L’INTERNATIONALE - Tome IV
Sixième partie
Chapitre XIV
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XIV


Le neuvième Congrès général de l’Internationale, à Verviers (6-8 septembre 1877)
et le Congrès universel des socialistes, à Gand (9-15 septembre 1877).


Je partis de Neuchâtel pour Verviers le mardi 4 septembre ; et, autant qu’il m’en souvient, je fis le voyage seul, par Bâle, Mayence, Cologne, et Aix-la-Chapelle. J’arrivai à Verviers le mercredi, vers le soir, et j’y trouvai la plupart des délégués déjà réunis. Nous nous logeâmes à quelques-uns dans un petit hôtel sur la place du Martyr, à proximité du local où devait se tenir le Congrès.

Le Bulletin a donné, dans son numéro du 24 septembre, un compte-rendu du Congrès, qui est, dit-il, la reproduction d’un article paru dans le Mirabeau du dimanche 16, complété par moi sur quelques points. C’est ce compte-rendu que je vais reproduire ici, en l’abrégeant quelque peu.

Le mercredi 5 septembre étaient arrivés à Verviers des délégués de France, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de Russie, de Suisse, et de Belgique. La Fédération de la vallée de la Vesdre avait organisé pour ce jour une soirée familière de réception. « Comme des soirées pareilles ne se représentent pas souvent, à huit heures du soir la grande salle de la cour Sauvage était remplie de compagnons de Verviers et des environs. Après les souhaits de bienvenue adressés aux délégués au nom de la Fédération de la vallée de la Vesdre, la société les Socialistes réunis chanta quelques chœurs de circonstance ; puis des discours furent prononcés par plusieurs délégués. Cette soirée restera comme un excellent souvenir dans tous les cœurs, surtout ceux des ouvriers de la vallée de la Vesdre, qui n’avaient jamais assisté à pareille fête. »

Le lendemain, le Congrès ouvrit ses séances régulières au local de l’Internationale, cour Sauvage.


Première séance (privée), jeudi 6 septembre.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. Il est procédé à la nomination d’une commission pour la vérification des mandats. Cette vérification constate la présence des délégués suivants :

Rodriguez [pseudonyme de Soriano] et Mendoza [pseudonyme de Morago], représentant la Fédération espagnole de l’Internationale, composée d’un nombre considérable de fédérations comarcales et locales ;

Andrea Costa, représentant trente-cinq sections de la Fédération italienne ;

Martini, représentant deux sections de la Fédération italienne ;

Paul Brousse et Jules Montels, représentant la Fédération française récemment constituée (douze sections) ;

James Guillaume, représentant vingt-deux sections de la Fédération jurassienne ;

Gérard Gérombou, Luron, Hubertine Ruwette, Simon, Montulet, Noël, Dompret, représentant les sections qui composent la Fédération de la vallée de la Vesdre ;

Otto Rinke et Émile Werner[1], représentant des sections d’Allemagne et de Suisse.

Les socialistes de la Grèce et ceux d’Alexandrie d’Égypte s’étaient en outre fait représenter par Costa.

La question de savoir si les délégués d’organisations ne faisant pas régulièrement partie de l’Internationale, mais ayant son programme, seront admis à siéger au Congrès, est tranchée comme elle l’avait été l’année précédente au Congrès de Berne : ces délégués pourront prendre part aux discussions, à titre d’invités, avec voix consultative. À ce titre sont admis :

Émile Piette, du Cercle l’Étincelle, de Verviers ;

Malempré, des Solidaires d’Ensival (Belgique) ;

Levachof [pseudonyme de Kropotkine], délégué par divers groupes de socialistes russes.

On passe à la formation du bureau. Sont nommés comme présidents : Gérombou, de Verviers ; Werner, d’Allemagne ; et Rodriguez [Soriano], d’Espagne. Les secrétaires sont : Levachof, de Russie ; Montels, de France ; et Piette, de Verviers.

Brousse demande l’admission régulière dans l’Internationale de la Fédération française récemment constituée. — Cette Fédération est reçue.

Werner et Rinke demandent l’admission dans l’Internationale d’un groupe de sections qui viennent de se constituer en Allemagne. — Ce groupe est reçu dans l’Internationale.

La Fédération de Montevidéo est aussi reçue dans l’Internationale[2].

Le Bureau fédéral de l’Internationale ayant chargé le délégué jurassien de la lecture de son rapport, ce rapport, signé Spichiger et Pindy, est lu par Guillaume. Il sera publié en entier dans le compte-rendu du Congrès[3].

Des irrégularités dans la correspondance, de la part du secrétaire du Conseil régional belge, résidant à Anvers, ayant été constatées à la suite de la lecture du rapport en question[4], la résolution ci-dessous est votée par le Congrès à l’unanimité :


Le Congrès, considérant que la correspondance entre le Bureau fédéral et les sections peut se trouver entravée par la négligence d’un Conseil régional, constate que le Bureau fédéral a le droit, quand les circonstances l’exigent, de correspondre directement avec les fédérations locales ou de bassin, et que celles-ci pourront, toutes les fois qu’il leur conviendra, s’adresser au Bureau fédéral.


À la fin de la séance arrive un nouveau délégué : Delban, représentant du Cercle d’études socialistes de Liège.

Ce Cercle demande son affiliation à l’internationale. Les statuts du Cercle ayant été antérieurement communiqués à la Fédération de la vallée de la Vesdre, et ne renfermant rien de contraire aux statuts généraux, le Cercle d’études socialistes de Liège est admis dans l’Internationale, avec cette restriction que, s’il veut s’affilier à la Fédération régionale belge, il devra en faire la demande régulière à cette Fédération.

Le Congrès décide ensuite qu’il y aura un meeting public le même soir, dans la grande salle ; que les séances publiques du vendredi et du samedi seront transformées en soirées familières, et que les rapports des Fédérations seront lus dans la soirée du vendredi. — La séance est levée à midi.


Deuxième séance (privée), jeudi 6 septembre, à deux heures.

La classification de l’ordre du jour du Congrès est établie comme suit ;

1° Vote des sections isolées dans les Congrès généraux ;

2° Des moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste, et étude de ces moyens (proposition de la fédération de Nouvelle-Castille) ;

3° Dans quelque pays que triomphe le prolétariat, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les pays (proposition de la fédération d’Aragon) ;

4° Le Bureau fédéral pourrait-il trouver des moyens de propagande pour nos compagnons d’Égypte (proposition de la section d’Alexandrie) ;

5° Discussion des questions formant l’ordre du jour du Congrès de Gand ;

6° Questions administratives.


La discussion est ouverte sur le premier point : « Vote des sections isolées dans les Congrès généraux ». Le Congrès se rallie à la résolution de la Fédération jurassienne, prise au Congrès de Saint-Imier. (Voir cette résolution plus haut, p. 232.)

On aborde ensuite le deuxième point : « Des moyens propres à réaliser le plus vite possible l’action révolutionnaire socialiste, et étude de ces moyens ». Après une très longue discussion, le Congrès adopte la résolution suivante :


Considérant que la solidarité de fait dans l’action révolutionnaire socialiste a été reconnue, par les congrès et les groupes socialistes révolutionnaires, comme étant, non-seulement le moyen le plus pratique, mais indispensable pour assurer le triomphe de la révolution sociale ;

Considérant, d’autre part, que la question mise à l’ordre du jour par la Nouvelle-Castille se trouve implicitement contenue dans d’autres questions qui seront mises en discussion ;

Pour ces motifs, le Congrès passe à l’ordre du jour[5].


Comme il est six heures du soir et qu’un meeting doit avoir lieu à huit heures, la suite de la discussion est renvoyée au lendemain.


Meeting public, jeudi 6 septembre, à huit heures du soir.

Une foule nombreuse se presse dans la grande salle de la cour Sauvage. Des socialistes de Verviers prennent successivement la parole, et exposent en langue wallonne les principes de l’Internationale ; ils sont chaleureusement applaudis.

Le meeting dure jusqu’à minuit, et paraît laisser à tous les assistants une excellente impression. « Les tiraillements qui avaient malheureusement existé pendant quelque temps entre divers éléments socialistes à Verviers ont disparu ; l’union est rétablie, et chacun envisage l’avenir avec espoir et confiance. Le Congrès de Verviers aura été le signal d’un énergique réveil du socialisme dans le pays wallon : voilà ce que dit chacun, et nous croyons que c’est en effet la vérité. »


Troisième séance (privée), vendredi 7 septembre, à neuf heures du matin.

La lecture des procès-verbaux des deux précédentes séances est faite, et ils sont adoptés.

Un nouveau mandat arrive au bureau, et le Congrès admet le délégué qui en est porteur : Malempré, représentant la section de Lambermont (Belgique)[6].

On aborde le troisième point de l’ordre du jour : « Dans quelque pays que triomphe le prolétariat, nécessité absolue d’étendre ce triomphe à tous les pays ».

James Guillaume, délégué de la Fédération jurassienne, dit qu’il a reçu le mandat de demander au Congrès de passer à l’ordre du jour sur cette question.

Une autre proposition, faite par Costa, avec un complément de Brousse, est présentée aux délégués[7].

Après une très intéressante discussion, le Congrès adopte la résolution suivante de Costa et Brousse, contre laquelle vote seul le délégué de la Fédération jurassienne :


Considérant que, si la révolution sociale est, par sa nature même, internationale, et s’il est nécessaire pour son triomphe qu’elle s’étende à tous les pays, il y a néanmoins certains pays qui, par leur conditions économiques et sociales, se trouvent plus que les autres à même de faire un mouvement révolutionnaire,

Le Congrès déclare :

Qu’il est du devoir de chaque révolutionnaire de soutenir moralement et matériellement chaque pays en révolution, comme il est du devoir de l’étendre (??)[8], car par ces moyens seulement il est possible de faire triompher la révolution dans les pays où elle éclate.


Le quatrième point de l’ordre du jour est ensuite abordé : « Le Bureau fédéral pourrait-il trouver des moyens de propagande pour nos compagnons d’Égypte ? » Sur ce point, le Congrès déclare que le Bureau fédéral de l’Internationale pourra s’entendre à ce sujet avec la section d’Alexandrie, sur la demande de laquelle cette question a été mise à l’ordre du jour.


Quatrième séance (privée), vendredi 7 septembre, à deux heures.

Il est donné lecture d’une lettre des Sections belges du Centre, dont voici la teneur :

« Compagnons, Le Conseil régional belge ayant négligé de nous donner connaissance de la tenue du Congrès, nous n’avons pu en discuter l’ordre du jour dans nos sections, ni nous préparer à y envoyer un délégué. Réunis aujourd’hui en séance intime, nous ne pouvons laisser passer l’occasion de venir vous affirmer que nous partageons fermement les principes exposés et admis dans les Congrès antérieurs de l’Association internationale des travailleurs. Salut et révolution sociale. (Signé) : Fidèle Cornet, groupe des mécaniciens de Jolimont ; — Théophile Massart, J. Gillet, mécanicien, Maréchal, A. Massart, Waterlot, Hermant, Deschamps, section de Fayt ; — Lazare, section d’Haine-Mariemont. »

La proposition suivante est présentée au bureau :

« Nous, délégués de la Belgique, proposons au neuvième Congrès de l’Association internationale des travailleurs de rédiger une adresse de sympathie en faveur de nos frères victimes de leur énergie révolutionnaire dans les divers mouvements qui ont eu lieu, tels que : Notre-Dame-de-Kazan, Berne, Bénévent, Amérique, etc. Les délégués : Gérombou, Lurox, Malempré, Hubertine Ruwette, Simon, Montulet, Noël, Dompret, Delbars, Piette. »

Le Congrès, appelé à se prononcer sur cette proposition, vote la déclaration suivante :


Sur la proposition unanime des délégués belges, le Congrès général de l’Internationale, réuni à Verviers, manifeste par la présente déclaration sa sympathie et sa solidarité envers ceux de nos frères qui ont été victimes de leur énergie révolutionnaire dans les divers mouvements qui ont eu lieu cette année, entre autres à Bénévent, à Saint-Pétersbourg, à Berne, et aux États-Unis.


Une discussion s’engage ensuite sur la manière en laquelle doit être exécutée la décision prise l’année précédente, au Congrès de Berne, concernant une caisse centrale de propagande qui serait administrée par le Bureau fédéral (Voir ci-dessus p. 105). La proposition suivante est adoptée, comme adjonction à la décision du Congrès de Berne :


Les Fédérations détermineront elles-mêmes les moyens qu’elles jugeront convenables pour réunir la somme à verser à cette caisse de propagande.


L’ordre du jour appelle l’examen du programme du Congrès de Gand. Une discussion générale s’engage à ce sujet, et aboutit à la constatation d’une complète entente entre les délégués. La discussion spéciale sur les diverses questions du programme de Gand est renvoyée au lendemain.

La séance est levée à six heures et demie.

« Pendant cette séance, le commissaire de police de Verviers s’est rendu au local du Congrès et a fait prier les délégués de passer le lendemain matin à son bureau pour y faire constater leur identité. Cette cérémonie officielle s’accomplit le lendemain sans aucun incident digne de remarque, et le commissaire, ayant obtenu sur le lieu de naissance des délégués, leur profession, leur âge et la couleur de leurs cheveux, tous les renseignements qui l’intéressaient, put télégraphier au gouvernement belge que sa vigilance avait sauvé la patrie. »


Cinquième séance (publique), vendredi 7 septembre, à huit heures du soir.

Cette séance, tenue sous la forme d’une soirée familière, fut consacrée à l’audition des rapports des fédérations et sections. Les rapports suivants furent lus ou présentés verbalement :

Fédération de la vallée de la Vesdre ; — Section des femmes de Verviers ; — Fédération espagnole ; — Fédération française ; — Fédération italienne ; — Groupe des sections allemandes ; — Fédération jurassienne ; — Groupes socialistes russes ; — Groupes de la Grèce ; — Groupes d’Égypte.

Après la lecture de ces rapports, une discussion très intéressante s’engage sur les grèves, à propos de la grève de Seraing, dont Meunier fait le récit. La séance est levée vers minuit.


Sixième séance (privée), samedi 8 septembre, à neuf heures du matin.

Les procès-verbaux de la troisième et de la quatrième séance sont lus et adoptés.

Cette séance est spécialement consacrée à des questions administratives. Ce sont :

1° « Des moyens de publier le Compte-rendu du Congrès actuel. » — Il est décidé que les secrétaires du Congrès auront à s’entendre avec la rédaction du Mirabeau au sujet de cette publication.

2° « Liquidation des Comptes-rendus du Congrès général de 1874, tenu à Bruxelles. » — Il reste encore environ 300 exemplaires de ce Compte-rendu, dont les frais ont été jusqu’ici supportés exclusivement par la Fédération de la vallée de la Vesdre. Il est décidé que les 300 exemplaires restants seront mis au prix de 50 c., et que chaque Fédération régionale sera invitée à se charger d’en écouler un certain nombre.

3° « Frais du présent Congrès. » — Ces frais, s’élevant à 63 fr. 20, sont répartis séance tenante entre les Fédérations représentées.

4° « Quelle Fédération remplira les fonctions de Bureau fédéral de l’Internationale pour 1877-1878 ? » — Plusieurs Fédérations proposent la Belgique. La Fédération belge n’étant pas représentée dans son entier, il est proposé de charger provisoirement de ce mandat la Fédératiou de la vallée de la Vesdre, jusqu’à ce que la Fédération régionale belge, réunie en congrès, ait pu déclarer si elle accepte ou refuse les fonctions de Bureau fédéral.

Les délégués belges demandent la suspension de la séance pour pouvoir se concerter entre eux. À la reprise de la séance, ils annoncent qu’à l’unanimité ils acceptent la proposition de désigner Verviers comme siège provisoire du Bureau fédéral.

Il est proposé en outre, pour le cas où le Congrès régional belge ne ratifierait pas cette décision, de placer le Bureau fédéral en Espagne. Les délégués espagnols déclarent qu’ils pensent que leur Fédération serait disposée à accepter ce mandat, s’il lui était conféré.

5° « Pays où se tiendra le prochain Congrès général. » — La Suisse est désignée à l’unanimité.

La séance est levée à midi.


Septième séance (privée), samedi 8 septembre, à deux heures.

L’ordre du jour appelle la discussion sur chacune des six questions formant le programme du Congrès de Gand.

Un mémoire émanant d’une section de Genève a été envoyé au Congrès avec prière d’en prendre connaissance. Ce mémoire, destiné au Congrès de Gand, traite une à une les diverses questions du programme. Il est décidé de donner lecture de ses différents chapitres au cours de la discussion.

1re question du Congrès de Gand : « Des tendances de la production moderne au point de vue de la propriété ». — Après une longue discussion, la résolution suivante est adoptée :


Considérant que le mode de production moderne tend, au point de vue de la propriété, à l’accumulation des capitaux dans les mains de quelques-uns, et accroît l’exploitation des ouvriers ;

Qu’il faut changer cet état de choses, point de départ de toutes les iniquités sociales,

Le Congrès considère la réalisation de la propriété collective, c’est-à-dire la prise de possession du capital social par les groupes de travailleurs, comme une nécessité ; le Congrès déclare en outre qu’un parti socialiste vraiment digne de ce nom doit faire figurer le principe de la propriété collective, non dans un idéal lointain, mais dans ses programmes actuels et dans ses manifestations de chaque jour.


2e question du Congrès de Gand : « Quelle doit être l’attitude du prolétariat à regard des partis politiques ? » — À cette question, le Congrès en joint une autre qui s’y rattache, et qui a été proposée pour l’ordre du jour du Congrès de Verviers par la Fédération napolitaine : « De la conduite des socialistes révolutionnaires anarchistes vis-à-vis des partis politiques soi-disant socialistes ».

Après une discussion approfondie, qui a duré plusieurs heures, le Congrès vote la résolution suivante :


Considérant que la conquête du pouvoir est la tendance naturelle qu’ont tous les partis politiques, et que ce pouvoir n’a d’autre but que la défense du privilège économique ;

Considérant, d’autre part, qu’en réalité la société actuelle est divisée, non pas en partis politiques, mais bien en situations économiques : exploités et exploiteurs, ouvriers et patrons, salariés et capitalistes ;

Considérant, en outre, que l’antagonisme qui existe entre ces deux catégories ne peut cesser de par la volonté d’un gouvernement ou pouvoir quelconque, mais bien par les efforts réunis de tous les exploités contre leurs exploiteurs ;

Pour ces motifs :

Le Congrès déclare qu’il ne fait aucune différence entre les divers partis politiques, qu’ils se disent socialistes ou non : tous ces partis, sans distinction, forment, à ses yeux, une masse réactionnaire, et il croit de son devoir de les combattre tous.

Il espère que les ouvriers qui marchent encore dans les rangs de ces divers partis, instruits par les leçons de l’expérience et par la propagande révolutionnaire, ouvriront les yeux et abandonneront la voie politique pour adopter celle du socialisme révolutionnaire.


La séance est levée à sept heures.


Huitième séance (publique), samedi 8 septembre, à huit heures et demie du soir.

Cette séance, comme celle de la veille au soir, est tenue sous la forme d’une soirée familière.

La discussion sur le programme du Congrès de Gand est reprise.

3e question du Congrès de Gand : « De l’organisation des corps de métier ». — Cette question soulève une discussion très intéressante, de laquelle il résulte que, la grande industrie n’étant pas développée aujourd’hui d’une manière identique dans tous les pays, les corps de métier n’ont pas partout, au point de vue socialiste révolutionnaire, la même valeur. La résolution suivante est votée à l’unanimité :


Le Congrès, tout en reconnaissant l’importance des corps de métier, et en en recommandant la formation sur le terrain international, déclare que le corps de métier, s’il n’a d’autre but que l’amélioration de la situation de l’ouvrier, soit par la diminution des heures de travail, soit par l’augmentation du taux du salaire, n’amènera jamais l’émancipation du prolétariat ; et que le corps de métier doit se proposer, comme but principal, l’abolition du salariat, c’est-à-dire l’abolition du patronat, et la prise de possession des instruments de travail par l’expropriation de leurs détenteurs.


4e question du Congrès de Gand : « Pacte de solidarité à conclure entre les diverses organisations ouvrières socialistes ». — Le Congrès, reconnaissant qu’un pacte de solidarité ne peut être conclu entre l’Internationale et des organisations dont les principes et les moyens d’action diffèrent des siens sur des points essentiels, passe à l’ordre du jour.

5e question du Congrès de Gand : « De la fondation, dans une ville européenne, d’un Bureau central de correspondance et de statistique ouvrière, qui réunirait et publierait les renseignements relatifs aux prix de la main-d’œuvre, des denrées alimentaires, aux heures de travail, aux règlements de fabriques, etc. » — Le Congrès émet l’opinion que le Bureau fédéral de l’Internationale pourrait se charger de la mission énoncée dans la question ci-dessus, sans qu’il soit besoin de créer un nouveau bureau spécial.

6e question du Congrès de Gand : « De la valeur et de la portée sociale des colonies communistes, etc. » — Après un exposé historique de la question, lecture est faite de la résolution votée à ce sujet par le Congrès de Saint-Imier (voir p. 235). Le Congrès de Verviers décide de se rallier à cette résolution.

Il est entendu que les résolutions adoptées relativement au Congrès de Gand n’ont pas un caractère absolument impératif et que les délégués ne seront pas liés à leur texte, mais qu’elles indiquent seulement le point de vue auquel les délégués de l’Internationale ont résolu de se placer dans la discussion.

Toutes les questions du programme du Congrès de Gand ayant été examinées, la discussion sur les grèves est reprise, et se prolonge assez tard, mais sans aboutir au vote d’une résolution.

Il est décidé, pour terminer la séance, que les procès-verbaux qui n’ont pas pu être lus seront remis au bureau, qui les vérifiera. Puis la clôturer du Congrès est prononcée aux cris de Vive l’Internationale !

Le lendemain, dimanche, les délégués de l’Internationale prenaient congé de leurs amis de Verviers pour se rendre à Gand, après avoir promis que ceux d’entre eux qui le pourraient s’arrêteraient à Verviers au retour.

J’ai à parler maintenant du Congrès de Gand ; je le ferai en empruntant au Bulletin la relation, rédigée par moi, qui se trouve dans son numéro du 23 septembre 1877.


Le Congrès de Gand.

Lorsque les délégués de l’Internationale arrivèrent à Gand le dimanche 9 septembre, vers deux heures de l’après-midi, le grand cortège par lequel devait être inauguré le Congrès avait déjà eu lieu ; ce fut donc seulement de la bouche des socialistes gantois qu’ils en apprirent les détails[9]. Vers les neuf heures du matin, les corporations ouvrières de Gand s’étaient rassemblées ; précédées du drapeau rouge, et aux sons de la Marseillaise, elles s’étaient d’abord rendues sur la place où s’élève la statue de Jacques Artevelde, le célèbre brasseur de Gand, qui, après avoir pendant plusieurs années défendu les droits de cette commune contre le comte de Flandre, périt assassiné en 1345. Une couronne avait été déposée aux pieds de la statue ; puis le cortège s’était dirigé vers la gare, où il avait reçu les délégués arrivant de Bruxelles et d’Anvers[10].

Nous employâmes l’après-midi à nous chercher des logements ; et le soir nous nous rendîmes au concert qui avait été organisé en l’honneur des délégués au local du Congrès, au Parnasse. Ce local se composait d’une salle de théâtre à deux rangées de galeries, pouvant contenir environ un millier de personnes ; d’une salle étroite, longue et basse, destinée aux séances du Congrès, ne pouvant recevoir que cent personnes au plus ; et de deux ou trois petites pièces, propres aux travaux des commissions.

Du concert, il est douteux qu’aucun membre de l’Internationale ait gardé une impression quelconque, autre que celle d’un théâtre rempli d’une foule compacte écoutant des amateurs chanter et jouer des airs d’opéra ; car les idées étaient ailleurs : ce qui nous intéressait, c’était de savoir le nombre et la provenance des délégués déjà arrivés. Mais il nous fut impossible d’obtenir des détails un peu précis, et force fut d’attendre au lendemain pour savoir ce que serait le Congrès.

Le lundi matin, lorsque les délégués de l’Internationale se rendirent à la salle des séances, leur première impression, il faut le dire franchement, fut celle d’une déception. La foule de la veille avait disparu, et ils se trouvaient dans une salle étroite, mal disposée, où une cinquantaine de personnes seulement étaient réunies. Les délégués présents furent invités à remettre leurs mandats à une commission de vérification, qui se composa d’un membre pour chaque pays. La commission travailla à sa besogne jusqu’à midi, et proposa ensuite l’admission de tous les délégués présents.

Ces délégués formaient cinq groupes distincts. Le plus nombreux était le groupe flamand, composé de représentants de diverses corporations ouvrières ou sociétés de Gand, de Bruxelles et d’Anvers, et des Sections internationales de Bruxelles, de Gand, de Malines et d’Anvers. Au grand complet, ce groupe comptait vingt-sept délégués ; mais une douzaine d’entre eux seulement assistèrent régulièrement aux séances ; les autres ne tirent qu’une apparition, ou même ne vinrent pas du tout, Voici la liste de ces vingt-sept délégués : Bruxelles, Lug. Steens, De Bugger, Brismée[11], Fr. Goetschalck, De Paepe[12], Verschuren, Pira, Paterson, De Wit, Delporte, Mayeu, Bertrand ; Gand, Anseele, Van Beveren, Verbauwen, P. De Witte, Tetaert, Marisal, De Wachter, Cardon, De Backer ; Anvers, Ph. Coenen, G. Goetschalck, De Gratie ; Malines, Machtels ; Courtrai, Knockaert ; Liège, Slebach (ce dernier délégué doit être rangé dans le groupe flamand, quoique représentant une ville wallonne, parce qu’il vota constamment avec lui).

En second lieu venait le groupe des délégués de l’Internationale arrivant du Congrès de Verviers. Il comptait onze membres, savoir : Rodriguez [Soriano] et Mendoza [Morago], pour l’Espagne ; Paul Brousse et Jules Montels, pour la France ; Gérard Gérombou, pour Verviers ; Andrea Costa et Martini, pour l’Italie et la Grèce ; Rinke et Werner, pour l’Allemagne ; James Guillaume, pour le Jura ; Levachof [Kropotkine], pour la Russie.

Le troisième groupe était celui des Allemands, composé de Greulich, délégué de l’Arbeiterbund suisse ; Fränkel, délégué du Parti socialiste de Hongrie ; et Liebknecht, délégué du Parti socialiste d’Allemagne (Liebknecht n’arriva que le lundi après-midi, et ne resta que jusqu’au jeudi soir).

Le quatrième groupe était formé de deux Anglais : John Hales[13], délégué du Commonwealth Club, de Londres ; et Maltman Barry, délégué du Kommunistischer Arbeiterverein de Londres, et correspondant du journal le Standard[14].

Le cinquième groupe, enfin, se composait de cinq délégués assez difficiles à classer. C’étaient Bazin[15], un Français habitant Bruxelles et représentant un groupe français de Londres ; Zanardelli, un Italien représentant des groupes de Milan, de Palerme et de Mantoue, ou, plus exactement, la rédaction de deux journaux trop connus, le Povero et la Plebe ; un délégué d’un groupe de Puteaux près Paris, Bert (pseudonyme) ; un délégué d’un groupe de Lyon, Paulin (pseudonyme) ; enfin un délégué d’un groupe de Paris, Robin (pseudonyme).

Ces divers groupes, au premier coup d’œil, ne présentaient qu’une masse assez confuse ; mais dès que le Congrès aborda les questions de principes, on les vit s’ordonner, et deux camps opposés se formèrent : d’un côté les communistes autoritaires, partisans de l’État et de la politique parlementaire, qui eurent pour eux les flamands, les Anglais, les Allemands, plus Bazin, Bert et Robin ; de l’autre côté les collectivistes, c’est-à-dire les onze délégués de l’Internationale fédéraliste et anti-autoritaire. Deux indécis, Paulin et Zanardelli, restèrent flottants, votant tantôt avec les uns, tantôt avec les autres.


Le Congrès ouvrit sa première séance active le lundi après-midi, lorsque le travail de la commission de vérification des mandats fut terminé. Quarante-neuf délégués étaient reconnus ou annoncés ; mais il n’y en avait guère qu’une trentaine de présents.

Il fut procédé à la nomination du bureau, que l’on composa de trois présidents : Van Beveren, de Gand, Rodriguez [Soriano], d’Espagne, et Fränkel, de Hongrie, et de deux secrétaires : Levachof [Kropotkine], de Russie, et Steens, de Bruxelles.

Quant au mode de votation, le Congrès décida qu’on voterait par tête, mais que les votes n’auraient d’autre caractère que celui d’un recensement des opinions, et ne constitueraient point des décisions liant les délégués.

Une discussion assez vive s’engagea sur la question de savoir si les séances devaient être publiques. Les délégués de Gand insistaient pour que toutes les séances fussent absolument privées. De Paepe réclama au contraire la publicité des débats, et son point de vue fut appuyé par les délégués de l’Internationale. Ce fut la proposition de De Paepe qui l’emporta, et les séances du Congrès furent déclarées publiques ; mais elles ne le furent que de nom, car le public ne brilla que par son absence ; en dehors de trois ou quatre journalistes, pas un seul auditeur n’assista aux débats du Congrès, et c’est une des particularités qui frappèrent le plus les délégués de l’Internationale.

Lorsqu’il fallut aborder l’ordre du jour, on reconnut de part et d’autre qu’il ne pouvait être question de s’occuper d’un pacte de solidarité avant d’avoir au préalable échangé ses idées sur les principes. D’un commun accord, les six points du programme du Congrès furent donc classés dans l’ordre où ils avaient été discutés à Verviers, qui était l’ordre logique.

Le soir, il y eut meeting dans la salle du théâtre. Les délégués étaient placés sur la scène, et un public composé d’un millier d’auditeurs environ s’était installé au parterre et sur les galeries. Les orateurs qui haranguèrent ce public étaient tous des Belges, sauf Greulich, qui fit un discours en allemand. Le comité d’organisation avait prié spécialement les délégués de l’Internationale de s’abstenir de prendre la parole, de crainte qu’une note discordante ne vînt troubler le concert, car, disaient les organisateurs, « la propagande que nous faisons à Gand est d’une nature spéciale, et il est nécessaire que ceux qui voudront parler au public s’entendent au préalable avec le comité, qui se réserve de donner le ton des discours ». Comme on le pense bien, les délégués de l’Internationale ne voulurent pas chagriner le comité de Gand en jouant le rôle de trouble-fêtes ; ils ne parlèrent donc pas au meeting, se réservant pour les séances du Congrès, qui, selon la décision prise l’après-midi, devaient être publiques, — et qui restèrent en réalité, comme il a été dit, des réunions privées, grâce à l’indifférence des ouvriers de Gand ou à un mot d’ordre donné par une autorité inconnue.


La j.ournée du mardi fut consacrée à la discussion de la première question du programme : Des tendances de la production moderne au point de vue de la propriété.

Lorsque cette question avait été proposée à Berne l’année précédente comme l’une de celles qu’il importait de placer à l’ordre du jour du Congrès de Gand, on s’était fait de ce Congrès une idée bien différente ; on se le figurait comme une réunion à laquelle accourraient de l’Europe entière des représentants de toutes les organisations ouvrières quelles qu’elles fussent, et on pouvait s’attendre à ce que, parmi ces représentants, il se trouverait de nombreux défenseurs de la propriété individuelle. Dans cette perspective, il avait paru important de s’expliquer avant tout sur la question de la propriété, qui pouvait, mieux que toute autre, servir de pierre de touche pour se reconnaître de part et d’autre. Mais maintenant les choses se présentaient de manière bien différente : les seuls qui eussent répondu à l’appel des socialistes belges étaient des hommes dont l’opinion était déjà connue comme favorable à la propriété collective ; les organisations dont l’opinion, sur ce point, eût pu être douteuse ou hostile, n’avaient point envoyé de délégués au Congrès : en sorte que celui-ci formait, non plus une réunion représentant réellement l’ensemble du mouvement ouvrier avec toutes ses diversités de tendances et de principes, mais seulement une réunion de partisans de la propriété collective, divisés néanmoins entre eux sur un point important, les uns étant des autoritaires, c’est-à-dire des communistes d’État, les autres des anti-autoritaires, c’est-à-dire des collectivistes, ou autrement dit des communistes anarchistes (fédéralistes).

Les choses étant ainsi, la discussion sur la propriété ne pouvait offrir l’intérêt qu’elle eût présenté si le Congrès eût compté parmi ses membres des partisans de la propriété individuelle. Néanmoins quelques explications assez importantes pouvaient être et furent en effet échangées entre les communistes et les collectivistes, non sur la question de la propriété elle-même, mais sur le mode d’organisation de la propriété commune ou collective. Dans la séance du matin, Greulich et De Paepe, d’un côté, Guillaume et Brousse de l’autre, exposèrent leur manière de voir à ce sujet.


Greulich et De Paepe soutinrent que la propriété devait rentrer tout entière aux mains de l’État ; mais ils représentèrent cette transformation comme ne pouvant s’opérer que lentement, par une série de réformes législatives dont le résultat serait de transformer, au bout de quelques siècles, la société bourgeoise en société communiste (toutefois De Paepe admettait aussi, parmi les éventualités possibles, la transformation par voie de révolution). Parmi les mesures propres à opérer cette transformation, De Paepe rangeait même la participation des ouvriers aux bénéfices, si cette participation se généralisait et était pratiquée loyalement.

Greulich, développant son point de vue, dit que le capital devait appartenir à l’État, c’est-à-dire à l’ensemble ou à la communauté (Gesammtheit), parce que c’est le seul moyen de supprimer le salariat, et de régler d’une manière normale la production ; si les instruments de travail étaient la propriété, non de l’ensemble, mais des groupes de producteurs, cela constituerait un monopole au profit de ces groupes : on aurait rétabli quelque chose de semblable aux anciennes corporations, au détriment des consommateurs. Il faut qu’il existe, au-dessus des intérêts particuliers des individus et des groupes, un représentant de l’intérêt général : ce représentant, c’est l’État, qui, pour pouvoir intervenir dans les conflits possibles entre les intérêts spéciaux, doit être armé de ces mêmes moyens coercitifs (Machtmittel) qu’il possède aujourd’hui. Sans cela, et avec l’autonomie des groupes, on n’aboutirait qu’à une société où, comme à présent, chacun tirerait de son côté, où aucune solidarité n’existerait ; un groupe dirait aux autres : « Vous voulez faire une statistique générale pour régler la production ? mais moi je me moque de votre statistique, je n’en veux pas ». Que ferait-on en présence d’un cas semblable ? Ne faudra-t-il pas que la volonté populaire, exprimée au moyen d’un vote général, prononce sur le conflit, et que le gouvernement soit chargé d’imposer cette volonté aux récalcitrants ?

Brousse et Guillaume, répondant à Greulich et à De Paepe, dirent que ceux-ci oubliaient, dans l’organisation de leur société communiste, un élément essentiel, la liberté. Si la propriété passe simplement des mains des capitalistes aux mains de l’État, le salariat est à la vérité transformé, mais non aboli : le travailleur deviendra le salarié de l’État, et ne sera pas plus libre qu’il ne l’était dans la fabrique du capitaliste. La crainte de voir les groupes qui détiendraient les instruments de travail s’en faire un monopole et exploiter les consommateurs, est chimérique ; car si, d’une part, la prise de possession du capital par les groupes constitue un fait révolutionnaire nécessaire et le point de départ de toute l’organisation sociale nouvelle, il ne faut pas perdre de vue qu’immédiatement ces groupes seront forcés de s’entendre entre eux pour se garantir mutuellement cette possession, de se concerter, de se faire des concessions, de jeter, en un mot, les bases d’un contrat réglant les conditions de la production et de l’échange : ce contrat placera les groupes dans une dépendance mutuelle à l’égard les uns des autres, et la constitution d’un monopole au profit d’un groupe serait chose complètement impossible. Quant à la supposition d’un groupe qui voudrait s’isoler de la société, faire bande à part, et qui dirait aux autres groupes : « Je me moque de votre statistique », c’est une hypothèse absurde ; et si quelques insensés essayaient d’une pareille tentative, la force des choses les aurait ramenés à la raison au bout de quelques jours.

De Paepe fait quelques objections au système de la possession des instruments de travail par les groupes ; il craint qu’il surgisse de là des contestations, des conflits. Le meilleur moyen de créer, dans la société, la dépendance mutuelle des producteurs, ce sera le fait que la propriété appartient à l’ensemble, mais que telle corporation peut seule la faire fructifier. De Paepe reconnaît du reste que l’harmonie sociale résultera de contrats à établir, d’une part, entre chaque groupe et l’ensemble, d’autre part entre les divers groupes spécialement intéressés à telle ou telle affaire : il est en désaccord ici avec Greulich, pour qui le vote populaire est le moyen unique et infaillible de résoudre toutes les questions. Il reconnaît aussi que l’État populaire pourrait effectivement, dans certains pays et pendant un certain temps, n’être qu’un État de salariés ; et un État de salariés, s’il devait se perpétuer sous cette forme, mériterait, dit-il, d’être renversé par le peuple tout comme l’État bourgeois ; mais, aux yeux de De Paepe, ce ne sera là qu’une phase transitoire imposée peut-être par les circonstances, et, dès que les associations de producteurs auront pu être constituées, l’État cessera de faire travailler directement les ouvriers, et remettra aux associations elles-mêmes les instruments de travail, pour les faire fructifier aux conditions qui auront été stipulées entre lui et les groupes de travailleurs. — Comme on le voit, la théorie de De Paepe tient le milieu entre celle qu’a développée Greulich et celle que défendent les anarchistes.


La discussion, qui avait été un peu languissante et froide le matin, parce qu’elle avait roulé exclusivement sur des choses abstraites, s’anima dans la séance de l’après-midi : Fränkel, Anseele, Gérombou, Mendoza [Morago] prirent la parole et traitèrent la question d’une façon plus vivante, mais sans toutefois que de nouveaux arguments fussent apportés de part ni d’autre. Deux résolutions, résumant les deux courants d’idées qui s’étaient manifestés dans le débat, furent déposées, l’une par Hales, Fränkel et Greulich, l’autre par Montels et Gérombou ; et le Congrès décida de tenir encore une séance le soir pour voter sur les deux propositions en présence.

Le mardi soir, les deux résolutions furent mises aux voix.

Celle de Hales, Fränkel et Greulich était ainsi conçue :


Considérant qu’aussi longtemps que la terre et les autres instruments de production, qui sont les moyens de la vie, sont détenus et appropriés par des individus ou des groupes, la sujétion économique de la masse du peuple avec toute la misère qui en résulte doit continuer, le Congrès déclare qu’il est nécessaire que l’État ou la commune[16], représentant et comprenant la totalité du peuple, possède la terre et les autres instruments de travail.


Les délégués qui se rallièrent à cette proposition furent les Allemands, Greulich, Liebknecht et Fränkel ; les Anglais, Barry et Hales ; les Flamands, Van Beveren, Anseele, De Witte, Steens, Coenen, Verbauwen, De Paepe, Bertrand, Brismée ; et deux membres du groupe des divers : en tout, seize.

La résolution présentée par Montels et Gérombou était rédigée en ces termes :


Considérant que le mode actuel de production amène la concentration de la richesse sociale aux mains de quelques-uns, et, par suite, toutes les iniquités sociales,

Nous pensons :

Que les travailleurs doivent s’emparer de cette richesse sociale pour la transformer en propriété collective des groupes producteurs fédérés.


Elle eut pour elle les voix des délégués de l’Internationale venant de Verviers (moins celle de Levachof, qui avait dû quitter le Congrès pour une affaire personnelle).

Une troisième résolution fut présentée par l’Italien Zanardelli, qui n’avait pu se décider à voter ni avec les uns ni avec les autres. La voici :


Considérant que la production tend de plus en plus d’augmenter dans l’intérêt du capitaliste et contre les intérêts de l’ouvrier, et que cela vient de ce que c’est le capitaliste qui est le propriétaire de la terre, des outils et des machines ;

Considérant que ce ne sont pas les tendances de la production moderne qui sont dangereuses, mais le fait de la propriété individuelle,

Le Congrès propose que la terre et les instruments de travail deviennent propriété collective, sans en établir d’avance les formes et les conditions.


Cette résolution n’obtint que la voix de son auteur et celle d’un délégué de Bruxelles.

Il est bon de faire remarquer que les délégués de l’Internationale représentaient huit pays différents ; tandis que, sur les seize voix qui s’étaient prononcées pour la première résolution, il y en avait neuf (plus de la moitié) qui appartenaient à un seul et même pays, la Belgique.

Le vote achevé, on se sépara, en remettant au lendemain la discussion sur la question politique.


J’interromps ici le compte-rendu que j’emprunte au Bulletin, pour expliquer ce que c’était que l’affaire personnelle qui obligea Kropotkine à quitter brusquement le Congrès. Il l’a racontée lui-même dans ses Mémoires, en ces termes :

« Le Congrès de Gand finit pour moi d’une manière inattendue. Trois ou quatre jours après qu’il eut commencé[17], la police belge apprit qui était Levachof, et reçut l’ordre de m’arrêter pour une contravention aux règlements de police que j’avais commise en prenant à mon hôtel un nom d’emprunt. Mes amis belges me donnèrent l’alarme : ils affirmaient que le ministère clérical qui était au pouvoir était capable de me livrer à la Russie, et insistèrent pour que je quittasse le Congrès sur le champ. Ils ne voulurent pas même me laisser retourner à mon hôtel ; Guillaume me barra le chemin, me disant que j’aurais à employer la force contre lui si j’insistais pour rentrer chez moi. Je dus suivre quelques camarades de Gand, auxquels on me confia ; et à peine me trouvais-je avec eux que des appels étouffés et des sifflets partirent de tous les coins d’une grande place obscure sur laquelle étaient épars quelques groupes d’ouvriers. Cela avait un air d’effrayant mystère. Enfin, après beaucoup de pourparlers à voix basse et de coups de sifflets en sourdine, un groupe de camarades m’escorta jusque chez un ouvrier démocrate socialiste, chez lequel je devais passer la nuit, et qui, bien que je fusse anarchiste, me reçut comme un frère, de la façon la plus touchante. Le lendemain matin, je partis une fois de plus pour l’Angleterre, à bord d’un vapeur. »

C’est le mardi soir que nous parvint l’avis à la suite duquel nous obligeâmes Kropotkine à quitter la Belgique. Le Congrès allait rentrer en séance ; je tins conseil avec De Paepe, Brismée, Anseele ; ce dernier fit sur-le-champ appeler un camarade sur, qui se chargea de trouver à Kropotkine une retraite où il pût passer la nuit, en attendant de partir pour Londres, par Ostende, le lendemain à la première heure. Kropotkine et moi nous nous rendîmes avec ce camarade jusqu’à la grande place sombre dont il parlé, et où nous trouvâmes quelques ouvriers de nos amis ; et comme, au dernier moment, il hésitait à se séparer de moi pour suivre ces braves gens, en m’assurant que j’exagérais le danger et que ce départ précipité n’était pas nécessaire, je lui fis la réponse qu’il a rapportée et qui le détermina à céder à mes instances.


Le mercredi matin fut étudiée la seconde question : De l’attitude du prolétariat à l’égard des divers partis politiques. Là, comme sur la question de la propriété, il y avait un point essentiel sur lequel tous les membres du Congrès étaient d’accord, et un autre non moins essentiel sur lequel ils devaient se diviser.

Le point sur lequel l’accord existait, c’est que le prolétariat n’a rien à attendre des partis politiques bourgeois, et qu’il doit les combattre tous. Mais aussitôt se manifesta la dissidence, les uns disant : Pour combattre les partis bourgeois, le prolétariat doit se constituer lui-même en parti politique, et visera s’emparer de l’État ; les autres disant au contraire : Pour combattre les partis bourgeois, le prolétariat doit viser à détruire l’État au moyen d’une révolution sociale, et s’abstenir de participer à la politique parlementaire où il jouera toujours un rôle de dupe.

Un incident assez vif marqua le début de la discussion. Zanardelli donna lecture d’un long rapport écrit en français, émaillé d’antithèses et autres fleurs de rhétorique, et dont plusieurs reconnurent bien vite l’auteur anonyme[18] (car le style trahit toujours l’homme). Ce rapport, au lieu de rester dans la question de principe, faisait des personnalités contre les internationaux italiens, et appliquait entre autres l’épithète d’intrigants aux insurgés du Bénévent et à leurs amis. D’énergiques protestations se firent aussitôt entendre, et — chose que le Bulletin tint à constater — pas une voix ne s’éleva pour prendre la défense de Zanardelli, qui put s’apercevoir qu’il avait décidément passé la mesure. Aussi, dans l’après-midi du même jour, remit-il à Costa une déclaration écrite, un formel désaveu, portant que rien, dans ce qu’il avait lu au Congrès, ne pouvait s’appliquer aux insurgés du Bénévent ni à leurs amis. Cette rétractation fut ensuite répétée publiquement et insérée au procès-verbal.

Le reste de la matinée fut consacrée à entendre des délégués qui presque tous (Costa, Montels, Brousse) parlèrent contre la participation à la politique parlementaire et en montrèrent les dangers. L’après-midi, un délégué espanol, Rodriguez [Soriano], retraça le tableau de l’histoire politique de l’Espagne depuis la révolution de 1868, et fit voir, avec une grande force de logique, comment les socialistes espagnols se sont trouvés amenés à adopter la ligne de conduite qu’ils suivent aujourd’hui. D’autres délégués parlèrent ensuite en faveur de la participation à la politique parlementaire (Hales, Anseele, Greulich, Brismée) ; ils déclarèrent qu’ils n’envisageaient pas ce mode d’action comme un moyen d’émanciper radicalement le prolétariat, mais qu’ils y voyaient une occasion d’agir sur le peuple, de l’intéresser à ses propres affaires, de l’organiser en une force capable de lutter contre ses adversaires. La journée allait finir sans que rien fût venu passionner le débat, qui commençait à se traîner dans des redites, lorsqu’un incident vint tout à coup remuer l’assemblée et mettre aux prises les deux partis d’une façon violente :


James Guillaume avait demandé la parole. Répondant à Greulich, il avait qualifié comme elle le mérite la tactique de certains meneurs de l’Arbeiterbund suisse ; il avait rappelé à quels résultats la politique avait conduit les ouvriers genevois qui ont été assez aveugles pour se confier à des chefs que l’ambition et l’intérêt personnel animaient seuls ; il avait indiqué enfin de quelle façon la Fédération jurassienne entend participer à la politique, l’attitude qu’elle observe à l’égard des partis bourgeois, et expliqué les motifs pour lesquels elle ne s’est pas enthousiasmée à propos du projet de loi sur les fabriques. Puis, passant à l’Allemagne, il avait tracé un parallèle entre l’Allemagne et la France ; montré la France faisant au dix-huitième siècle une révolution unitaire et jacobine, et conduite ensuite, par son développement historique, à l’idée de la destruction de l’État centralisé, à l’idée de l’autonomie communale, — idée qui s’est manifestée avec tant de force dans la révolution de 1871. L’Allemagne, au contraire, est encore engagée dans une phase que la France a laissée derrière elle ; l’Allemagne achève à peine de réaliser son unité politique, et elle marche vers une république centralisée, tandis que la France est devenue fédéraliste. Il rappelle à Liebknecht les paroles prononcées par celui-ci en 1872 devant le jury de Leipzig : « Je suis l’adversaire de toute espèce de république fédérative ». Cette période de politique centralisatrice que traverse l’Allemagne est nécessaire sans doute ; et ainsi s’explique le succès qu’obtient le parti des démocrates socialistes d’Allemagne, qui représente à la fois et les revendications économiques du prolétariat, et les aspirations populaires vers une république démocratique et unitaire. Parlant ensuite des dernières élections au Reichstag, Guillaume dit que le programme électoral des socialistes allemands a été, dans un grand nombre de cas, atténué de façon à ce qu’il pût être plus facilement accepté par la masse des électeurs ; que les réformes d’un caractère purement politique (réformes dans le service militaire, instruction gratuite et obligatoire, réformes dans les tribunaux, etc.) ont été mises au premier plan, tandis que les questions qui doivent former l’essence même d’un programme socialiste, telles que celle de la propriété, ont été le plus souvent laissées prudemment de côté.

Ici Liebknecht, qui n’avait pas encore parlé depuis son arrivée, se lève ; il ne peut pas se taire plus longtemps. Il proteste avec véhémence (en allemand), et dit que l’assertion de Guillaume, relativement à la façon dont le programme des démocrates socialistes d’Allemagne aurait été présenté aux électeurs lors des dernières élections, est un mensonge.

Guillaume répond qu’il fournira des preuves, et qu’en attendant il renvoie à Liebknecht son démenti.

Liebknecht, poursuivant, affirme que les socialistes d’Allemagne n’ont jamais caché leur drapeau, et ajoute que, quant à la discussion elle-même, il est résolu à ne pas y prendre part, parce qu’il est venu pour voir s’il y aurait moyen de faire sortir de ce Congrès quelque organisation pratique, et non pour disserter sur des questions théoriques oiseuses. En terminant, il déclare que, dans un premier mouvement de vivacité, il a employé une expression qu’il regrette, et qu’il retire en conséquence le mot de mensonge prononcé par lui.

Guillaume dit que, bien que n’ayant sous la main que fort peu de documents, il démontrera cependant, dans la séance du lendemain, que son assertion repose sur des faits.

La séance est levée ensuite au milieu d’une vive agitation.


Le soir, Liebknecht devait faire, dans la salle du théâtre, une conférence publique (en allemand), qui avait été annoncée par voie d’affiches. « Cette conférence eut lieu en effet ; mais aucun des délégués de l’Internationale n’y ayant assisté, nous ne pouvons renseigner nos lecteurs sur ce qu’a dit le conférencier : il ne pouvait du reste rien nous apprendre de bien nouveau, les vues et la tactique du Parti socialiste d’Allemagne étant suffisamment connues. »


Au début de la séance du jeudi matin, l’incident Liebknecht-Guillaume, resté en suspens depuis la veille, fut vidé :


Entre autres preuves à l’appui de son assertion concernant le programme électoral, Guillaume produisit un fragment du compte-rendu du dernier Congrès de Gotha publié par la Berliner Freie Presse[19]. Ce compte-rendu met dans la bouche du délégué Most (député au Reichstag) les paroles suivantes à l’égard des élections : « En général, on s’est tenu presque partout sur la réserve autant qu’il a été possible... On ne pouvait même plus reconnaître dans les programmes [électoraux] la couleur du socialisme. (Ud im Allgemeinen hat man ja fast allenthalben sich so zurückhaltend wie möglich bewegt... Die Farbe des Socialismus konnte man in den Programmen nicht einmal erkennen.) »

Liebknecht, s’adressant à Guillaume, lui dit : « Jugeant des choses d’après ce passage, vous étiez en droit de parler comme vous l’avez fait (Sie waren berechligt so zu sprechen wie Sie gesprochen haben) » ; mais il ajouta que le sens des paroles de Most avait été mal rendu par la Berliner Freie Presse[20], et qu’en outre les observations présentées par Most au Congrès de Gotha avaient été séance tenante réduites à leur juste valeur par d’autres délégués. L’incident est ensuite déclaré clos.


Coenen, d’Anvers, propose de renvoyer à plus tard la suite de la discussion sur la politique, ainsi que la troisième question, et d’aborder immédiatement la quatrième question, celle du pacte de solidarité ; il se fonde sur ce que plusieurs délégués, entre autres Liebknecht, n’ont plus qu’un jour à rester au Congrès, et qu’il est important de discuter la question du pacte avant leur départ.

La proposition de Coenen ne rencontrant pas d’opposition, la quatrième question, Pacte de solidarité à conclure entre les diverses organisations ouvrières et socialistes, est mise en discussion.

Le reste de la séance du matin et toute celle de l’après-midi sont consacrés à ce débat. Greulich déclare qu’il n’est pas possible de songer à réunir dans une organisation commune deux tendances aussi opposées que celles qui se trouvent en présence à ce Congrès. Fränkel parle dans le même sens. De Paepe, par contre, croit que, malgré les divergences, il est possible de trouver entre les deux tendances assez de points communs pour qu’un pacte de solidarité puisse s’établir : ce pacte, tout en laissant à chacun la liberté de suivre sa voie propre, empêcherait le parti socialiste de se scinder définitivement en deux camps hostiles. Costa, Brousse, et plusieurs autres, disent qu’ils ont dû constater qu’il n’y a pas de rapprochement possible ; que les deux tendances sont condamnées à se combattre, et que tout ce qu’on peut souhaiter, c’est que la lutte se fasse à armes loyales, et que des outrages comme ceux qui ont été lancés par le Vorwärts et la Tagwacht contre des socialistes italiens, russes et allemands ne se renouvellent plus.

James Guillaume dépose sur le bureau une proposition dont on trouvera le texte ci-après et qui porte les signatures de Brousse, Costa, Rodriguez [Soriano], Werner, Gérombou et Guillaume.

Liebknecht demande la clôture. Elle est votée par quinze voix contre treize. Ont voté pour la clôture : Liebknecht, Fränkel, Greulich, Maltman Barry, Auseele, Bertrand, Cardon, Coenen, De Witte, Paterson, Steens, Van Beveren, Verbauwen, Bazin, Robin (pseudonyme). Ont voté contre : Rodriguez [Soriano], Mendoza [Morago], Guillaume, Costa, Martini, Rinke, Werner, Brousse, Montels, Gérombou, Paulin (pseudonyme), Zanardelli, De Paepe.

Un des délégués espagnols, Mendoza [Morago], proteste contre cet étranglement de la discussion, et quitte la salle. Pour faire droit à de justes et vives réclamations, la parole est encore donnée à Paulin (pseudonyme), à Zanardelli et à Rodriguez [Soriano].

Il est ensuite passé au vote sur le projet de résolution présenté par Guillaume. Cette résolution se compose de deux alinéas, qui sont mis aux voix séparément. Le premier alinéa est ainsi conçu :


Le Congrès reconnaît qu’un pacte de solidarité, qui implique nécessairement identité dans les principes généraux et dans le choix des moyens, ne peut être conclu entre des tendances qui ont des principes et des moyens différents.


Ont voté contre (c’est-à-dire ont déclaré, par là, qu’ils croient à la possibilité d’un pacte de solidarité à conclure entre les tendances divergentes représentées au Congrès) : Anseele, Bertrand, Cardon, Coenen, De Paepe, De Witte, Paterson, Van Beveren, Verbauwen (9).

Ont voté pour (c’est-à-dire ont déclaré le pacte de solidarité impossible) : Rodriguez [Soriano], Guillaume, Costa, Martini, Rinke, Werner, Brousse, Montels, Gérombou, Fränkel, Greulich (11).

Se sont abstenus : Liebknecht, Maltman Barry, Brismée, Steens, Bazin, Bert (pseudonyme), Paulin (pseudonyme), Robin (pseudonyme), Zanardelli.

Mendoza [Morago], Hales et Levachof [Kropotkine] étaient absents.

Le second alinéa est conçu en ces termes :


Le Congrès émet le vœu que, dans le sein du parti socialiste de toutes nuances, on évite de retomber dans les attaques et les insinuations calomnieuses qui se sont malheureusement produites de part et d’autre ; et, tout en reconnaissant à chaque fraction le droit de critique raisonnée sur les autres fractions, il recommande aux socialistes le respect mutuel que se doivent des hommes ayant le sentiment de leur dignité et la conviction de leur sincérité réciproque.


Ce second alinéa est adopté à l’unanimité.

La séance de l’après-midi est ensuite levée.


Le jeudi soir, un certain nombre de délégués s’assemblèrent en une réunion privée, et décidèrent, puisque le pacte de solidarité entre la totalité des organisations représentées au Congrès avait été reconnu impossible, de conclure entre quelques-unes de ces organisations un pacte spécial. La réunion dont nous parlons se composait des délégués flamands, allemands et anglais, plus deux ou trois autres ; aucun des délégués de l’Internationale (Congrès de Verviers) n’y assistait. Une résolution fut prise, portant que les organisations dont ces délégués étaient les représentants s’engageaient à s’assister moralement et matériellement dans toutes leurs entreprises, et qu’un bureau fédéral serait établi à Gand pour servir de lien entre elles.

Ainsi s’est trouvé constitué, en face de l’Association internationale des travailleurs, un groupement nouveau, qui n’est pas une association, car ce groupement n’a pas de statuts, mais qui constitue néanmoins à l’état de parti spécial les diverses organisations dont le programme est analogue à celui des socialistes d’Allemagne.


Le vendredi matin, la discussion de la deuxième question, la politique, fut reprise. Werner, qui n’avait pu obtenir la parole la veille, fit un excellent discours (en allemand), rempli de faits, dans lequel il analysa le programme, la tactique et l’organisation intérieure du Parti démocrate socialiste d’Allemagne ; il expliqua les motifs qui ont porté un certain nombre d’ouvriers allemands à se détacher de ce parti pour tendre la main à l’Internationale fédéraliste et révolutionnaire. Ce discours de Werner, écouté avec beaucoup d’attention par tous les membres du Congrès, parut faire une grande impression, et ni Greulich, ni Fränkel (Liebknecht était parti) n’essayèrent de répondre.

Quatre propositions furent déposées relativement à la deuxième question ; et, la discussion s’étant terminée vers onze heures, ces propositions purent être mises aux voix dans la même séance.

La première résolution, qui avait été présentée par Zanardelli, était un bizarre salmigondis, parlant de « propagande dans les tribunaux et dans les parlements jusqu’à la barricade », et de la préférence à donner « à l’insurrection à l’état mûr comme plus prompt, efficace et résolutif ». Cet amphigouri inintelligible obtint trois voix, celles de son auteur, de Paulin (pseudonyme) et de De Paepe.

En second lieu vint une proposition de la délégation espagnole : celle-ci, liée par son mandat impératif, se trouvait obligée de présenter au Congrès le texte de la résolution dont elle était porteur, avant de pouvoir se rallier au texte de la proposition rédigée d’un commun accord par les autres délégués venant du Congrès de Verviers. À la suite d’assez longs considérants, la résolution espagnole disait que « pour aboutir à la révolution sociale, il faut faire l’agitation insurrectionnelle de fait et de propagande ». Outre la voix de Rodriguez [Soriano] (Mendoza [Morago] était absent), elle eut, comme la précédente, la voix de Paulin (pseudonyme), et aussi celle de De Paepe, dont l’éclectisme paraissait décidé à tout accepter. Maltman Barry et Greulich votèrent contre. Tous les autres délégués s’abstinrent.

Vint ensuite une troisième résolution, présentée par quelques-uns des délégués de l’Internationale, et ainsi conçue (c’était la résolution du Congrès de Verviers, mais rédigée en termes plus clairs) :


Considérant que la conquête du pouvoir est la tendance naturelle de tous les partis politiques, et que ce pouvoir ne saurait avoir d’autres conséquences que de créer des situations privilégiées ;

Considérant, d’autre part, qu’en réalité la société actuelle est divisée, non pas en partis politiques, mais bien en situations économiques : en exploités et exploiteurs, ouvriers et patrons, salariés et capitalistes ;

Considérant, en outre, que l’antagonisme qui existe entre ces deux classes ne peut cesser par la volonté d’aucun pouvoir politique, mais bien par les efforts réunis de tous les exploités contre leurs exploiteurs,

Nous croyons de notre devoir de combattre tous les partis politiques, qu’ils s’appellent ou non socialistes, en espérant que les ouvriers qui marchent encore dans les rangs de ces divers partis, éclairés par l’expérience, ouvriront les yeux et abandonneront la voie politique pour adopter celle du socialisme anti-gouvernemental.


Cette résolution allait, mieux que les deux précédentes, permettre aux deux partis en présence de s’affirmer nettement ; De Paepe lui-même se vit contraint de renoncer cette fois à son syncrétisme, et dut voter contre nous.

Votèrent oui : Rodriguez [Soriano], Guillaume, Costa, Rinke, Werner, Brousse, Montels, Gérombou. (Mendoza [Morago], Martini et Levachof, qui eussent voté oui, étaient absents.)

Votèrent non : 1o  les Flamands : Anseele, Bertrand, Cardon, Coenen, De Paepe, De Witte, Paterson, Slebach, Steens, Van Beveren, Verbauwen ; 2o  les Allemands : Fränkel et Greulich (Liebknecht était parti) ; 3o  un Anglais : Maltman Barry (Hales était absent) ; 4o  quatre membres du groupe des divers : Bazin, Bert (pseudonyme), Robin (pseudonyme), Zanardelli.

Paulin (pseudonyme) s’abstint.


Enfin la quatrième résolution, rédigée par Coenen, fut à son tour mise aux voix. La voici :


Considérant que l’émancipation sociale est inséparable de l’émancipation politique,

Le Congrès déclare que le prolétariat, organisé comme parti distinct opposé à tous les autres partis formés par les classes possédantes, doit employer tous les moyens politiques tendant à l’émancipation sociale de tous ses membres.


Sur cette résolution, qui formait la contre-partie de la résolution précédente, les voix se groupèrent comme suit :

Oui : 1o  les Flamands : Anseele, Bertrand, Cardon, Coenen, De Paepe, De Witte, Paterson, Slebach, Steens, Van Beveren, Verbauwen ; 2o  les Allemands : Fränkel, Greulich (Liebknecht absent) ; 3o  un Anglais : Maltman Barry (Hales absent) ; 4o  tout le groupe des divers : Bazin, Bert (pseudonyme), Paulin (pseudonyme), Robin (pseudonyme), Zanardelli.

Non : Kodriguez [Soriano], Guillaume, Costa, Rinke, Werner, Brousse, Montels, Gérombou, (Mendoza [Morago], Martini et Levachof absents.)

Pas d’abstention.

La séance fut ensuite levée.


La séance du vendredi après-midi fut consacrée à l’examen de la quatrième question : De l’organisation des corps de métier. Sur cette question, il y eut accord général ; Costa fit seulement observer qu’en Italie, où la grande industrie n’est encore que très peu développée, les corps de métier n’ont pas la même importance qu’ailleurs, et que ceux qui y existent sont pour le socialisme des obstacles plutôt que des alliés.

La résolution suivante, rédigée d’un commun accord par Coenen, Fränkel et Rodriguez [Soriano], fut mise aux voix :


Le Congrès déclare que dans la lutte économique contre les classes possédantes, il est nécessaire que l’on fédère internationalement les corps de métier, et engage ses membres à faire tous leurs efforts dans ce but.


Cette résolution rallia l’unanimité des voix, sauf celle de Costa, qui s’abstint.

Outre cette résolution, le Congrès vota encore celle-ci :


Considérant que les corps de métier, dans la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme, sont un des plus puissants leviers de l’émancipation des travailleurs,

Le Congrès engage toutes les catégories d’ouvriers qui ne sont pas encore organisées, à se constituer en associations de résistance, tout en reconnaissant que le but de toutes les organisations ouvrières doit être l’abolition complète du salariat.


Le Congrès passa à la cinquième question : Création d’un bureau central de correspondance et de statistique ouvrière, qui réunirait et publierait les renseignements relatifs aux prix de la main d’ œuvre, des denrées alimentaires, aux heures de travail, aux règlements de fabriques, etc.


De Paepe recommande l’établissement d’un bureau de ce genre, « Je regretterais, dit-il, que des hommes qui ont longtemps marché ensemble dans les rangs de l’Internationale, et qui y ont appris à s’estimer, se trouvassent maintenant séparés d’une manière définitive et complète ; il est désirable qu’ils puissent conserver entre eux quelques relations, et la statistique est justement un terrain neutre sur lequel ils peuvent se rencontrer. »

James Guillaume dit que, maintenant que deux organisations sont en présence, chacune avec son bureau particulier, aucune des deux ne peut avoir la prétention d’ériger ce bureau spécial en un centre général de correspondance. Il y a donc lieu, si des relations quelconques doivent exister entre ces deux organisations, de créer à cet effet un bureau tel que celui que propose De Paepe. « Pour moi, dit-il, j’accepte cette proposition ; je ne serai jamais un sectaire, et je vois, dans les rangs des organisations non adhérentes à l’Internationale, à côté d’hommes dont nous sommes forcés de combattre les principes, des travailleurs auxquels nous devons tendre une main fraternelle. Il est déjà assez triste que la lutte entre les représentants de principes opposés s’impose à nous comme une nécessité à laquelle nous ne pouvons échapper ; au moins, saisissons l’occasion qui se présente de maintenir un lien, si faible soit-il, entre ces groupes qui n’ont pu arriver à s’entendre. Le bureau en question, qu’on pourrait appeler Office de correspondance et de statistique des ouvriers socialistes, n’aura pas une grande valeur pratique; son activité sera probablement nulle : mais ce sera, aux yeux de la bourgeoisie hostile, comme un signe extérieur de l’unité du socialisme, un signe comparable à notre drapeau rouge qui, malgré nos divisions, n’en reste pas moins notre emblème à tous. »


Les sentiments que j’exprimais à Gand ce jour-là, avec émotion, au moment où nous quittaient — non certes en ennemis, mais en hommes que la voie adoptée par eux éloignait de nous — quelques-uns de ceux qui, depuis la Haye, avaient fait cause commune avec nous et nous avaient aidés en 1873 à réorganiser l’Internationale sur la hase de l’autonomie, — ces sentiments, qui furent les miens toujours, la plus grande partie des délégués de l’Internationale les partageaient, et j’eus la satisfaction de voir presque tous mes camarades prendre la même attitude que moi.

Il fut ensuite passé au vote sur la question : Sera-t-il établi un bureau destiné à relier entre elles les différentes organisations socialistes ?

Tous les délégués présents votèrent oui, à l’exception de Costa, Brousse et Montels, qui votèrent non.

Après le vote, Brousse fit observer que le bureau devait être institué, non par le Congrès de Gand comme tel, mais par les mandataires des différentes organisations (au nombre de deux pour le moment) qui voudraient participer à sa formation. De Paepe répondit que c’était ainsi que lui aussi entendait la chose, et que, pour la ville où le bureau devra résider, il proposait soit Buda-Pest, soit Verviers.


Le samedi matin, Fränkel ayant déclaré que l’ « Office de correspondance et de statistique des ouvriers socialistes » ne pourrait être placé à Buda-Pest, De Paepe proposa Verviers. Cette ville fut acceptée à l’unanimité, moins Costa, Brousse, Montels et Slebach, qui s’abstinrent.

Il fut donc convenu que les socialistes de Verviers seraient invités, au nom de l’Internationale et au nom du nouveau parti constitué par quelques organisations nationales, à accepter le mandat indiqué ci-dessus[21].

Pour mieux préciser les attributions de cet Office, la proposition suivante fut déposée par Guillaume et Rodriguez [Soriano] :


Chaque fois qu’une des associations qui ont créé l’Office de correspondance et de statistique des ouvriers socialistes aura à faire, par l’entremise de cet Office, une communication entraînant des dépenses, cette organisation devra pourvoir aux frais relatifs à cet objet spécial.


Cette proposition fut votée à l’unanimité, moins Costa, Brousse et Montels, qui s’abstinrent.

Une proposition fut faite d’engager les corps de métier à tenir un Congrès dans lequel ils pourraient s’organiser internationalement. Greulich aurait voulu que le Congrès de Gand prît lui-même en mains l’organisation de ce Congrès de « Trade Unions » ; mais cette manière de voir ne fut pas admise, et le Congrès vota la résolution suivante :


En conséquence du vote par lequel il a déclaré la nécessité d’établir une solidarité internationale entre les corps de métier,

Le Congrès émet le vœu de voir ces associations se réunir le plus tôt possible en un congrès international, et engage ceux de ses membres qui sont délégués par des groupes de métier à s’entendre pour la convocation de ce congrès.


Quelques délégués demandèrent s’il serait possible de publier un compte-rendu officiel et in-extenso des discussions du Congrès. Après en avoir reconnu l’impossibilité, le Congrès vota à l’unanimité la résolution suivante :


Le Congrès décide qu’il ne sera pas publié de compte-rendu officiel de ses séances, mais il charge ses secrétaires de communiquer à toutes les associations qui se sont fait représenter le texte authentique de toutes les résolutions qui y ont été mises aux voix et l’indication du nombre de voix qu’elles ont obtenues.


Il restait à discuter la sixième et dernière question : De la valeur et de la portée sociale des colonies communistes, etc. Le temps ne permettait plus de traiter cette question à fond, la discussion se borna à un simple échange d’idées entre quelques délégués.

La séance fut levée à midi, et la clôture du Congrès prononcée.


« Après le Congrès de Gand, un certain nombre de délégués de l’Internationale ont repassé par Verviers, et ont eu le plaisir d’y assister, le samedi soir 15 septembre, à une réunion publique fort nombreuse. Les délégués prirent successivement la parole, pour raconter ce qui s’était passé au Congrès ; et ils purent constater que la population ouvrière de Verviers est énergiquement résolue à continuer à marcher sous le drapeau de l’Internationale, et à faire tous ses efforts pour propager parmi les travailleurs de la Belgique les principes du socialisme révolutionnaire, en opposition à la tactique préconisée par les socialistes des provinces flamandes. »

Je quittai Verviers le dimanche matin ; et —après m’être arrêté à Cologne pour visiter la cathédrale, que je ne connaissais pas encore, et où m’attirait le souvenir de quelques strophes du Wintermärchen de Heine — j’arrivai à Neuchâtel le lundi soir 17. Ma semaine fut consacrée à rédiger et à faire paraître un numéro du Bulletin (dix pages), qui donna le compte-rendu des deux Congrès.

Nous avions reçu à Gand, avant de partir, la nouvelle que Kropotkine était heureusement arrivé à Londres. Costa n’était pas revenu en Suisse avec moi, il avait pris le chemin de Paris. Rinke et Werner avaient regagné l’Allemagne. Montels s’était dirigé du côté de la Russie, où il allait devenir précepteur. De sept délégués, tous membres de la Fédération jurassienne, qui étaient allés représenter, à Verviers et à Gand, la France, l’Italie, l’Allemagne, la Russie et le Jura, seuls Brousse et moi reprenions notre poste de combat dans les rangs des socialistes jurassiens : pour les cinq autres, un chapitre de leur existence venait de se fermer[22].

Marx fut renseigné sur le Congrès de Gand par son agent Maltman Barry, qui était un « reporter » peu sûr, comme on va le voir. Le 27 septembre 1877 Marx écrivait à Sorge :


Quoi que le Congrès de Gand ait pu laisser à désirer sur d’autres points, il a eu au moins cela de bon, que Guillaume et Cie ont été totalement abandonnés par leurs anciens alliés. C’est à grand peine qu’on a pu retenir les ouvriers flamands, qui voulaient rosser Guillaume[23]. Le filandreux bavard De Paepe[24] les a insultés[25], ainsi que Brismée[26]. M. John Hales ditto[27] . Ce dernier s’est placé sous le commandement de — Barry ! que j’avais fait aller à Gand (den ich veranlasst hinzugehen), en partie comme membre du Congrès (comme délégué de je ne sais quelle société[28]), en partie comme correspondant du Standard de Londres. Pour ma part, je ne veux plus jamais rien avoir à faire personnellement avec Jung et Hales, mais vis-à-vis des Jurassiens leur seconde apostasie est utile[29]. Barry est mon factotum ici ; il a dirigé aussi le reporter du Times (ce journal a donné son congé à M. Eccarius).


Voilà un petit bout de lettre que Sorge, s’il eût été soigneux du bon renom de son maître, eût mieux fait de ne pas publier.




  1. Rinke et Werner, condamnés l’un à quarante jours, l’autre à trente jours de prison le 18 août, et en outre bannis pour trois ans du canton de Berne, s’étaient rendus à pied de Berne à Verviers, voyageant à petites journées à la façon des Wandergesellen allemands.
  2. Le Bureau fédéral, dans sa circulaire du 1er août (voir p. 219), avait porté à la connaissance des Fédérations régionales la demande d’admission de la Fédération de Montevidéo, qui n’avait pu, vu la distance, envoyer un délégué au Congrès.
  3. Ce compte-rendu devait s’imprimer à Verviers ; les démarches que j’ai faites dans ces dernières années en vue de m’en procurer un exemplaire n’ont pas abouti, et je suis porté à croire qu’il n’a pas été publié.
  4. On a vu, p. 252, en quoi consistaient ces « irrégularités », et j’admire encore, trente ans après, l’extrême modération dont le Congrès général de l’Internationale fit preuve, en se contentant de voter, à propos de cet incident, la résolution qu’on va lire.
  5. Nous ne donnons que sous toutes réserves le texte de cette résolution et de la suivante, que nous empruntons au Mirabeau, et qui nous paraît contenir des erreurs et des incorrections. Lorsque nous aurons reçu communication des procès-verbaux officiels du Congrès, nous rectifierons ces textes s’il y a lieu. (Note du Bulletin.) — Ces textes n’ont pas été rectifiés, les textes authentiques n’ayant pas été communiqués à la Fédération jurassienne par les secrétaires du Congrès.
  6. Le nombre total des délégués se trouva par là porté à vingt.
  7. On voit déjà se manifester ici une opposition entre Brousse et Costa, d’une part, qui font figure d’ « extrême gauche », et le représentant de la Fédération Jurassiienne d’autre part, opposition qui s’accentuera au Congrès de Gand. Brousse, depuis un certain temps, prenait de plus en plus, dans ses allures, quelque chose de débraillé et de « casseur d’assiettes » qui m’était antipathique ; son langage se faisait, à dessein semblait-il, vulgaire et cynique. Après avoir rimé la chanson du Drapeau rouge, dont la valeur poétique est médiocre, mais dont l’intention était excellente et dont le succès fut de bon aloi ; après avoir fait sur le préfet de Berne, M. de Wattenwyl, des couplets gouailleurs sur l’air du Sire de Fich’-ton-kan, qui étaient lestement tournés, avec ce refrain :

    Saluez Monsieur Ppréfet
    Oui s’en va-t-en ville.
    Ses lunettes sur le nez :
    C’est un homme habile !

    il avait continué par une chanson qui me déplaisait fort, et dont le refrain était :

    Pétrolons, pétrolons
    Les bourgeois et leurs maisons !

    À tout propos il entonnait cette scie, que je trouvais odieuse ; et, comme il me voyait hausser les épaules à chaque nouvelle audition de sa dernière œuvre, il n’était pas éloigné de me traiter de réactionnaire.

  8. Le sens de ce membre de phrase incorrect est peut-être celui-ci : « Comme il est aussi de son devoir de chercher à étendre la révolution à son propre pays ».
  9. Nous trouvâmes au local du Congrès, à notre arrivée, quelques ouvriers socialistes de Gand (pas des chefs), et d’autres camarades venus des villes voisines, qui nous firent un accueil très cordial, et nous aidèrent à nous débrouiller dans une ville dont la langue nous était inconnue.
  10. Les socialistes de la partie flamande de la Belgique, Anvers, Malines, Gand, Bruxelles (qui se trouve à la limite du pays flamand), etc., s’étaient abstenus, de propos délibéré, de se faire représenter au Congrès de Verviers ; ils avaient réservé exclusivement leurs délégations pour le Congrès universel des socialistes. C’était dire de façon bien explicite : « Nous ne voulons plus de l’Internationale, et nous allons à Gand dans l’espoir d’y rencontrer d’autres éléments avec lesquels nons nous associerons en dehors de l’Internationale, et, s’il le faut, contre elle ».
  11. Louis Bertrand a écrit (t. II, p. 300) que « les anciens de l’Internationale à Bruxelles, Brismée, Steens, etc., regardaient comme sacrilège le fait de tenter l’organisation d’un autre groupement ». Cela était exact encore en 1876, mais maintenant Brismée et Steens s’étaient ralliés à l’idée nouvelle, sous l’influence de De Paepe, et ils la défendirent à Gand avec une ardeur de nouveaux convertis.
  12. De Paepe représentait, non point une section de l’Internationale, ou une société ouvrière belge, mais la communauté d’Onéida, dans l’État de New York. Le Bulletin du 7 octobre publia à ce sujet la communication suivante, que lui avait adressée Un ami, un curieux qui s’était renseigné : « La seule communauté indiquée dans l’ouvrage de Nordhoff comme existant à Onéida (État de New York) est une société de travailleurs enrichis, employant aujourd’hui des salariés et qui se dénomme, au point de vue civil, les Perfectionnistes, et, au point de vue religieux, les Communistes de la Bible. L’opinion qui y domine, c’est que le communisme est, non pas le résultat du progrès scientifique et social de l’humanité, mais bien le retour aux vraies doctrines de la Bible. Est-ce cette société que le docteur De Paepe représentait à Gand ? » De Paepe ne répondit rien, et pour cause.
  13. John Hales, depuis que les dernières sections de l’internationale, en Angleterre, avaient cessé d’exister, faisait de la politique radicale. Il n’avait pas changé, car au Congrès de Genève, en 1873, il nous avait déclaré bien nettement que la tactique qui avait ses préférences n’était pas la nôtre. À Gand, il fut conséquent avec lui-même en s’alliant aux politiciens flamands.
  14. C’est ce Maltman Barry que nous avons vu figurer au Congrès de la Haye, et, depuis, dans les intrigues politiques anglaises, comme l’homme à tout faire de Karl Marx, qui l’employait toutes les fois qu’il y avait une besogne malpropre à exécuter. Il représentait à Gand, comme on le voit, l’association allemande de Londres dont Marx était le meneur depuis 1847 ; et, comme à la Haye, il était en même temps correspondant de l’organe principal du parti conservateur anglais.
  15. Sur Bazin, voir ci-dessus p. 121.
  16. Les mots ou la commune furent ajoutés à la demande de De Paepe ; et si les Anglais et les Allemands ne protestèrent pas contre l’introduction de ces mots, c’est que sans doute ils crurent que commune signifiait communauté, Gesammtheit. Quoi qu’il en soit, l’introduction de ces mots ou la commune a complètement changé, à nos yeux, le caractère primitif de la résolution : dans sa première rédaction, elle avait au moins le mérite de la clarté et de la logique, tandis que la rédaction actuelle ouvre la porte à toutes les interprétations arbitraires. (Note du Bulletin.)
  17. Kropotkine, en parlant de trois (ou quatre) jours, se trompe d’un jour ou de deux (ou bien de deux jours ou de trois), suivant que l’on considère le Congrès comme ayant commencé le dimanche ou le lundi.
  18. Malon.
  19. C’était un journal quotidien, le plus influent des organes du Parti socialiste allemand.
  20. C’est difficile à croire, puisque c’est Most lui-même qui rédigeait ce journal.
  21. Je n’ai pas entendu dire que cette invitation ait été après le Congrès de Gand, formellement adressée aux socialistes de Verviers, et que l’Office de correspondance et de statistique, ait été constitué.
  22. Cependant Rinke revint pour quelque temps à Berne durant l’hiver 1877-1878.
  23. Der Genter Kongress, so riel er sonst zu wünschen übrig lässt, hatte wenigstens das Gude, dass Guillaume et Ko. total von ihren alten Bundesgenossen verlossen wurden. Mit mühe wurden die flâmischen Arbeiter abgehalten, den grossen Guillaume durchzuprügeln. » Je n’ai pas besoin de dire que l’attitude prêtée aux ouvriers flamands n’a existé que dans le reportage mensonger de Maltman Barry, ou dans les désirs malveillants de Marx. La population ouvrière de Gand nous témoigna constamment, à tous, la plus grande cordialité ; on a vu combien les travailleurs gantois se montrèrent empressés et serviables lorsque nous fîmes appel au concours de quelques-uns d’entre eux pour garantir la sécurité de Kropotkine.
  24. J’ai déjà cité ce mot de Marx, « der schwatzschweifige De Paepe », au t. II, p. 355, note.
  25. «Les », c’est-à-dire « Guillaume et Cie ». Ceci est absolument faux ; j’eus pendant toute la durée du Congrès de Gand les relations les plus cordiales avec De Paepe et avec tous les Flamands, Coenen excepté.
  26. Brismée, tout en votant contre nous, ne cessa pas de me témoigner la même amitié qu’autrefois.
  27. Hales fut extrêmement correct dans toute son attitude.
  28. Marx n’ignorait pas que Maltman Barry était délégué du Kommunistischer Arbeiterverein de Londres, puisqu’il dit que c’est lui-même qui l’a « fait aller à Gand » ; mais il éprouvait peut-être quelque gêne à en faire l’aveu à Sorge.
  29. On trouvera au chap. XV (p. 301) une lettre que m’écrivit Jung le 2 décembre 1877, et on pourra juger s’il s’était séparé de nous comme Marx le croyait.