L'Art pendant la guerre 1914-1918/Partie 4/Chapitre 2

CHAPITRE II

EN ALLEMAGNE


L’Allemagne, en 1914-1916, a-t-elle été en guerre avec la France ? Un archéologue, qui n’aurait pour se guider, dans quelques milliers d’années, que les caricatures allemandes, — comme il arrive aujourd’hui qu’on ne possède, sur un événement de l’ancienne Égypte, qu’une suite de dessins sur un papyrus, — pourrait se poser la question. Non que les feuilles satiriques d’outre-Rhin se soient désintéressées de la guerre. Tous les crayons ont été mobilisés sur-le-champ, toutes les plumes et tous les pinceaux, des Lustige Blaetter et du Kladderadatsch de Berlin à la Jugend et au Simplicissimus de Munich. Pareillement, la Muskete et le Kikeriki de Vienne et d’autres moins célèbres, comme la Ulk de Berlin et le Wahre Jacob de Stuttgart et même le Brummer, ont donné. Tout ce qu’on peut inventer de drôle, sur les bords de la Sprée, a été réquisitionné par l’autorité supérieure, et, aussi, ce qu’on peut imaginer de tragique pour épouvanter l’ennemi : les fantômes au gantelet de fer, un peu démodés depuis les Burgraves, les diables cornus du temps de Grünewald ou de Martin Schongauer, les vieux dieux sont sortis de leurs obituaires ; Breughel et Albert Dürer, eux-mêmes, ont été appelés à la rescousse. Depuis le début de la guerre, c’est un feu roulant de sarcasmes et de quolibets, de menaces apocalyptiques, ou le gros rire alterne avec le susurrement de la calomnie, — ce que les Anglais, qui suivent de très près ces manifestations de l’esprit teuton, appellent « l’Évangile de la Haine », ou « l’Humour des Huns », ou les « Gaz empoisonnés pictoriaux ».

Mais contre la France, on ne trouve presque rien. Çà et là, dans la foule des Alliés on aperçoit le bonnet de Marianne, ou le képi du généralissime, ou le haut de forme du Président de la République, mais on ne voit point clairement qu’ils aient à lutter contre l’Allemagne. Bien mieux, on pourrait croire, parfois, que c’est contre l’Angleterre. Dès novembre 1914, un cuirassier français, blessé, traversait les Lustige Blaetter en s’appuyant sur son sabre. Il rencontrait Jeanne d’Arc, en vue de la cathédrale de Reims et lui disait : « Chère Jeanne d’Arc, reviens et chasse ces maudits Anglais hors de France ![1] » Un peu plus tard, dans les premiers mois de 1915, on voyait dans la même feuille ce tableau de genre intitulé John Bull à Calais : un énorme officier anglais, casquette enfoncée jusqu’aux oreilles et pipe vissée au coin de la bouche, s’est installé dans un salon français meublé dans le goût du xviiie siècle. Il a calé l’essentiel de son personnage dans un canapé et il ne lui faut pas moins de deux fauteuils Louis XV pour étendre ses grandes jambes entortillées de leggins. « Mon Dieu ! s’écrie une jeune femme élégante, coiffée du bonnet phrygien ; qui apparaît à la porte, je crois que cette brute a l’intention de rester avec moi toute la vie ! » Et, par un raffinement d’ironie, qui a dû coûter bien des méditations à l’artiste berlinois, mais en revanche lui a donné une joie bien douce en songeant aux amertumes où il nous plongerait, dans un coin, sur un socle, on aperçoit un objet d’art, qui n’est autre qu’une réduction d’un des Bourgeois de Calais, de Rodin…

Aussi, Marianne se fâche et le Wahre Jacob, de Stuttgart, nous la montre, en cotillon court et souliers plats, qui fait voler toute sa vaisselle dans la direction d’un groupe d’invités, anglais ou russes, en criant : « Sortez, vous autres, sans quoi ma belle France sera ruinée ! » En attendant, les profonds symbolistes de Munich, qui dessinent à la Jugend, estiment que la pauvre France est en grand danger de mort. Ils la représentent enveloppée par les pattes filamenteuses et perforée par les suçoirs immondes d’une gigantesque araignée, laquelle a déjà saigné toute la pauvre Belgique, qui pend au bout du fil, exsangue, et cette araignée monstrueuse, buveuse du sang de deux peuples et toujours inassouvie, — ne pensez pas que ce soit l’Allemagne, non ! non ! cherchez ou plutôt ne cherchez pas plus longtemps : c’est l’Angleterre ! C’est l’Angleterre, on ne peut en douter aux trois croix superposées qui la ceinturent et, d’ailleurs, son nom est lisiblement écrit sous le symbole. Après cela, rien d’étonnant si la Muskete, de Vienne, a cru apercevoir la scène suivante : un soldat français et un écossais reconnaissable à son kilt, prisonniers de guerre, tous deux, s’injurient, derrière les fils barbelés, se montrent le poing en grinçant des dents, tandis que deux paisibles Poméraniens les retiennent et cherchent à les calmer par cette douce perspective : « Attendez quelques semaines, mes amis, et vous serez obligés de vous battre l’un contre l’autre, par vos propres gouvernements ».

C’est que, sans se priver absolument de nous décocher quelque épigramme, l’artiste allemand a toujours devant les yeux cet unique but : l’Angleterre. C’est la grenouille de ce jeu de tonneau. D’abord, c’est l’Angleterre qui a voulu la guerre. C’est un axiome. Sir Edward Grey, aveugle conduisant d’autres aveugles, les chefs d’État alliés, les a précipités dans cet abîme, et le Simplicissimus s’est souvenu, à ce propos, de la toile fameuse de Breughel. Le pied lui glisse dans le sang et le malheureux John Bull s’accroche désespérément au globe qu’il a ainsi rendu inhabitable : il tombe ainsi que les gouttes pourprées qui suintent de l’Europe égorgée, dans une estampe du Simplicissimus en noir, blanc et rouge et il crie : « Malédiction ! le sang est plus glissant que l’eau ! »

Il bat la générale, sous la forme d’un squelette à gros ventre, pipe à la bouche, et la caisse en bandoulière et il appelle les hommes aux armes : « Pour chaque heure de service, un shilling ! Pour chaque cadavre, un dollar ! » répète le tambour de la Jugend. « Il a le mauvais œil ! Nous savons cela depuis longtemps », dit la Ulk en représentant la tête de sir Edward Grey, et, en effet, l’on voit que dans les yeux, les pupilles sont remplacées par deux petites têtes de mort. D’ailleurs, l’homme d’État anglais est le plus visé, ridiculisé, déformé, stigmatisé des adversaires de l’Allemagne. Aucun de nos compatriotes ne peut prétendre, même de bien loin, à un tel honneur. Après être apparu en aveugle conduisant des aveugles, le voici transformé en harpie posée sur les ballots de l’industrie et du commerce allemands, en hibou, qu’offusque la lumière du Croissant turc, dans le Kladderadatsch, en négociant en têtes de mort, sous la firme Albion and Co, avec ce titre : Le gardien de la loi internationale et ces mots : « La guerre est une affaire comme une autre ». Si le roi des Belges se présente à lui, en voyageur, la valise à la main, et lui demande assistance en lui disant : « Rappelez-vous que j’ai tout perdu pour vous », sir Edward Grey lui répond : « Vraiment ! eh bien, quand vous aurez encore quelque chose à perdre, je m’intéresserai à vous. Mais maintenant !… » ou si c’est le roi de Serbie, qui vient lui dire : « Votre très gracieuse seigneurie m’a fait demander. Comment puis-je vous êtes utile, sir Grey ? » l’homme fatal, enfoncé dans son fauteuil et ses remords, répond : « Votre armée, roi Pierre, ne peut plus nous être d’aucune utilité, mais vous pourriez me recommander un couple d’assassins ». Et si l’on regarde attentivement les détails de cette planche, qui a paru dans la Jugend, on remarque, sur la table du diplomate, un dossier sur lequel sont écrits ces mots : Casement, Findley, plus loin, un revolver, enfin, une photographie entourée de lauriers, portant cette dédicace : Princip. Ces menus accessoires font allusion à une histoire d’assassinat où les Allemands ont voulu impliquer le ministre d’Angleterre en Norvège et au drame de Serajevo.

L’énormité de ces falsifications historiques montre assez la naïveté sans bornes du peuple qui s’en nourrit. Sans doute, il ne faut point croire à la bonne foi des historiens. Il y a des pince-sans-rire à Munich. Mais la foule n’absorberait pas indéfiniment cette nourriture si elle la croyait frelatée. La transformation du plus pacifiste des diplomates en un vampire altéré du sang humain est opérée, sans aucun doute, de concert avec le sentiment public en Allemagne. Et cela prouve combien l’esprit critique est chose différente de l’instruction ou de la « culture ». Le peuple qui se targue d’avoir l’une et l’autre au plus haut point jusqu’ici, est aussi celui qui prend le plus aisément des concombres pour des violons.

Donc, c’est l’Angleterre qui a voulu la guerre. Comment est-il possible, qu’au xxe siècle, une nation tout entière se décide à aller au-devant de la mort ? C’est qu’elle n’y va pas… Elle fait la guerre avec le sang des autres. Voilà ce que veut dire l’étrange image de l’araignée Albion suçant le sang de la France, après avoir sucé celui de la Belgique. Lord Kitchener, dans la Muskete, de Vienne, prononce un discours devant la table ronde où s’est réuni le Conseil de Guerre des Alliés, et quel est ce discours ? « L’Angleterre attend que chacun : Belge, Français, Russe, Japonais, Serbe, etc., fasse son devoir ! » En effet, trois haleurs, dans les Lustige Blaetter, tirent à grand’peine un bateau, chargé de marchandises, où se prélasse John Bull, et ces pauvres diables sont un Russe, un Belge que la fatigue jette à terre et un Français. Les choses tournent fort mal pour les Alliés : il n’en a cure et voici, dans le Wahre Jacob, une image du déluge les eaux ont tout envahi, sous le ciel noir, seul un piton émerge encore, où voudraient bien se hisser le Français, le Russe, l’Italien et les autres près d’être engloutis, mais le roc est escarpé, glissant et ils luttent vainement pour s’y agripper. John Bull, lui, confortablement assis sur le sommet, fume sa pipe. Au loin, l’arche de Noé, — sa marine, — vogue et le tirera toujours d’affaire. Les neutres ne sont pas plus épargnés. John Bull, toujours la pipe à la bouche et les mains dans les poches, leur marche sur les pieds à tous : l’Espagnol, l’Italien (c’était avant l’entrée en scène de l’Italie), l’Américain et le Hollandais : « Combien de temps laisserez-vous cette brute marcher sur vos cors ? » demandent les Lustige Blaetter… Ainsi, l’égoïsme de l’Angleterre égale sa cruauté.

Les deux sont surpassées encore, dans l’esprit des Allemands, par son incapacité militaire. Cette « nation de boutiquiers » a voulu la guerre et elle est incapable de la faire. Elle n’a pas de soldats, et pour s’en procurer elle est obligée aux plus humiliants stratagèmes. Son roi lui-même, son ministre de la Guerre en grand costume, couronne en tête et hermine aux épaules, ses magistrats, ses évêques, s’en vont, avec des drapeaux, le long de la Tamise, selon la Ulk, et s’ils rencontrent un voyou, assis sur la margelle en train de pêcher à la ligne, sans prendre garde qu’il est patibulaire et bossu, ils joignent les mains, s’agenouillent et en chœur : « Votre Roi et votre Pays ont besoin de vous. Ne voudriez-vous pas, s’il vous plaît, vous engager ?… » Si le voyou résiste, ils ne craignent pas d’argumenter avec lui. « Ne voulez-vous pas vous engager ? Les choses vont au mieux pour l’Angleterre », dit Kitchener à un ignoble drôle, qu’il rencontre au coin de Hyde Park. « Alors vous n’avez pas besoin de moi », dit l’autre. « Non, vous ne m’avez pas compris. L’Angleterre court les plus grands dangers. Il faut vous enrôler tout de suite. — Non, dans ce cas, c’est trop dangereux pour moi », rétorque le drôle. Mais on le rattrapera d’une autre manière. Le même Simplicissimus nous montre un cambrioleur surpris par un policeman, durant une opération nocturne de « reprise individuelle ». Son ignoble face, clignotante sous le jet livide de la lampe sourde, sue la peur de la prison ou de la potence, mais il est vite rassuré et réchauffé en son cœur d’Anglais par ces paroles éminemment patriotiques : « Venez, Kitchener a besoin de vous ! » C’est de semblables recrues qu’est formée l’armée nouvelle, pense-t-on à Berlin. Aussi faut-il prendre avec elles quelques précautions et la Ulk nous montre comment on les conduit au feu. Ces gens sont encagés dans des cellules roulantes comme les bêtes fauves d’une foire, le boulet aux pieds, et, poussés par des policemen, ils tirent, à travers les barreaux de leur cage. Cette image est intitulée : L’Armée de Kitchener et accompagnée de cette légende : « Les condamnés font le reste de leur peine sur le front ».

Toutefois, et pour nombreux que soient les cambrioleurs ou les assassins en Angleterre, ils ne suffisent pas à lutter contre l’Allemagne. Alors, on fait appel aux colonies. Un kangourou s’élance sur une page de la Ulk, intitulée : le Dernier espoir de l’Angleterre. Un kangourou, cela ne paraît pas bien dangereux, mais regardez bien : dans sa poche abdominale, il loge deux petits soldats en béret écossais, qui, clignant de l’œil, visent l’ennemi, et cela s’appelle l’Australie sur le front. On descendra plus loin encore dans l’échelle des êtres : Après la chute de Maubeuge, dit le Simplicissimus, voici l’Anglais fort désemparé, meurtri, qui parlemente avec des nègres féroces. « L’orgueilleuse Albion a encore une ressource pour l’aider, elle et ses alliés. Elle mendie l’appui des Basutos et leur chef Billy-Billy promet de débarquer à Marseille avec cinq cent mille hommes. » Il en vient de partout des Boschimans et des Magris, des Achantis et des Botocudos. C’est avec cela que le pays de Bacon et d’Herbert Spencer défend la civilisation et la pensée libre. Hourra ! voici les noires légions du désert, qui vont dévorer à belles dents les professeurs d’Iéna ou de Tubingue. En attendant, une négresse, restée seule au logis, réconforte ses petits négrillons, tout en préparant son couscous, par les paroles suivantes : « Papa est parti pour l’Europe pour protéger les gentils Anglais contre les sauvages. Si vous êtes bien sages, peut-être qu’il vous rapportera un joli beefsteak d’Allemand. » Après cela, quoi d’étonnant, si même au fond de la forêt tropicale, les orangs-outangs, les mandrills et les chimpanzés sentent comme un remords de ne pas voler au secours de la mère patrie ! « Quoi ! n’avez-vous pas de honte de ne pas vous battre pour l’Angleterre contre l’Allemagne ? » dit une femelle à son mâle à croupetons sur une branche d’arbre, tout en cueillant des noix de coco… Et le Simplicissimus intitule triomphalement cette dernière planche : « Les troupes anglaises d’outre-mer ».

Malgré ces honteux auxiliaires, l’Angleterre est affolée. L’humoriste d’outre-Rhin ne se tient pas de joie en songeant aux blessures que lui infligent les sous-marins allemands. C’est un sujet inépuisable de gaieté pour lui que la vue du Neptune britannique, jadis « tranquille et fier du progrès de ses eaux », béatement endormi dans la sécurité de son omnipotence, qui se sent tout à coup pincé, lardé, troué sous l’eau par une foule d’espadons, et pousse des cris de douleur : — et c’est un spectacle que la Jugend ou le Kladderadatsch s’offrent le plus qu’ils peuvent. Leurs lecteurs ont l’esprit assez ouvert par la haine pour comprendre que les espadons figurent, ici, les sous-marins qui surprennent la marine anglaise là où elle ne songeait pas à se défendre. John Bull, épouvanté, finit par grimper sur le sommet de son île, minuscule rocher, autour duquel passent et repassent, plongent et émergent des sous-marins qui ont des gueules de requins. Cela s’appelle : Isolement splendide. Il ne craint pas seulement pour ses jambes : il est fort effrayé de ce qui se passe au-dessus de sa tête et le Simplicissimus nous montre la foule de Trafalgar Square prise de panique à la vue d’un Zeppelin.

La fin de tout cela, c’est que le roi George et M. Poincaré, selon les Lustige Blaetter, seront obligés d’endosser des scaphandres pour faire, au fond des abîmes de l’Océan, la prochaine revue de leurs flottes, parmi les madrépores, et qu’un Tommy tombé en enfer, conduit par des démons et mordu par les molosses de Satan, sur le gril éternel, s’écrie : « Pas de Zeppelin, ici, pas de canons Krupp ! Pas de sous-marins ! Je suis au ciel ! »

L’affolement de la « perfide Albion » ne vient pas seulement de ses désastres sur la mer, mais aussi de la Révolution chez elle ou dans ses colonies. Tous les humoristes allemands ont concouru sur ce thème. Le Kladderadatsch, les Lustige Blaetter, la Ulk, le Simplicissimus et la Muskete ont fait appel à toutes les ressources de leur symbolique : le sphinx pour l’Égypte avec son cortège de pyramides et le tigre pour l’Inde ont été enrégimentés parmi les alliés des Allemands. Par où il apparaît que leur mépris pour les peuples de couleur était un peu surfait. Ils les trouvent trop noirs pour défendre l’Angleterre, mais ils les trouveraient bien assez blancs pour l’attaquer. Voici, par exemple, le soir qui tombe sur l’Égypte et derrière les triangles sombres des pyramides, une faucille menaçante, dégouttante de sang, s’arrondit dans le ciel. Un horseguard, s’en va, disant : « Je crains que le temps ne change. La lune brille trop… »

C’est l’idée du Simplicissimus. Moins avisé est l’officier en khaki, des Lustige Blaetter. Il se tient tranquille, les mains dans les poches, sans voir que, derrière lui, le sphinx réveillé, terrible, les sourcils froncés en arc, a déterré une de ses griffes puissantes, la lève sur lui… Et la légende dit : « L’ancienne énigme du Sphinx sera bientôt résolue d’un coup ». La Ulk prévoit un peu plus de perspicacité chez le touriste anglais. Coiffé du casque colonial, le nez en l’air, il considère les figures tracées il y a des milliers d’années sur la pierre. Raus ! dit Set ; Raus ! dit Horus ; Raus ! dit le Pharaon, — c’est-à-dire : Dehors ! Dehors ! Dehors ! « À la fin des fins, je commence à comprendre le sens des hiéroglyphes… » murmure l’Anglais. Et le dessin est intitulé : Progrès en Égyptologie. La Ulk a aussi trouvé un symbole de la révolte des Indes qui la réjouit fort. C’est une descente de lit en peau de tigre, qui commence à s’agiter et à battre l’air de sa queue, au moment où John Bull s’éveille : « Malédiction ! Mon camarade de lit devient enragé ! » s’écrie-t-il épouvanté ; ou bien encore, il se trouve dans la Jungle, à terre, crispé de terreur, entouré de tigres menaçants, tandis que l’Agence Reuter télégraphie : « Tout est tranquille aux Indes ». Enfin, le Kladderadatsch résume tous les espoirs de Berlin, en montrant un sinistre incendiaire qui court de réverbère en réverbère allumer un feu terrible, et ces réverbères sont l’Inde, l’Égypte, le Transvaal ; et cet incendiaire est la Révolution.

Comment, de tant de dangers, la « perfide Albion » espère-t-elle se tirer ? se demande l’Allemand, et il répond : par sa perfidie, par son hypocrisie même et ses ruses déloyales de guerre. D’abord, elle a « enchaîné la Vérité », dit le Kladderadatsch, et John Bull, clignant de l’œil, d’un air féroce, monte la garde près du poteau d’infamie, où elle se morfond. C’est son « premier exploit ». Elle a tissé une trame de mensonges et s’y promène comme une araignée, dit la Ulk, qui ajoute : « Lorsque le grand jour de la purification viendra, cette ordure sera balayée avec le reste ». Elle a semé l’or à pleins sacs pour faire assassiner les gens paisibles, dit le Wahre Jacob. Il montre, en effet, une route de corniche, en Italie, vraisemblablement aux environs d’Amalfi, et deux jeunes Allemandes ou Tyroliennes, à longues tresses dans le dos, qui contemplent innocemment la mer. Dans l’anfractuosité du rocher, Fra Diavolo tire son couteau et va les frapper. Pourquoi ? C’est que, dans une anfractuosité encore plus obscure, un gentleman sec, élégant, au col correctement cassé, lui met, dans la main, une bourse, — la vraie bourse de théâtre, — et lui désigne les victimes, l’Allemande et l’Autrichienne, et ce gentleman méphistophélique, c’est sir Edward Grey. « Une mission diplomatique », dit le Simplicissimus, et l’on voit un général anglais en grande conférence avec la Mort, à qui, sans doute, il donne des instructions. Il s’agit de voyage, car la Mort a un petit sac à main, qu’elle tient avec un poignard. Elle écoute, avec déférence, l’homme aux leggings, et la légende porte : « Sur le front belge, l’Anglais donne à la Mort huit jours de congé pour visiter les Cours de Sofia et d’Athènes ».

C’est qu’il n’a point réussi dans ses tentatives avec la Vierge grecque, dit la Jugend : il a eu beau se transformer en bœuf, en nuée légère, en pluie d’or, elle l’a repoussé… « Et quand je parle de venir en Dreadnought, elle se moque de moi ! » s’écrie le Jupiter britannique en serrant le poing, — tandis que Pallas Athéné, debout, lance en main, se profile, dédaigneuse, sur la mer…

Alors, que faire ? Se cacher, se dissimuler sous les pavillons des neutres, renier ses couleurs, pensent les Lustige Blaetter et les autres feuilles comiques. C’est pour elles un inépuisable sujet de sarcasmes. On voit le patron d’un navire marchand anglais en face d’une collection complète de masques : le haut de forme étoile du Yankee, le bonnet de la Hollandaise, l’immobile peau jaune du Céleste, et se disant : « Aujourd’hui, il faut que je traverse la mer d’Irlande : lequel de ces masques neutres doit prendre un vieux marin honorable ? » Ou bien, tout nu aux bains de mer, John Bull cherche parmi les drapeaux des nations, qui sèchent au soleil, celui qui couvrira le mieux sa vilaine académie. Ou encore, c’est la vieille Albion, en haillons, qui sort de sa cabine, et se plaint ainsi : « Vraiment, je ne peux plus sortir avec ces oripeaux dégoûtants… — Courage, Britannia, volez-en de meilleurs ! » lui crie Churchill, en lui montrant les costumes des neutres, qui se balancent, séchant au vent. « Quel costume choisirais-je pour qu’on ne me reconnaisse pas ? » se demande, perplexe, John Bull, chez un fripier. « Pourquoi ne vous habillez-vous pas en gentleman ? » répond l’autre, goguenard. Enfin, la Jugend a trouvé le meilleur moyen d’échapper aux sous-marins allemands : c’est d’embarquer, à chaque voyage, trois comparses américains qui protégeront les passagers anglais et la contrebande de guerre. Sur le pont du paquebot, près de la cloison où on lit : Attention ! Munition ! le capitaine crie à son second : « Tout est-il prêt ? — Non, monsieur, répond le second, les trois Américains en extra ne sont pas encore à bord. » En effet, on les voit, sur la passerelle, leur sac de voyage et le drapeau étoile à la main, qui n’ont pas encore atteint le navire.

Quant aux Zeppelins, c’est le Simplicissimus qui a découvert quel procédé emploie la perfide Albion pour exciter contre eux l’indignation publique. Il a représenté une ville maritime anglaise, au moment où un de ces meurtriers aériens est signalé. « Attention ! Vite ! Tous les bébés dehors ! » s’écrie un policeman, et, de toutes les fenêtres, se tendent des perches, suspendant des poupons dans le vide, afin de les exposer, seuls, aux bombes qui ne manqueront pas de tomber. La noirceur de l’âme anglaise éclate, dans cette image, aux yeux de l’innocente Germanie. Un dernier trait achèvera de la peindre, et c’est la Jugend qui l’a trouvé. « Depuis qu’il a été déclaré que les « Barbares » allemands refusaient de tirer sur les cathédrales, l’Angleterre a élaboré un joli petit plan pour la défense de ses côtes », dit la légende. On voit, en effet, des paravents en forme de façades gothiques, dressés au bord de la mer ; sous les portails moyenâgeux, s’arrondissent des bouches de canon ; derrière les gargouilles, s’embusquent des tireurs : il n’est pas un ornement, un fleuron, ni une ogive qui ne recèle une embûche. Bien mieux, les garde-côtes cuirassés eux-mêmes ont une superstructure de clochers et de chapelles, et, dans le ciel, les aéroplanes volants prennent une allure de chapelles en déplacement aérien.

Les Anglais accusent le coup, sans sourciller, en beaux joueurs qu’ils sont[2]. Ils n’y ont pas grand mérite, car le coup ne porte guère et ils pourraient aussi bien, la plupart du temps, ramasser l’injure qu’on leur jette comme une pierre et s’en parer comme d’un joyau. Car si l’Australie et le Cap et les Indes et le Canada et la Nouvelle-Zélande, tous les pays d’outre-mer, accourent à la défense de la vieille Angleterre, qu’est-ce à dire, sinon qu’elle a su s’en faire aimer ? Et si tant d’autres peuples et de tant de couleurs, épars sur le globe, sous toutes les latitudes, se rangent du côté des Alliés, qu’en saurions-nous conclure, sinon que la conscience universelle se prononce contre l’Allemagne ? Ce ne sont pas des gens de « haute culture », dira-t-elle : c’est à voir. Car il faudrait démontrer que les Bachi-Bouzoucks le sont et aussi les Bulgares, et qu’on est plus près de l’idéal scientifique de l’humanité à Panagurista et à Kastamouni qu’à Melbourne et à Montréal… « Nous appelons civilisés les peuples qui sont nos dupes et sauvages ceux qui ne le sont pas » : — voilà ce qu’il faudrait dire tout uniment, au lieu de tant de gloses, et cette définition à la Gorenflot rendrait fort bien justice à toute l’argumentation des professeurs de Weimar ou de Greifswald. Pourquoi ne peut-on employer des Gourkas ou des Sikhs et peut-on employer des gaz asphyxiants ? Pourquoi l’Angleterre est-elle un monstre d’égoïsme en envoyant se battre pour elle des Australiens ou des Canadiens, qui sont nés d’elle, et l’Allemagne ne l’est-elle pas en versant le sang des Turcs, pour qui elle n’a jamais rien fait ? Le peuple du « libre examen » ne supporterait guère toutes ces théories, si elles étaient, par aventure, examinées librement.

De même, les plaisanteries des Allemands sur le recrutement volontaire. C’est une honte, à leurs yeux, que de solliciter un homme d’entrer au service au lieu de le faire encadrer par deux gendarmes. Mais c’est l’orgueil de l’Angleterre que d’avoir vu trois millions de volontaires, sans y être forcés, accourir à son appel. Il n’est pas très sûr que l’Allemagne, elle-même, eût obtenu ce résultat. L’Angleterre a prouvé, jusqu’à l’évidence, par sa pauvreté première en hommes et en munitions, qu’elle ne tendait, ni ne s’attendait à la guerre, et, par son magistral « rétablissement », qu’elle était capable de la faire, comme les camarades. De tout cela, elle a lieu d’être fière, et plus on lui décernera de sarcasmes, plus elle les collectionnera comme des titres d’honneur.

Nous n’en saurions montrer autant, ni les autres Alliés. Pourtant, l’Allemagne nous a bien fait, çà et là, l’honneur de quelques outrages et l’injure de quelque compassion. Le plus saisissant, si l’artiste avait été plus habile, serait un dessin des Lustige Blaetter, intitulé : « La mort du Gaulois ». C’est la nuit : le généralissime Joffre dort dans une chambre, où une réduction du Gaulois mourant orne la cheminée. Un rayon de lune tombe sur le chef-d’œuvre antique. Le dormeur est en proie à un cauchemar : il voit celui qu’on appela longtemps le Gladiateur mourant, dans sa pose affaissée, tragique, répétée à des exemplaires sans nombre, et, chacun de ces Galates mourants a un képi, qui désigne assez la nation dont il est.

Ou bien, le président de la République, présidant un dîner des Alliés, se lève, frappe du couteau sur son verre et prononce un discours : « Messieurs, dit-il, quand nous nous retournons vers le passé, nous devons admettre que notre position en Angleterre… ah ! en Russie… heu ! en Belgique, hem ! hem ! en France… Ah ! heu ! heu !… Mais le dîner était bon. » Tel est le ton général de la caricature allemande sur la France. Elle s’en écarte rarement. Une fois, dans la Ulk, on a vu ceci : Pallas Athéné, portant, dans une main, la cathédrale de Reims ; de l’autre, son égide, protège des soldats et même des civils, français, tirant à l’abri de l’Art. Et encore, la guillotine dressée sur la place de la Concorde, le bourreau, masqué, attendant les chefs de l’État français, qui vont « encore une fois perdre la tête ». Mais l’affectation de l’impartialité est souvent sensible. Un dessin de la Ulk figure une représentation à Berlin, les bustes de Molière et de Shakespeare sur la scène, couronnés, le parterre applaudissant à tout rompre, avec cette légende : « Ces Allemands ! ces Boches ! Chaque soir, ils ridiculisent les grands poètes de la France et de l’Angleterre ! »

Contre la Russie, les attaques sont plus âpres. Le grand-duc Nicolas, surtout, est honoré d’une haine incessante et multiforme. Hindenburg l’enserre de ses griffes, fatales comme le Destin, selon le caricaturiste de l’an dernier, détrompé aujourd’hui, ou bien il est nommé généralissime des blessés alliés, comme ayant été le plus mutilé de tous. Ces images, qui n’ont aucun sens réel, montrent pourtant la crainte que l’invasion russe inspire aux Allemands. Pour se défaire de ce cauchemar, ils comptent surtout sur la Révolution. Innombrables sont les images qui invoquent le peuple russe contre le Tsar, dans la Ulk, dans le Wahre Jacob, dans le Kladderadatsch et jusque dans la Muskete de Vienne. Partout l’on voit un moujik gigantesque tendant le poing au Tsar atterré. Tel est le désir de l’Allemagne.

La Serbie est honorée d’une haine presque égale. Si l’esprit chevaleresque dominait jamais le monde, il y a un coin où l’on serait sûr,’ encore, de ne pas le rencontrer : ce serait la Ulk, à Berlin. Ce journal a représenté un moribond, affaissé dans une petite voiture, avec une couverture brodée d’une couronne royale. Il est coiffé du képi serbe. Devant lui, debout, un gros homme, un hercule coiffé d’un fez, salue militairement : « Je ne sais pas si vous me reconnaissez, dit le Turc avec un gros rire, je suis l’Homme malade ! »

L’Italie n’est pas mieux traitée. Ses dirigeants sont, d’ordinaire, montrés emboîtant le pas à un fou, chauve, couvert de lauriers, armé d’une lyre et qui les conduit aux abîmes… Depuis Lamartine, nul poète, assurément, n’avait été autant caricaturé que M. d’Annunzio. La présence de l’ancienne alliée aux côtés des amis du Droit a déchaîné toutes les calomnies. « A-t-il signé ? » demande le soldat français à son camarade anglais, derrière un petit bersaglier qui écrit : « Pas de paix séparée ». — Yes, répond le highlander. — Alors, surveillez-le avec un soin tout spécial ! » et le Kladderadatsch, en figurant « Noël dans les Dolomites », évoque un paysage de montagnes et de neige où s’ensevelissent tous les espoirs italiens.

Même affectation de mépris à l’égard des Japonais, tant loués pourtant, jadis, par le parti militaire allemand. Ils sont devenus des sauvages, des singes, des monstres aux dents acérées, dont la fureur, d’ailleurs, est impuissante. Une grande planche, d’une assez belle allure décorative, a paru dans le Simplicissimus, tout au début de la guerre : c’était un chevalier immobile dans son armure, planté sur un rocher, tenant d’un bras de fer, bien droit, le pavillon allemand, tandis que des vagues furieuses se recourbent autour de lui, et la crête écumeuse des vagues est faite de têtes féroces, les lèvres retroussées sur les gencives, montrant les dents… C’était l’Allemagne à Kiao-Tchéou. Un autre dessin du même journal nous transportait en Allemagne, dans un jardin zoologique. À travers les barreaux d’une cage, on voyait des macaques nippés de costumes européens, qui se divertissaient en compagnie d’autres singes sans costume. Et la légende disait : « On demande que les Japonais résidant en ce moment soient enfermés dans les jardins zoologiques. On ne tiendra aucun compte des protestations des chimpanzés. » La victoire des Nippons a mis un terme à ces singeries.

De telles énormités, de quelque mauvais goût qu’elles s’aggravent, se conçoivent quand elles s’adressent à des pays en guerre avec l’Allemagne. Elles surprennent fort quand elles s’adressent à des Neutres.

C’est un fait, cependant, que les États-Unis ne sont pas mieux traités, par les satiristes allemands, que les pays belligérants eux-mêmes[3]. Ils sont considérés, d’ailleurs, comme belligérants en quelque manière, car on les accuse de forger l’arme des Alliés en échange de leur or. L’Or ! le Dollar ! les Affaires ! le Profit ! Quelle honte chez le peuple de la Liberté éclairant le monde ! Ah ! elle est bien précieuse aux caricaturistes de la Jugend ou du Kladderadatsch, la statue de Bartholdi ! On la voit submergée, engloutie par l’or que gagnent MM. Morgan, Schwab et Rockefeller, et pouvant à peine soulever son flambeau par-dessus le flot mortel, ou bien transformée en une vieille mégère, « la Liberté du commerce des armes qui rapporte gros » et ne tenant plus à la main qu’une lampe à pétrole, ou bien déboulonnée et remplacée par le Dieu du Profit, un vieux monsieur qui compte sur ses doigts… En vérité, on ne savait pas que les Allemands eussent, à ce point, le mépris des Affaires ! Mais il paraît que l’Amérique en oublie tous ses principes d’humanité. « Vous priez, oncle Sam ? » demande le Michel allemand à Jonathan, qu’il voit à genoux, mains jointes, levant sa barbe de bouc vers le ciel. « Oui, je demande au Ciel que vous capturiez les canons que j’ai vendus aux maudits ennemis de l’Allemagne. » — « Ah ! et pourquoi demandez-vous cela ? » — « Pour que je puisse leur en vendre encore davantage. » En effet, on voit le président Wilson, dans le Simplicissimus, proposer des obus à des généraux français, où l’on retrouve assez exactement le type du général de Galliffet. Sur l’obus il est écrit : « Cause beaucoup de douleur » et le président ajoute : « Vous comprenez, naturellement, que plus l’agonie produite par mes obus est douloureuse, plus ils coûtent cher. » Ou encore, il s’adresse à un officier anglais, assis sur une table, en train de fumer sa pipe et lui présentant un obus, emmailloté dans du papier, il lui dit : « Voici un nouveau modèle d’obus. Il est enveloppé dans un petit bout de protestation, mais vous ne devez pas la prendre très au sérieux. » Aussi, qu’arrive-t-il ? Un Allemand, gisant sur le champ de bataille, retrouve un morceau de l’obus qui l’a frappé à la tête et y lit : Braves Allemands, nous prions pour vous ! Fabrique de munitions de Jonathan-Amérique. Quelle hypocrisie ! pense le lecteur d’outre-Rhin. Et il se pâme encore devant cette image de l’Amérique neutre : Jonathan, qui a fabriqué des faulx, en offre une à la Mort en échange d’un sac d’écus, et l’homme à la bannière étoilée lui dit doucement : « Madame la Mort, ne croyez pas que je cherche seulement à gagner de l’argent. Je vous vends cela seulement pour que vous ameniez la paix… »

Après des satires aussi sanglantes contre tout le monde, — y compris les Neutres, — il ne restait plus aux Allemands que d’en faire contre eux-mêmes. Ils n’y ont pas manqué. S’ils n’insistent pas sur les horreurs de la guerre, ils sont loin de la présenter comme une chose belle en soi et souhaitable. Une suite de caricatures, assez récentes, du Wahre Jacob, de Stuttgart, est, à ce sujet, assez significative. Elle montre l’évolution qui s’est faite, dans certains esprits, au delà du Rhin. Un gros industriel allemand est d’abord ravi de ce qui se passe : « Enfin, voilà la guerre ! » dit-il. « Déjà, un bon traité pour fournitures de guerre », continue-t-il, et, en ouvrant son coffre-fort : « Pour ma part, la guerre peut durer dix ans ! » Mais il reçoit une convocation, sa figure change : « Oh ! je suis appelé ! » Le voilà, faisant l’exercice et déjà suant à grosses gouttes, sous l’œil d’un feldwebel injurieux : « Oh ! oh ! » crie-t-il, puis coiffé du casque à pointe, le sac au dos : « Ah ! ah ! » puis dans la tranchée, sous les obus : « Au diable ! » Enfin, il fuit, devant les éclatements, tombe à genoux, et s’écrie : « Ô Dieu, mon Dieu, donne-nous bientôt la paix ! »

Tel est le dernier trait des crayons satiriques d’Allemagne. C’est peut-être, aussi, le plus sincère. Si jamais l’on entreprend d’écrire l’histoire de la guerre d’après les images qu’ils en ont données, c’est une étrange histoire qu’on écrira : l’Angleterre envahit la France et saigne à blanc la Belgique ; des hordes nègres accourent en Europe pour mettre la paisible Allemagne à feu et à sang ; les États-Unis conspirent contre elle ; enfin, les peuples français, russe et anglais se soulèvent contre leurs gouvernements respectifs et s’ensevelissent sous les ruines d’une Révolution. Voilà qui nous indique seulement, chez les Allemands, ce qu’est « le Désir, père de la Pensée ». Mais le chauvin du Wahre Jacob, qui souhaite la paix, dès qu’il a goûté de la guerre, c’est une réalité.


  1. Toutes ces légendes et les caricatures qui les illustrent ont déjà été signalées, traduites et reproduites par les Anglais eux-mêmes dans leurs journaux ou leurs magazines, notamment dans la Review of Reviews, ou bien ont paru dans des magazines américains circulant en Angleterre.
  2. C’est ainsi que toutes les caricatures signalées ici ont été reproduites dans des périodiques anglais à grand tirage, ou dans des magazines américains très lus en Angleterre. Les légendes ont été soigneusement traduites en anglais.
  3. Ceci, qui fut publié dans la Revue des Deux-Mondes, en février 1916, montre assez quelle était déjà la tendance générale des Américains, qu’une grande partie de la presse française et de l’opinion s’obstinaient cependant à représenter comme neutres ou même favorables à l’Allemagne.