L’Observatoire de Paris

(Redirigé depuis L'Observatoire de Paris)


L’OBSERVATOIRE DE PARIS

M. Leverrier, nommé directeur de l’Observatoire national par un décret daté du 13 février 1873, a récemment pris possession de ses importantes fonctions. Au moment où un astronome aussi célèbre vient de se mettre à la tête de la première des branches de la science française, il nous a paru indispensable de parler des réformes qui vont faire entrer dans une voie nouvelle un établissement illustré par les Cassini, les Lalande, les la Place et les Arago. Non-seulement l’Observatoire recevra une puissante impulsion de la main de son directeur, mais il possède un conseil composé des savants les plus autorisés. Parmi cette pléiade d’hommes qui tous rendent des services à la science astronomique, nous mentionnerons MM. Belgrand, Fizeau, le vice-amiral Jurien de la Gravière, Janssen, Tresca, Daubrée, Yvon-Villarceau, Wolf et Rayet. Plusieurs de ces honorables savants sont en même temps les chefs des différents services de l’Observatoire, qui aujourd’hui, complétement indépendants les uns des autres, sont reliés entre eux par la direction.

Nous ne croyons pas utile d’entrer dans les détails minutieux sur ces services, nous dirons seulement qu’ils sont au nombre de six. Le premier d’entre eux est celui de l’astronomie mathématique, confié spécialement à M. Leverrier, qui n’a point renoncé à son cours d’astronomie à la Sorbonne. Pendant qu’il applique à la théorie de Jupiter et des petites planètes des méthodes qui l’ont immortalisé par la découverte de Neptune, il se préoccupe en même temps du soin de former les astronomes de l’avenir. Le second service est confié à M. Lœvy, de l’Institut : c’est celui des observations méridiennes, qui servent de base à tous les calculs des mouvements célestes. Attaché depuis plus de vingt ans à cette branche fondamentale de l’astronomie. M. Lœvy y apporte une rigueur, une précision presque idéale.

Le troisième service est celui des observations physiques, à la tête duquel se trouve M. Wolf, illustré par d’ingénieuses méthodes pour l’observation du prochain passage de Vénus, et que l’Académie comptera prochainement dans ses rangs. Parmi les instruments dont ce savant dispose, nous citerons le fameux sidérostat de Léon Foucault. Il a déjà servi à prendre des photographies célestes, et avant que sa valeur réelle ait été déterminée par des observations indiscutables, il a excité l’émulation de nos voisins d’outre-Manche. Notre savant confrère, M. Lockyer, directeur du journal anglais Nature, ayant eu occasion de le visiter, a pris la résolution d’en construire lui-même un analogue aux frais du gouvernement britannique.

Le quatrième service, dirigé par M. Yvon-Villarceau, membre de l’Institut, est celui de la géodésie. D’après la proposition de M. Leverrier, les opérations géodésiques auxquelles l’Observatoire prendra part seront exécutées de concert avec le Bureau des longitudes. La longue rivalité de ces deux établissements est enfin terminée de la manière la plus heureuse : ces deux corps distincts de notre grande armée scientifique travailleront fraternellement à augmenter la gloire nationale.

La section de météorologie de l’Observatoire va prendre une importante extension ; on ne saurait trop féliciter la direction de l’impulsion qu’elle veut donner à cette branche si grosse d’avenir de la science moderne. Elle sera dirigée par des astronomes de talent, MM. Rayet et Front. L’Observatoire de Montsouris, exclusivement destiné, d’après le dernier décret, aux observations météorologiques du département de la Seine, va faire cause commune avec l’Observatoire de Paris, et devenir son allié au lieu d’être son rival, au grand détriment de l’intérêt scientifique. Les observations météorologiques du monde entier vont être concentrées à l’Observatoire de Paris, que l’on pourra comparer en quelque sorte à un cerveau où aboutissent les impressions communiquées par les fibres d’un immense système nerveux. Les fils télégraphiques terrestres et océaniques qui sillonnent actuellement la surface des continents ou le fond des mers doivent être considérés comme les plus utiles auxiliaires de la météorologie moderne ; avec leur concours les distances cessent d’exister, et le savant, en un seul lieu de la terre, peut le soir consulter les observations diverses, exécutées le matin sur d’innombrables points de la surface du globe.

Déjà les directeurs d’un câble transatlantique américain se sont mis à la disposition de M. Leverrier pour lui communiquer gratuitement les télégrammes des astronomes des États-Unis, et lui donner le moyen de correspondre avec ses collègues transocéaniques. Souhaitons que ce bel exemple soit imité par les autres compagnies télégraphiques. Si elles hésitaient à ouvrir leurs lignes à nos observatoires, elles feraient acte d’ingratitude ; car ces puissantes constructions de l’industrie sont nées de la science pure ; c’est par la science qu’elles ont été créées, c’est grâce à la science que les millions affluent dans leurs caisses. Ne sont-ce pas en effet les Œrstedt, les Ampère et les Arago qui, par leurs travaux théoriques, ont ouvert à l’industrie cette voie si féconde de la télégraphie ?

Comme exemple de l’admirable usage du télégraphe électrique, il nous suffira de dire que tout récemment M. le professeur Henry, secrétaire du Smithsonian Institution à Washington, a averti M. Leverrier par dépêche de la découverte d’une petite planète. Le jour où cet avis avait été expédié, le ciel était couvert à Paris. M. Leverrier a immédiatement donné l’ordre à l’observatoire de Marseille de sonder le firmament dans la direction du nouveau corps planétaire, dont on a pu prendre immédiatement une position.

Le sixième service, dirigé par M. Gaillot, est celui du bureau des calculateurs chargés d’exécuter les innombrables réductions nécessaires à l’interprétation des observations et à la mise en œuvre des formules.

Parmi les modifications introduites dans l’organisation de l’Observatoire, nous ajouterons que le Bulletin météorologique qui paraît tous les jours servira désormais d’organe à l’astronomie. La publication des Annales de l’Observatoire se continue ; déjà six feuilles de cet ouvrage, qui doit en comprendre quarante, sont sous presse depuis quelques semaines.

L’ère de la paix et du travail vient de s’inaugurer à l’Observatoire de Paris, au Bureau des longitudes, à l’Observatoire de Montsouris. Qu’elle nous ouvre un règne fécond en découvertes !

Il ne manque plus à l’organisation actuelle qu’un seul et indispensable auxiliaire, c’est l’argent. Mais les fonds nécessaires à la vitalité de l’Observatoire vont être prochainement demandés à l’Assemblée nationale. Nous croirions porter atteinte à sa dignité en supposant qu’elle les refuse.

Gaston Tissandier.