attachés au titre de représentant de la nation qui venaient d’être foulés aux pieds. La loi commune elle-même, celle qui devrait protéger le domicile du plus humble citoyen, était audacieusement méconnue, et ceci apparaissait tellement incontestable, tellement évident, que les deux nouveaux ministres, mylord Falkland et sir J. Colepeper, présens à la séance, n’osèrent pas élever la voix contre la déclaration. M. Hyde était absent.

Restait à transmettre aux lords la décision prise. Les trois commissaires désignés à cet effet allaient partir, quand on annonça que le sergent d’armes du roi, le sieur Francis, était, masse en mains, à la porte des communes et demandait à remettre un message de sa majesté au speaker de la chambre. L’émotion de l’assemblée se peut concevoir ; mais elle ne lui fit pas oublier le maintien de ses droits et le soin de sa dignité, même en ces momens de crise. Pour admettre le sieur Francis, on exigea qu’il déposât sa masse, conformément à l’étiquette. Ce fut donc dépouillé de ses insignes d’autorité qu’il parut à la barre, au milieu d’un profond silence, pour requérir, au nom du roi, que « M. le speaker lui délivrât cinq gentlemen, membres de la chambre des communes, lesquels, lui étant désignés, il avait ordre d’arrêter au nom de sa majesté comme prévenus de haute trahison. — Leurs noms, ajouta-t-il, sont : Denzil Hollis, sir Arthur Haslerig, John Pym, John Hampden et William Strode. »

Encore cette fois, nul débat ; un calme, un silence de menaçant augure. On s’agitait naguère dans l’attente du coup : le coup porté, la lutte engagée, plus de tumulte, plus de vaines paroles. Le sieur Francis reçoit l’ordre de se retirer hors des portes pour y attendre communication du bon plaisir de la chambre. On décide ensuite qu’un message sera porté au roi, non par son sergent d’armes, mais par quatre membres des communes, dont deux (mylord Falkland et sir John Colepeper), membres aussi du conseil privé de sa majesté, agiront néanmoins comme délégués de la chambre, et par obéissance au mandat qu’elle leur donne. C’était dire au roi que ses serviteurs, même les plus haut placés, ne seraient pas bien venus à décliner les ordres du parlement. Le message portait « que la chambre des communes prendrait en sérieuse considération la demande du monarque, et en toute obéissance, toute humilité, lui ferait faire réponse, promettant d’ailleurs d’avance que les membres accusés satisferaient à toute charge légale portée contre eux. » Chacun de ces cinq personnages, interpellé successivement par le speaker, reçut recommandation expresse d’assister régulièrement (de die in diem, comme ils disent) aux séances de la chambre, et ce jusqu’à nouvel ordre, leur présence devant être spécialement mentionnée et enregistrée dans les procès-verbaux. Des articles de trahison, il ne fut point question pour l’instant. On décida seulement que la chambre se réunirait le lendemain, sur les dix heures du matin, et se formerait en grand comité pour prendre en considération le message royal. Sans que cela fût dit, il était compris de tous qu’en cette séance du mardi serait entendue la réponse des cinq membres accusés. Le plus important restait à faire et fut accompli sans une minute de retard, qui était de convertir en ordre de la chambre la motion de M. Pym, déjà votée à l’ouverture de la séance, pour l’appel d’une garde prise dans les trained bands ou milices de la Cité. Deux des députés pour Londres (l’alderman Pennington et le capitaine Venn) furent chargés de porter cet ordre à Guild-Hall. Vous verrez plus loin ce qui advint de cette mesure décisive.

Pourtant, vers la fin de la journée, la conférence des deux chambres avait eu lieu, et le résultat fut qu’avec l’assentiment des lords, les communes ordonnèrent à leurs sergens d’armes d’aller briser les scellés apposés chez MM. Pym, Denzil Hollis et Hampden, en outre de saisir au corps les personnes par qui avait été commise cette offense à la majesté du parlement, savoir deux chevaliers appartenant à la domesticité royale, sir William Fleming et sir William Killigrew, tous deux, il le faut dire, d’assez mauvaises mœurs et peu recommandables. Le premier fut appréhendé, comme aussi les subalternes dont il s’était fait aider. On ne put jamais découvrir où s’était caché le second. Pendant tout le temps que ces délibérations se continuaient, le sieur Francis, messager royal, — notez bien ceci, — se morfondait aux portes de l’assemblée. Quand tout fut terminé, on le fit prévenir que la réponse serait portée au roi par d’autres que lui.

Il était nuit close quand les quatre envoyés de la chambre arrivèrent à White-Hall, et nous avons su par le sieur Fleury, qui le tenait lui-même d’un autre garde du roi, ce qui se passa dans le cabinet où ils furent admis. Le roi demanda, quand on lui eut transmis le message, « si on attendait quelque réponse. » Et tout incontinent, avant que mylord Falkland, à qui cette question était adressée, eût eu le temps d’y répondre, sa majesté ajouta : « Vous aurez ma réponse demain matin, à l’ouverture de la séance… En attendant, dites bien à ces messieurs que tout ce qui a été fait l’a été par mes ordres… » Sa majesté, vous le savez bien, est affligée en général d’une sorte d’embarras de parole qui ressemble fort à du bégaiement ; mais cette fois il n’y parut guère, et, comme il arrive quand elle est émue, ses paroles furent très nettes. Les quatre envoyés saluèrent sans rien ajouter, et le roi demeura seul ; mais peu d’instans après la reine arriva d’un côté, lord Digby de l’autre. Les gardes de la porte ayant alors été renvoyés, nous ne pouvons savoir ce qui se passa entre eux ce soir-là ; mais, le tempérament de chacun étant connu, ne doutez pas que la fille de Henri IV et l’impétueux cavalier qui, depuis quelque temps déjà, poussait le roi aux mesures les plus extrêmes contre ses ennemis, ne doutez pas, dis-je, qu’ils durent l’exciter à quelque acte vigoureux, capable d’intimider le parlement, devenu si audacieux depuis la mort de mylord Strafford. Quoi qu’il en soit, dans cette même soirée, j’eus l’honneur de voir en son hôtel milady Carlisle, et d’y rencontrer, entre autres personnages, mylord Kimbolton, l’un des six accusés du matin. Il était, je pense, venu là pour s’éclairer sur les desseins de la cour, où milady va soir et matin, quand il lui plaît, la reine aimant assez sa compagnie pour la recevoir à toute heure. Sa seigneurie semblait suffisamment décontenancée, et la comtesse avait fort à faire de lui donner courage et confiance. « Pensez, lui disait le noble pair, qu’on pourrait noué arrêter cette nuit même dans nos lits ! — Pourquoi ne pas coucher ailleurs ? répliquait le comtesse en souriant. Voulez-vous passer la nuit ici ? — Et ce tas de désespérés, de coupe-jarrets assemblés à White-Hall !… qui sait s’ils ne nous tendront pas une embuscade demain matin sur le chemin de Westminster ? — N’y allez donc pas seul, et soyez armé….. Tenez, ajouta-t-elle en riant toujours et me montrant, voici M. le capitaine Langres qui vous ira chercher, si vous voulez, et vous mènera bras dessus, bras dessous… N’est-il pas vrai, capitaine ? — Certes, madame, si vous l’ordonnez, répondis-je ; mais il est assez de bâtons en la Cité pour que ma pauvre épée soit bien inutile à mylord. » Je vous fais grâce du reste de l’entretien, où milady Carlisle fut d’un enjouement surprenant. Les dames de son humeur aiment assez la tempête, et, comme certains oiseaux de mer, s’agitent et crient d’aise quand la vague monte. Tout leur est bon, tragédie ou comédie, pourvu que la scène soit bien remplie et que les acteurs ne s’épargnent point. J’admirais, à part moi, la rage qu’elle avait de me mêler à cette affaire, qui ne me concerne en rien, et m’étonnai quelque peu quand elle me dit, me voyant disposé à me retirer : « Capitaine, un mot… Ne logez-vous pas dans Covent-Garden ? — Oui, madame. — Vous promenez-vous parfois les matins ? — C’est selon, madame la comtesse, repris-je badinant à dessein, que ma nuit a été plus ou moins occupée. — Condamnez-vous donc pour celle-ci à bien dormir, et attendez en votre logis les ordres qu’on aurait à vous envoyer. — Est-ce à dire, madame, que j’aurai l’heur de vous y recevoir ? — Pourquoi non, s’il le fallait ? repartit-elle d’un air sérieux. Demain chacun doit être à son poste… Ne le pensez-vous pas ? ajouta-t-elle en me regardant tout à coup d’un air que je ne lui connaissais point. Ne pensez-vous pas aussi que la lâcheté et l’ingratitude méritent leur salaire ?… et que le moment est venu de venger les martyrs ?… Faites ce que je vous dis, poursuivit-elle encore, portant la main à son front et calmant sa voix ; son éminence ne vous en saura pas mauvais gré. En travaillant pour moi et pour d’autres, je travaille aussi pour elle. »

Je vous puis assurer, madame, que jamais assignation donnée par une aimable et belle personne ne m’a aussi peu que celle-ci bercé de décevantes espérances. Il n’y avait pas à se méprendre sur ce qu’entendait la déesse, et la flamme de son regard n’était point allumée aux autels de Cupidon. Elle m’apparut ce soir-là sous les traits de la furie Erynnis, à laquelle j’ai entendu certains royalistes comparer milady depuis qu’elle est en rapports quotidiens avec leurs adversaires du parlement. Que diraient-ils si on appelait ainsi, dans le parti contraire, sa majesté la reine, qui elle aussi, ce soir-là, poussait à la guerre, stimulée qu’elle était par ses propres craintes ? Depuis que les communes, en s’opposant en juillet dernier à son départ pour Spa, l’ont proclamée suspecte de vouloir ourdir à l’étranger des trames contre les libertés de l’Angleterre, cette princesse s’est regardée comme en péril chez ce peuple implacable. En combattant contre les gens du parlement, elle estime qu’elle défend sa vie, et pour cela tous les moyens sont bons, même les mauvais. On croit donc que c’est principalement à elle qu’il faut attribuer le parti pris par le roi d’accuser les six membres du parlement. Pour autant que nous ayons pu pénétrer le secret de cette nuit mémorable, où l’on délibéra les mesures violentes qui allaient suivre, on y tint conseil fort longtemps, et la reine en était. Il y eut aussi force allées et venues en sens divers, le chevalier Killigrew ayant passé la nuit à courir les innes of court, où il colportait imprimés les articles de trahison, avec force exhortations aux jeunes gentlemen de venir le matin à White-Hall, où sa majesté les appelait. Ils y étaient déjà venus quelquefois pendant ces tumultes, et on les y traitait bien, le couvert étant toujours mis pour eux. Killigrew n’était pas, nous l’avons su depuis, le seul messager qui, cette nuit-là, circulât pour le roi. Vous avez vu que la chambre des communes avait fait passer aux autorités municipales l’ordre de lui envoyer des milices pour la protéger. Sa majesté, ayant eu connaissance de cette mesure, voulut en détruire l’effet, et, de concert avec le secrétaire Nicholas, dressa dans la soirée du 3 un counter-warrant pour l’exécution duquel il s’en rapportait au bon vouloir du lord-maire Gournay. Ce magistrat était chargé par le contre-ordre en question de convoquer les trained bands de la Cité, non pour les communes, mais pour le service du roi, « lesquelles milices municipales, bien armées et pourvues, supprimeraient tous désordres tumultueux, disperseraient les groupes assemblés sur la voie publique, et, dans le cas où les citoyens refuseraient d’obéir, feraient feu sur les rebelles… » Cette pièce, remise au messager Latche (je sais son nom pour l’avoir vu et questionné), devait être portée au lord-maire le soir même, et, s’il se pouvait, avant l’arrivée des envoyés de la chambre des communes ; mais, pour une raison ou l’autre, quand cet homme arriva chez le lord-maire, à passé minuit, il y avait été devancé par MM. Venn et Pennington. Le lord-maire était étendu sur l’oreiller municipal, et ce fut à grand’peine qu’on put arriver jusqu’à lui. La cédule royale lui fut remise ; mais il déclara qu’il l’ouvrirait seulement le lendemain, en présence de ses sheriffs, convoqués à cet effet. En revanche, il donna copie au messager royal de l’ordre émané des communes, et lui dit que les deux députée par lesquels cet ordre avait été apporté manifestaient de grandes craintes, mais en termes couverts et mystérieux. De tout ceci le messager rendit compte par lettre à sir Edward Nicholas, après être allé s’assurer, du côté de la Tour, que rien ne bougeait.

Dès le matin du 4 janvier, milady Carlisle arriva chez la reine, par qui elle fut bien accueillie, et qui semblait triomphante. Le roi y vint peu après l’arrivée de milady, et, prenant la reine à part dans un cabinet voisin, y conversa quelque temps avec elle à voix trop basse pour qu’on entendît ce qu’ils se disaient. Il semblerait qu’au moment décisif le cœur manquât à ce prince pour entreprendre ce qui avait été résolu dans le conseil de la nuit, car tout à coup la reine, emportée par la passion, changea de ton- : — Allez, poltron ! l’entendit-on s’écrier, en français mêlé d’anglais, à son royal époux,… allez !… Pull these vogues out by the ears[23],… ou ne me revoyez jamais !

Peu après cette boutade furieuse, n’entendant plus de bruit dans le cabinet, milady Carlisle gratta doucement à la porte, et comme on ne lui interdisait pas d’entrer, elle s’y glissa presqu’inaperçue. La reine y était seule, assise, le front dans ses mains. Elle n’adressa d’abord aucune réponse aux questions de la comtesse, qui se mit alors à lui parler de choses indifférentes sans tenir compte de l’espèce de distraction où elle voyait sa majesté. Après un certain temps, — peut-être trois quarts d’heure, m’a dit la comtesse, — sa majesté se leva de son siège, et regardant à l’horloge : — Tenez, lui dit-elle, la joie m’étouffe !… Réjouissez-vous comme moi !… Le roi désormais est roi pour tout de bon. Pym et ses alliés doivent être maintenant sous bonne garde…

C’était, vous l’allez voir, parler un peu trop tôt. Milady Carlisle, affectant la joie qu’on lui commandait, se fit expliquer le dessein formé par le roi, et, saisissant le premier prétexte venu, me vint porter elle-même dans mon logement, où j’attendais par ses ordres, un mot d’avis pour m’apprendre ce qui se passait et me prescrire ce qu’il y avait à faire. Il était déjà aux environs de midi. Les minutes en ce moment valaient des heures, et je partis incontinent, sans ménager mes jambes. Aux approches du palais de Westminster, je vis tant de figures étranges et de groupes armés que mon ambassade me parut très compromise. Il fallait pourtant arriver, coûte que coûte. Je me souvins alors de mes tours de jeunesse, et, au lieu de suivre les rues, je me glissai de maison en maison, de cour en cour ; d’un toit je sautai sur un autre. Un Basque n’eût pu mieux faire, et je méritais de ne pas perdre mes peines. Aussi ne les perdis-je point, et gagnai de vitesse des gens qui avaient barre sur moi.

Ces gens n’étaient autres, madame, que le roi Charles Ier d’Angleterre, suivi de sa garde et de quatre ou cinq cents de ces gentilshommes et officiers qui, depuis les troubles, faisaient volontairement le guet autour de White-Hall, où, comme je vous l’ai dit, on leur avait construit dans les cours une espèce de grand corps de garde. Il y avait aussi parmi eux, mais en fort petit nombre, de ces étudians en droit que sir William Killigrew était allé embaucher. Les hallebardiers et les pensionnaires de sa majesté étaient de la partie, comme bien vous pensez, et le tout, passablement en désordre, avait été assez longtemps, Dieu merci, à former le cortège. J’estime aussi qu’ils avaient attendu les renforts qu’ils espéraient des innes of court et le retour des messagers envoyés pour s’assurer si les trained bands s’étaient armées et si elles prenaient parti, ou en faveur de sa majesté, ou en faveur du parlement.

Pendant que ces choses se passaient, la chambre des communes avait tenu sa séance du matin, où M. Pym répondit, article par article, aux charges de trahison, et son éloquence souleva, m’a-t-on dit, des cris et des applaudissemens dans l’assemblée, surtout quand il déclara « que c’était trahison de lever une armée pour contraindre aucun parlement à décréter des lois autrement que par volonté libre et franc vote. » Mêmes clameurs et même approbation quand, après avoir, en apparence, terminé sa harangue, il vint près de la table du clerc et demanda au speaker, en toute déférence, « s’il était ou non constitutionnel que sa majesté apportât elle-même en cette chambre des articles de trahison, et si ce n’était point porter une atteinte au privilège que d’occuper les en tours et les portes de cette assemblée avec des gens armés, pendant que cesdits articles de trahison seraient lus à la chambre. » Vous voyez, madame, que M. Pym était assez bien averti, et qu’il prenait d’avance ses précautions. MM. Hollis, Haselrig et Strode furent entendus après lui, tous protestant à l’envi de leur innocence, et M. Hampden parla le dernier. Son discours roula principalement sur l’espèce d’obéissance qu’on doit au prince, limitée par la religion et les lois fondamentales du royaume. Cet homme, très doux à l’ordinaire, prit tout à coup ce jour-là un ton sévère qui étonna les membres royalistes et fut noté de tout le monde. On peut bien dire que l’accusation de trahison, souverainement injuste à leurs yeux, les a changés, lui et M. Pym, jusqu’alors simples défenseurs de la constitution, en ennemis résolus de la royauté. Ce n’est qu’à ce moment, je le crois, qu’ils ont tiré l’épée contre elle, et jeté bien loin le fourreau. Or ce ne sont pas là des ennemis méprisables : l’un, M. Pym, supérieur par son activité merveilleuse, sa connaissance des choses passées et des subtilités légales, la confiance qu’il inspire à raison des persécutions dont il fut l’objet (en 1614) et de son rôle important au fameux parlement de 1620 ; — l’autre, véritable modèle du gentilhomme anglais, calme, réservé, maître de lui, discret, et pourtant remarquablement persuasif, habile, avec une force latente de desseins et de volonté que rien au monde ne peut faire plier ; — tous deux désormais unis dans une commune persécution et un danger commun, amis à toujours et comptant l’un sur l’autre, de manière à ne faire pour ainsi dire qu’un seul homme. Dans le privé, M. Hampden me semble diriger M. Pym. M. Pym, à la chambre des communes, est tout autrement puissant : c’est lui qui mène.

Le jour en question, dès que les cinq membres accusés eurent parlé, il fut décidé qu’on demanderait une conférence à la chambre des lords pour lui dénoncer un « instrument de scandale » publié tout récemment, et dont il fallait rechercher les véritables auteurs et publicateurs, « afin de leur infliger le châtiment par eux mérité, comme aussi pour préserver la chose publique contre de pareilles personnes. » L’instrument scandaleux n’était autre chose, s’il vous plaît, que les articles d’accusation présentés au nom du roi par son attorney général. Les communes, dans la même conférence, voulaient appeler l’attention des lords sur la force armée réunie au palais de White-Hall, ce qui constituait une violation du privilège et une atteinte à la liberté des délibérations du parlement. Tout ceci fut réglé au milieu d’un calme profond en apparence, mais qui cachait, n’en doutez pas, une grande anxiété, car on savait déjà par mainte et mainte rumeur qu’il y avait affluence de gens armés du côté de White-Hall, que trente ou quarante canonniers avaient été introduits la veille au soir, sur les dix heures, dans l’enceinte de la Tour, que les hamlet-men, à qui d’ordinaire la garde de cette forteresse était confiée, n’avaient point reçu d’armes, et qu’au contraire les gens des évêques[24] y étaient en bon nombre et bien armés. M. Pym n’eut donc pas de peine à faire décider, sur sa proposition, qu’on enverrait de nouveaux messagers aux magistrats de la Cité, réunis à cette heure, pour leur exposer les dangers auxquels le parlement se trouvait en butte. On les dépêcha tout aussitôt, et avec tant de hâte que l’on omit une recommandation essentielle dont on s’aperçut après leur départ. Un membre courut après eux, par ordre du speaker, pour leur recommander de « ne communiquer leur mandat à qui que ce fût avant d’être arrivés dans la Cité, » ensuite de quoi, et en attendant le résultat de cette ambassade, comme il était midi, les membres s’ajournèrent à une heure, et pour la plupart allèrent dîner. Les cinq accusés étaient à table ensemble, quand leur arriva un message secret de lord Essex (chambellan de la maison royale), qui les engageait à s’absenter de la séance, vu les intentions menaçantes du monarque. Soit que le danger ne leur fût pas assez nettement indiqué, soit qu’ils eussent résolu d’y faire tête, ils se présentèrent à la chambre vers une heure et demie, alors que l’on venait d’y apporter les réponses des innes of court à l’invitation du parlement de lui venir en aide. Ces réponses portaient en substance que « les innes of court ne séparaient point dans leur amour le roi de son parlement, et que, si elles avaient offert au prince, dans des jours de tumulte, l’appui de leurs membres, autant elles étaient disposées à secourir le parlement, s’il venait à être attaqué dans ses droits, » de quoi l’assemblée se montra satisfaite. Les cinq membres rentrèrent donc au moment où M. Nathaniel Fiennes (un de mes amis particuliers), rendant compte d’une promenade qu’il venait de faire aux entours de White-Hall, racontait sa conversation avec un des officiers qui étaient là en grand nombre et en armes. Il lui avait demandé par ordre de qui ils étaient assemblés, et l’autre lui avait répondu « qu’il leur était enjoint d’obéir en tout point aux ordres de sir William Fleming[25]. » Là-dessus s’engagea un nouveau débat vif et pressant sur le point de savoir si les membres accusés se devaient retirer ou non, et c’est à ce moment que, fort essoufflé, j’arrivai aux portes de la chambre. M. Nathaniel Fiennes, dès qu’il m’aperçut haletant et la figure bouleversée sur le seuil de la salle des séances, quitta son siège sur un signe que je lui fis, et quand je l’eus informé de ce qui m’amenait, alla sans retard prévenir le speaker, sur quoi M. Lenthal (c’est le nom de ce président) se leva, et sans autre préliminaire avertit la chambre a que le roi venait de quitter White-Hall avec une forte compagnie de gens armés, et qu’en ce moment il était proche du palais de Westminster. »

La motion débattue était : « attendu l’intention présumée où l’on est d’enlever de force cinq membres des communes, ordre leur soit donné, pour éviter tout tumulte, de s’absenter de la séance. » On y substitua tout aussitôt celle-ci : « attendu, etc.,… congé soit donné auxdits membres de s’absenter ; » ce qui fut voté sans débat. M. Denzil Hollis, sir Arthur Haselrig, M. Pym et M. Hampden, gens d’âge mûr et chefs de famille, sortirent tout incontinent de la salle des séances. M. William Strode au contraire, jeune et célibataire, se prit à dire fort haut « qu’il était innocent et le ferait bien voir, dût-il sceller sa parole avec son sang. » — « Partez ! partez ! » lui criait-on vainement de toutes parts, jusqu’au moment où l’un de ses plus chauds amis, sir Walter Earle, le prit au corps et l’entraîna de force vers une grande barque qu’on s’était procurée à la hâte, et qui les attendait au bas des degrés de Westminster.

À l’heure même où le dernier des cinq membres quittait ainsi la salle, le roi Charles et ses reformados[26] touchaient aux portes de Westminster. Ils étaient là, gardes, hallebardiers et le reste, environ six cents hommes, armés jusqu’aux dents, la plupart ayant des pistolets à la ceinture, et beaucoup la main sur leur épée, en attitude fort menaçante. La terreur régnait sur leur passage, les bons bourgeois se souvenant des coups de plat d’épée, voire de tranchant, que ces mêmes bravaches avaient si libéralement distribués dans les tumultes de la Noël. Aussi fermait-on les boutiques de tous côtés. Arrivés à la porte de Westminster, ces hommes, s’écartant de droite et de gauche, formèrent une espèce d’allée par laquelle le roi passa pour arriver à l’entrée de l’angle sud-est et monter l’escalier des communes. Se précipitant derrière lui, la troupe lui marchait sur les talons ; l’ordre était pourtant donné qu’ils attendraient dans la grande salle (hall). Beaucoup y restèrent en effet, mais un certain nombre des plus ardens (principalement ceux de l’armée du nord) pénétrèrent dans le vestibule (lobby), petite pièce qui précède immédiatement la salle des séances, et avec quelques-uns des pensionnaires, le tout formant environ quatre-vingts hommes, ils auraient peut-être forcé l’entrée de la chambre sans un commandement du roi, donné à voix haute, et que nous entendîmes distinctement : Sur votre tête, que pas un ne passe outre !… L’huis, violemment heurté, céda juste à ce moment, et le roi parut, suivi seulement de son neveu, le prince-électeur du Palatinat[27] ; mais la porte, fortement retenue, ne se referma point, et par-delà le seuil, on voyait ces gens armés, dont les regards étincelaient, et qui paraissaient avoir bonne envie d’en finir avec les « bavards » du parlement. Je reconnus le comte de Roxborough, adossé au battant de la porte pour l’empêcher de retomber, et le capitaine Hide, lequel s’était signalé par ses prouesses pendant les tumultes de la Noël. Il était sur le seuil, et tenait à deux mains son épée dans le fourreau.

À l’entrée du roi, tous les membres s’étaient levés, tête nue. Le roi aussi avait retiré son chapeau, et tout en s’avançant vers le fauteuil du président, il saluait à droite et à gauche avec grande courtoisie. Il regardait cependant du côté où M. Pym se tenait assis d’ordinaire, et paraissait chercher, parmi toutes ces figures graves et muettes, à démêler les traits abhorrés de ce redoutable adversaire. Le speaker attendait, debout devant son fauteuil ; mais il fit un ou deux pas pour venir au-devant de sa majesté, qui s’approchait, et celle-ci, parlant la première : « Monsieur le speaker, lui dit-elle, force m’est, pour quelques momens, de vous emprunter votre siège. » Pourtant elle ne s’assit pas, mais, demeurant debout sur les degrés, elle regarda un temps, sans rien ajouter, les têtes pressées à ses pieds ; puis elle prononça les paroles suivantes, écrites à la volée par un jeune secrétaire-assistant, M. Rushworth. Vous pouvez être certaine qu’elles ont été fidèlement consignées au papier, car le roi les a revues le soir même, et avant qu’on ne les envoyât à l’imprimeur, il y a corrigé de sa main certaines inexactitudes[28].


« Messieurs, dit le roi, je suis peiné d’avoir à vous visiter en de si fâcheuses circonstances. Hier je dépêchai un sergent d’armes pour appréhender, sur de graves motifs, des gens qui, par mes ordres, étaient accusés de haute trahison. À cette occasion, j’attendais, non pas un message, mais d’être obéi. Et j’ai à vous déclarer que s’il ne fut ou ne sera jamais roi d’Angleterre plus soigneux de vos privilèges et désireux de les maintenir par toute sa puissance que je ne le fus ou ne le serai, encore devez-vous bien savoir que, dans le cas de trahison, personne ne peut réclamer de privilège. Et c’est pourquoi je suis venu m’assurer si les personnes accusées sont ici[29].

«… Car je dois vous dire, messieurs, qu’aussi longtemps que ces personnes accusées par moi, non de légers délits, mais de trahison, siégeront ici, je ne puis espérer que la chambre soit dans la bonne voie, ce que je souhaite de grand cœur. C’est pourquoi je suis venu vous dire qu’il me les faut, en quelque endroit que j’aie à les découvrir[30]

«… C’est bien. Puisque, je le vois, les oiseaux sont envolés[31], j’attends de vous que vous me les envoyiez dès qu’ils reviendront ici. Pourtant je vous donne assurance[32], et sur la parole d’un roi, que je n’ai jamais projeté aucune violence, mais procéderai contre eux loyalement et légalement, car je n’ai jamais entendu autre chose[33]… Et maintenant je vois que je ne puis faire ce pour quoi j’étais venu. Je pense néanmoins que l’occasion n’est pas mauvaise pour vous répéter ce que j’ai dit antérieurement, que tout et le plus[34] que j’aie pu faire en faveur de mes sujets, j’entends et prétends le maintenir. »


Vous n’aurez point de peine, connaissant la physionomie et l’accent de sa majesté, à vous faire idée de la lenteur, de l’hésitation, de l’embarras avec lesquels fut prononcé ce discours, qu’on écoutait dans le silence le plus absolu. Encore ne vois-je pas, dans le récit du clerc de la chambre, ce dont j’ai parfaite souvenance : c’est qu’après avoir demandé M. Pym, sa majesté, un peu décontenancée, s’enquit encore de M. Hollis. Et comme on ne répondait pas plus à cette question qu’à l’autre, elle se tourna vers le speaker, lui ordonnant de parler. Alors il y eut un moment de grande inquiétude, car ce M. Lenthal est un homme timide, très-déférent aux volontés royales, et qui récemment encore demandait à être déchargé de son office, qu’il trouvait trop difficile et dangereux. Pourtant cet homme si peu résolu trouva dans la crise présente des paroles qu’on n’eût jamais attendues de lui. S’agenouillant devant le roi : — Sire, lui dit-il, que votre majesté me pardonne ; mais ici je ne puis ni voir ni parler, si ce n’est par ordre de la chambre. — C’est bon, c’est bon, et peu importe, répondit le roi ; mes yeux, je pense, valent ceux d’un autre. — Et c’est après un long regard jeté de tous côtés qu’il reprit, comme vous l’avez vu, sa harangue. Dès qu’elle fut close, comme personne ne faisait mine de bouger ni de parler, le roi, d’un air mécontent, descendit les degrés et s’en alla, suivi du prince-électeur. À mi-route du fauteuil à la porte, il s’arrêta et reprit encore : « J’attends que vous m’envoyiez ces hommes !… Sans cela, sans cela,… je prendrai moi-même des mesures pour les trouver. Leur trahison est abominable, et telle que vous me remercierez tous de l’avoir découverte. »

Le silence pourtant n’était plus le même, et les membres du parlement s’enhardissaient peu à peu. Plusieurs murmuraient assez haut pour qu’il arrivât aux oreilles royales le mot de privilège ! privilège ! Les reformados, de leur côté, faisaient entendre des exclamations de désappointement. On voyait que la partie manquée leur tenait assez à cœur pour qu’ils eussent volontiers, au premier signal, fait voir le jour à leurs rapières et déchargé leurs pistolets en la salle. Nul doute qu’il ne fût arrivé quelque malheur, si, les cinq membres étant présens, on eût refusé au roi de les lui laisser emmener. Je ne crois même pas, tant quelques-uns de ces matamores étaient échauffés, qu’ils eussent attendu l’ordre du roi ; ils se fussent jetés sur l’assemblée, et le roi lui-même ainsi que son neveu eussent peut-être, dans la bagarre, couru de véritables dangers. Pourtant ils s’éloignèrent sans coup férir, laissant force gens bien étonnés d’en être quittes à si bon marché. J’en connais de cette assemblée qui, le jour même, firent leur testament, pensant bien que la bataille si rudement engagée ne se terminerait point sans quelque carnage. Le roi parti, M. Lenthal donna ordre de fermer les portes, et demanda à la chambre s’il fallait qu’il présentât son rapport sur les paroles de sa majesté. — Point ! point ! s’écria un des membres (sir John Hotham), nous les avons entendues suffisamment. — D’autres opinèrent confusément qu’il se fallait ajourner au lendemain à une heure de relevée. On en tomba d’accord sans débat, et à trois heures et demie dans l’après-midi, le 4 janvier, la salle des communes était vide. Quant aux cinq membres accusés, on les croyait au fond de la Cité, cachés dans quelque maison amie ; même on nommait la rue, — Coleman-street, — et force gens y passèrent la nuit sous les armes d’après cette idée qu’on s’était faite. La pure vérité, c’est qu’ils étaient revenus dans la soirée en l’enceinte de Westminster, où ils se doutaient bien qu’on ne les chercherait point, sans compter que, les y soupçonnant, on y eût peut-être regardé à deux fois avant de violer cette résidence du parlement.

Le roi cependant avait fort à faire de recevoir les reproches de votre grande amie, comme aussi de résister aux offres empressées de celui qui principalement lui avait conseillé son entreprise ; c’est de lord George Digby que je veux parler. Vous n’êtes pas sans connaître, au moins de nom, ce personnage qui, de l’Espagne, où son enfance s’est écoulée tout entière, a conservé les airs capitans et les penchans catholiques. Instruit d’ailleurs, bon philosophe et théologien, orateur disert, versé dans la plupart des langues qu’on parle sur le continent, il a été fameux de bonne heure par ses amours et par ses duels, sa galanterie et sa bravoure. Pour avoir châtié par l’épée, dans l’intérieur même de la résidence royale, un rival que la faveur de cour avait rendu insolent, il fut envoyé en prison et disgracié pour un temps, ce qui, joint aux griefs de son père, le comte de Bristol, le jeta dans l’opposition. Cependant, s’il avait tous les dons qui gagnent le cœur des dames et l’admiration des hommes, il semble être dans sa destinée de voir ses plus grands admirateurs, ses amis les plus chauds, le prendre ensuite en haine et lui en vouloir des sentimens favorables qu’il leur avait surpris. Certaine inconstance de caractère, servie par une subtilité d’esprit trop raffinée, ne le laisse jamais dans la même voie, et le réconcilie avec des inconséquences qui le font souvent accuser de perfidie. Il est hasardeux, s’éblouit de ses conceptions les plus hardies, ne tient assez de compte ni des difficultés de l’exécution, ni de la gravité des conséquences. Bref, c’est bien là le pire conseiller que puisse avoir un prince aussi facilement entraîné aux partis extrêmes que facilement découragé quand il s’agit de les soutenir jusqu’au bout. On lui attribue, je vous l’ai dit, la plus grande part dans ce qui se passa le 4 janvier ; or il paraît certain que, — sans s’arrêter à la non-réussite de l’entreprise concertée pour se saisir en plein parlement des cinq accusés, et sans s’embarrasser du démenti qu’il se donnait à lui-même après l’attitude qu’il avait prise, — il se faisait fort, accompagné du colonel Lunsford et de quelques coupejarrets pareils, de les aller arracher à l’asile où ils se dérobaient, en attendant un moment plus favorable, aux premières atteintes de la colère royale. On va jusqu’à prétendre, — la chose n’est pas absolument impossible, — que, dans l’écrit par lequel il proposait cette mesure désespérée, il s’engageait à les amener vivans aux pieds de sa majesté, ou à les laisser morts sur la place, s’il ne pouvait les tirer de leur refuge.

Toutefois l’heure des grandes audaces était passée. Le roi d’Angleterre d’ailleurs, il faut lui rendre cette justice, ne pouvait envisager qu’avec effroi une mission pareille, confiée à un homme si résolu, et qu’arrêtent si peu les scrupules ordinaires. Enfin les honnêtes gens de la cour, s’il en consulta quelques-uns, durent le prémunir contre des résolutions qui pouvaient amener immédiatement les plus hasardeux conflits. M. Hyde par exemple, qui est l’écrivain juré du monarque, et le fournit privément de tous les renseignemens et avis propres à le guider dans le labyrinthe politique, aura certainement plaidé, en cette occasion, la cause de la prudence. Bref, de manière ou d’autre, l’audacieuse proposition de lord Digby demeura non avenue, et il n’y fut donné aucune suite. Maintenant que certaines indiscrétions l’ont à peu près rendue publique, je ne doute pas qu’elle ne vaille à l’auteur, si le parlement triomphe, un prompt exil, et dans ce cas je pense qu’en Espagne ou en France mylord Digby se fera remarquer. Les gens de ce caractère ne sont jamais longtemps sub rosâ[35].

Ne voulant pas recourir aux expédiens de ce téméraire, sa majesté ne se résignait cependant pas à regarder la partie comme absolument perdue. Il pensait que les cinq membres accusés essaieraient de quitter le royaume (à quoi ils ne songeaient vraiment pas), et dans la soirée du 4 janvier une proclamation fut lancée, défendant de leur donner retraite, comme aussi aux gardiens des ports de souffrir l’embarquement de leurs personnes. Le même soir, sir Richard Gournay, le lord-maire, manda par lettre circulaire à tous les aldermen de doubler partout les gardes et faire circuler leurs hommes, dûment armés de mousquets et de hallebardes, dans tous les endroits où quelque désordre pourrait se produire ; la garde de chaque poste devait être renouvelée chaque matin et chaque soir. Or, comme la Cité de Londres est généralement en opposition avec la cour, notamment lorsqu’il y a lutte entre celle-ci et le parlement, la bonne volonté du lord-maire fut plutôt nuisible qu’utile au monarque. Les boutiques, fermées dans la journée du 4 janvier à la première nouvelle de la démarche tentée par le roi, ne se rouvrirent point le soir, et les hommes armés qui gardaient les fortifications et les portes criaient de temps en temps, donnant à chacun de fausses alertes, que les « cavaliers » venaient, que « le roi était à leur tête et voulait brûler la Cité. » On croyait aussi au désarmement des citizens opéré sur warrant royal, au moyen de visites domiciliaires. Ces soupçons étaient fortifiés par une proclamation du lord-maire, qui se plaignait « des amas d’armes faits par diverses personnes de basse condition, lesquelles avaient chez elles jusqu’à vingt, trente, et même quarante mousquets à la fois, avec des munitions proportionnées. » La même proclamation parlait encore de six pièces de canon appartenant à la direction de l’artillerie, et que des citoyens officieux avaient transportées à Leaden-Hall, « Il fallait veiller, disait ce magistrat, qu’elles ne servissent à autre chose qu’à la défense de la Cité, si besoin était. » — En somme, l’alarme était grande chez tout le monde.


III. — LE CHÂTIMENT.

Le 5 janvier, vers neuf heures du matin, le roi, instruit sans nul doute de cette agitation et séduit par le souvenir de l’accueil enthousiaste qu’il avait reçu à son retour d’Ecosse, tenta de se rendre, sans escorte militaire, auprès du conseil municipal. Il s’y connaissait de bons amis, et comptait sur l’autorité des anciennes traditions, qui devaient, pensait-il, lui donner les moyens d’en venir à ses fins, car il s’obstinait encore en cette illusion, que les accusés lui seraient livrés, sinon par leurs collègues, au moins par les gens de Guild-Hall. Il le leur demanda nettement, « espérant, disait-il, qu’aucun brave homme ne voudrait détenir ces traîtres contre lui ; il voulait leur faire procès selon les lois. Et comme on l’accusait, continua-t-il, de favoriser la religion du pape, il s’engageait sur sa parole de prince à poursuivre quiconque s’opposerait aux lois et statuts du royaume, tant les papistes que les séparatistes, de plus à maintenir la vraie foi protestante, professée par son père, et dont lui ne se départirait jamais, sa vie durant. » Ce qui le fit ainsi insister sur ce dernier point, c’est qu’il n’avait point reçu par les rues un trop favorable accueil. Son carrosse était faiblement escorté, et la foule en profitait pour venir crier aux portières en faveur des privilèges du parlement. Même un de ces croquans lui jeta un papier sur lequel étaient écrits ces mots : A vos tentes, Israël ! ce qui est proprement un « appel aux armes » selon la mode presbytérienne. Cet homme fut arrêté sur place et remis aux magistrats. Encore était-ce là un symptôme de la disposition des esprits.

À l’issue du discours royal, pas un mot ne fut prononcé tout d’abord ; mais bientôt un cri s’éleva dans le conseil municipal, et c’était le même qu’avaient fait entendre les gens du peuple : Parliament ! , Privileges of parliament !… D’autres répondaient, il est vrai : Dieu bénisse le roi !… mais il y en avait au moins autant des premiers que des seconds. Le roi, voyant durer ce tumulte, frappa sur la table pour obtenir silence, et commanda qu’un des assistans parlât seul, si on avait quelque chose à lui faire entendre. Quelqu’un dit alors : — C’est le désir de cette cour que votre majesté prenne l’avis de son parlement. — Un autre conseiller riposta : — Ce n’est pas le désir de cette cour, mais votre désir, à vous qui parlez, — Et le roi, prenant la parole : — Qui donc ose dire que je ne prends pas l’avis de mon parlement ?… Je prends et prendrai toujours son avis ; mais je ne confonds pas le parlement avec quelques traîtres qui en sont… Ceux-ci, ajouta sa majesté, qui dans ce moment était tant soit peu hors d’elle, ceux-ci, je leur ferai leur procès… leur procès !… leur procès ! entendez-vous ?… Il y eut encore un silence, mais de nouveau, sur les derniers rangs, un homme se leva et dit à voix haute : — Les privilèges ! les privilèges ! — Remarquez bien cet homme, arrêtez le ! fut-il crié de plusieurs endroits. Le roi au contraire, les apaisant du geste, reprit avec plus de calme : — Ce n’est pas moi qui violerai les privilèges du parlement ; mais il n’est pas de privilège qui mette les traîtres à l’abri d’un procès,… d’un procès, reprit-il encore, après quoi il se départit pour aller dîner, non point chez le lord-maire, son partisan déclaré, mais chez celui des amdermen qui passe pour le plus enclin de tous à favoriser le parlement. Et chez cet homme, qui a nom Garrett, sa majesté fut magnifiquement traitée. Ensuite, sur les trois heures, elle s’en retourna vers White-Hall, le peuple criant toujours : Privilège ! privilège ! et le roi murmurant entre ses dents : « Procès,… procès aux traîtres ! »

De retour au palais, son premier soin fut de rédiger de sa propre main[36] une proclamation nouvelle, à ces fins que nul n’osât abriter les cinq accusés de la chambre des communes. Le nom de lord Kimbolton n’y figura pas ; sa majesté comptait sans doute, par cette omission, se concilier la chambre haute, et, en la désintéressant ainsi dans le conflit à venir, s’assurer qu’elle lui viendrait en aide contre les communes.

Celles-ci pourtant s’étaient réunies dans la matinée du 5 janvier à Westminster. Portes closes, avec défense à aucun membre de s’absenter sans congé, et non sans avoir dépêché de tous côtés des subalternes chargés de guetter au dehors les mouvemens hostiles qui se pourraient tenter, elles délibéraient. On y comptait environ deux cent soixante membres, dont à peu près quatre-vingt-dix partisans du roi. Depuis les débats de la fameuse remontrance (au mois de décembre 1641), jamais cette minorité n’avait été si nombreuse. La première motion débattue fut de déclarer que, « par sa visite armée de la veille, aussi bien qu’en faisant saisir et mettre sous les scellés les papiers de certains députés, le roi d’Angleterre avait porté atteinte aux privilèges de la haute cour du parlement. » Cinq ou six royalistes essayèrent d’excuser la conduite du monarque ; mais la chambre passa outre et nomma un comité pour rédiger un projet de déclaration dans le sens de la motion proposée. On s’attendait que ce travail prendrait un assez long temps, et l’on discutait l’opportunité de continuer les débats, quand M. Glyn et les autres du comité rentrèrent en séance au bout d’un quart d’heure à peine, rapportant une déclaration qui bien évidemment avait été composée d’avance. On suppose généralement qu’elle était l’œuvre de M. Pym lui-même, qui, du fond de sa mystérieuse retraite, ne cessait de diriger les événement. En vertu de la nouvelle déclaration que a les communes ne pouvaient plus ni siéger à Westminster en toute sécurité, ni délibérer des affaires publiques jusqu’à ce que leurs privilèges violés eussent été hautement revendiqués, » elles remettaient à six jours de là leur prochaine réunion, et ordonnaient qu’un certain nombre de leurs membres siégeraient en comité particulier à Guild-Hall. Le vote, régulièrement pris, donna cent soixante-dix voix pour ces conclusions et quatre-vingt-six contre ; mais bien que la majorité fût assez forte, vous le voyez, pour exclure les royalistes du comité dont elle obtenait la formation, plusieurs d’entre eux, et des plus notables, en firent partie, notamment les deux nouveaux secrétaires d’état, Falkland et Colepeper. Je noterai seulement que ni M. Hyde comme partisan du roi, ni M. Oliver Cromwell à titre d’ennemi de la cour, ne firent partie du select committee. Il fut réglé d’ailleurs que tous les membres des communes qui voudraient officieusement assister aux délibérations de Guild-Hall seraient admis à y voter les mesures qu’on y proposerait, soit pour le maintien du privilège parlementaire, soit pour la sûreté du royaume. Avis de tout fut donné à la chambre des lords par un message spécial ; mais, avant que le messager fût de retour, une brusque panique avait dispersé l’assemblée. Il s’était répandu aux portes du palais, on ne sait comment, qu’un corps armé s’acheminait de ce côté, et des cris interrompirent un des membres qui proposait certaines résolutions relatives à l’Irlande. Celui-ci pourtant ne se troubla point, et voulut qu’on votât sa motion, ce qui à la vérité fut fait, mais sans observer toutes les formes, après quoi, un peu en désordre et s’ajournant au mardi 11, la chambre se sépara sur les quatre heures. J’ose penser que si sa majesté eût reçu à Guild-Hall et sur sa route plus d’encouragemens qu’elle n’en obtint, la fausse alarme qui mit fin aux débats de ce jour eût bien pu se transformer en quelque chose de beaucoup plus sérieux.

La mesure qui transportait dans la Cité, au milieu de citoyens armés et prêts à la défendre, les délibérations de la chambre des communes était, à mon avis, un coup de politique fort habile, car la suspension absolue des séances eût été le signal d’un complet désarroi, tandis qu’en se plaçant ainsi chaque jour sous la protection immédiate des bourgeois de Londres, les députés forçaient ceux-ci à faire cause commune avec le reste du pays. De plus, sous cette forme détournée, ils s’associaient aux cinq membres accusés (toujours réfugiés dans Coleman-street), ils se tenaient en communication continuelle avec eux, et les abritaient contre les effets, encore fort à craindre, des poursuites exercées contre eux par le roi. La Cité, reconnaissante de la confiance du parlement, avait pris les armes. Ses portes et poternes, fermées chaque soir, étaient gardées avec soin ; de plus on signait de tous côtés une humble pétition à sa majesté « afin que les membres accusés fussent poursuivis conformément aux règles parlementaires, » et force pamphlets s’imprimaient contre le roi. Cependant bon nombre de membres déclaraient vouloir s’abstenir d’aller à Guild-Hall pour ne pas être entraînés à des mesures extrêmes : on annonçait que les accusés viendraient y siéger ; on croyait que le roi les y enverrait ou les y viendrait saisir, et les esprits timorés ne se souciaient point d’avoir à prendre parti dans cette lutte ouverte des deux pouvoirs.

La, séance du 6 janvier se tint dans la chambre où les jurés se retirent pour délibérer. Les membres du comité avaient été reçus par le conseil municipal (common council) en robes et chaînes de cérémonie. La garde était composée de quelques-uns des plus riches bourgeois, chacun revêtu d’une casaque ornée de rubans aux couleurs de sa compagnie particulière et accompagné de son laquais en livrée. De plus, la vieille hospitalité de la Cité avait magnifiquement pourvu à ce que les députés reçus à Guild-Hall n’y souffrissent ni la faim ni la soif, et vers une heure, quand les membres du comité voulurent se séparer pour aller dîner, on les avertit qu’un splendide repas les attendait. Quant aux affaires sérieuses, elles se traitaient méthodiquement l’une après l’autre. On proclama l’illégalité des diverses mesures adoptées par le roi, des warrants qu’il avait signés. Il fut question d’exiger la production de ces warrants ; mais on y renonça sur les observations de sir Simonds d’Ewes, qui s’appliqua, dans un discours fort bien accueilli, à définir les cas de trahison et la manière de procéder en iceux. Sa conclusion fut « que, les procédures contre les cinq gentlemen étant jusqu’alors entachées d’illégalité, il fallait demander sûreté pour leurs personnes, et les engager à venir siéger dans le parlement jusqu’à ce que, dans le parlement, ils eussent été reconnus coupables du crime qui leur était imputé. » M. Glyn, qui, en l’absence forcée de M. Pym, avait pris le rôle de « meneur, » appuya fortement la motion, et dans sa harangue, dirigée contre les conseillers de sa majesté, signala, sans les nommer quelques membres qui jouaient, au sein de la chambre, le triste rôle d’espions de la cour, semant la méfiance et la discorde entre le roi et les représentans de la nation. Des discours qui vinrent ensuite je ne vous dirai rien, si ce n’est qu’en substance ils blâmaient tous le roi d’être intervenu dans une affaire où il ne pouvait agir en même temps comme juge et comme partie. L’un d’eux rappela même un mot célèbre du juge Markhara au roi Edouard IV, à qui ce magistrat disait un jour : « Dans le cas de trahison, un sujet peut arrêter l’accusé ; mais le roi ne le peut point, car si l’arrestation est illégale, l’accusé n’a aucun moyen de redressement à faire valoir contre le roi. » Le débat s’échauffant, il fut proposé, assez à l’étourdie, de déclarer que « toute charge de trahison portée contre un membre des communes constituait une violation du privilège. » Toutefois des têtes plus sages firent simplement voter par le comité que « des warrants comme ceux dont il avait été usé portaient atteinte aux privilèges du parlement et à la liberté des sujets ; item, que toute personne agissant en vertu de warrants pareils serait déclarée ennemie de la chose publique. » Puis, comme il s’agissait de rédiger une déclaration dans ce sens, le jeune Henry Vane y fit ajouter fort sagement « que la chambre n’entendait en aucune manière protéger les cinq gentlemen en question, non plus qu’aucun autre membre des communes, contre des poursuites criminelles d’aucune espèce, qu’elle s’empresserait au contraire de leur infliger le châtiment dont ils seraient dignes, pourvu qu’il fût procédé contre eux conformément aux lois du royaume. » C’est en ce sens que la déclaration fut rédigée, votée et imprimée ; puis on se sépara en fixant le lieu de la prochaine réunion, pour le lendemain, dans Grocer’s-Hall, attendu que le conseil municipal réclamait la salle où la première délibération du comité venait d’avoir lieu. La nuit du 6 au 7 janvier fut marquée par une panique soudaine. Sur le bruit répandu à Ludgate, vers les neuf ou dix heures du soir, qu’on venait de la part du roi saisir militairement les cinq membres fugitifs, les milices de la Cité, convoquées à grandes clameurs, furent sur pied dans l’espace d’une heure. Arm ! arm ! criait-on en frappant aux portes, et près de quarante mille hommes complètement armés répondaient à cet appel nocturne, sans parler d’une centaine de mille autres qui étaient descendus dans la rue avec des hallebardes, des épées, des bâtons, etc. Le lord-maire cependant déploya tout son zèle royaliste, et parvint à faire rentrer chez elle cette multitude effarouchée, de quoi il fut remercié, le surlendemain, par un ordre exprès du conseil, ordre qui lui prescrivait en outre de « rechercher les auteurs inconnus de cette espèce d’émeute, afin qu’ils fussent sévèrement punis. »

Le vendredi 7, réuni à Grocer’s-Hall, le comité des communes entreprit une espèce d’enquête relative à ce qui se nommait déjà « l’outrage du 4 janvier. » Divers témoins furent entendus qui déclarèrent que l’intention, hautement exprimée, des hommes armés par lesquels sa majesté s’était fait accompagner avait été de « forcer les communes à obéir au roi. » Bien qu’étranger, j’avais été cité à comparaître, et je comparus en effet devant messieurs du comité, à qui je rendis compte (sans compromettre personne) de la part que j’avais prise à la découverte du plan formé pour se saisir de M. Pym et de ses amis. Sir Simonds d’Ewes fit voter aussitôt que « la venue de gens armés avec sa majesté avait eu pour but de se saisir de quelques membres de la chambre, et de se jeter, en cas de refus et de résistance, sur la chambre elle-même, ce qui constituait un dessein de trahison contre le roi et le parlement. » Comparurent ensuite les deux sheriffs de Londres, porteurs des warrants qu’ils avaient reçus, écrits de la main du roi, pour se saisir des cinq membres. L’un d’eux, le sheriff Garrett, offrait de remettre ce mandat ; l’autre refusait, sous prétexte du secret requis par les devoirs de sa charge. Des membres de la chambre, quelques-uns voulaient qu’on retînt ces écrits, d’autres qu’on en refusât la communication. Sir Simonds d’Ewes était du nombre de ceux-ci, et fit encore prévaloir son avis. « Ce serait, disait-il, manquer au respect dont nous devons entourer encore le monarque, bien qu’il ait été égaré par de mauvais conseils. D’ailleurs que ferions-nous de ces écrits ? et à quoi bon désobliger des magistrats qui ont si bien mérité de nous, en les plaçant dans ce dilemme, ou de nous résister, ou d’offenser la personne royale ? » Conformément à ces sages paroles, on fit rappeler les sheriffs, naturellement écartés du débat, et, après les avoir remerciés, on les renvoya. Une délibération plus importante suivit celle-ci. On proposa de voter que « les cinq membres accusés pouvaient et devaient venir aux séances du comité, nonobstant les warrants lancés contre eux, ou toute accusation dont ils pussent avoir été menacés. » C’était là un défi direct à l’autorité royale, et le prudent sir Simonds n’était pas d’avis d’en venir si vite à une extrémité si périlleuse. On devait, selon lui, n’adopter une pareille marche qu’après avoir vainement demandé au roi un sauf-conduit pour les cinq accusés. N’espérant pas faire adopter par ses collègues cette ligne de conduite trop mesurée, trop strictement régulière pour leur humeur du moment, il jugea superflu de se mêler au débat, et laissa voter cette mesure décisive.

Le roi, qui la ressentit vivement, y répondit, dès le lendemain matin, 8 janvier, par une nouvelle proclamation — c’était la troisième, — où, en réitérant l’accusation portée contre les cinq membres, il commandait à tous les magistrats et officiers publics de les appréhender au corps et de les conduire à la Tour. Chose étrange que cette vaine preuve d’obstination ait été donnée par sa majesté le jour même où elle confiait les sceaux à mylord Falkland, un des membres du comité par lequel venait d’être voté le rappel des cinq accusés dans le sein des communes ! Une heure après que la proclamation royale eut été distribuée et affichée, la chambre basse se réunissait dans le même lieu que la veille, et, après avoir ordonné derechef aux cinq membres d’assister à la séance que le comité tiendrait le lundi suivant et où l’on réglerait la question du retour à Westminster, elle votait deux résolutions : la première déclarant « fausse, scandaleuse, illégale, » la proclamation du matin, — la seconde affirmant au contraire « que tous les actes des citoyens de Londres ou de tous autres pour la défense du parlement et de ses privilèges étaient conformes à leur devoir, et que quiconque voudrait les arrêter ou troubler pour de tels actes serait déclaré ennemi de la chose publique. » Puis, — comme durant le vote le bruit s’était répandu qu’un bateau chargé d’armes et arrivant de Berwick venait d’être signalé près de la Tour, — le comité manda devant lui le gouverneur (sir John Biron) et le lieutenant de l’artillerie, lesquels ayant été examinés, on décida que des mesures immédiates seraient prises pour assurer la garde de la forteresse, qui serait remise à un officier possédant la confiance de la Cité aussi bien que celle du parlement. L’officier choisi fut un capitaine du parc d’artillerie nommé Skippon. Il a servi quelque temps en Hollande : c’est un homme de mœurs réglées, et qui, d’abord simple soldat, s’est élevé au grade qu’il occupe par le seul fait de son mérite. Je le connais un peu, et vous prédis que, si les événemens lui donnent un rôle important, vous le verrez s’élever encore. Nommé par le comité sergent-major-général de la Cité de Londres, il a une véritable armée sous ses ordres. Quant à la charge en elle-même, elle est de création nouvelle, et personne n’eût pensé, il y a seulement quelques jours, que la chambre des communes pût disposer en faveur de qui bon lui semblerait, et sans le consentement du prince, d’une pareille autorité militaire ; mais les nouveautés se suivent et pour ainsi dire s’engendrent l’une l’autre. Après avoir franchi ce pas, le comité, sans avoir encore conscience de tout le pouvoir que lui donnait l’assentiment populaire, mais agissant avec cette vigueur qu’on puise dans les dangers une fois affrontés, notifiait aux sheriffs de Londres et du Middlesex « qu’ils eussent à lever le posse comitatus, » c’est-à-dire tous les citoyens en état de porter les armes pour la garde du roi et de son parlement, à l’occasion de la rentrée de ce dernier en ses salles de Westminster, solennellement annoncée pour le mardi 11. Au moment où, après ces décisions si graves, le comité allait s’ajourner, un message, à coup sûr inattendu, vint mettre sa constance à l’épreuve. Le roi faisait annoncer qu’il se proposait de venir, le lundi suivant, siéger au comité en compagnie de quelques membres de la chambre haute. C’était là sans doute une menace couverte, qui avait pour objet d’empêcher le retour des cinq membres accusés et d’annuler ainsi le vote qui les rappelait expressément ; mais le message royal fut accueilli avec un calme et une courtoisie admirables. « Sa majesté n’avait qu’à venir, répondirent les organes du comité ; elle aurait l’accueil dû à son rang, et pour lui montrer l’estime en laquelle sa visite était tenue, on ne marchanderait pas les préparatifs. En conséquence les capitaines des trained bands de la Cité, commis à la garde du parlement, recevraient ordre de veiller à ce que le roi et sa fidèle noblesse trouvassent les routes libres… » Si je vous disais maintenant, madame, que milady Carlisle inspira cette merveilleuse réponse (en faisant avertir sous main ses bons amis cachés dans Coleman-street de l’idée qu’on venait de suggérer au monarque), vous surprendrais-je plus que de raison ?

Je vis cette belle dame le dimanche, et, sans mentir, elle rayonnait. — N’avez-vous point remarqué, me disait-elle, des physionomies nouvelles dans notre bonne ville de Londres ?… Et comme je convenais avoir rencontré en effet bon nombre de gens à cheval, ayant la mine assez provinciale : — Ce sont, me dit-elle, des francs-tenanciers du comté de Buckingham, des compatriotes de M. Hampden. On leur a fait signe, et les voici arrivés, au nombre de près de quatre mille, pour voir si on osera toucher à leur représentant. Il ferait beau voir maintenant que les reformados de White-Hall missent leurs épées à l’air ! .. Sans compter, ajouta-t-elle, que nos ministres ont prêché ce matin sur le psaume 122… Lisez-le, ce psaume, et vous verrez de quoi il s’agit… » J’ouvris la bible qu’elle me tendait, et ce que je lus m’édifia complètement[37].

On s’étouffait aux portes de Grocer’s-Hall le lendemain 10 janvier, et la besogne intérieure du comité se compliquait de mille incidens extérieurs. On lui dénonçait des manœuvres suspectes qui semblaient avoir pour objet de placer la Tour de Londres en des mains hostiles ; puis se faisait admettre à grand bruit une députation de marins, maîtres de bâtimens, officiers, matelots, offrant de venir défendre le parlement du côté de la rivière, ce qui leur fut accordé sans peine, ainsi que la permission de pourvoir d’artillerie les bâtimens destinés à ce service[38]. Cependant on se hâtait, malgré ces interruptions, de voter, en l’absence des accusés, toutes les mesures qui les concernaient. En agissant ainsi, on ôtait le caractère d’une vengeance personnelle au blâme que le comité déversait sur quelques instrumens subalternes de la rancune royale, les Killigrew, les Fleming, etc. On évitait aussi d’ajouter aux griefs que le monarque prétendait avoir contre les cinq membres leur participation directe à ces actes de résistance. Ils parurent enfin au sein d’une immense agitation, et vinrent silencieusement reprendre leurs places ordinaires. Au même moment entraient des délégués du peuple, des apprentis, etc., qui sollicitaient la faveur de « garder le parlement. » On les remercia de leur bon vouloir en les exhortant à rester dans la Cité, pour la garde d’icelle, pendant que leurs patrons viendraient veiller à la sûreté de l’assemblée. On les avertirait d’ailleurs, si leurs services étaient requis. L’un d’eux, parlant au nom des autres, répondit qu’ils obéiraient, et ils sortirent pêle-mêle de la salle. Vinrent ensuite les gens de Southwark, offrant leurs trained bands, qu’on accepta. En tout ceci, la chambre excédait visiblement ses droits. Lever des troupes, leur donner des chefs, les armer en vue d’une guerre quelconque, sans le concours de ce qu’on appelle ici l’exécutif, c’était enfreindre la constitution. Personne ne le nie ; mais on en rejette la faute sur le monarque, qui, en tirant l’épée pour violenter la chambre, a mis celle-ci dans la nécessité de la tirer à son tour, afin de maintenir ses droits et de rester libre. Aussi ce même lundi, sans désemparer, les communes prirent-elles douze résolutions, contre lesquelles parlèrent et votèrent vainement les députés royalistes, MM. Hopton, Price, Dering et consorts. Pour les nouveaux secrétaires d’état, mylord Falkland et sir John Colepeper, je n’ai pas ouï dire qu’ils aient pris part au débat. En vertu de ces résolutions mémorables, 1° une force militaire levée dans la Cité était placée sous les ordres de M. Skippon ; 2° les officiers et soldats n’y étaient admis qu’après avoir souscrit la protestation naguère publiée par ordre du parlement[39] ; 3° leur devoir, comme celui de leur chef, était d’obéir à la chambre, nonobstant tous autres ordres ou contre-ordres ; 4° ils avaient mission de repousser par la force quiconque les attaquerait ; 5° de cette espèce d’armée, huit compagnies étaient commandées pour le lendemain matin avec huit pièces de canon, afin d’escorter l’assemblée rentrant solennellement à Westminster, etc. Toutes ces prescriptions, — et les services volontaires que chaque citoyen en état de s’armer voudrait rendre en ces circonstances, — étaient tenus pour conformes à la loi, et destinés à sauvegarder « le roi, le royaume et le parlement. »

Désormais il n’y avait plus ni voile jeté sur la situation, ni doute sur le parti pris de résister ouvertement à l’autorité royale. M. Hampden, aussi câline que d’habitude, mais cette fois décidé à tout, fit admettre la pétition que venaient présenter ses constituans du Buckinghamshire, et dans laquelle ils promettaient de « mourir aux pieds du parlement, » s’il le fallait, plutôt que de souffrir une atteinte à sa liberté. Les deux derniers actes du comité siégeant à Grocers-Hall furent de remercier le lord-lieutenant d’Irlande, qui, à la demande de l’assemblée, avait mis en non-activité le capitaine Hide, un des officiers de White-Hall qui, le 4 janvier, avait montré le plus d’insolence, puis de chasser ignominieusement un messager que le gouverneur de la Tour, sir John Biron, avait cru pouvoir envoyer, au lieu de se présenter lui-même, pour s’enquérir des griefs qu’on avait contre lui, et dont il demandait à se justifier. Vous voyez à quel point l’autorité du parlement avait grandi dans ces journées, et en quelle altitude étaient devant lui les principaux agens du pouvoir royal.

Le roi lui-même, averti d’heure en heure par ses fidèles de tout ce qui se passait, sentait une agitation extrême succéder à l’incrédulité dédaigneuse avec laquelle il avait accueilli les premières nouvelles de la journée. Quand la triste vérité lui apparut, quand il s’assura qu’un triomphe éclatant allait saluer le lendemain, sans qu’il pût l’empêcher, les cinq « traîtres » qu’il avait publiquement flétris et voulu traîner à l’échafaud, l’indignation et la crainte lui firent prendre une résolution soudaine. Ce même lundi, sur les quatre heures du soir, au moment où le comité allait se dissoudre, il monta dans un carrosse avec la reine et leurs enfans, et après avoir fait appeler à la portière, pour le remercier de ses services, le capitaine des trained bands qui depuis deux mois commandait la garde du palais, il se fit conduire à Hampton-Court. En ceci, je crois qu’il fit bien. Le roi Charles ne pouvait guère assister décemment à l’entrée triomphale du roi Pym.

Vous savez avec quelle pompe a eu lieu, le 11 janvier, cette cérémonie. Sur l’un des bords de la Tamise étaient rangées les milices de la Cité, sur l’autre les trained bands de Southwark. Tous ces miliciens avaient, qui au chapeau, qui au bout de sa pique ou de sa hallebarde, des exemplaires de la protestation. La rivière elle-même était comme couverte de chaloupes et de batelets armés d’où partaient sans cesse des volées de mousqueterie et des salves de canons. Les compagnies de la Cité avaient mis la plus vaste et la plus richement décorée de leurs barges à la disposition des cinq membres, qui s’embarquèrent au lieu dit « des Trois-Grues » pour rentrer à Westminster. Des applaudissemens comme j’en ai peu entendu de ma vie saluèrent ces personnages au moment où ils mirent le pied sur le rivage, au bas des degrés du palais. Le président et la chambre les attendaient debout, et, un instant après qu’ils eurent repris leurs sièges accoutumés, tous les cinq se levèrent. MM. Hampden, Hollis, Haselrig et Strode demeurèrent en silence, et la tête nue, pendant que M. Pym remerciait en leur nom tous les bons citoyens de Londres, ajoutant « qu’après les services rendus par la Cité au parlement, il était de l’honneur de la chambre de protéger désormais les citizens contre toutes les conséquences possibles du dévouement affectueux dont ils avaient fait preuve. » Ce langage habile consommait l’alliance récente de la capitale et du parlement, et constatait ce fait essentiel, que des abus du pouvoir royal on était garanti désormais par le pouvoir parlementaire, en état de faire respecter ses décisions. Ces nouveautés faisaient branler la tête aux vieillards, aux sages de la chambre, et scandalisaient particulièrement notre ami sir Simonds d’Ewes ; mais les royalistes, si furieux qu’ils pussent être, ne se dissimulaient pas l’étendue de leur défaite, et j’entendis l’un d’eux (sir Edward Dering) dire que, « s’il pouvait honnêtement être Pym, il préférerait ce rôle à celui du roi Charles. »

Celui-ci s’était d’abord rendu à Hampton-Court. Là venaient encore jusqu’à lui les frémissemens de la capitale : les constituans de Hampden par exemple, les francs-tenanciers du Buckinghamshire, n’osèrent-ils pas lui porter une pétition semblable à celle qu’ils avaient déjà présentée à la chambre des communes, le propre jour de la rentrée à Westminster ? Elle était à peine respectueuse dans la forme et très hardie au fond. Le roi la reçut pourtant avec assez de douceur, feinte ou sincère ; mais, bien qu’il eût eu le temps de réfléchir à l’imprudence de l’accusation portée contre les cinq membres du parlement, il ne sut pas se résoudre à déclarer aux pétitionnaires qu’il n’y serait pas donné suite. Le roi leur répondit simplement : « J’aimerais mieux acquérir la preuve de l’innocence de votre délégué que le trouver coupable. En tout cas, je ne fais point remonter à ceux qui l’ont nommé la responsabilité des crimes qu’il a pu commettre. » Vous reconnaîtrez à ce langage le caractère de ce prince, tour à tour imprudent et timide, cédant sur les grands points, inflexible sur les petits scrupules. Les communes, huit jours après cette réponse aux électeurs de M. Hampden, ont fait demander à sa majesté les preuves qu’elle avait à fournir à l’appui de l’accusation portée contre les cinq députés. Le roi a répondu qu’il ne pouvait encore livrer à la publicité les faits dont il comptait se servir, mais qu’il procéderait, devant les juges ordinaires, dans les formes usitées. Neuf jours plus tard, nouvelle insistance des communes, à laquelle le roi vient de répondre en renonçant aux poursuites et en offrant un pardon général. La chambre, en s’autorisant de certains statuts, a déclaré là-dessus « que le roi ne pouvait se borner à innocenter ainsi personnellement les accusés, mais qu’il leur devait le nom des conseillers par l’avis desquels ils avaient été injustement poursuivis. « Comme il gardait le silence malgré cette sommation nouvelle, on a rendu un bill qui reconnaît les cinq membres bien et dûment acquittés, et un autre pour décréter d’accusation l’attorney general, sur qui pèse la responsabilité de l’accusation portée contre eux. Tout le monde ici pense que ce magistrat (sir Ed. Herbert) est en grand danger, et on se demande si, pour lui venir en aide, sa majesté ne cédera point[40]. De Hampton-Court le roi s’est rendu à Windsor. de Windsor il doit aller à York. Quand le reverra-t-on à Londres et comment y reviendra-t-il ? Dieu seul le peut dire[41].

Dès ce moment l’Angleterre est en guerre civile. La reine se dispose, m’assure-t-on, à s’embarquer pour la Hollande, où elle emmène sa fille et va chercher à se procurer de l’argent en donnant pour gages les diamans de la couronne. La famille royale se trouve fort dépourvue. J’ai lu dans certaines dépêches confidentielles que ses serviteurs sont mal payés, et que le prince-électeur a manqué plus d’une fois des objets les plus nécessaires, de vin pour sa table, de bougies pour son cabinet. Le vide se fait autour du monarque. Mylord Essex et mylord Holland ont offert leurs démissions des grandes charges qu’ils occupaient (comme lord chambellan et premier gentilhomme de la chambre) pour venir vaquer ici à leur office parlementaire. Lady Carlisle n’a pas eu de peine à faire passer de ce côté son frère Northumberland. Warwick est aussi parmi les convertis. Vous voyez que la trahison est de mode en assez bon lieu.

On a vainement, à plusieurs reprises, essayé de provoquer une démarche du parlement auprès du roi pour en venir à une réconciliation. Les chefs du mouvement ne se sentiraient plus en sûreté après de si grandes victoires, s’ils laissaient la moindre chance à un prince qui leur a marqué un mauvais vouloir si obstiné. Cédât-il aux conditions les plus dures, ils savent que ce serait à regret, et sans se croire lié par des promesses que la force lui aurait arrachées. M. Pym lui-même, qui, avant l’accusation portée contre lui, était simplement attaché au maintien des droits parlementaires, me semble à présent bien changé. Il en convient d’ailleurs, et voici ce qu’il disait l’autre jour devant moi chez milady Carlisle : « Quand j’ai vu qu’on en voulait à ma vie, et qu’on me proscrivait comme traître pour m’être dévoué corps et âme au service du pays, quand j’ai appris que, contre tout privilège, le roi lui-même, à la tête de gens armés, venait me chercher jusqu’au sein des communes, tandis que je n’avais jamais nourri une seule pensée hostile contre sa majesté, ni aucune intention préjudiciable à l’état, j’ai cru pouvoir prendre soin de ma vie et me réfugier sous la protection du parlement… Dieu maintenant protège la bonne cause !… » Milady Carlisle écoutait ce discours avec un air passablement ironique : — Je ne sais si Dieu les protégera, me dit-elle à demi-voix, comme je lui donnais la main pour passer dans un autre salon… Mais vous n’ignorez point que le diable s’est mêlé de leur affaire assez à propos pour eux. Qu’en dites-vous, monsieur le Français ? — Que l’enfer doit être un lieu de délices, lui répondis-je en la regardant avec admiration. — Oui… comme la vengeance est une douce chose, repartit la belle comtesse, dont la physionomie était sombre à faire peur.

Voilà, madame, le récit que vous désiriez. Il vous dira où nous en sommes et convaincra, je pense, certaines personnes qu’elles n’ont à redouter d’ici aucun obstacle. Le roi d’Angleterre a beaucoup d’affaires, sur les bras, et il les a pour longtemps. Son éminence peut donc tout à son aise rudoyer les parlemens de France et faire tête aux Espagnols. Son plus redoutable ennemi est tombé, l’an dernier, dans les bois de la Marfée. On nous parle bien ici d’une conspiration qui s’ourdit à grand’peine, et qui, vu le nom et la qualité des personnages, me semble compromise d’avance. à la place de M. Le Grand[42], j’y regarderais avant de m’attaquer à un homme dont les coups portent si vite et si loin sur tout ce qui fait obstacle. Sa majesté le roi d’Angleterre saurait que lui en dire à cette heure, et je me figure que, dans le trouble de ses pensées, certaine soutane rouge lui apparaît quelquefois. Pour moi, j’admire, en même temps que notre grand ministre, ces obstinés parlementaires anglais qui, pied à pied, sans se lasser jamais, gagnent du terrain, s’établissent en des postes inexpugnables, et tiennent en échec un des plus puissans monarques du monde. Je les connais maintenant, et vous peux annoncer qu’ils le mèneront loin, s’il n’y prend garde. Il y a des gens parmi eux qui commencent à parler de république. Aucun n’y songeait il y a deux mois…..

Tel est le récit du brave capitaine Hercule Langres. Strictement historique dans toutes les parties qui se peuvent vérifier, il porte en lui-même sa garantie de sincérité, et, le comparant aux récits de la même époque si savamment mis en œuvre par M. John Forster, nous n’y avons signalé aucune inexactitude de quelque importance. C’est ce qui nous a donné l’idée de le publier comme une curieuse annexe à toutes les histoires de la révolution d’Angleterre.


E.-D. FORGUES.


  1. Entre autres motifs qui poussèrent Charles Ier dans cette voie périlleuse, il faut compter son désir de faire restituer à son neveu (Charles, fils de Frédéric V, roi de Bohême, et d’Elisabeth, fille de Jacques Ier) le Palatinat, qui avait été enlevé en 1620 à Frédéric V après la défaite de la Montagne-Blanche.
  2. Conformément au traité de Paris. Voyez Lingard.
  3. Lettres d’Estrades, t. Ier, p. 10.
  4. Lettre du 25 novembre 1625, datée de Hampton-Court.
  5. Voyez le curieux volume qu’il a publié sous ce titre : Arrest of the five Members by Charles the First, a chapter of English Story rewritten ; London, Murray, 1860.
  6. Ce mot, souligné dans le manuscrit, porte à supposer ici une allusion à son éminence le cardinal-ministre.
  7.  : :…How you frown
    If we but say, king Pym wears Charles’s crown.
    (The Player’s Petition.)
    They fight for the king, but they mean for king Pym.
    (New Diurnall.)
    On pourrait multiplier à l’infini de pareilles citations puisées dans les satires royalistes.
  8. La reine d’Angleterre, Henriette-Marie.
  9. Lucy Percy, fille de Henri, huitième comte de Northumberland. Ce fut en novembre 1617 qu’elle épousa contre le gré de son père, alors prisonnier à la Tour, James Hay, comte de Carlisle, un des favoris de Jacques Ier. En 1616, le comte de Carlisle avait été chargé en France d’une ambassade d’apparat destinée à couvrir une négociation plus sérieuse. Il venait, sous prétexte de féliciter le roi de son mariage avec une infante d’Espagne, frayer les voies au mariage de l’héritier présomptif de la couronne d’Angleterre avec une des filles de France. Les Parisiens furent éblouis de son luxe.
  10. On a récemment acquis la preuve que le cardinal de Richelieu ne dédaignait pas les services de cette feuille politique. On dit même que certains articles de fond, comme on dirait aujourd’hui, furent rédigés ou dictés par lui.
  11. C’est, ce qu’on appelle l’army plot. Les troupes anglaises, trouvant mauvais que le plus clair des subsides militaires fût envoyé à l’armée d’Écosse, encore établie dans les comtés du nord, étaient mal disposées pour le parlement. On tenta de faire signer une pétition par les principaux officiers, qui, pour lui donner plus de poids, feraient marcher leurs troupes du côté de Londres. Goring, le principal meneur de cette entreprise royaliste, espérait le commandement en chef. Quand il sut qu’on destinait cet emploi à un autre, il fit, par dépit, échouer la combinaison en dénonçant aux communes le plan contre-révolutionnaire. Pym se servit avec succès de cette révélation pour enlever le vote du bill d’attainder qui fit périr Strafford.
  12. Ce mot pourra surprendre ceux qui ne se souviendront pas que l’union de l’Ecosse à l’Angleterre a été votée seulement le 25 mars 1707.
  13. Burnet, l’évêque historien, propre neveu d’Archibald Johnston, confirme expressément tous ces détails. — Voyez aussi l’Histoire d’Ecosse de Laing, t. III, p. 520, et un passage très explicite de l’Icon basilikè.
  14. Ce mystérieux épisode, connu dans l’histoire d’Angleterre sous le nom de l’incident, n’est pas encore éclairci, et ne le sera probablement jamais. M. Malcolm Laing, celui de tous les historiens contemporains qui l’a le plus approfondi, croit au projet que Charles Ier aurait eu de faire arrêter les deux Hamilton et Argyle sur les dénonciations de Montrose, que lui transmettait un personnage fort équivoque, William Murray, premier valet de chambre de Charles.
  15. Williams, évêque de Lincoln, et qui allait être promu à l’archevêché d’York par suite de sa réconciliation avec le roi. On était venu lui demander de consentir à ce que le procès qui lui avait jadis été intenté devant la chambre étoilée figurât au nombre des griefs énumérés dans la remontrance, et, non content de refuser, il se hâta de dénoncer à Charles Ier cette démarche menaçante.
  16. Ce projet de Charles Ier de donner le pouvoir à ceux qui venaient de faire tomber la tête de Strafford est parfaitement avéré aujourd’hui, grâce à deux lettres du secrétaire d’état Nicholas à l’amiral Pennington, retrouvées dans le State Paper office. Elles sont textuellement citées par M. Forster, Arrest of the five members, p. 54 et suiv.
  17. Lord Newport, dans une conférence privée à laquelle assistèrent bon nombre de membres des deux chambres, à propos des conspirations qu’on disait tramées dans les rangs de l’armée du nord, se serait exprimé en ces termes : « Après tout, si le complot existe, nous avons ici sa femme et 'ses enfans, » voulant dire par là, insinuaient ses accusateurs, que la reine et les princes pourraient au besoin être saisis comme otages dans le cas où le roi entrerait en lutte ouverte avec le parlement.
  18. Keeper of the great seal, le garde du grand-sceau. — Il est membre du conseil privé : son autorité va presque de pair avec celle du lord-chancelier.
  19. Le sommaire de cette séance se trouve dans le journal manuscrit de sir Simonds d’Ewes, qui était présent, et prit même la parole. Les cinq volumes manuscrits de sir Simonds sont déposés au British Musœum, dans la collection dite Harleyenne.
  20. En vertu d’un writ of summons, et à titre d’assistant.
  21. 1° Tentative pour renverser le gouvernement et les lois fondamentales, 2° rédaction de la remontrance, calomnies contre sa majesté, excitation à la haine du roi et de son autorité, 3° tentative pour détourner l’armée de la fidélité due au souverain, 4° invitation à une puissance étrangère (les Écossais) d’envahir le royaume de sa majesté, 5° attaque aux droits et à l’existence même des parlemens. — L’impeachment empruntait ce grief, dans ses termes mêmes, à la minorité qui avait vainement voulu faire enregistrer une protestation contre le vote de la grande remontrance, et qui s’était plainte, en cette occasion, que les droits et l’existence du parlement fussent mis en péril par le refus qu’on lui opposait. — 6° tumultes fomentés contre l’autorité royale, 7° enfin conspiration traîtreusement ourdie pour faire déclarer la guerre au monarque. — Le brouillon manuscrit de cet acte d’accusation, de l’écriture du secrétaire d’état Nicholas, existe encore dans le State Paper office. M. Forster le donne textuellement, en respectant l’orthographe du temps, et même celle du ministre. — Arrest of the five Members, p. 114.
  22. Protestation solennellement rédigée et signée par tous les membres des communes le soir même du jour où Strafford avait été exécuté (12 mai 1641 ). On la verra plus loin servir de signe de ralliement et pour ainsi dire d’étendard aux parlementaires triomphans.
  23. Go, pull these rogues out by the ears !… Tirez de là ces drôles par les oreilles !… — C’est le texte même de cette apostrophe historique, tel que le donne M. Forster d’après un manuscrit de sir William Coke, conservé par Archetil Grey (Arrest of the five members, p. 137-138).
  24. Des évêques mis à la Tour, mais traités avec beaucoup d’égards, et qui avaient eu congé d’y introduire leur nombreuse domesticité.
  25. Arrêté, on l’a vu, par ordre des communes, mais que le roi depuis avait fait mettre en liberté.
  26. Un reformado était l’officier d’une compagnie licenciée, mais que l’on gardait néanmoins sur les cadres du régiment auquel cette compagnie avait appartenu jusqu’à l’occasion de le remettre en activité. C’était l’officier à demi-solde de notre temps.
  27. Charles, frère aîné du fameux prince Rupert ou Ruprecht.
  28. Voyez, dans l’ouvrage de M. Forster, le texte primitif de cette transcription de Rushworth, avec les passages raturés et les mots rectifiés par le roi. — Arrest of the five members, p. 189.
  29. « … Jetant les yeux sur tous les membres présens, le roi dit : « Je ne vois aucun d’eux. Il me semble pourtant que je les reconnaîtrais. » Procès-verbal de Rushworth, passage raturé par le roi.
  30. « Sa majesté dit alors : « M. Pym est-il ici ?… » Personne ne répondit à cette question. » — Procès-verbal de Rushworth, passage raturé par le roi.
  31. Mes oiseaux, selon Rushworth.
  32. Je dois vous dire (Rushworth).
  33. Intended, mot transcrit par Rushworth. Meant, modification de la main du roi.
  34. Les mots et le plus, ajoutés par le roi au texte de Rushworth.
  35. Ici la sagacité du capitaine Langres lui fait honneur. Poursuivi, comme Strafford l’avait été, par la rancune parlementaire, Digby s’enfuit en Hollande et tenta d’en ramener un convoi d’armes pour les troupes de Charles Ier. Il fut fait prisonnier, et grâce à la générosité du gouverneur de Hull, auquel il se fit connaître, parvint à regagner les côtes de France. Après Edge-Hill, où il combattit vaillamment, son maître l’expédia en Irlande, d’où il partit pour accompagner à Saint-Germain le prince royal, qu’il salua le premier roi d’Angleterre après la catastrophe du 30 janvier 1649. Toutefois le rôle de courtisan du malheur n’allait pas à une nature aussi remuante, et le budget d’un roi exilé ne pouvait suffire aux besoins d’une prodigalité fabuleuse. Lord Digby chercha son rôle dans nos guerres civiles, et l’y eut bientôt trouvé. Une action d’éclat, une bravade exécutée en face de deux armées, le mit en relief. On lui fournit les fonds nécessaires pour lever, au nom du roi de France, un corps d’auxiliaires irlandais. Il parvint rapidement à des grades élevés. Mazarin fugitif le recommandait à la reine comme le plus subtil et le plus expert conseiller qu’elle pût choisir. Il partit de là pour vouloir supplanter le cardinal auprès d’Anne d’Autriche. Informé par elle de cette ingratitude signalée, le subtil Italien ne se plaignit pas ; mais, une fois de retour aux affaires, il embarqua son féal protégé dans une expédition où il espérait bien le voir périr. Digby revint sain et sauf d’Italie, où il avait traversé des périls inouïs avec son bonheur accoutumé. Mazarin le complimenta, le remercia,… et le fit rayer des cadres de l’armée, avec ordre de quitter la France dans le plus bref délai. En Espagne, où notre aventurier se rendit aussitôt, mêmes hasards, même fortune. Don Juan, le gouverneur des Pays-Bas, s’éprend de Digby, remmène en Flandre, et lui doit la prise d’une forteresse dont la garnison irlandaise ne sut pas résister aux séductions de l’irrésistible condottiere. Bien vu à la cour de Madrid, Digby croit utile à son ambition de se faire catholique. Les jésuites recueillent ce brillant catéchumène, qui, peu de mois avant, faisait, avec don Juan, de l’astrologie judiciaire ; mais ce changement de croyances ne rapporta au nouvel adepte aucune des grandes faveurs sur lesquelles il avait compté, et la jalousie de don Luis de Haro le tint à l’écart jusqu’au moment de la restauration des Stuarts. Il rentre alors en Angleterre sous son titre héréditaire de comte de Bristol, et nous l’y laisserons, investi de la faveur royale, nouer encore de nouvelles intrigues, qui devaient aboutir plus tard à une disgrâce éclatante.
  36. Le brouillon de cette proclamation, de la main de Charles Ier, a été découvert dans le State Paper Office par M. Forster. Le ministre responsable (sir Edward Nicholas) prenait soin, dès cette époque, de se mettre personnellement à l’abri en faisant ainsi authentiquer en quelque sorte par le monarque lui-même la participation personnelle de ce dernier aux actes du gouvernement.
  37. «… Nos pieds se sont arrêtés en tes portes, ô Jérusalem I… Jérusalem,… dont les habitans sont fort unis… »
  38. Le roi Charles Ier, en apprenant cette démarche des marins, affecta de traiter avec dédain ces « rats d’eau » (water rats) qui allaient grossir l’armée populaire. Au fond, cette défection lui fut très sensible.
  39. Pour le texte de cette protestation, dont il a déjà été parlé, consulter les Recollections de Rushworth, t. III, liv. Ier, p. 241. Elle avait été signée par quatre ou cinq cents membres des communes et cent six membres de la chambre haute (y compris les juges et jurisconsultes). Le serment qui l’accompagnait annonçait la résolution de maintenir la « vraie religion réformée » contre toute innovation papiste, comme aussi les pouvoirs et privilèges des parlemens, les droits légaux et les libertés des sujets.
  40. L’attorney general fut, par bill du parlement, privé du droit de siéger ou de parler devant aucune des deux chambres, et de plus envoyé dans la prison de la Flotte. Son maître l’abandonna à son malheureux sort.
  41. Charles Ier ne revit la capitale de son royaume que dans les premiers jours de janvier 1649. Le 20, il fut mis en jugement, et dix jours plus tard il montait sur l’échafaud de White-Hall.
  42. On appelait ainsi M. de Cinq-Mars, le grand-écuyer, qui fut exécuté, comme chacun sait, le 12 septembre 1642.