L’INTERNATIONALE - Tome IV
Sixième partie
Chapitre V
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V


De la première quinzaine de juillet 1876 jusqu’au Congrès jurassien
des 6 et 7 août 1876.


On commençait à se préparer, dans les diverses fédérations de l’Internationale, au Congrès général de 1876. La Commission fédérale espagnole adressa au Bureau fédéral, à la Chaux-de-Fonds, dans la première moitié de juillet, une lettre (publiée dans le Bulletin du 16 juillet) disant :

« Nous proposons pour l’ordre du jour du prochain Congrès général les deux questions suivantes : 1° De la solidarité dans l’action révolutionnaire ; 2° Revision des statuts généraux.

« Il serait très désirable, pour que la délégation espagnole, qui doit présenter au Congrès général le résultat des conférences comarcales, puisse être plus nombreuse, que ce Congrès fût retardé d’un mois et s’ouvrît seulement le premier lundi d’octobre. Nous croyons qu’il n’y aurait pas d’inconvénient à ce changement de date, d’autant plus que, l’ordre du jour n’ayant pas encore été publié, il est convenable qu’il soit laissé aux Fédérations régionales le temps nécessaire pour l’étudier. »

Les propositions de la Fédération régionale espagnole furent aussitôt transmises aux autres Fédérations régionales par le Bureau fédéral. Le Comité fédéral jurassien invita les Sections jurassiennes à lui faire connaître, avant la fin de juillet, leur opinion sur la proposition d’ajournement ; toutes les sections de la Fédération se prononcèrent pour l’affirmative (Bulletin du 6 août).


Une correspondance de Costa (signée Y.) donne au Bulletin (numéro du 23 juillet) les nouvelles suivantes de l’Internationale italienne :

« Le travail de réorganisation commencé en Italie marche grand train. La Commission régionale de correspondance vient de publier une circulaire (1er juillet) invitant les sections et fédérations à reprendre leurs relations interrompues, et à se préparer pour un prochain Congrès régional. Les sections et fédérations de la Romagne et de l’Émilie célébreront dans peu de jours leur second congrès provincial, qui sera suivi de ceux de la fédération des Marches et de l’Ombrie et de la fédération toscane.

« La désorganisation du parti républicain mazzinien est actuellement au comble, et cela facilite l’œuvre de l’Internationale. Ce parti est devenu maintenant, en grande partie, un appendice du parti monarchique constitutionnel ; attendu que, abandonnant le terrain révolutionnaire, il veut être désormais un parti d’ordre, un parti d’opposition légale. Le peuple, qui l’avait déjà abandonné, le prend maintenant en pitié. Les mazziniens purs peuvent à présent se compter sur les doigts ; et ce qui était jadis un grand parti national n’est plus qu’une étroite secte religieuse, dont les adeptes voient chaque jour leurs rangs s’éclaircir. La réorganisation de l’Internationale portera le dernier coup au mazzinianisme.

« Les journaux bourgeois mettent en œuvre tous les moyens possibles pour préparer au ministère de gauche le terrain pour de nouvelles persécutions contre les socialistes : ils parlent de bandes armées, qui n’existent que dans leur imagination, et cherchent à jeter la terreur dans les consciences timorées des honnêtes bourgeois, en les entretenant de pétrole ou de liquidation sociale. Le gouvernement donne la main à ces manœuvres, et fait faire des

        1. perquisitions minutieuses sur les voyageurs dans les trains de chemin de fer. Mais tout

le monde sait maintenant à quoi s’en tenir sur cette mise en scène, et on ne fait qu’en rire. Le socialisme, sans s’inquiéter de ces clameurs et de ces tracasseries, continue son œuvre de propagande et de groupement. »

Le Congrès provincial de la Romagne et de l’Émilie eut lieu le dimanche 16 juillet à Bologne. Entre autres résolutions, il décida la publication d’une Vie populaire de Michel Bakounine, et chargea de sa rédaction la fédération de Bologne[1]. Les sections et fédérations représentées à ce congrès étaient celles de Bologne, Forli, Forlimpopoli, San Leonardo, Sant’Andrea, Carpinello, San Pierino in Campiano, Campiano, San Zaccaria, San Stefano, coccolia, Sant’Arcangelo, Imola, Reggio d’Emilia, Modène, Budrio, Faenza, Persiceto, Ravenne, Rimini, Medicina, Castel Guelfo, Castel San Pietro, Mirandola. La commission fédérale pour la Romagne et l’Émilie fut placée à Imola. Le procès-verbal du congrès fut imprimé en une petite brochure, ainsi que celui du second congrès de la fédération toscane, qui se réunit à Florence le 23 juillet.

De ce second congrès, le Bulletin dit : « Les sections représentées étaient Florence (trois sections), Livourne, Pise, Sienne, Pontassieve, Prato, Montevarchi, Poggibonsi, Carrare, Pontedema et Cecina. La commission de correspondance pour les sections toscanes a été placée à Sienne, la commission de statistique et de propagande à Livourne. Un journal hebdomadaire, qui s’appellera le Nuovo Risveglio, et qui servira d’organe à la fédération toscane, va se publier à Livourne. »

Six autres fédérations encore s’étaient reconstituées ou étaient en voie de reconstitution : la fédération de la Sicile et de Naples, la fédération romaine, la fédération des Marches et de l’Ombrie, la fédération vénitienne, la fédération lombarde, la fédération sarde et piémontaise.


En juillet, on entendit parler du projet d’un Congrès ouvrier qui serait convoqué à Paris au retour de la délégation ouvrière envoyée à l’Exposition de Philadelphie. Nous accueillîmes l’idée avec sympathie : c’était la première manifestation publique d’une renaissance du mouvement socialiste dans la masse qui avait si longtemps paru inconsciente ou terrorisée. Bientôt fut publiée la circulaire convoquant le Congrès pour le 2 septembre: sur les dix signataires, un seul, le graveur Chabert, avait quelque notoriété. Le Congrès devait se composer « de délégués dûment mandatés de corporations et d’associations ouvrières de toutes les villes de France ». Parmi les huit questions formant l’ordre du jour figuraient : « les chambres syndicales », « les conseils de prudhommes », et « la représentation directe du prolétariat au parlement ».


De Belgique, notre Bulletin (29 juillet) donna la nouvelle suivante : « Un mouvement se produit à Gand, à Anvers, et dans d’autres villes flamandes, en faveur de la suppression du travail des enfants dans les fabriques. Il s’agit d’une pétition que les ouvriers sont invités à signer pour obtenir une loi sur cette matière. » Cette campagne de pétitionnement allait avoir un fâcheux résultat, celui de produire un déchirement dans l’Internationale belge : car les ouvriers socialistes de la Belgique wallonne ne voulurent pas s’associer à une démarche qui était en contradiction avec toutes leurs traditions révolutionnaires. Je reviendrai plus loin sur cette question.


De Russie, nous reçûmes en juillet et août une mauvaise et une bonne nouvelle.

Ross avait heureusement effectué son voyage de Russie ; et il était en route pour revenir en Suisse, lorsque, vers la fin de mai, il fut arrêté à la frontière russe à la suite d’une dénonciation, et conduit à Pétersbourg où il demeura en prison préventive jusqu’au procès des Cent quatre-vingt-treize. Dans le courant de mai et de juin, des télégrammes venant de Kiyef et de Iassy arrivèrent chez notre ami Alfred Andrié, monteur de boîtes, qui habitait alors Saint-Aubin (canton de Neuchâtel), et chez qui Ross avait déposé des papiers et le matériel de l’imprimerie russe ; ces télégrammes, signés « Démètre », parlèrent d’abord d’un paquet qui n’arrivait pas, puis annoncèrent la réception du paquet et demandèrent des instructions. Nous ne savions pas, et nous n’avons jamais su, de qui provenaient ces télégrammes, et s’ils n’étaient pas l’œuvre de la police. En juillet, le bruit commença à courir que Ross était arrêté, et bientôt la triste nouvelle fut confirmée. L’arrestation de cet infatigable et courageux propagandiste devait porter un coup fatal à l’organisation bakouniste en Russie.

Le 12 juillet (30 juin du calendrier russe), Pierre Kropotkine réussissait, avec le concours d’amis dévoués, à s’évader de l’hôpital où, atteint du scorbut et d’une maladie d’entrailles, il avait été transféré deux mois auparavant. Après être resté caché quelques jours dans un village des environs de Pétersbourg, il put gagner la Finlande, qu’il traversa tout entière du sud-est au nord ouest : arrivé au petit port de Vasa, sur le golfe de Botnie, il passa en Suède, puis en Norvège, attendit quelques jours à Christiania un bateau en partance pour Hull, et débarqua enfin en Angleterre environ un mois après son évasion. Entre le 10 et le 15 août, je reçus une lettre portant le timbre de Hull, et sur l’enveloppe de laquelle je reconnus avec une vive émotion l’écriture de Kropotkine : il m’annonçait qu’il venait d’échapper aux griffes de l’Ours de Pétersbourg, et que, dès qu’il le pourrait, il se rendrait en Suisse. Le Bulletin du 20 août publia un extrait de la lettre que Kropotkine m’avait adressée ; j’en reproduis le passage suivant : « La police, persuadée que son prisonnier n’avait plus que deux ou trois semaines à vivre, consentit à son transfert dans un hôpital militaire, ou plutôt dans une prison militaire annexée à l’hôpital. L’air frais (l’hôpital est situé hors de la ville) rétablit bientôt le malade, et on lui donna la permission de se promener dans la cour de l’hôpital, sous la garde de quatre sentinelles, deux armées et deux sans armes ; mais la porte de la cour restait ouverte, le prisonnier n’avait qu’à courir une trentaine de pas pour la gagner, et pas de sentinelle à la porte. Les amis de Kropotkiue se procurèrent un excellent cheval, et l’un d’eux, portant une casquette militaire, vint l’attendre dans la rue avec ce cheval et une voiture, à quelques pas de la porte cochère. Il y avait tout un système de signaux organisé dans les rues pour indiquer si le chemin était libre, ce qui, heureusement, était assez facile, l’hôpital étant dans un quartier très éloigné de la ville : c’est ainsi que Kropotkine a pu s’évader en plein jour, à quatre heures et demie de l’après-midi. »


La guerre avait éclaté entre la Turquie et la Serbie ; et le récit des atrocités commises par les Turcs eu Bulgarie remplissait les journaux du monde entier. Mais, en Serbie même, tous les journaux avaient cessé de paraître depuis le commencement de la guerre, excepté le journal officiel ; et voici l’explication de ce fait, donnée par notre Bulletin :

« La presse est libre en Serbie ; seulement, en temps de guerre, le gouvernement peut faire fusiller les journalistes sans nulle forme de procès. Ceci nous fait comprendre pourquoi, depuis deux mois, nous avons cessé de recevoir le journal socialiste Narodna Vola, qui se publiait à Smédérévo. Le gouvernement lui a laissé toute liberté de continuer sa publication ; mais il a prévenu ses rédacteurs qu’ils seraient fusillés si le journal paraissait. Recommandé à la prochaine Commune de Paris, comme un ingénieux moyen de concilier la liberté de la presse avec les égards dus aux journalistes réactionnaires. »


Une circulaire en date du 5 mars 1876, adressée par le « Conseil général » de New-York aux rares personnalités qui formaient ses derniers adhérents, avait convoqué pour le 15 juillet, à Philadelphie, une Conférence de délégués de « l’Internationale ». Nous n’eûmes des nouvelles de ce dernier acte de la comédie que six mois après, par l’analyse que le Vpered de Londres publia du compte-rendu officiel de cette Conférence. Voici le résumé qu’en donna le Bulletin (numéro du 18 février 1877) :

« La Conférence était composée comme suit : dix membres du Conseil général, et quatorze délégués de ce qui s’appelait la « Fédération nord-américaine » ; des délégués d’autres Sections internationales des États-Unis, qui avaient eu la naïveté de se présenter, ne furent pas admis. Un socialiste allemand, M. Otto Walster, récemment émigré en Amérique, était censé représenter les socialistes d’Allemagne ; et des mandats avaient été envoyés de Zürich et de Genève par Greulich et J.-Ph. Becker. Le secrétaire du « Conseil général », Schneider, lut à la Conférence un rapport officiel sur la situation de « l’Internationale » (c’est-à-dire des adhérents du « Conseil général ») : cette situation fut dépeinte comme très affligeante ; le « Conseil général » exprimait l’opinion « que l’Association ne doit pas être considérée comme existante, tant que sa reconstitution ne sera pas possible en France, et jusqu’à ce que les représentants réels (actual) des ouvriers en Allemagne manifestent le désir effectif d’y prendre part ». Le « Conseil général » ajoutait qu’il n’avait point reçu de cotisations depuis plusieurs années, autre preuve que « l’Internationale » n’existait plus. Il concluait en proposant la résolution suivante : Attendu que la situation politique de l’Europe met provisoirement obstacle à la reconstitution des liens extérieurs de l’Association, nous déclarons que le Conseil général de l’Association internationale des travailleurs est dissous. Cette résolution fut adoptée à l’unanimité. »

Trente ans après, Sorge a écrit ce qui suit (p. 149 de son volume) sur cet épilogue de la burlesque histoire du « Conseil général de New York » :


Au milieu de juillet 1876 se réunit la Conférence de l’Association internationale des travailleurs. D’Europe il n’était venu personne. Les Allemands avaient seulement désigné Walster comme leur délégué ; les Suisses[2] avaient envoyé des mandats, mais qui n’arrivèrent qu’après la clôture des travaux. Le rapport du Conseil général fut adopté, ainsi que la proposition faite par lui de suspendre pour un terme indéfini l’organisation de l’Association internationale des travailleurs (die Organisation der Internationalen Arbeiterassoziation auf unbestimmte Zeit zu vertagen).


Sorge explique ensuite que les adhérents américains du Conseil général fusionnèrent avec le groupe des « Sozialdemokraten » et avec la « Illinois-Arbeiterpartei » pour former une organisation allemande sous le nom de « Arbeiterpartei der Vereinigten Staaten » (Parti ouvrier des États-Unis). Le premier acte du nouveau parti fut de prescrire à ses adhérents de s’abstenir de toute participation aux élections (vorläufig wurde den Parteiangehörigen dringend Wahlenthaltung empfohlen) : le marxisme américain aboutissait donc à cette abstention électorale dont la pratique — avait dit Hepner au Congrès de la Haye — « conduit directement au bureau de police » !


Deux grandes solennités organisées par la bourgeoisie suisse nous furent une occasion bienvenue d’opposer hautement les principes de l’Internationale aux vieux préjugés chauvins, aux haines nationales et à l’esprit militaire.

La première fut la célébration, par un « cortège historique », le 22 juin 1870, du quatrième centenaire de la « glorieuse » journée de Morat (22 juin 1476), où le patriciat vénal qui régnait sur les huit cantons suisses d’alors fit exterminer, par les brutes armées qu’il mettait, à prix d’or, au service des tyrans voisins, les troupes de l’ennemi du roi de France, le duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Le Bulletin (9 juillet) publia ce qui suit au sujet de cette manifestation d’orgueil patriotique :


Le quatrième centenaire de Morat.

Qu’est-ce que les guerres de Bourgogne ? Le roi de France, Louis XI, cherchait à se débarrasser d’un voisin dangereux. Il s’adressa aux Suisses et, pour les mettre dans ses intérêts, fit distribuer de l’argent aux familles patriciennes. Les agents du roi réussirent à engager les Suisses à conclure une alliance offensive et défensive avec l’archiduc d’Autriche, leur ennemi séculaire, et à leur persuader d’envahir les États du duc de Bourgogne. Que tout cela se fit moyennant finances, les historiens suisses les plus disposés à tout voir en beau sont obligés d’en convenir. Le chef du parti français, à Berne, était l’avoyer de Diesbach, « homme ambitieux, entreprenant et cupide, qui ne répondit que trop bien aux avances de Louis XI » (Daguet) ; un prêtre lucernois, Jost de Sillinen, a qui aspirait à devenir évêque français de Grenoble, reçut vingt et une mille livres pour les distribuer aux Confédérés » (Daguet), etc., etc.

Ce furent ces mobiles héroïques qui engagèrent les Suisses à se jeter sur l’Alsace pour la conquérir au profit du duc d’Autriche ; à pénétrer ensuite dans la Haute-Bourgogne, qu’ils ravagèrent ; puis à envahir le pays de Vaud, allié du duc Charles. Là, ils montrèrent une intrépidité extraordinaire, c’est-à-dire qu’ils massacrèrent tout avec la férocité qui distinguait les Suisses de cette époque. « De grandes horreurs souillèrent cette rapide conquête. En beaucoup d’endroits, les habitants furent massacrés, les garnisons jetées par-dessus les créneaux... À Estavayer, les Suisses tuèrent les trois cents hommes de la garnison et treize cents habitants. Femmes, enfants, tout fut haché et chaplé, dit la chronique, ou contraint de se jeter dans le lac. » (Daguet.) Genève dut payer une rançon de vingt-huit mille écus d’or pour échapper à un traitement pareil.

Le duc accourut au secours de ses alliés et sujets. Vaincu à Grandson, il rassembla une nouvelle armée, et vint assiéger Morat, qui relevait de ses États et dont les Suisses s’étaient emparés. Là, il fut complètement défait par les Suisses, dans les rangs desquels combattaient tous les hobereaux allemands du voisinage ainsi que le duc René de Lorraine. « Les Suisses tuèrent à coups de flèches tous les malheureux fuyards ; ils n’accordèrent la vie qu’aux femmes perdues qui suivaient l’armée bourguignonne. Cruel comme à Morat fut un dicton longtemps populaire parmi les Suisses. » (Daguet.)

Le résultat politique des guerres de Bourgogne fut d’arracher définitivement les populations de langue française du versant oriental du Jura à l’alliance de leurs voisins de France, et de les placer pour des siècles sous le joug despotique et abrutissant de Messieurs de Berne et autres patriciens allemands. Il a fallu les guerres de la Bévolution française pour rompre enfin les chaînes de cette ignoble servitude.

Morat n’est donc point un anniversaire qui mérite de vivre dans la mémoire des amis de la liberté ; et, d’ailleurs, ce n’est pas en se grisant du souvenir de ses gloires militaires qu’un peuple montre de l’intelligence et du cœur. À la bourgeoisie suisse organisant une mascarade prétendue historique sur le champ de bataille de Morat, nous opposons le prolétariat parisien abattant la colonne Vendôme : l’avenir dira qui des deux a le mieux compris les sentiments modernes d’humanité et de fraternité.


Vint ensuite le « tir fédéral » qui, tous les deux ans, réunit en Suisse, avec des tireurs avides de décrocher des récompenses pécuniaires, et des orateurs de « cantine », une foule pour qui la « patrie » est un prétexte à se goberger et à boire. En 1876, le tir eut lieu à Lausanne (16-23 juillet). Voici comment le Bulletin salua la grande ripaille patriotique (numéro du 23 juillet) :


Le tir fédéral de Lausanne.

Les fêtes succèdent aux fêtes : après Morat, Lausanne. Des milliers de tireurs se sont donné rendez-vous au stand de la Pontaise, et surtout à la gigantesque cantine de Beaulieu. Favorisée par un temps magnifique, la fête est superbe, et les riches étrangers qui visitent Lausanne, voyant toute cette animation, répètent avec conviction le refrain stéréotypé : « Voilà un peuple heureux et libre ! »

Ils ne remarquent pas, ces touristes naïfs, qu’il y a en Suisse deux peuples différents, deux peuples ennemis. L’un d’eux peut être en effet appelé heureux et libre : car il a toutes les joies de la vie, toutes les jouissances, tous les loisirs, et aussi toutes les libertés inscrites dans notre constitution républicaine. C’est le peuple des propriétaires, des rentiers, des fabricants, du monde officiel : c’est celui qui s’amuse au tir fédéral.

Mais la Suisse a, comme les autres pays d’Europe, au-dessous de la population libre et heureuse, le peuple des esclaves et des misérables. Le prolétariat, chez nous, malgré les droits politiques dont le gratifie la lettre de la loi, a un sort aussi triste que partout ailleurs : la misère est aussi dure à supporter dans une république que dans une monarchie, et les gendarmes républicains ne sont pas plus tendres à l’ouvrier socialiste que ne l’étaient les sergents de ville de l’empire.

Pendant longtemps, toutefois, les ouvriers suisses se sont abusés sur leur situation. On les avait si bien endoctrinés, qu’ils se croyaient réellement les égaux de leurs maîtres ; et le pauvre diable logé dans une mansarde, sans feu l’hiver et ne buvant que de l’eau, que son patron peut laisser chômer et mourir de faim, et que son propriétaire peut jeter sur le pavé à son caprice, s’obstinait à se prendre pour un citoyen libre. Aujourd’hui il n’en est plus de même : le prolétariat ouvre les yeux. Il a compris que la république n’est faite que pour les riches, que la patrie ne protège que les propriétaires ; aussi est-il devenu indifférent aux manifestations patriotiques et républicaines qui l’enthousiasmaient jadis. Les prouesses que les tireurs accomplissent au stand de la Pontaise le laissent froid : il se souvient qu’il n’y a pas encore un an que des balles suisses ont assassiné les malheureux ouvriers de Göschenen. Les discours pompeux sur la liberté, qui se débitent à la cantine, le remplissent de colère : car il sait qu’à Lausanne même, en ce moment, des ouvriers se sont vu fermer la porte de leurs ateliers parce qu’ils ont voulu maintenir leur droit d’association, et que la police y a fait subir cinq jours d’emprisonnement à deux citoyens dont tout le crime était d’avoir voulu adresser paisiblement la parole à des compatriotes.

« — Vos fêtes bourgeoises ne servent qu’à nous faire sentir plus vivement notre misère et le mensonge de nos institutions républicaines !»

Voilà l’appréciation des ouvriers suisses sur le tir fédéral.


Nous voulûmes profiter du tir fédéral pour faire connaître l’Internationale, en distribuant à grand nombre, aux Suisses et aux étrangers — surtout aux Français — accourus à cette fête, un numéro du Bulletin (16 juillet) dont la première page était consacrée à un historique de notre Association et à l’exposé de ses principes. Voici le passage principal de cet article :


L’Internationale.

Le présent numéro du Bulletin se trouvera, à l’occasion du tir fédéral de Lausanne, entre les mains de nombreux lecteurs français pour lesquels, grâce à la loi Dufaure, l’Internationale est restée jusqu’à présent une chose connue de nom seulement, une énigme inexpliquée, et peut-être un épouvantail.

Il n’est donc pas hors de propos de rappeler en quelques mots ce qu’est l’Internationale, d’où elle vient et ce qu’elle veut.

[Suit un exposé du but de l’Internationale et de ses moyens d’action, après quoi le Bulletin continue ainsi :]

La guerre de 1870 apporta une profonde perturbation dans l’ordre économique et politique de l’Europe entière... Mais ni les rigueurs réactionnaires, ni les discordes intérieures, aujourd’hui apaisées, n’avaient pu tuer l’idée de l’Internationale. En Espagne, l’Association, supprimée en apparence à la suite du coup d’État de Pavia, n’en a pas moins gardé toute son organisation, et continué à tenir, quoique en secret, ses congrès [et ses conférences] périodiques ; en Italie, après deux ans de disparition forcée, l’Internationale recommence sa propagande au grand jour avec une nouvelle ardeur ; en Belgique, en Hollande, en Suisse, en Portugal, elle n’a jamais cessé d’exister, de lutter à ciel ouvert ; et dans les pays comme l’Angleterre, l’Allemagne, le Danemark, l’Amérique, où le mouvement ouvrier paraît n’avoir, jusqu’ici, qu’un caractère national, les socialistes comprennent très bien la nécessité de la solidarité internationale, et, en ce qui concerne l’Allemagne du moins, c’est l’arbitraire gouvernemental qui s’oppose seul à ce que ce sentiment de solidarité se traduise par un pacte effectif d’union des ouvriers allemands avec ceux des autres pays.

En France, malgré la loi Dufaure, de nombreuses sections de l’Internationale ont continué à exister clandestinement. Mais ce qui est une preuve plus frappante encore de la vitalité du principe international, et de la manière spontanée dont il s’impose à tous ceux qui veulent travailler à la cause de l’émancipation des classes laborieuses, c’est que ceux-là même qui, en France, acceptant la situation légale qui leur est faite, cherchent à en tirer le meilleur parti possible en créant les organisations pacifiques connues sous le nom de syndicats ouvriers, ceux-là même, disons-nous, quoique n’ayant peut-être jamais lu les statuts de l’Internationale, en mettent les principes en pratique : ils envoient des délégations ouvrières à l’Exposition de Philadelphie, ils manifestent hautement le désir d’un rapprochement amical entre les travailleurs de tous les pays du monde...

Lorsque furent rédigés pour la première fois les statuts généraux de l’Internationale, le préambule contenait cette phrase significative : « Le mouvement qui reparaît parmi les ouvriers des pays les plus industrieux de l’Europe, en faisant naître de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne pas retomber dans les vieilles erreurs, et conseille de combiner tous les efforts encore isolés ». La situation est aujourd’hui la même qu’alors, et ces paroles n’ont rien perdu de leur actualité. Un mouvement nouveau, un réveil plein d’ardeur s’opère parmi les ouvriers des principaux pays d’Europe. Ne retombons pas dans les vieilles erreurs ; unissons nos efforts à travers les frontières, et constituons un faisceau puissant, qui nous permettra de triompher un jour de nos oppresseurs, de la réaction monarchique et républicaine bourgeoise, qui déjà s’effraie aux approches de ce nouveau printemps révolutionnaire.


Le groupe de socialistes de langue allemande qui, à Berne, avait constitué le Sozialdemokratischer Verein, décida, sous l’impulsion de Brousse, de publier un journal qui fît, parmi les ouvriers de la Suisse allemande, la propagande des principes de la Fédération jurassienne. Ce journal, dont les principaux rédacteurs furent, avec Brousse, le typographe Émile Werner (qui traduisait les articles de Brousse en allemand), l’étudiant Kachelhofer, et parfois aussi Auguste Reinsdorf, s’appela l’Arbeiter-Zeitung : son premier numéro parut le 15 juillet 1876. Il fut mal accueilli par la Tagwacht. Quant au Bulletin, il lui souhaita la bienvenue dans l’article suivant :


Il vient de paraître à Berne un nouveau journal socialiste de langue allemande; il s’appelle Arbeiter-Zeitung (Journal des ouvriers). Nous lui souhaitons la bienvenue avec d’autant plus de plaisir que ce journal pose la question sociale d’une manière tout à fait carrée, et se prononce franchement pour la solution révolutionnaire.

La rédaction de la Tagwacht, par contre, a vu de mauvais œil que des socialistes se permissent de tenir aux ouvriers allemands un langage différent de celui auquel les ont habitués les prôneurs de la politique légale. Elle déclare que l’Arbeiter-Zeitung n’est qu’une édition allemande de notre Bulletin, et elle lui fait la guerre à propos de son article-programme.

Ce sera l’affaire de l’Arbeiter-Zeitung de répondre sur la question du programme ; mais quant à cette affirmation de la Tagwacht que le journal des socialistes de Berne ne serait qu’une édition allemande du Bulletin, elle n’a pas de sens ; en effet, si le Bulletin salue avec plaisir l’apparition d’un organe ouvrier qui défend le même programme que lui, il doit cependant reconnaître que cet organe a été la création d’un groupe parfaitement indépendant, et que nous ne croyons point disposé à s’inféoder à la rédaction d’un journal quelconque.

À ce propos, la Tagwacht croit bien faire de réchauffer les vieilles histoires de bakounisme. Elle engage ses lecteurs à relire et à méditer la brochure d’Engels contre la Fédération espagnole, Die Bakunisten an der Arbeit, et celle de Marx, Ein Complott gegen die Internationale. Il est naturel que des gens qui étudient l’histoire contemporaine dans ces tristes pamphlets, et qui acceptent comme paroles d’Évangile les mensonges dont ils fourmillent, ne se trouvent pas bien disposés à tendre ensuite la main de la conciliation à ceux qu’on leur a appris à regarder comme des mouchards ou des idiots.

Dans ce que dit la Tagwacht du sens que donnent les Allemands à leur activité parlementaire, et de l’absurdité qu’il y a à se figurer qu’une nouvelle société puisse éclore de toutes pièces en un seul jour de crise révolutionnaire, nous trouvons des choses parfaitement justes et vraies, que du reste nous avons toujours dites nous-mêmes. Aussi, quand on consentirait à mettre de côté les injures et les récriminations, pour discuter avec sang-froid et avec le désir sincère de comprendre ce que disent les adversaires, nous pensons qu’on arriverait facilement à s’entendre, et à s’apercevoir que, sans demander à aucune fraction le sacrifice de son organisation spéciale et de sa propagande, on peut vivre en paix et même s’entr’aider. Malgré tout, nous persistons à croire que les injures ne sont plus de saison ; que les journalistes qui, aujourd’hui, continuent encore à en écrire, s’apercevront enfin que leur montre retarde ; et que l’instant est plus proche qu’on ne le panse, peut-être, où ceux qui ont craché à la figure des soi-disant bakounistes tous les gros mots de leur vocabulaire, regretteront d’avoir si mal employé leur temps.


Le n° 2 de l’Arbeiter-Zeitung parut quinze jours après le premier, et voici un entrefilet du Bulletin à son propos :


Dans son second numéro, paru le 29 juillet, l’Arbeiter-Zeitung a répondu en très bons termes au compliment de bienvenue fort peu fraternel dont l’avait honoré le rédacteur de la Tagwacht ; et, de l’aveu des lecteurs des deux journaux dont nous avons pu consulter l’opinion, ce n’est pas la Tagwacht qui garde l’avantage dans cette polémique regrettable. Nous avons entendu beaucoup d’ouvriers allemands critiquer en termes fort vifs la manière dont la Tagwacht traite toute ce qui n’appartient pas à son petit cénacle, et le peu d’esprit de conciliation dont elle fait preuve.

Pour nous, nous le répétons, la conciliation est à nos yeux chose facile et ne demandant pas grands sacrifices : Qu’il soit convenu que chacun garde sa liberté d’action et le droit de propager le programme qui lui paraît le meilleur, sans qu’on lui en fasse un crime et qu’on le signale comme un traître, — et tout est dit.


Pour chercher à remédier aux effets de la propagande socialiste sur les ouvriers de langue italienne à Berne, quelques patrons de cette ville avaient fait venir de Lucerne un capucin qui, après avoir réuni un auditoire de maçons et de terrassiers tessinois et italiens, lui fit une conférence religieuse. Mais des membres de l’Internationale, qui attendaient les auditeurs à la sortie, les invitèrent à une contre-conféreuce, à laquelle le capucin n’osa pas se présenter : et l’effet de la prédication fut détruit. Le 15 juillet, les trois sections de Berne se réunirent en assemblée générale (c’était le jour de l’apparition de l’Arbeiter-Zeitung), et l’on put constater, par le nombre des assistants, les progrès que l’Internationale avait faits dans la ville fédérale.

La Section de Lausanne eut l’excellente idée d’ouvrir une souscription au profit de la délégation ouvrière de Paris à l’Exposition de Philadelphie, et d’inviter les ouvriers d’Allemagne à s’associer à cette œuvre de solidarité. Le secrétaire de la section écrivit à cet effet à Liebknecht pour lui demander s’il consentirait à prêter son concours à une manifestation de ce genre. Liebknecht répondit affirmativement ; il engagea la Section de Lausanne à rédiger un appel fait au nom des ouvriers de la Suisse et qui serait adressé aux ouvriers allemands ; il terminait sa réponse en disant : « Croyez, chers compagnons (Parteigenossen), que je ferai tout ce que je pourrai pour rétablir l’union du mouvement prolétaire ». La Section de Lausanne fit alors part de son idée à quelques ouvriers de Paris, et leur demanda si les ouvriers parisiens seraient disposés à accepter l’obole fraternelle des ouvriers allemands ; les Parisiens répondirent, à leur tour, que pour les ouvriers il n’existe pas de frontières ni de nationalités, il n’y a que l’humanité, et ajoutèrent : « Votre proposition a été discutée en assemblée générale des corporations ouvrières ; un ordre du jour extrêmement flatteur pour les ouvriers allemands, et où des sentiments de reconnaissance sont exprimés en réponse à leur proposition, a été voté à l’unanimité ». La Section de Lausanne rédigea, là-dessus, un Appel des ouvriers de la Suisse aux ouvriers allemands, le fit imprimer, et l’envoya à toutes les sections de l’Internationale en Suisse et aux divers groupes ouvriers dont elle put se procurer l’adresse en Suisse et en Allemagne. Cet Appel fut imprimé dans le Bulletin du 6 août. Les socialistes d’Allemagne, de leur côté, décidèrent la publication d’une brochure qui serait vendue au profit de la délégation parisienne à l’Exposition de Philadelphie (voir p. 71).

Le 31 juillet, le tribunal de police jugea la plainte des patrons tailleurs de Lausanne contre Kahn et Reinsdorf. L’avocat de la partie civile, M. Dubois, déclara qu’on avait raison de ne pas vouloir d’Internationale à Lausanne et en Suisse ; que la liberté ne devait pas exister pour elle ; qu’il y avait un article de la constitution fédérale qui permettait de la supprimer. Kahn fut condamné à vingt francs d’amende et aux frais ; Reinsdorf fut renvoyé des fins de la plainte[3]. Le préfet de Lausanne intima ensuite à Kahn l’ordre d’avoir à quitter le territoire vaudois dans le délai de huit jours : Kahn se fixa à Genève. Reinsdorf, également expulsé, quitta Lausanne pour la Chaux-de-Fonds, d’abord, et plus tard pour Genève.

Les socialistes zuricois de l’Arbeiterbund voulurent faire acte de solidarité à l’égard de nos deux camarades victimes des procédés arbitraires des autorités de Lausanne. Une assemblée populaire fut réunie à Zürich le samedi 5 août, et vota la résolution suivante, que publia la Tagwacht :

« Nous invitons les citoyens Kahn et Reinsdorf, qui ont été illégalement emprisonnés à Lausanne, à porter plainte pour ce fait auprès du Conseil fédéral[4] ; nous invitons également le citoyen Kahn à recourir au Conseil fédéral contre l’arrêté d’expulsion dont il a été l’objet. Nous nous déclarons solidaires avec ces deux citoyens pour tous les frais que pourraient occasionner ces démarches. »

Le Bulletin fit la réponse suivante à l’invitation de l’assemblée populaire zuricoise :


Les compagnons Kahn et Reinsdorf, en réponse à cette invitation, nous prient de déclarer qu’ils remercient l’assemblée populaire de Zürich pour l’esprit de solidarité dont elle fait preuve à leur égard, mais qu’ils sont parfaitement décidés à ne pas recourir au Conseil fédéral : d’abord parce que demander justice à une autorité, c’est reconnaître sa légitimité, et que des socialistes révolutionnaires ne peuvent se placer sur un terrain pareil ; et, en second lieu, parce que l’expérience a suffisamment démontré toute l’inanité d’une semblable manière de procéder. La seule chose qu’il y ait à faire, c’est de travailler énergiquement à l’organisation du parti socialiste, afin que, dans un avenir prochain, les ouvriers soient assez forts pour se faire justice eux-mêmes.


Dans son numéro du 16 juillet, le Bulletin put annoncer qu’ensuite d’une décision votée par la majorité des sections, le Congrès annuel de la Fédération jurassienne aurait lieu à la Chaux-de-Fonds les 6 et 7 août 1876.


Je n’ai pas parlé de ma situation personnelle depuis l’époque où j’avais quitté l’imprimerie G. Guillaume fils à la fin de 1872. Les années 1873 et 1874 furent très dures à traverser. Je réussis néanmoins à trouver un nombre à peu près suffisant de leçons particulières, entre autres dans un pensionnat de garçons (Dubied) et dans deux pensionnats de jeunes filles (Mlles Collignon et Mme Ruply) ; de temps à autre il me venait aussi quelque petit travail de traduction : c’est ainsi qu’à la demande du géologue Édouard Desor je fis une version française de sa brochure écrite en allemand, Die Moränenlandschaft, version qu’il publia sous son nom (Le Paysage morainique, 1875). En juin 1875 j’allai habiter, rue du Musée, n° 4, une maison où Charles Beslay occupait un petit appartement au troisième ; devenu ainsi son voisin immédiat, je le voyais souvent, et j’eus l’occasion de mieux apprécier son esprit original et l’aménité de son caractère. Dans l’été de 1876, la veuve de Proudhon vint passer quelques jours chez Beslay avec sa fille Catherine ; il les emmena toutes deux faire un tour dans l’Oberland bernois : je ne me doutais guère, à ce moment, que quelques années plus tard je retrouverais ces dames à Paris, que la fille de Proudhon deviendrait une amie de ma femme, et les petites-filles de Proudhon les compagnes d’études d’une de mes filles.

À partir de 1875, ma position matérielle s’améliora, grâce aux relations que je nouai avec un éditeur de Berne, pour lequel, en deux ans, je traduisis successivement, de l’allemand, deux romans de Mme Carlén, et, de l’anglais, un roman de Bret Harte.

Au printemps de 1876, reprenant le manuscrit que j’avais rédigé en 1874 pour nos amis italiens et que Cafiero m’avait rendu (voir t. III, p. 241), je me décidai à le publier, après en avoir retranché quelques pages qui visaient spécialement la situation de l’Italie ; mais, désirant qu’il fût autre chose que l’expression d’une simple opinion individuelle, je consultai un certain nombre d’amis, et revisai plusieurs points de mon essai conformément aux observations qu’ils m’adressèrent. Ce petit travail fut imprimé à la Chaux-de-Fonds, et parut au commencement d’août 1876 (il est annoncé comme étant sous presse dans le Bulletin du 16 juillet 1876), sous le titre d’Idées sur l’organisation sociale (imprimerie Courvoisier, 56 p. in-16). Il en fut publié une traduction italienne au commencement de 1877.




  1. Ce fut Costa qui écrivit cette Vita di Michèle Bacunin ; le commencement seulement (48 p.) en fut publié, et parut en livraisons à Bologne en 1877 ; elle devait former le premier volume d’une Biblioteca del Martello.
  2. Becker et Greulich, deux « Suisses » d’Allemagne.
  3. Reinsdorf, ne sachant pas le français, avait pris un défenseur : c’était l’avocat Fauquez, qui prononça un discours fort éloquent. Cette plaidoirie fut le commencement de la fortune politique du futur chef du parti socialiste parlementaire vaudois. Quant au client de Fauquez, on sut qu’il devait, huit ans plus tard, payer de sa vie l’attentat manqué du 23 septembre 1883, au Niederwald.
  4. Le « Conseil fédéral» est le pouvoir exécutif de la Confédération, c’est-à-dire le gouvernement de la Suisse.