Les Oscillations des côtes et la plage de Cayeux (Somme)
LES OSCILLATIONS DES CÔTES
ET LA PLAGE DE CAYEUX (SOMME).
La surface du globe n’est pas seulement soumise à des palpitations violentes, elle ressent aussi des mouvements très-lents, tellement insensibles, que leur constatation ne peut avoir lieu que par des générations successives d’observateurs. L’Océan modifie aussi lui-même ses rivages d’une façon incessante ; l’érosion des flots, le contact des eaux avec des terres friables, déterminent des changements appréciables.
Les moyens d’enregistrement font défaut au milieu des continents ; c’est seulement sur les côtes, près de la mer, qui est le grand plan de nivellement du globe, qu’on retrouve des marques de retrait ou de progression de la mer : si elle a envahi les terres, il existe un affaissement ; si l’on voit à des signes certains que son niveau actuel est plus bas, il s’est produit un exhaussement. Les principaux repères sont, dans cette dernière circonstance, les coquillages marins, tels que les pholades et les balanes, qui affectionnent la limite des hautes marées ; et, comme ils ont la propriété de perforer les roches les plus dures, ils deviennent un témoignage écrit de la présence des eaux marines. Ailleurs, les cordons littoraux des plages inclinées, reléguées loin de la laisse de haute mer actuelle, confirment sa présence antérieure dans des lieux qu’elle ne vient plus baigner.
Ce dernier exemple se rencontre d’une façon sensible sur la plage qui s’étend entre Cayeux, près de l’embouchure de la Somme, et le bourg d’Ault. L’appareil littoral ancien est une preuve du retrait des eaux et des différentes périodes d’activité de la mer. On voit, sur une étendue de huit à dix kilomètres, des cordons ou bourrelets de galets disposés, avec une régularité progressive, en zones de rouleaux, dont les contours correspondent aux époques de formation et attestent le retrait de la laisse de haute mer. Sur plusieurs points, ces ondulations de galets sont au nombre de vingt à trente, en les comptant depuis le pied du cordon littoral actuel jusqu’aux terres cultivées, c’est-à-dire sur une distance de 100 à 150 mètres. Tantôt leur courbure concentrique est tournée du côté de la mer ; tantôt elle dévie fortement, en se rejetant sur l’un ou l’autre côté. Leur hauteur est variable suivant les endroits ; dans quelques-uns elle dépasse à peine quelques centimètres, au lieu que, dans d’autres, elle est suffisante pour former de petits vallonnements de 3 ou 4 mètres de profondeur. Toutes ces traces sont un modèle en relief des modifications de la plage, suivant les caprices de la mer.
Il est également à remarquer que, sur une étendue de quatre à cinq kilomètres, en se rapprochant du bourg d’Ault, le cordon littoral actuel est d’une régularité et d’une hauteur qui contrastent notablement avec les sinuosités des dépôts anciens. Il se prolonge en forme de digue à section prismatique et aux pentes raides, entre la laisse de haute mer et les relais ou terres abandonnées par la mer pendant les périodes précédentes.
Le sol sur lequel les anciens cordons littoraux ont été successivement édifiés est plus élevé que le niveau des hautes mers d’équinoxe ; cette assertion est justifiée par la sécheresse de ces terres abandonnées par les eaux de la mer, qui, même dans les élévations exceptionnelles de la marée et malgré la perméabilité de la digue naturelle de galets formant barrière, ne sont pas inondées.
Il paraît évident qu’il s’est produit un exhaussement lent du sol de cette plage. Est-il attribuable à une dépression de l’écorce terrestre ou à une cause locale accidentelle ? Sans aller chercher une explication dans les phénomènes placés au delà de la portée de notre faculté visuelle, nous en trouvons une dans la constitution géologique du sol même. Les hautes falaises de craie qui composent toute la côte de la Manche, depuis l’embouchure de la Seine jusqu’à la Flandre, s’infléchissent, à la baie de la Somme, sous les sables apportés par les courants de marée autant sur les grèves que sur la vaste expansion mise en culture aux environs de Cayeux. Il y aurait lieu de supposer que la craie, constamment humidifiée par les infiltrations des eaux à travers les sables, aurait été soumise à un foisonnement, principal motif d’un exhaussement de la surface. Cet effet a déjà été mentionné pour le bri ou terre spongieuse des environs de Napoléon-Vendée, qui occuperait tout un ancien golfe. L’augmentation de volume d’un certain sol, par suite de l’imbibition constante, est une explication plausible et plus simple que l’intervention des grandes perturbations intérieures, sur lesquelles on manque d’éléments fondamentaux.