L’INTERNATIONALE - Tome II
Quatrième partie
Chapitre II
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II


Les suites de la circulaire de Sonvillier : en Espagne, en Italie, à Genève, en Belgique, en France. — La Théologie politique de Mazzini et l’Internationale, brochure de Bakounine (décembre 1871).


Avant que la circulaire de Sonvillier fût connue en Espagne, un groupe de nos amis, à Barcelone, s’était préoccupé, non sans inquiétude, des conséquences possibles des résolutions de la Conférence de Londres et des discordes qui pouvaient en résulter dans l’Internationale ; il s’était ému aussi des lettres écrites par la Section de propagande et d’action socialiste révolutionnaire de Genève, réunion d’hommes très démonstratifs, très surexcités, portés aux exagérations de langage, et qui avaient annoncé hautement, bien avant la réunion du Congrès de Sonvillier, leur résolution de rompre avec le Conseil général si celui-ci se montrait autoritaire à leur égard. C’était Engels qui remplissait, depuis un an environ, au Conseil général, les fonctions de secrétaire correspondant pour l’Espagne[1] (et pour l’Italie également) ; et l’on peut aisément s’imaginer dans quel esprit il s’en acquittait. Il écrivait aux Espagnols des lettres qui, tout en éveillant habilement leurs méfiances à l’endroit des socialistes du Jura, devaient les rassurer sur les vues et les principes du Conseil général, et leur présenter ces principes, au moyen de quelques équivoques bien calculées, comme identiques à ceux que professaient les internationaux espagnols eux-mêmes et que la Conférence de Valencia avait proclamés dans la résolution reproduite p. 199. Un journal fondé à Madrid, dans l’été de 1871, par quelques membres de l’Internationale de cette ville, mais qui n’était pas un organe officiel de l’Internationale espagnole, la Emancipación, avait publié, en novembre 1871, un article évidemment inspiré par Londres[2]. L’auteur de l’article cherchait à démontrer qu’il n’y avait nulle contradiction entre l’attitude prise jusqu’alors par les internationaux espagnols à l’égard de la question politique, et la résolution IX de la Conférence de Londres (voir ci-dessus p. 202) : « Nous n’avons jamais dit, en Espagne, déclarait la Emancipación, que l’Internationale doit faire abstraction de toute idée politique, mais que la classe ouvrière doit avoir sa politique à elle, correspondant à ses intérêts propres ». Et, après avoir cité quelques passages de la résolution IX, le journaliste ajoutait :


Ceci veut-il dire que nous devons prendre part aux luttes électorales, que nous devons aujourd’hui accourir aux urnes, où nous appellent nos adversaires, nous imposant les conditions que bon leur semble, et se réservant tous les avantages ? D’aucune façon, et, s’il en était ainsi, nous ne nous croirions pas obligés de suivre les conseils de la Conférence de Londres, car en définitive il ne s’agit que de conseils... Nous, les travailleurs espagnols, nous devons nous séparer de tous les anciens partis politiques formés par les classes possédantes ;... notre mission est plus grande, plus révolutionnaire : elle consiste dans l’organisation du suffrage universel au moyen du groupement et de la fédération des sociétés ouvrières[3].

Sans une telle organisation, le suffrage sera toujours pour nous une farce sanglante. Consacrons-nous tous à cette œuvre de salut, et ne perdons pas notre temps et nos forces à soutenir la cause de nos ennemis. Abstenons-nous complètement de toute participation à ce que les politiciens appellent avec autant de vérité que de cynisme la balançoire constitutionnelle ; ne contribuons pas nous-mêmes à reforger nos chaînes ; ne sanctionnons pas par nos votes notre propre condamnation. Faisons le vide autour du présent, qui, abandonné à lui-même, tombera en ruines. Frères ouvriers, ne vous laissez pas séduire par les promesses mensongères de certains charlatans prodigues de phrases et si avares de faits. Éloignez-vous avec mépris de ces urnes électorales desquelles ne sortira jamais notre émancipation. Telle est la politique de l’Internationale.


Dans l’esprit de nos amis espagnols, la situation restait mal comprise : on ne se défiait ni du Conseil général, dont le correspondant Engels, connaissant bien les susceptibilités des ouvriers de la péninsule, traitait les Sections d’Espagne avec les plus grands égards ; ni de la Conférence de Londres, au sein de laquelle avait siégé un représentant de la Fédération espagnole, malgré ce que ce représentant avait pu dire à son retour[4] ; et on commençait à se demander si les Sections du Jura suisse, obstinées dans leurs revendications peut-être excessives, et les communards français, brouillés à Genève avec le Temple-Unique sans qu’on sût au juste pourquoi, n’étaient pas un peu dans leur tort. Il en résulta qu’Alerini[5], en son nom et en celui de nos amis de Barcelone, écrivit le 14 novembre une lettre ainsi adressée : « Mon cher Bastelica et chers amis[6] », dans laquelle on lisait : « Une rupture publique [avec le Conseil général] porterait à notre cause un de ces coups dont elle se relèverait difficilement, si tant est qu’elle y résiste. Nous ne pouvons donc en aucune façon encourager vos tendances séparatistes... Quelques-uns d’entre nous se sont demandé si, à part la question de principe, il n’y aurait pas, dans tout ceci ou à côté de tout ceci, des questions de personnes, des questions de rivalité par exemple entre notre ami Michel et Karl Marx, entre les membres de l’ancienne A.[7] et le Conseil général. Nous avons vu avec peine dans la Révolution sociale les attaques dirigées contre le Conseil général et Karl Marx... Quand nous connaîtrons l’opinion de nos amis de la péninsule qui inspirent les Conseils locaux, modifiant notre attitude suivant la décision générale, à laquelle nous nous conformerons de tout point..., etc.[8]. »


Je quitte l’Espagne — à laquelle je reviendrai tout à l’heure — pour parler de l’Italie. On a vu que la polémique de Bakounine contre Mazzini avait été pour lui l’occasion de nouer dans ce pays des relations nouvelles ; et il en avait profité, après la Conférence de Londres, pour éclairer ses correspondants sur ce qui faisait le véritable objet du conflit entre le Conseil général et nous. Mais Engels, de son côté, n’était pas inactif : il entretenait un commerce suivi de lettres avec un certain nombre de personnes et de journaux en Italie, et il y calomniait Bakounine, en des écrits confidentiels, de la façon la plus perfide. Son principal correspondant italien était à ce moment un jeune homme d’un caractère simple et modeste, à l’esprit studieux, qui, destiné par sa famille, bourgeoise et cléricale, à la carrière diplomatique, venait de passer quelques années en France et en Angleterre, avait fait à Londres la connaissance personnelle de Marx et d’Engels, et, converti par eux au socialisme, était retourné en Italie en 1871 ; il avait été l’un de ceux qui, avec Carmelo Palladino, Emilio Covelli, Errico Malatesta, reconstituèrent la Section de Naples après sa dissolution policière en août 1871 ; et il est vraiment amusant de constater que ce correspondant s’appelait Carlo Cafîero. Âgé alors de vingt-cinq ans, Cafîero était par son sérieux, son dévouement, et l’indépendance que lui assurait sa situation de fortune, un des hommes sur lesquels la coterie marxiste fondait le plus d’espérances. Le Congrès « ouvrier » convoqué par les mazziniens se réunit à Rome le 1er novembre ; Cafîero s’y rendit comme représentant de la Section de Girgenti (Sicile) de l’Internationale ; il était accompagné de Tucci[9], qui représentait la Section de Naples ; le Congrès ayant voté un ordre du jour par lequel il adhérait aux principes professés par Mazzini, Cafiero, Tucci, et un délégué de Livourne, De Montel, signèrent (3 novembre) une déclaration disant qu’ils regardaient ces principes « comme contraires aux vrais intérêts de la classe ouvrière et au progrès de l’humanité », et se retirèrent. Le Congrès de Rome fit grand bruit en Italie ; les ouvriers socialistes protestèrent contre cette tentative de détourner le prolétariat italien de la véritable voie d’émancipation ; et il faut noter qu’à ce moment Garibaldi, interrogé à la fois par les détracteurs de l’Internationale et par les partisans de la grande Association, et pressé de s’expliquer, prit une attitude franche et courageuse : se souvenant de ce qu’il avait dit aux délégués de l’Internationale, à Genève, en septembre 1867, il écrivit le 14 novembre 1871 à Giorgio Trivulzio, dans une lettre qui fut aussitôt rendue publique, cette parole fameuse : « L’Internationale est le soleil de l’avenir » (L’Internazionale è il sole dell’ avvenire). En opposition aux associations mazziniennes se fonda le 4 décembre, à Bologne, sous la présidence d’Erminio Pescatori, la société « Il Fascio operaio », dont le programme, assez mal défini, paraît avoir été de constituer, dans toutes les régions de l’Italie, des « Fasci opérai » (« faisceaux ouvriers») qui, réunis en une grande fédération autonome, auraient adhéré à l’Internationale. Cette nouvelle organisation se donna un organe qui parut dès la fin de décembre à Bologne, sous le titre de Fascio operaio ; elle eut bientôt des Sections dans la Romagne, à Rimini, à Lugo, à Imolu, etc. ; et c’est dans les rangs du Fascio operaio que commença à militer le jeune Andrea Costa, alors étudiant à l’université de Bologne, où il était l’un des élèves préférés de l’illustre poète Giosuè Carducci.


Cependant les hommes du Temple-Unique, à Genève, avaient laissé passer près de deux mois, depuis la Conférence de Londres, sans donner signe de vie. Ce fut seulement le 23 novembre que, dans une assemblée des Sections genevoises, Henri Perret présenta son rapport sur ce qui s’était fait à Londres. Le Comité cantonal proposait l’adoption pure et simple des résolutions de la Conférence ; mais il y eut des réclamations, — Lefrançais, Perrare, Ostyn, Malon, et quelques autres, faisaient toujours partie de la Section centrale, — et, après un débat animé, il fallut se résoudre à décider qu’une nouvelle assemblée serait convoquée pour le samedi 2 décembre, afin d’examiner, discuter, adopter ou rejeter les résolutions. Lefrançais, Malon et Ostyn rédigèrent alors et signèrent une proposition longuement motivée, qu’ils devaient soumettre à cette assemblée ; elle concluait à ce que la Fédération romande (de Genève) déclarât « qu’il n’y avait pas lieu d’accepter dans leur ensemble les résolutions de la Conférence », et invitât les autres Fédérations « à se joindre à elle pour exiger du Conseil général la convocation à bref délai d’un Congrès chargé… de régler au mieux des principes de l’Association les questions mises en litige par les empiétements successifs du Conseil général de Londres ». Mais, pour empêcher que cette proposition pût être présentée et discutée, un groupe de partisans d’Outine fit, dès l’ouverture de la séance du 2 décembre, la motion que « ceux des membres de la Fédération genevoise qui faisaient en même temps partie de la Fédération jurassienne fussent, avant toute discussion, sommés d’opter immédiatement pour l’une ou l’autre de ces fédérations ». La motion fut votée ; et ceux des membres de la Section centrale de Genève qui avaient adhéré à notre Fédération, — Lefrançais, Malon, Ostyn, Perrare, etc.[10], — après avoir déclaré qu’ils optaient pour la Fédération jurassienne, durent se retirer[11]. Après quoi l’assemblée, débarrassée de tout contradicteur, passa au vote des résolutions de la Conférence, qui furent adoptées « d’enthousiasme et sans discussion[12] ».

Vers le milieu de décembre, le Comité fédéral romand (de Genève) rédigea une contre-circulaire qui devait être une réfutation de celle du Congrès de Sonvillier. Cette pièce peu remarquable (Nettlau l’appelle ein wirklich nichtssagendes Gegencircular) parut dans l’Égalité du 24 décembre, avec les signatures suivantes : L. Guétat, G. Bernard, Marie Petitpierre, J. Hoffer, T. Duval, Henri Perret. Ne possédant pas la collection de l’Égalité de 1871 et 1872, je ne puis citer aucun passage de ce document ; mais je crois que le lecteur n’y perd rien. Dans ce même numéro, l’Égalité reproduisait une partie de l’article de la Emancipación dont j’ai donné plus haut (p. 245) des extraits ; mais elle eut soin de ne pas imprimer le passage où on lit ces phrases : « Abstenons-nous complètement de toute participation à ce que les politiciens appellent la balançoire constitutionnelle ;… ne vous laissez pas séduire par les promesses mensongères de certains charlatans ;… éloignez-vous avec mépris de ces urnes électorales desquelles ne sortira jamais votre émancipation ». Un langage comme celui-là fût retombé trop directement sur les politiciens de Genève.

À la Chaux-de-Fonds, naturellement, les coullerystes, eux aussi, devaient venir à la rescousse. Seulement, comme leur Section ne battait plus que d’une aile, il fallut un certain temps pour préparer une manifestation qu’on pût exploiter contre nous. Ce fut seulement pour le 18 janvier qu’Ulysse Dubois réussit à convoquer une assemblée de ses amis ; il est parlé en ces termes de cette réunion dans le pamphlet que Marx allait publier bientôt : « Les ouvriers de la Chaux-de-Fonds, dans l’assemblée générale du 18 janvier 1872, ont répondu à la circulaire des Seize[13] par des votes unanimes confirmant les résolutions de la Conférence de Londres, ainsi que la résolution du Congrès romand de mai 1871 d’exclure à jamais de l’Internationale les Bakounine, Guillaume et leurs adeptes[14] (Les Prétendues scissions, etc., p. 34).


Bastelica avait communiqué la lettre reçue de Barcelone (voir ci-dessus p. 246) à Joukovsky ; et celui-ci, dans les premiers jours de décembre, écrivit ce qui suit à Alerini[15] :

« Vous voyez un danger mortel[16] dans une rupture avec le Conseil général. Nous vous dirons d’abord que jamais nous ne l’avons cherchée ; ensuite, que c’est le Conseil général qui la produit ; nous vous dirons enfin qu’une rupture avec un élément contraire à l’esprit de l’Internationale ne présente selon nous aucun danger…

« Vous voulez exprimer, dites-vous, au Conseil général combien vous le voyez avec peine s’engager dans une voie aussi peu libérale[17] envers nous les Jurassiens. Mais par cette lettre vous donneriez au Conseil général un prestige gouvernemental, ce dont nous ne voulons à aucun prix. Quand un comité de Section fait mal ses devoirs ou se donne les airs d’un protecteur, d’un directeur, on le remplace par un autre ; on en fait autant avec un Comité fédéral ; pourquoi le Conseil général ferait-il exception à la règle ? Est-il fait pour servir à l’Association, ou bien l’Association est-elle fondée pour que quelques ambitieux centralisateurs lui donnent, selon leur plaisir : bénédiction à Genève, malédiction au Jura, bienveillance en Allemagne, etc. ?

« La cause des Jurassiens, ainsi que des deux Sections de propagande[18] qui ont eu le malheur de déplaire aux inamovibles membres du Conseil général, ne sont qu’accidentelles. Il ne s’agit pas davantage de personnalités, quelles qu’elles soient : grandes comme Marx ou Bakounine, ou petites comme Outine ; les hommes passent, l’Internationale reste. Vous devriez, chers amis, voir la chose d’un point de vue plus élevé… Nous pensons que le doute n’est plus possible. Il faut agir, il faut en finir le plus tôt possible… Ci-joint les statuts de la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste, ainsi que le compte-rendu de la séance au Temple-Unique où nous[19] voulions protester contre les résolutions de Londres. »

Les hésitations de nos amis espagnols ne furent pas de longue durée. Bakounine écrivit le 18 décembre (son calendrier-journal nous l’apprend) une lettre à Sentiñon et à Farga-Pellicer (c’est la seule qu’il ait envoyée en Espagne pendant toute cette période), qui contribua sans doute, avec celle de Joukovsky, à éclairer les esprits et à raffermir les volontés de nos amis. Dans son numéro du 31 décembre, la Federación de Barcelone publia la circulaire de Sonvillier, en la faisant précéder de ces lignes : « L’objet dont s’occupe la circulaire est de très grande importance… L’idée de convoquer, dans le plus bref délai possible, un Congrès général, qui puisse et doive éclaircir entièrement les choses et déterminer entièrement les fonctions du Conseil général, cette idée nous paraît fort opportune... Étudions donc la question ; préparons-nous à donner un mandat impératif à nos délégués, et attendons la résolution du Congrès général, qui, comme toujours, il n’y a pas à en douter, mettra ses délibérations d’accord avec la Justice et la Liberté. » La Emancipación de Madrid publia aussi notre circulaire en même temps que la Federación. Et. le 2 janvier 1872, Alerini écrivait à Joukovsky la lettre suivante (lettre indiquant l’existence d’une lettre antérieure, première réponse à celle de .Joukovsky, et qui, celle-là, était, paraît-il, plutôt pessimiste), pour lui dire que tout allait bien[20] :


Mon cher Jouk, je t’ai écrit ces jours derniers un peu alarmé. Je prends la plume pour te rassurer. Nous sommes tous d’accord, je crois, pour manifester au Conseil général que les Sections espagnoles demandent la convocation à bref délai d’un Congrès général. À vrai dire, les Sections n’ont pas encore pris de résolutions à ce sujet. Mais les hommes d’initiative parmi nous une fois d’accord, il n’y a pas de doute que, quand les Sections seront saisies officiellement de la question, elles ne se prononcent de la même façon que ceux-ci. Avant de soumettre la chose à leur jugement, ces hommes ont cru devoir l’étudier et la trancher d’abord, afin que, une résolution une fois prise, ils pussent tous faire la même propagande pour son bon succès... Les groupes actifs ont pris ici l’engagement moral de n’avoir rien de caché entre eux. Je n’eus pas connaissance de la correspondance échangée à votre sujet entre Barcelone et Seville, et quelques soupçons me firent penser qu’elle ne vous était pas favorable. Un moment de froideur a régné quelques instants ici parmi nous. Je vous donnai la voix d’alarme. Mais nous avons fini par nous entendre, et j’en suis heureux. Tu peux donc considérer l’effet de ma dernière lettre comme entièrement effacé...


Cette lettre fait allusion à mots couverts à une organisation spéciale qui existait en Espagne depuis le printemps de 1870, organisation dont nous ignorions alors l’existence ; Alerini lui-même, comme on le verra (p. 271), venait seulement d’y être initié (décembre), et il en parle avec la gaucherie d’un néophyte qui, peu de jours auparavant, n’était pas encore au courant de ce qui se passait. Il sera question plus loin, de façon détaillée, de cette organisation, qu’Alerini désigne par les mots « les groupes actifs ».

Mais, au moment où d’un bout de l’Espagne à l’autre on paraissait d’accord pour lutter avec nous en faveur du principe d’autonomie contre les abus de pouvoir du Conseil général, arrivait à Madrid, dans les derniers jours de décembre, le gendre de Marx, Paul Lafargue. En août, la police française l’avait forcé d’interrompre brusquement un séjour qu’il faisait aux eaux de Luchon avec sa femme et ses deux belles sœurs ; il avait passé la frontière, et les autorités espagnoles l’avaient emprisonné quelques jours à Huesca ; remis en liberté, il s’installa d’abord à Saint-Sébastien, puis, sans doute sur des instructions reçues de Londres, il se rendit dans la capitale. La présence de Lafargue à Madrid allait bientôt se révéler à nous par de tristes résultats, conséquences de ses manœuvres.


Ce n’est que vers la fin de novembre que Bakounine reçut à Locarno des exemplaires imprimés de la circulaire du Congrès de Sonvillier. Elle excita son enthousiasme[21], et il se mit en devoir de la répandre en Italie le plus qu’il lui fut possible. « Je puis dire, écrivait-il à Joukovsky (en russe) le 18 décembre, que j’ai inondé l’Italie de votre circulaire, par des amis s’entend, pas personnellement. Il a été nécessaire d’écrire une masse de lettres dans toutes les parties de l’Italie pour expliquer aux amis le véritable sens de notre lutte contre Londres, et pour disposer en notre faveur les demi-amis et les quarts d’amis[22]. » Il m’écrivit, pour me faire part de ses idées sur la campagne que nous venions d’ouvrir sans lui, et à laquelle il allait maintenant s’associer avec ardeur, une longue lettre qui l’occupa trois jours (30 novembre-2 décembre), et dont il note l’envoi, le 2 décembre, sur son calendrier-journal en ces termes : « Envoyé lettre immense (46 pages) à James ».

Mais, vers le milieu de décembre, Bakounine s’inquiète de ce qui se passe à Milan, où Achille Bizzoni, le directeur du Gazzettino rosa, — un de ces « quarts d’amis » dont il avait parlé à Joukovsky, — ne publiait dans son journal ni la circulaire de Sonvillier, ni un article qu’avait écrit un ami tout à fait sûr et dévoué, celui-là. le jeune et énergique Pezza. Et voilà que le numéro du 20 décembre du Gazzettino rosa lui apporte, au lieu de la circulaire, la reproduction de l’article de la Emancipación de Madrid (p. 245) ; et que le lendemain 21, le journal publie un article intitulé L’Internazionale, et signé Un internazionalista, article dont l’auteur, commentant la Emancipación, disait : « Des lettres du Conseil général nous assurent que cette déclaration des Espagnols est en parfaite harmonie avec ses propres vues ». Le 22, Bakounine commence une lettre qu’il destinait à la Révolution sociale de Genève ; il y reproduit l’article de Un internazionalista qui, dit-il, semble avoir été écrit sous l’inspiration directe de Londres, et une partie de celui de la Emancipación, et constate que, s’il fallait en croire le Gazzettino rosa, le Conseil général approuverait les vues des Espagnols, qui sont les mêmes que les nôtres : « seulement, ajoute-t-il, nous sommes très curieux de constater l’effet que cette conversion subite produira sur les démocrates socialistes de l’Allemagne et de la Suisse allemande, aussi bien que sur les internationaux citoyens genevois et membres de la Section centrale de Genève, qui ont fait évidemment de l’Internationale un instrument politique entre les mains du radicalisme bourgeois à Genève[23] » Le même jour 22, Victor Cyrille, un jeune communard échappé de Paris et réfugié en Italie, où il était entré en relations avec quelques socialistes, arrivait à Locarno ; Bakounine l’accueillit avec cette confiance prompte à se donner, qu’il accorda plus d’une fois à des indignes[24] ; Cyrille passa plusieurs jours avec lui. Le 23, Bakounine se mit à écrire une lettre à ses amis de Milan, leur disant :


Frères, que se passe-t-il donc chez vous ? Votre silence, accompagné du silence obstiné du Gazzettino rosa, m’étonne, m’afflige, m’inquiète. Le Gazzettino non-seulement ne publie pas notre circulaire avec l’article de Burbero [Pezza], mais il paraît prendre parti contre nous. Vous avez sans doute lu dans le numéro du 21 l’article L’Internazionale, signé Un internazionalista. C’est un article d’ailleurs fort remarquable et que j’aurais souscrit avec plaisir, excepté une seule phrase, celle où il parle des vues du Conseil général, comme si ces vues avaient une importance soit dogmatique, soit gouvernementale... J’accepte parfaitement, et tous mes amis accepteront, j’en suis sûr, tant l’esprit que la lettre de l’article [de la Emancipación]... Le Conseil général déclare que cette déclaration des internationaux espagnols est parfaitement d’accord avec ses vues : pour qui connaît l’état réel de la question, c’est une retraite évidente et plus ou moins habile, aussi bien que cette déclaration de l’Internazionalista correspondant du Conseil général : « Mais qu’il soit bien entendu que les prolétaires, en s’organisant contre leurs exploiteurs, doivent avoir une politique toute à eux, qui sera aussi différente et aussi contraire à celle des bourgeois, que sont différents et contraires l’organisation économique et l’État politique ». Si l’Internazionalista a exprimé là non son opinion propre, mais réellement celle du Conseil général, alors nous ne pouvons que nous réjouir de l’immense progrès que celui-ci vient d’accomplir. Alors en théorie il n’y aurait plus aucune dissidence entre nous. Il ne resterait plus que le dissentiment pratique, dont la solution immédiate est urgente pour le salut même de l’Internationale, que les tiraillements provoqués par l’ambition tout à fait politique, dans le sens du gouvernement et de l’État, de plusieurs de ses membres, affaiblissent dans un moment où elle a besoin de toutes ses forces réunies pour lutter avec succès contre la coalition de toutes les réactions de l’Europe qui la menace[25].


L’Internazionalista du Gazzettino rosa n’était autre que Cafiero, comme nous l’apprîmes plus tard. L’opinion qu’il avait exprimée était la sienne propre, et non celle du Conseil général : il finit par s’apercevoir que ses aspirations le portaient d’un autre côté que celui où il avait fait ses premières armes ; les lettres qu’Engels lui écrivait pour l’endoctriner, loin de l’assouplir à la discipline de la coterie, eurent, au bout de quelques mois, un résultat tout contraire ; et l’instant n’était plus bien éloigné où il allait reconnaître, dans ce Bakounine tant calomnié, et qu’on avait cherché à lui faire haïr, l’homme selon son cœur.

Cependant on était à l’époque des fêtes de Noël ; Bakounine conduisit son hôte Cyrille chez ses amis, le fit asseoir avec lui à leur table ; puis il le dépêcha à Milan, porteur d’une lettre qui eut enfin raison des hésitations de Bizzoni ; et Cyrille, revenu le 28, et de nouveau fêté, partit le 31 pour Genève. Le calendrier-journal a noté en ces termes la série de ces incidents :


« 22. Arrive Cyrille. — 24 (dimanche). Avec Cyrille chez Bellerio, chez Gavirati, chez Chiesa. — 25. Déjeuné, dîné chez Bellerio avec Victor Cyrille. — 26. Matin avec Cyrille, décidons qu’il partira demain à Milan. Écrit avec Cyrille à Bizzoni, Marco, Paolo. — 27. Cyrille parti ce matin à 4 heures. — 28. Cyrille revenu ; il a réussi. — 29. Dîné chez Chiesa avec Cyrille et les Bellerio. — 30. Soir préparé lettres (Zaytsef, James, Ross) pour Cyrille. Pris pour lui 40 francs chez Chiesa. — 31. Cyrille parti pour Genève à 11 heures. Lettres de James et d’Adhémar. Adieu 1871 ! »


Dans son numéro du 29 décembre, le Gazzettino rosa avait publié la circulaire de Sonvillier, en la faisant précéder d’une lettre datée de Milan, 27 décembre, et signée Un groupe d’internationaux, qui disait : « Convaincus que le principe d’autonomie des Sections, des Fédérations régionales et nationales, constitue la véritable force de l’internationale ;... confiants plus que jamais dans l’avenir de l’Internationale, qui ne peut être subordonnée à la volonté ou à l’autorité de quelques individus, mais qui doit être l’œuvre de l’activité collective et de la liberté, nous acceptons la proposition de la Fédération jurassienne pour la convocation d’un Congrès général, destiné à mettre un terme aux tendances autoritaires manifestées par le Conseil général et à faire rentrer ce dernier dans les limites de ses attributions ». La rédaction ajoutait, en son propre nom : « Nous nous associons à ce document et nous félicitons les Sections italiennes qui ont déjà adhéré à la proposition de la Fédération jurassienne.»

Quatre autres journaux italiens avaient déjà publié la circulaire de Sonvillier, ou la reproduisirent à ce même moment : l’Eguaglianza de Girgenti, inspirée par Saverio Friscia, la Campana de Naples, où écrivaient Palladino, Cafiero et Covelli, et qui se signalait par la modération de son langage, le Proletario du Turin, que rédigeait Terzaghi[26], le Fascio operaio de Bologne.

Avant de quitter l’Italie, je dois dire quelques mots du petit volume de Bakounine, La Théologie politique de Mazzini et l’Internationale, qui parut à la fin de 1871 et prit place dans la série des publications de notre Commission de propagande socialiste de Saint-Imier[27]. Il est inutile d’en donner ici une analyse ; tout le monde en pourra lire bientôt le texte dans la réimpression qui en sera faite (dans la collection des Œuvres de Bakounine). Je me bornerai à reproduire une phrase extraite de la belle page où Bakounine, après avoir montré dans le Satan biblique le symbole de la révolte, déclare que le Satan moderne, c’est le prolétariat parisien, l’auteur de cette sublime insurrection de la Commune que Mazzini a maudite, — parce que la connaissance de cette phrase est nécessaire pour l’intelligence de la lettre (que j’aurai à donner en son lieu) adressée, le 6 août 1872, à Bakounine par la Conférence de Rimini. La voici :


Selon la doctrine mazzinienne aussi bien que chrétienne, le Mal, c’est la révolte satanique de l’homme contre l’autorité divine, révolte dans laquelle nous voyons au contraire le germe fécond de toutes les émancipations humaines. Comme les Fraticelli de la Bohème au XIVe siècle[28], les socialistes révolutionnaires se reconnaissent aujourd’hui par ces mots : Au nom de celui à qui on a fait grand tort.


Je signale en outre le passage déjà reproduit (tome Ier, p. 242), où Bakounine raconte comment il vit Mazzini à Londres en 1862, et comment celui-ci avait pris noblement sa défense contre les calomnies par lesquelles des émigrés allemands avaient essayé de tuer moralement le révolutionnaire russe alors enfermé dans les forteresses du tsar ; — un passage sur la propriété, définissant notre conception collectiviste : « Seul le travail collectif crée la civilisation et la richesse. Cette vérité une fois comprise et admise, il ne reste que deux formes possibles de propriété ou d’exploitation de la richesse sociale : la forme bourgeoise actuelle, c’est-à-dire l’exploitation de cette richesse, produit du travail collectif, ou plutôt l’exploitation du travail collectif, par des individus privilégiés, ce qui est l’unique sens véritable de cette propriété individuelle et héréditaire dont le généreux et populaire général Garibaldi se pose lui-même en défenseur aujourd’hui ; ou la forme nouvelle, celle que nous soutenons contre la bourgeoisie et contre le général Garibaldi lui-même, parce qu’elle est l’unique et suprême condition de l’émancipation réelle du prolétariat, de tout le monde, la propriété collective des richesses produites par le travail collectif ; » — un autre passage, où l’auteur expose « l’idée si juste, énoncée et développée il y a plus de vingt ans principalement par Karl Marx », que les religions n’ont jamais été les causes réelles des faits sociaux, « l’idéal n’étant jamais que l’expression plus ou moins fidèle de la lutte des forces économiques dans la société » ; — enfin une prophétie des plus remarquables, annonçant, « dans un délai assez rapproché, l’entière destruction de la domination russe sur tout le pays de l’Amour, sous le poids d’une formidable invasion japonaise… Gare aux possessions russes sur l’Amour, je ne leur donne pas cinquante ans. Toute la puissance de la Russie en Sibérie n’est que fictive. »

Un manuscrit de Bakounine, inachevé, portant la date du 7 janvier 1872, et qui paraît avoir été destiné au journal la Liberté de Bruxelles, contient un passage intéressant sur le programme de l’internationale, à l’occasion duquel Bakounine rend une fois de plus un hommage sincère à Marx. Ce qui lui a fait prendre la plume, c’est « un entrefilet ne pouvant se qualifier autrement que d’infâme », publié dans le Volksstaat du 13 décembre 1871[29], et qu’il n’a lu que la veille, parce qu’il vit « dans un lieu très éloigné de tous les centres de publicité ». Il explique l’opposition théorique qui existe entre les partisans de la centralisation et ceux de l’autonomie, ou, comme il les appelle plus loin, « les communistes autoritaires et les fédéralistes, autrement dits anarchistes », et l’absurdité qu’il y aurait à vouloir imposer aux membres de l’Internationale un dogme uniforme et obligatoire ; et il ajoute :


C’est l’honneur éternel des premiers fondateurs de l’Internationale et, nous aimons à le reconnaître, du compagnon Charles Marx en particulier, d’avoir compris cela, et d’avoir cherché et trouvé, non dans un système philosophique ou économique quelconque, mais dans la conscience universelle du prolétariat de nos jours, quelques idées pratiques résultant de ses propres traditions et de son expérience journalière… Ces quelques idées, magnifiquement résumées dans les considérants de nos Statuts généraux, forment le vrai, le seul principe constitutif, fondamental, obligatoire de notre Association[30]… Il n’existe dans l’Internationale qu’une seule loi souveraine, garantie puissante de son unité : c’est celle de la solidarité pratique du prolétariat de tous les pays dans sa lutte contre l’oppression et contre l’exploitation bourgeoises.


La gêne matérielle où vivait Bakounine continuait, et devait durer un certain temps encore. Le 6 décembre, à la suite peut-être de sa lettre du 14 novembre (voir p. 231), il reçoit d’Ogaref 30 fr.; Ross lui envoie de Genève du thé et du tabac (3 déc.), puis 150 fr. (10 déc.) et 110 fr. (15 déc) ; Gambuzzi envoie 100 fr. (26 déc). En janvier 1872, le calendrier-journal porte, le 5 : « Point d’argent » ; Bakounine emprunte, le 6, 10 fr. à Chiesa ; le 7, 20 fr. à Bellerio (sur lesquels il rend à Chiesa ses 10 fr.) ; le 13, Gambuzzi envoie 40 fr. ; le 28, arrivent de Sibérie 20 roubles (80 fr.), ce qui permet de rendre à Chiesa les 40 fr. empruntés le 10 décembre pour Cyrille. En février, la détresse redouble ; il faut faire une lettre de change de 300 fr. à la propriétaire, payable à la fin du mois : c’est alors que Mme  Bakounine écrit à Ogaref (9 et 18 février 1872) deux lettres éplorées et inutiles (imprimées dans la Correspondance) ; Ross, à ce moment, malade à Montpellier, envoie 100 fr. (11 février), et une traite que consent à négocier un certain Simon procure 200 francs. En mars arrivent de Gambuzzi 200 fr., et de Russie viennent 50 roubles (165 fr.). Enfin la situation s’améliore au printemps ; de nouveaux amis russes, à Zürich, mettent à la disposition de Bakounine un peu d’argent.


Le Congrès de la Fédération belge devait avoir lieu, selon l’habitude des années précédentes, à l’époque de Noël. Il se réunit à Bruxelles les 24 et 25 décembre. Un débat eut lieu sur la question qui agitait l’Internationale ; lecture fut donnée de la circulaire de Sonvillier. Après une mûre délibération, le Congrès vota la résolution suivante, qu’il est nécessaire de reproduire in-extenso :


La Fédération belge, réunie en Congrès les 24 et 25 décembre 1871,

Vu les calomnies absurdes répandues tous les jours par la presse réactionnaire, qui veut faire de l’Internationale une Société despotique soumise à une discipline et à un mot d’ordre partant de haut et arrivant à tous les membres par voie hiérarchique ;

Considérant qu’au contraire l’Internationale, voulant réagir contre le despotisme et la centralisation, a toujours cru devoir conformer son organisation à ses principes ;

Déclare, une fois pour toutes, que l’Internationale n’est et n’a jamais été qu’un groupement de fédérations complètement autonomes ;

Que le Conseil général n’est et n’a jamais été qu’un centre de correspondance et de renseignements ;

La Fédération belge engage toutes les Fédérations régionales à faire la même déclaration, pour confondre tous ceux qui nous représentent comme des instruments dociles entre les mains de quelques hommes ;

Considérant, d’un autre côté, que les statuts de l’Internationale, faits à la naissance de l’Association, et complétés un peu au hasard à chaque Congrès, ne délimitent pas bien les droits des fédérations et ne correspondent pas à la pratique existante,

Déclare qu’il y a lieu d’entreprendre une revision sérieuse des statuts ;

En conséquence, la Fédération belge charge le Conseil belge de faire un projet de nouveaux statuts et de le publier pour qu’il soit discuté dans les Sections et ensuite au prochain Congrès belge ; le projet sera soumis au prochain Congrès international.

La Fédération belge engage les autres Fédérations régionales à faire de même, afin que le prochain Congrès international puisse conclure le pacte définitif de la fédération.


Cette résolution affirmait nettement les principes d’autonomie et de décentralisation, et montrait que les Belges pensaient sur ce point tout à fait comme les Jurassiens. Mais elle ne disait pas expressément que ces principes avaient été violés par le Conseil géneral et par la Conférence ; et si, d’une part, on pouvait tirer des considérants belges cette conclusion sous-entendue, que ceux qui, dans l’Internationale, voudraient se faire les partisans de l’autorité et de la centralisation se mettraient en contradiction avec l’esprit même qui avait présidé à la création de l’Association, d’autres eussent pu, avec tout autant de vraisemblance, prétendre — et ils prétendirent en effet — que ni le Conseil général ni la Conférence n’avaient commis, aux yeux des Belges, aucun abus d’autorité, puisque le Conseil général n’avait jamais été qu’un centre de correspondance et de renseignements. Que fallait-il penser an juste d’une résolution rédigée en des termes qui pouvaient donner lieu à des interprétations si différentes ? Le Conseil général et quelques-uns de ses partisans affirmèrent que les Belges avaient voulu donner raison aux hommes de Londres contre nous. Quant à nous, nous fûmes renseignés sur les véritables intentions des Belges par Bastelica, qui, s’étant rendu à Bruxelles justement à cette époque, avait assisté au Congrès, et avait reçu de la bouche des délégués les explications nécessaires ; nous sûmes que les Belges, malgré l’ambiguïté, voulue ou involontaire, du texte de leur résolution, n’étaient nullement disposés à se ranger du côté du Conseil général dans la lutte commencée ; et bientôt nous apprîmes que leur Conseil fédéral, chargé de préparer un projet de revision des Statuts généraux, se proposait d’introduire dans les statuts revisés la suppression du Conseil général.

Le Congrès belge avait eu à examiner une question subsidiaire : celle de l’époque à laquelle il convenait de convoquer le futur Congrès général. La circulaire de Sonvillier avait proposé que cette convocation eût lieu « à bref délai » ; mais, à nos yeux, c’était là un point accessoire, au sujet duquel nous étions prêts à nous rallier à l’opinion qu’exprimerait la majorité des Fédérations. « Les uns, parmi les délégués jurassiens, avaient pensé que le Congrès régulier de 1871, qui n’avait pas eu lieu, et avait été remplacé par la Conférence de Londres, devait être convoqué, et cela avant la fin de l’année ; les autres pensaient qu’il valait mieux attendre le Congrès régulier de 1872. Sans trancher la question, on avait résolu de laisser aux autres Fédérations l’initiative des propositions touchant l’époque du Congrès général[31]. » Les Belges estimèrent qu’il n’y avait pas urgence, et qu’on pouvait attendre jusqu’au mois de septembre suivant, époque à laquelle, depuis l’adoption des statuts de l’Association, se réunissait traditionnellement le Congrès ; en conséquence, la Fédération belge proposa que le Congrès général eût lieu en septembre 1872, ce qui donnerait le temps à toutes les Fédérations de préparer et d’étudier des projets de statuts revisés, et de se concerter en vue des travaux du Congrès.


C’est à ce moment que reparaissent subitement sur la scène deux hommes qui n’avaient plus fait parler d’eux depuis les derniers mouvements insurrectionnels de Lyon au printemps de 1871, Albert Richard et Gaspard Blanc. Ils avaient réussi à passer en Angleterre ; et là, tandis qu’ils traînaient leur misère et leur désœuvrement dans les rues de Londres, il vint à Richard l’idée la plus folle et la plus monstrueuse, la plus bête et la plus scélérate, — une idée bien digne de la cervelle malade de celui qui, adolescent, avait rêvé, comme me l’ont raconté des socialistes lyonnais, de s’en aller chez les nègres pour fonder un royaume au Congo. Cette idée, c’était d’offrir leurs services à Napoléon III, à ce moment installé depuis quelque temps à Chislehurst, et de lui proposer de le ramener en France comme empereur des ouvriers et des paysans. Blanc, qu’on aurait cru moins bête que son copain, se laissa pourtant embobiner par lui, et tous deux de compagnie allèrent voir Badinguet, qui, aussi fou qu’eux, les reçut, les écouta, et leur donna quelque argent pour publier une brochure. Ravis et grisés de leur succès, ils s’en furent de Londres à Bruxelles. Richard se croyant déjà vice-empereur, et Blanc député ou préfet, et ils firent imprimer une ânerie prétentieuse intitulée « L’Empire et la France nouvelle ; Appel du peuple et de la Jeunesse à la conscience française, par Albert Richard et Gaspard Blanc », qui parut à Bruxelles en janvier 1872. Cette élucubration se terminait ainsi : « Nous qui avons formé la grande armée du prolétariat français, ... nous les chefs les plus influents de l’Internationale en France,... heureusement nous ne sommes pas fusillés, et nous sommes là pour planter, en face des parlementaires ambitieux, des républicains repus, des prétendus démocrates de toute espèce, le drapeau à l’ombre duquel nous combattons, et pour lancer à l’Europe étonnée, malgré les calomnies, malgré les menaces, malgré les attaques de toute sorte qui nous attendent, ce cri qui sort du fond de notre conscience et qui retentira bientôt dans le coeur de tous les Français : Vive l’Empereur ![32] »

La plupart de ceux qui lurent la brochure des deux Lyonnais pensèrent qu’ils avaient été frappés d’aliénation mentale ; d’autres, qui les avaient vus à l’œuvre à Lyon, Dumartheray, Saignes, Camet, etc., déclarèrent que Richard était un gredin et Blanc une tête faible qui s’était laissé entraîner par un séducteur illuminé et canaille. Je ne puis me défendre de l’idée que si Bastelica était allé à Bruxelles en décembre, c’était pour y rencontrer Richard et Blanc, que probablement il avait déjà vus à Londres ; mais il repoussa leurs avances, — s’ils lui en firent, — et, quand la brochure parut, il fut un des plus ardents à la traiter d’infamie à la fois idiote et criminelle.


Cependant, à Genève, la Révolution sociale se trouvait, au point de vue financier, dans une position critique. Claris s’était embarqué dans son entreprise passablement à la légère, escomptant des abonnements qui ne pouvaient guère venir, puisque la France lui était fermée, et engageant de lourdes dépenses par la façon peu pratique — le gaspillage de petits caractères, en particulier — dont il faisait composer son journal. Dans le numéro du 21 décembre, il adressa un appel pressant aux amis de la cause communaliste et aux membres de la Fédération jurassienne, en avouant que, lors de la fondation du journal, « il avait complètement négligé le côté commercial et financier ». Le 28 décembre, le journal ne parut pas, faute d’argent. Le 4 janvier, quelques fonds étant rentrés, le n° 10 put paraître ; dans un avis placé en tête, Claris disait : « Une combinaison nouvelle avec la Fédération jurassienne est sur le point d’aboutir ; dans ce cas, la vie de notre journal se trouvera très sérieusement assurée ». En effet, ce jour-là même, dimanche 4 janvier, une réunion de délégués de nos Sections avait lieu à la Chaux-de-Fonds pour étudier les moyens de venir en aide à la Révolution sociale ; mais « les négociations entreprises pour la continuation du journal échouèrent » (Mémoire, p. 239), et le n° 10 fut le dernier. La Fédération jurassienne voulait, si elle devait s’imposer de nouveaux sacrifices pour la publication d’un journal, que cet organe fût bien à elle, et que la rédaction appartînt exclusivement à son Comité fédéral.

En attendant, nous avions, comme l’année précédente, pour aider à la propagande de nos idées, publié un petit almanach. L’Almanach du peuple pour 1872 parut à la fin de décembre ; il contenait des articles d’Adhémar Schwitzguébel, Michel Bakounine, Mme  André Léo, Gustave Lefrançais, et un poème de B. Malon. L’article de Schwitzguébel était intitulé Le collectivisme, et voici la définition qu’il donnait de la doctrine acceptée par la majorité des délégués de l’Internationale au Congrès de Bâle : « Si l’Internationale admet comme base de l’organisme social la propriété collective du fond, des instruments de travail, de manière à ce qu’ils soient garantis à chaque travailleur, elle reconnaît cependant la liberté absolue qu’ont les individus, les groupes, de s’organiser comme ils l’entendent, de sorte que ce sera à ceux-ci de déterminer le mode de répartition des fruits du travail collectif dans chaque association. Ainsi, loin de tendre à un communisme autoritaire, le collectivisme assure parfaitement aux individus, aux groupes, le droit au produit du travail. » L’article de Bakounine était tout simplement un fragment du manuscrit rédigé par lui, du 4 au 20 juillet 1871, sous le titre de Protestation de l’Alliance ou Appel de l’Alliance (voir ci-dessus p. 164), manuscrit que j’avais entre les mains et dont rien n’avait pu être utilisé jusqu’alors ; je donnai à ce fragment (pages 123-136 du manuscrit) le titre d’Organisation de l’Internationale[33]. Mme  André Léo avait traité, sous une forme humoristique, ce sujet : L’éducation et la Bible. Un extrait du livre de Lefrançais sur la Commune, livre qui ne parut qu’en janvier 1872, formait le quatrième article, sous ce titre : Les socialistes et les républicains bourgeois en face de la guerre. Le poème de Malon, La Grève des mineurs (près de cinq cents alexandrins), avait été déjà publié à Paris en mai 1870, à l’occasion de la grève du Creusot : c’était une réponse à la Grève des forgerons, de Coppée. Notre Almanach, édité par notre Commission de propagande socialiste de Saint-Imier et imprimé à l’atelier G. Guillaume fils, se vendit bien ; il fallut en faire sur-le-champ une seconde édition, qui fut écoulée principalement en Belgique.


Nos Sections jurassiennes, lorsqu’elles eurent connaissance des résolutions du Congrès belge, les discutèrent, et leur donnèrent leur pleine approbation ; et, à la suite d’une correspondance échangée entre elles et le Comité fédéral dans le courant de janvier, le Comité fédéral fut chargé de transmettre à la Fédération belge l’adhésion de la Fédération jurassienne. En conséquence, la lettre suivante fut adressée à Bruxelles :


Association internationale des travailleurs.
Fédération Jurassienne.
Au Conseil général[34] belge.

Compagnons, Les Sections de la Fédération jurassienne, après avoir pris connaissance des résolutions adoptées par le Congrès ouvrier belge tenu les 24 et 25 décembre dernier, nous chargent de vous déclarer qu’elles donnent leur adhésion pleine et entière auxdites résolutions.

Le Congrès de Sonvillier, en invitant toutes les Fédérations de l’Internationale à provoquer la convocation, à bref délai, d’un Congrès général, avait essentiellement pour but de bien établir ce principe, que le Congrès général ne pouvait pas être supprimé et remplacé à l’avenir par de simples Conférences. L’attitude récente de la plupart des Fédérations régionales est pour nous un sûr garant que l’immense majorité des internationaux entendent maintenir intactes ces grandes assises internationales du travail qui ont porté le nom de Congrès ouvriers généraux.

Dans ces circonstances, la Fédération jurassienne ne pense pas qu’il soit opportun de hâter la convocation du Congrès ; elle se borne à insister pour que le Conseil général, sous aucun prétexte, ne puisse supprimer le Congrès régulier qui doit avoir lieu en 1872, comme il a supprimé celui de 1871. Elle croit que toutes les Fédérations régionales feront bien d’adhérer aux résolutions du Congrès belge, et de se préparer ainsi, pour le prochain Congrès général régulier, à une revision sérieuse de nos Statuts généraux, en tenant compte des expériences faites depuis la fondation de l’Association.

Le Conseil régional belge rendra service à l’Association s’il envoie à chaque Fédération le projet de Statuts généraux qu’il est appelé à élaborer. Le développement de l’organisation de l’Internationale en Belgique le rend plus à même qu’aucun autre Conseil régional de présenter un projet qui puisse servir de base de discussion à toutes les Fédérations.

Nous vous saurons gré de donner à la présente pièce toute la publicité possible, afin de couper court aux fausses interprétations qui ont été faites de la circulaire du Congrès de Sonvillier.

Au nom de la Fédération jurassienne,

Les membres du Comité fédéral.

Sonvillier (Jura bernois, Suisse), le 7 février 1872[35].


Une question d’une importance capitale pour nous demandait une solution immédiate : la Fédération jurassienne ne pouvait pas rester sans organe. J’avais étudié les conditions de publication d’un bulletin autographié, de quatre pages à deux colonnes, tiré sur du papier à lettres format coquille ; et j’avais calculé que, l’autographie devant être faite gratuitement par l’un des nôtres, les frais du tirage lithographique et le coût du papier ne dépasseraient pas dix francs. Je communiquai mon plan au Comité fédéral, qui l’adopta. Il fut convenu que ce bulletin paraîtrait deux fois par mois, au prix de 4 francs par an ; que le tirage se ferait à Neuchâtel (à la lithographie Furrer), et que la rédaction et l’administration seraient au siège du Comité fédéral. Par une circulaire en date du 5 février, l’autorisation nécessaire fut demandée aux Sections, qui l’accordèrent ; et l’apparition du premier numéro du Bulletin de la Fédération jurassienne fut fixée au 15 février 1872.

Je note en passant que, dans le courant de février, Malon quitta Genève et vint s’établir pour quelques mois à Neuchâtel. La raison qu’il donna de ce changement de domicile était qu’il voulait faire l’apprentissage du métier de vannier en devenant l’élève de l’excellent Gaffiot, du Creusot, qui, depuis quelques mois, pour tresser ses paniers, s’était installé à Neuchâtel, dans un petit atelier situé aux Cassardes, au-dessus de la ville. Mais il y avait au départ de Malon de Genève un tout autre motif, que nous ne connûmes que plus tard : c’était une brouille, amenée par une cause d’ordre intime, avec la famille Perron, qui l’avait si affectueusement reçu lors de son arrivée.

En France, grâce aux efforts de ceux qui, n’ayant pas été proscrits, avaient pu continuer à travailler dans leurs ateliers et à vivre au milieu de leurs camarades, grâce aussi à l’active propagande faite par la correspondance des réfugiés, l’Internationale se réorganisait. Dans son premier numéro (15 février), résumant les nouvelles que nous recevions, notre Bulletin put dire : « Malgré la terreur tricolore et les rigueurs de l’état de siège dans les départements où étaient parfaitement organisées les fédérations ouvrières, l’Internationale reprend une nouvelle vigueur en France. Des groupes se forment partout, non seulement dans les centres connus pour leurs tendances socialistes, mais encore dans des villes où aucune Section n’avait existé jusqu’à ce jour. » Le Conseil général, de son côté, se livrait en France à une propagande active ; mais c’était surtout une propagande contre nous ; son secrétaire pour la France, Serraillier, et quelques autres, écrivaient de nombreuses lettres pour décrier les hommes mal vus par la coterie de Londres. Mme  André Léo, dans une lettre du 9 janvier 1872 à sa jeune amie Élise Grimm, qui se trouvait à ce moment en Angleterre et lui avait demandé des renseignements, appréciait ainsi l’action du Conseil général en France : « Serraillier écrit des lettres ignobles où, à défaut de raisons, il insulte et ne fait que des personnalités. Le Moussu est un sinistre ridicule. Les hommes sérieux, Theisz, Avrial, etc., se sont retirés, ne pouvant approuver les agissements de ce Conseil, dont Karl Marx est le mauvais génie. »



  1. On a vu que, pendant la Conférence de Londres, il s’était occupé spécialement du délégué Lorenzo et l’avait logé chez lui.
  2. Cet article fut reproduit le 3 décembre par la Federación, organe du Centre fédéral des Sociétés ouvrières de Barcelone, qui n’y entendait pas malice.
  3. Ici l’expression semble choisie pour créer une de ces équivoques dont je viens de parler. L’auteur de l’article, comme on l’a vu et comme il va le répéter, rejette absolument l’emploi des « urnes électorales », et par conséquent le recours au suffrage universel et aux élections politiques, comme moyen d’émancipation. Lorsqu’il parle de « l’organisation du suffrage universel au moyen du groupement et de la fédération des sociétés ouvrières », il ne peut avoir en vue (que ce que les Belges avaient appelé la « Représentation du travail » : la constitution de délégations ouvrières, de « Chambres du travail », qui veilleraient aux intérêts des travailleurs, idée qu’en Belgique on opposait précisément au parlementarisme ; idée qu’au Congrès de Bâle la commission chargée du rapport sur les sociétés de résistance avait faite sienne, en disant : « Ce mode de groupement forme la représentation ouvrière de l’avenir : le gouvernement est remplacé par les conseils des corps de métier réunis, et par un comité de leurs délégués respectifs, réglant les rapports du travail, qui remplaceront la politique ». Mais bien des lecteurs peu éclairés pouvaient s’imaginer que la Emancipación approuvait le recours au suffrage universel dans le sens de la participation à l'action parlementaire, à la seule condition qu'on s'organisât pour aller aux urnes en parti politique distinct : et c'était bien là ce que disait en réalité la résolution IX de la Conférence de Londres.
  4. « Lorenzo, à son retour de la Conférence de Londres, qualifia le Conseil général de cour de Karl Marx. » — « Notre représentant à la Conférence de Londres disait, en parlant de la majorité du Conseil général, qu’il avait rougi de voir le respect servile et la sotte déférence qu’elle témoignait à M. Marx, qui la gouvernait à son caprice. » (Cuestion de la Alianza, pages 2 et 3.)
  5. Alerini s’était réfugié à Barcelone après les événements de Marseille d’avril 1871, auxquels il avait pris part.
  6. Bastelica était en ce moment à Neuchâtel.
  7. « L’ancienne A. » est soit l’Alliance internationale de la démocratie socialiste créée à Berne le 25 septembre 1868. et qui prononça elle-même sa dissolution après que le Conseil général de Londres eut refusé de l’admettre dans l’Internationale par le motif qu’elle formait « un deuxième corps international » ; soit la Section de l’Alliance de Genève, dissoute le 6 août 1871.
  8. Cette lettre a été imprimée par extraits dans la brochure L’Alliance de la démocratie socialiste, etc., p. 33 ; c’est là que je prends mes citations. La lettre, dit la brochure, « fut envoyée en copie à toutes les Sections de l’Alliance espagnole » (c’est-à-dire de la Alianza (voir plus loin, p. 270) : c’est ainsi qu’elle tomba entre les mains de Marx, quand certains membres de la Alianza de Madrid eurent été gagnés par Lafargue.
  9. Sur Alberto Tucci, voir t. Ier, pages 76 (ligne 2) et 120.
  10. Ils s’étaient fait recevoir comme membres par la Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste.
  11. J.-Ph. Becker écrivait à Sorge, le 30 novembre, au sujet de cette séance : « Les réfugiés parisiens font ici scandale sur scandale : ce sont des braillards mégalomanes et des chauvins à cerveau brûlé. Nous avons après-demain une importante assemblée de toutes les Sections d’ici, et il pourrait facilement arriver que beaucoup de ces messieurs fussent exclus de l’Association, ou même mis à la porte de vive force (handgreiflich hinausgeworfen). C’est M. Lefrançais qui est à la tête de cette bande d’aliénés (Narrenhäuster). »
  12. Révolution sociale, no 7 (2 décembre 1871).
  13. C’est par cette périphrase, qu’il croyait plaisante, que Marx désigne invariablement la circulaire de Sonvillier.
  14. Nous n’avions pas eu connaissance de ce Congrès, tenu à Genève dans le courant de mai 1871, et où il n’y eut que des délégués genevois. Pendant que nous étions entièrement absorbés par les tragiques événements de Paris et que nous préparions des moyens de venir en aide à nos amis français, les hommes du Temple-Unique, les Outine, les Perret, les Grosselin, s’étaient amusés, comme on le voit, à nous exclure « à jamais » de l’Internationale.
  15. Le brouillon de cette réponse de Joukovsky a été retrouvé par Nettlau et publié par lui, p. 586.
  16. Cette expression, qu’avait employée Alerini, ne se retrouve pas dans les fragments de sa lettre publiés par Marx.
  17. Même observation pour ce passage de la lettre d’Alerini que pour celui qui a été cité plus haut.
  18. La Section de propagande et d’action révolutionnaire socialiste, de Genève, et la Section française de 1871, de Londres.
  19. Joukovsky dit « nous », mais il n’avait pu assister lui-même à la séance, ayant été expulsé de la Section centrale de Genève en août 1870.
  20. Cette lettre, retrouvée par Nettlau, a été publiée par lui (p. 588).
  21. Écrivant à un journal italien, il l’appelle « la magnifique et tout à fait légitime protestation du Congrès franco-jurassien » (Nettlau, p. 579).
  22. Cité par Nettlau, p 577.
  23. Cité par Nettlau, p. 583. Cette lettre resta inachevée et ne fut pas envoyée.
  24. Comme on le verra au tome III, Cyrille finit, quelques années plus tard, par être suspecté de connivence avec la police italienne (Mme  André Léo, dans une lettre de 1878, affirme qu’on en a la preuve, « et deux fois plutôt qu’une ») : en 1871 il paraît avoir été encore sincère, et son exubérance n’était pas d’un agent provocateur, mais simplement d’un emballé.
  25. Nettlau, p. 581.
  26. Terzaghi avait louvoyé d’abord entre le Conseil général et nous, soit qu’il n’eût pas encore compris de quoi il s’agissait, soit plutôt qu’il eût voulu ménager la chèvre et le chou. On lit dans L’Alliance de la démocratie socialiste, etc., p. 43 : « Le 4 décembre, Carlo Terzaghi demande au Conseil général de l’argent pour son journal le Proletario. Ce n’était pas la mission du Conseil général de pourvoir aux besoins de la presse ; mais il existait à Londres un Comité qui s’occupait de réunir quelques fonds pour venir en aide à la presse internationale. Le Comité était sur le point d’envoyer un subside de cent cinquante francs, quand le Gazzetino rosa annonça que la Section de Turin avait pris ouvertement parti pour le Jura... Devant cette attitude hostile à l’Internationale (sic), le Comité n’envoya pas l’argent. »
  27. La Théologie politique de Mazzini et l’Internationale, par M. Bakounine, membre de l’Association internationale des travailleurs. Première partie : L’Internationale et Mazzini. Un volume petit in-8o de 111 pages. Prix : 1 franc. Imprimerie G. Guillaume fils, Neuchâtel. Commission de propagande socialiste [Saint-Imier], 1871.
  28. Les Fraticelli étaient une secte d’hérétiques qui avaient pris parti pour Satan, le grand calomnié, contre Dieu, son injuste persécuteur. Ils se saluaient entre eux en invoquant l’ange révolté, qu’ils appelaient « Celui à qui on a fait grand tort ».
  29. Je ne me rappelle pas ce que contenait cet entrefilet : Nettlau, qui cite plusieurs passages de ce manuscrit de Bakounine (p. 583), ne le dit pas. Deux fragments de ce manuscrit ont paru dans le supplément littéraire de la Révolte (juin 1892).
  30. Rapprocher ce passage d’une citation d’Engels (préface à une nouvelle édition du Manifeste communiste, 1890) qui sera faite au chapitre VI de la Quatrième Partie, page 341, note 2
  31. Bulletin de la Fédération jurassienne, n° 1 (15 février 1872).
  32. Je cite ce texte d’après la brochure de Marx, Les prétendues scissions, etc., p. 36.
  33. Dans ces pages, Bakounine, reproduisant le préambule des Statuts généraux de l’Internationale, le citait d’après la version du Socialiste de Paris (11 juin 1870), où le troisième alinéa des considérants est ainsi rédigé : « L’émancipation économique des classes ouvrières est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme un simple moyen ». Il ne s’était pas même aperçu que cette rédaction différait du texte français voté à Genève en 1866. Voir la note de la p. 58.
  34. Au début, le Conseil de la Fédération belge s’était appelé « Conseil général belge ». En 1871, l’épithète général fut remplacée par celle, plus correcte, de fédéral. Le Comité de Sonvillier emploie encore ici l’ancien style.
  35. J’emprunte le texte de cette lettre au n° 1 du Bulletin de la Fédération jurassienne.