Koadalan
Revue celtique, I, 1870

CONTES POPULAIRES DES BRETONS ARMORICAINS.




KOADALAN.[1][2]


DIALECTE DE TRÉGUIER.


Il y avait une fois deux pauvres gens qui avaient un fils âgé de quinze ou seize ans. Comme ils étaient pauvres et qu’ils avaient beaucoup de peine à vivre, ils dirent un jour à leur enfant : — Il te faudra, mon fils, aller gagner ton pain quelque part.

— C’est bien, répondit le gars, j’irai.

Il s’appelait Yves Koadalan.

Son père lui donna dix-huit deniers, sa mère, une demi-douzaine de crêpes, et le gars partit.

Comme il s’en allait, sur la route, il rencontra un seigneur bien mis, qui lui dit : — Où vas-tu comme cela, mon garçon ?

— Voyager, pour chercher à gagner mon pain.

— Veux-tu venir avec moi ?

— Je veux bien ; peu m’importe avec qui.

— Sais-tu lire ?

— Un peu, mais pas beaucoup.

— Tu n’es pas celui que je cherche, si tu sais lire.

Et le seigneur poursuivit sa route.

— Tiens ! se dit alors Koadalan, je n’aurais pas dû dire que je sais lire ; j’aurais été bien avec ce seigneur-là. Il faut que je retourne ma veste, pour aller au-devant de lui ; il ne me reconnaîtra pas.

Il fait ainsi ; il met sa veste à l’envers, court à travers les champs et se retrouve sur la route au-devant du seigneur.

— Où vas-tu comme cela, mon garçon ? lui dit encore celui-ci.

— Voyager, pour chercher à gagner mon pain.

— Voudrais-tu venir avec moi ?

— Volontiers.

— Sais-tu lire ?

— Non certainement ; mon père est trop pauvre pour m’envoyer à l’école.

Le seigneur le saisit alors et s’éleva avec lui en l’air, très-haut. Il descendit près d’un beau château, dans une grande avenue, où Koadalan fut bien surpris de voir écrit sur les feuilles des arbres : — Celui qui entre ici, n’en sort plus. Ce qui lui donna l’envie de s’en aller ; mais comment ? Ils entrent ensemble dans le château ; ils mangent ensemble et, après le souper, Koadalan dort bien dans un lit de plume.

Le lendemain matin, le seigneur lui dit :

— Or ça, mon garçon, je vais partir maintenant pour un voyage que j’ai à faire. Tu resteras seul ici pendant un an et un jour. Rien ne te manquera dans cette maison. Voici une serviette et, quand tu voudras manger ou boire, tu n’auras qu’à lui dire : « Serviette, fais ton devoir ; apporte-moi telle ou telle chose ! » et aussitôt arrivera ce que tu auras demandé. Maintenant, suis-moi, pour que je te montre ton travail de chaque jour.

Et il le conduisit d’abord à la cuisine, où il y avait une grande marmite sur le feu. — Voilà une marmite sous laquelle il te faudra brûler deux cordes de bois par jour, et n’importe ce que tu y entendras, n’écoute pas et fais toujours du feu. Allons maintenant à l’écurie. Voilà une jument maigre qui a devant elle un fagot d’épine, en guise de trèfle. Mais on lui donne encore un autre régal. Voici un bâton de houx avec lequel tu la battras, jusqu’à ce que tu sues. Prends le bâton, et voyons si tu sais frapper.

Et voilà Koadalan de battre la pauvre bête, de toutes ses forces.

— Bien, bien ! tu ne frappes pas mal. Tu vois ici, à présent, un jeune poulain auquel il faudra donner du trèfle et de l’avoine autant qu’il en voudra manger. Allons maintenant voir les chambres. En voici une que tu n’ouvriras pas ; ni cette autre non plus. Regarde bien, car si tu venais à ouvrir une de ces deux chambres, malheur à toi ! Toutes les autres, tu pourras les ouvrir et te promener partout dans le château.

Après avoir fait toutes ces recommandations, le seigneur partit.

— Or ça, chez qui donc suis-je ici ? se dit alors koadalan ; chez le Diable, peut-être ? Mais, voyons d’abord si ce qu’il m’a dit de sa serviette est vrai. — Serviette, fais ton devoir ! apporte-moi du lard et du rôti, et de bon cidre et du vin ! Et aussitôt tout cela se trouva sur la table. — À merveille ! dit-il alors, tout va bien. Et il s’enivra et s’endormit sur la table. Quand il se réveilla : Il est grand temps, se dit-il, que je me mette à l’ouvrage !

Et le voilà de faire du feu, un feu d’enfer, sous la grande marmite. Et il y entendait un bruit étrange, comme des soupirs et des plaintes d’âmes en peine. Mais il s’en inquiéta peu, et il se rendit à l’écurie. Il donna du trèfle et de l’avoine au jeune poulain, puis il ôta sa veste, prit le bâton de houx et se mit à battre Thérèse de son mieux. (C’était le nom de la jument maigre.)

— Arrête, méchant, aie pitié de moi ! cria la jument.

— Comment, vous parlez donc aussi, vous ?

— Oui, car je n’ai pas été toujours une jument, comme je le suis maintenant, hélas !

— Chez qui donc suis-je ici, où les bêtes parlent comme les hommes ?

— Chez le plus grand magicien qui soit sur la terre, et si vous ne voulez prendre bien garde, il vous arrivera comme à moi-même, et peut-être pis encore.

— Et ne peut-on donc sortir d’ici ?

— C’est difficile ; et pourtant si vous voulez faire comme je vous dirai, peut-être pourrions-nous échapper tous les deux à la griffe de ce démon.

— Dites-moi, vite, car je suis prêt à tout faire pour sortir d’ici.

— Allez aux deux chambres qu’on vous a défendu d’ouvrir, et vous trouverez là trois livres rouges, deux dans une des chambres, un seul dans l’autre. Prenez et emportez ces trois livres, et, puisque vous savez lire, avec eux, vous serez vous-même le plus grand magicien du monde, et, en les perdant, le maître de ce château perdra aussi tout son pouvoir.

Koadalan se rendit aux deux chambres défendues et prit les trois livres rouges.

— Bien ! dit Thérèse ; lisez à présent ces livres.

Koadalan se mit à lire, et, à mesure qu’il lisait, il voyait des choses effrayantes, horribles ; mais il apprenait aussi toutes sortes de secrets, et surtout la manière de prendre telle forme et telle ressemblance qu’il lui plairait.

— Maintenant, reprit Thérèse, il y a là un aigle au sommet de la plus grande tour, et celui-là en nous voyant partir fera un tel vacarme avec ses ailes et poussera des cris si retentissants, que le magicien l’entendra, n’importe où il sera, et il accourra aussitôt. Il faut lui lier les ailes et la tête entre ses jambes. Il dort à présent.

Koadalan alla chercher des cordes, pour lier les ailes et la tête de l’aigle, puis il revint vers Thérèse.

— Maintenant il faut mettre le feu à un tas de bois de cent quarante cordes qui est là dans la cour.

Koadalan mit le feu au tas de bois, et voilà un feu d’enfer !

— Il y a encore là une cloche qui sonne d’elle-même, quand il y a quelque chose de nouveau au château ; il faut lui enlever la langue (le battant), puis la bourrer d’étoupe.

Koadalan enleva la langue de la cloche et la bourra d’étoupe.

— Maintenant, pour devenir un beau prince, allez vous laver la tête dans l’eau d’une fontaine qui est là au bas de la cour.

Il se lava la tête à la fontaine, et aussitôt ses cheveux devinrent d’or.

— Maintenant, garnissez mes pieds de paille et d’étoupe, pour que je ne fasse pas de bruit sur le pavé de la cour, en partant.

Il fait encore cela.

— Prenez maintenant l’éponge, le bouchon de paille et l’étrille, et surtout n’oubliez pas les trois livres rouges. — C’est fait. — À présent, montez sur mon dos, et partons, vite.

L’aigle ne peut plus crier, ni la cloche sonner, et ils partent au triple galop (littéralement : galop rouge).

Au bout de quelque temps, Thérèse dit à Koadalan :

— Regardez derrière vous ; ne voyez-vous rien venir ?

— Si, une meute de chiens ; et ils courent, ils courent !

— Jetez, vite, le bouchon de paille derrière vous.

Il jette le bouchon de paille, et les chiens sautent dessus et courent le porter au château.

— Regardez encore derrière vous, dit Thérèse un moment après ; ne voyez-vous rien ?

— Je ne vois qu’un nuage qui vient sur nous, et il est si noir que le jour en est obscurci ?

— Le magicien est au sein de ce nuage ! Jetez, vite, l’étrille derrière vous.

Il jette l’étrille ; le magicien descend du nuage, la prend et la porte au château.

— Regardez encore derrière vous, dit encore Thérèse un moment après, ne voyez-vous rien ?

— Si, une bande de corbeaux qui viennent sur nous à tire d’aile.

— Jetez, vite, l’éponge ! Il jette l’éponge ; et les corbeaux vont la porter au château.

Cependant la pauvre Thérèse était bien fatiguée ; mais elle était pleine de courage.

— Nous n’avons plus que seize lieues à faire, dit-elle, pour atteindre la rivière, et si nous pouvons la passer, nous serons sauvés, car alors le magicien n’aura plus aucun pouvoir sur nous ; mais regardez encore derrière vous, ne voyez-vous rien ?

— Si, mon Dieu ! un chien barbet noir qui est sur nos talons !

Au moment où Thérèse sautait dans la rivière, le barbet noir mordait à sa queue, si bien qu’il lui en resta des crins plein la bouche ! Mais il était un peu trop tard !

— Tu es bienheureux, dit-il, en montrant les dents, d’être sorti de mes terres !

— Oui, répondit Koadalan, mais maintenant je me moque de toi, et j’ai tes trois livres rouges.

— Oui, malheureusement ; mais ces livres-là reviendront à la maison.

— Nous verrons bien cela.

Et le magicien partit en fureur, faisant feu et tonnerre !

Koadalan et Thérèse continuent leur chemin, mais tout à leur aise maintenant, et libres de tout souci. Arrivés près d’une grande pierre, dans un bois, Thérèse parla ainsi :

— Maintenant il vous faudra me tuer.

— Dieu ! que dites-vous là ? Je n’aurai jamais le courage de faire cela.

— Il faudra me tuer, vous dis-je, ou tout ce que nous avons fait jusqu’à présent, sera peine perdue. Saignez-moi au cou, ouvrez-moi ensuite le ventre, puis vous verrez ce qui arrivera.

Koadalan tue Thérèse, il lui ouvre le ventre et est bien surpris d’en voir sortir une princesse d’une beauté merveilleuse !

— Je suis, lui dit celle-ci, la fille du roi de Naples ; mais je ne vous suis pas destinée ; une autre, bien plus belle que moi, sera votre femme, la fille du roi d’Espagne. Mais n’importe en quelle occasion vous aurez besoin de secours, venez ici et dites trois fois : « Thérèse ! Thérèse ! Thérèse ! et j’arriverai aussitôt.

Ils se font alors leurs adieux, les larmes aux yeux. Mais laissons maintenant la princesse, et suivons Koadalan.

— Ce que j’ai de mieux à faire à présent, se dit-il à lui-même, c’est de me diriger vers l’Espagne, puisque c’est là que se trouve celle qui doit être ma femme. Mais quel chemin prendre ?

Il s’habille alors en prince (avec ses trois livres rouges, qu’il avait conservés, il faisait tout ce qu’il voulait), et il se trouve sans tarder en Espagne. Il se présente aussitôt au palais du roi et demande à lui parler. Le roi lui fait bonne réception, parce qu’il le prend pour son neveu, le fils du roi de France, dont Koadalan avait pris la mine et les manières.

Deux ou trois jours après son arrivée, comme il se promenait un jour avec le roi dans son jardin, il lui demanda :

— Comment, mon oncle, je croyais que vous aviez une fille ?

— Non, mon neveu, je n’ai pas de fille.

Il en avait une, mais il ne voulait pas qu’on le sût, et il la tenait enfermée dans une tour avec une femme de chambre. Il allait la voir une fois par jour ; mais il allait toujours seul.

Le lendemain, quand Koadalan était encore à se promener dans le jardin avec son oncle, il fut tout étonné de voir une boule d’or rouler sur l’allée et venir heurter contre son pied.

— Qu’est-ce que cette boule d’or ? dit-il.

— Ce n’est rien, répondit le roi.

C’était la boule d’or de sa fille, qui jouait aux boules avec sa femme de chambre sur la plateforme de sa tour et qui avait jeté cette boule à dessein dans le jardin, quand elle avait vu le beau prince qui s’y promenait avec son père. Koadalan aussi avait remarqué la princesse. — Tôt ou tard, se dit-il, je trouverai moyen de lui parler.

Il se lève à minuit, et, grâce à ses livres, il arrive à la porte de la chambre de la princesse, sans être vu ni entendu de personne. Il frappe à la porte : tok ! tok !…

— Ici on n’ouvre à personne. Qui êtes-vous ?

— Le fils du roi de France.

— Le fils du roi de France, mon cousin ! alors l’on va vous ouvrir.

Et la princesse lui ouvrit, et ils s’embrassèrent comme cousin et cousine, et il resta avec elle dans sa chambre jusqu’au point du jour. Et, dans la suite, il y revint chaque nuit, sans que personne en sût rien. Mais la princesse se sentit bientôt mère. Le roi continuait de la visiter tous les jours et, remarquant qu’elle prenait de l’embonpoint, il lui dit un jour :

— Votre nourriture vous profite, ma fille.

— Oui, sûrement, mon père ; et puis, je n’ai souci de rien.

Le temps arrive où il lui faut accoucher, et elle donne le jour à un fils, un enfant superbe. Quand vient le roi, selon son habitude, et qu’il voit l’enfant dans son berceau, et sa fille malade dans son lit, il entre dans une colère terrible, et il part en jurant. Malgré tout, il n’en dit rien à son neveu. Mais, comme il était devenu triste et soucieux, celui-ci lui demanda un jour :

— Pourquoi, mon oncle, êtes-vous ainsi triste et soucieux, depuis quelque temps ?

— Hélas ! j’ai une fille que j’avais dérobée à tous les yeux ; elle ne voyait que moi et sa femme de chambre, et cependant elle a donné le jour à un fils.

— Oui, mon oncle, je le sais, et c’est moi qui suis le père de l’enfant, et je vous demande de m’accorder la main de sa mère.

— Eh ! bien, puisque la chose est arrivée, ce que j’ai de mieux à faire, c’est de te la donner ; et j’aime mieux que ce soit toi qu’un autre.

Et on fit la noce tout de suite. Mais le vieux roi ne donna plus aucune marque de joie. Il mourut peu de temps après, et Koadalan lui succéda sur le trône. Celui-ci ne goûtait guère ce nouveau genre de vie, et, au bout d’un an, il voulut retourner dans son pays. Comme il avait toujours ses trois livres rouges, il demanda un beau carrosse ; et aussitôt il en descendit un du ciel. Ils y montèrent tous les trois, sa femme, son fils et lui, et le carrosse s’éleva avec eux en l’air, très-haut, comme un aigle. Il passa par hasard devant le château du grand magicien Fouques. Celui-ci habitait dans un château d’or, retenu par quatre chaînes d’or et quatre chaînes d’argent entre le ciel et la terre. Fouques était à l’une des fenêtres de son château, et, en voyant passer Koadalan, il le pria de descendre un peu, pour lui faire visite. Fouques avait aussi essayé d’avoir la fille du roi d’Espagne, mais il n’avait pas réussi. En la voyant passer, il l’avait reconnue tout de suite. Koadalan, qui ne se défiait de rien, s’arrêta avec plaisir au château de Fouques, et celui-ci lui fit bon accueil. Après souper, il le conduisit, avec sa femme, dans une belle chambre, pour passer la nuit, et leur enfant fut confié à une nourrice. Mais, malheureusement, avant de se mettre au lit, Koadalan oublia de placer ses trois livres rouges sous son oreiller, et quand il se réveilla, le lendemain matin, Fouques les lui avait dérobés. Le voilà perdu, le pauvre homme ! Fouques le précipita dans un puits très-profond (il avait plus d’une lieue de profondeur) et il tomba au milieu d’un grand bois.

— Où donc suis-je ici, mon Dieu ? se dit-il, et que ferai-je maintenant que j’ai perdu mes trois livres rouges ? Et, ce qui est encore pis, ma femme et mon fils sont restés aussi au pouvoir de Fouques, le maudit traître ! C’en est fait de moi, cette fois ! Encore si j’avais pu retrouver le bois où je fis mes adieux à Thérèse ! Mais où est ce bois-là ?

Il se met à parcourir le bois, et ne rencontre ni homme ni bête. La nuit vient, et il dort, la tête appuyée sur une grande pierre couverte de mousse. Quand le jour revient, il regarde autour de soi, et reconnaît le rocher près duquel il avait fait ses adieux à Thérèse.

— Hola ! se dit-il alors, tout n’est pas encore désespéré !

Et il cria trois fois : « Thérèse ! Thérèse ! Thérèse ! » et aussitôt Thérèse arriva et dit :

— Vous avez besoin de moi, Koadalan ?

— Oui, certainement, princesse, car me voici bien embarrassé !

— Je sais tout : vous avez perdu vos livres, et votre femme et votre fils ; mais si vous voulez faire exactement ce que je vous dirai, je vous les ferai retrouver encore.

Puis elle le conduit devant le château de Fouques, et lui dit :

— Tout le monde dort en ce moment dans le château. Rendez-vous tout doucement à la chambre de Fouques, que vous trouverez dormant sur son lit, et sur une petite table, près du lit, vous verrez les trois livres rouges. Prenez-les, revenez vite, et, pendant ce temps, je vous retrouverai votre femme et votre fils.

Koadalan se rend à la chambre de Fouques, qui ronflait, étendu tout de son long sur son lit ; il prend les trois livres rouges, et s’enfuit aussitôt. Thérèse l’attendait, avec sa femme et son fils. Il les embrassa, en pleurant de joie.

— Avant de partir, dit alors Thérèse, que voulez-vous que je fasse à Fouques ?

— Ma foi ! à présent que j’ai retrouvé mes livres, ma femme et mon fils, je ne lui veux plus de mal.

— Partons alors, et vite.

Quand ils furent au milieu du bois, Thérèse lui dit encore :

— Maintenant je vous fais mes adieux pour toujours, car nous ne nous reverrons plus jamais.

Et elle s’éleva en l’air, et il la perdit bientôt de vue.

Koadalan, sa femme et son fils remontèrent alors dans leur carrosse, qui revint aussitôt qu’il le redemanda, et ils arrivèrent sans tarder au pays de Koadalan, à Plouaret. Tout le monde y fut bien étonné de voir arriver un si beau prince et une si belle princesse. Personne ne reconnaissait Koadalan, pas même son père et sa mère, qui étaient vieux alors, et toujours pauvres. Ils firent bâtir un château magnifique. Mais les deux vieux (le père et la mère) continuèrent d’habiter leur chaumière ; ils s’y plaisaient mieux, et leur fils ne les laissait manquer de rien et leur donnait de l’argent autant qu’ils en voulaient.

Un jour Koadalan dit à son père :

— Demain, mon père, il y a une belle foire à Lannion, et il vous faudra y aller.

— Pourquoi aller à la foire, puisque je n’ai ni cheval, ni vache, ni pourceau ?

— Ne vous inquiétez point de cela ; demain matin vous trouverez un bœuf superbe dans votre étable. Menez-le à la foire, et demandez-en le prix que vous voudrez, et quand ce serait mille écus, vous les aurez. Mais ne donnez pas la corde avec le bœuf. Faites-y bien attention, ou vous ne me reverrez plus.

— C’est bien, dit le bonhomme.

Le lendemain matin le vieux Koadalan se rend à son étable, et est bien étonné d’y trouver un bœuf magnifique, comme il n’en avait jamais vu. Il lui passe une corde au cou, et se rend avec lui à Lannion. Tout le monde disait, sur le chemin, en le voyant passer : « Le beau bœuf ! à qui est-il ? » Et le vieillard en était tout fier.

Dès qu’il arriva dans le champ de foire, la foule s’empressa autour de lui.

— Combien le bœuf ? demandaient les bouchers de Lannion et de Tréguier.

— Mille écus ! disait le vieillard. Et ils s’en allaient.

De même pour les marchands de Morlaix et de Léon. Nul n’enlevait le bœuf.

Arrivèrent alors trois grands marchands inconnus, les poches bourrées d’argent et que personne ne connaissait : (C’étaient trois diables.)

— Combien le bœuf ? dirent-ils.

— Mille écus !

— Ce n’est pas pour rien, grand père. N’importe, c’est une belle bête ; il nous plaît, et nous sommes d’accord. Voici de l’argent comptant.

Le vieillard met l’argent dans sa poche et livre le bœuf aux trois marchands ; mais il garde la corde.

— Donnez aussi la corde, grand père.

— Je n’ai vendu que la bête, et je ne donnerai pas la corde.

— La corde suit toujours la vache et le bœuf.

— Je n’ai pas vendu la corde et je ne la donnerai point.

— Il nous faut cependant une corde ; donnez-la et vous aurez encore mille écus.

— Je ne la donnerai pas, même pour dix mille !

Et le vieillard met la corde dans sa poche, et part.

Les trois marchands montent alors sur leur bœuf. Mais celui-ci commence aussitôt à beugler, à courir, comme une bête affolée, et jette les trois marchands à terre. Puis aussitôt le bœuf se change en chien ; et de courir vers la maison ! Et les trois marchands de courir aussi après lui, sous la forme de trois loups ! Mais le chien arrive le premier à la porte du château de Koadalan, et y saute d’un bond. Et aussitôt il redevient homme, car c’était Koadalan lui-même ! Les trois loups, redevenus trois marchands, s’arrêtent à la porte.

— Un peu trop tard, les gars ! leur dit Koadalan de sa maison.

— Il était temps ! mais n’importe, nous te prendrons encore au collet.

— C’est ce que nous verrons bien !

Et ils partirent, fort en colère.

Quand le père Koadalan arriva à la maison :

— Eh ! bien, mon père, avez-vous fait bonne foire ?

— Oui sûrement : mille écus ! et j’ai rapporté la corde ; la voici.

Quelque temps après, Koadalan dit encore à son père :

— C’est demain la foire-haute à Morlaix, mon père ; une belle foire ! il vous faudra y aller.

— Et avec quoi ?

— Avec un cheval, que vous trouverez dans votre écurie demain matin, le plus beau cheval que vous aurez jamais vu. Vous en demanderez deux mille écus ; et vous les aurez encore. Mais ne donnez pas la bride ; prenez-y bien garde !

Le lendemain matin, le père Koadalan trouve un cheval magnifique dans son écurie, comme le lui avait dit son fils, et il va avec lui à Morlaix. Tout le monde admirait le cheval. « Combien ? combien ? » demandaient les marchands. Mais quand ils entendaient : « Deux mille écus ! » tous se retiraient.

Tantôt arrivèrent encore les trois marchands de Lannion.

— Combien le cheval, grand père ?

— Deux mille écus !

— Topez-là ; il est à nous ! Et ils se frappèrent dans les mains.

— Allons à l’auberge, pour compter l’argent, et boire un coup. Ils vont à l’auberge la plus voisine. Le vieillard boit un coup de trop, et s’enivre, si bien qu’il oublie de retenir la bride.

Les trois marchands emmènent le cheval, avec sa bride en tête. Ils montent tous les trois dessus. Tout le monde les regardait avec étonnement.

— D’où sont ces trois imbéciles ? se disait-on. Ils longeaient le quai de Léon, et les gamins criaient dessus et leur lançaient même des pierres.

— Comment, trois imbéciles, leur dit un vieillard, vous êtes plus dépourvus de raison que votre bête ; descendez au moins deux ; n’avez-vous pas de honte ?

Ils descendent tous les trois. Le cheval saute alors dans la rivière, et se change aussitôt en anguille. Les trois marchands y sautent après lui, et se changent en trois grands poissons, pour poursuivre l’anguille. Mais celle-ci s’envole alors, sous la forme d’une colombe, et s’élève très-haut dans l’air, au-dessus de la ville. Les trois grands poissons la poursuivent encore, sous la forme de trois éperviers. La colombe, fatiguée de voler, et se voyant sur le point d’être prise, voit, en passant au-dessus d’un château, une servante, près d’une fontaine, occupée à remplir d’eau un baquet. Elle se laisse tomber dans ce baquet, sous la forme d’une bague d’or. Aussitôt la servante retire la bague de l’eau, la met à son doigt et court au château. Alors les trois éperviers se changent en trois musiciens, et vont, portant chacun un violon, faire de la musique sous les fenêtres du château. Des seigneurs et des dames viennent les écouter aux fenêtres et leur jettent de l’argent.

— Merci ! disent les musiciens, mais ce n’est pas de l’argent que nous demandons.

— Que voulez-vous donc ?

— Une bague d’or que la servante a trouvée, en allant puiser de l’eau à la fontaine.

— Vous l’aurez.

On cherche la servante. Celle-ci était dans sa chambre, occupée à admirer sa bague. Elle fut effrayée de voir tout à coup un beau prince à côté d’elle, et la bague disparue de son doigt.

— Ne vous effrayez pas, lui dit le prince, je suis la bague d’or que vous aviez au doigt. Votre maître vient pour vous demander cette bague d’or (car je vais à l’instant redevenir bague d’or à votre doigt). Mais ne la lui donnez pas, jusqu’à ce qu’il ait promis de faire ce que je vais vous dire. Dites-lui de mettre le feu à un grand tas de bois qui est dans la cour ; puis, quand le feu sera au plus fort, vous y jetterez la bague d’or, et direz aux trois musiciens de l’y aller chercher.

Quand il eut dit ces paroles, il redevint bague d’or au doigt de la servante. Le seigneur arriva aussitôt, et dit à la servante :

— Où est la bague d’or que vous avez trouvée, en allant puiser de l’eau à la fontaine ?

— La voici, monseigneur.

— Donnez-la-moi.

— Sauf votre grâce, on m’a bien recommandé de ne vous la donner que lorsque vous aurez fait ce que je vais vous dire. Faites mettre le feu au grand tas de bois qui est dans votre cour ; quand le feu sera au plus fort, je jetterai la bague d’or au milieu, en disant aux musiciens : Allez l’y chercher !

On met le feu au tas de bois, puis la servante jette la bague d’or au milieu, et dit aux musiciens : Allez l’y chercher !

Aussitôt ceux-ci se jettent dans les flammes, et se mettent à y chercher la bague d’or, comme de vrais diables ; ce qu’ils étaient en effet.

Mais la bague d’or est changée alors en un grain charbonné, dans un grand tas de froment qui était dans le grenier du château. Et aussitôt les trois autres deviennent trois coqs, qui se mettent à chercher le grain charbonné dans le tas de froment. Mais le grain charbonné devient aussitôt un renard, qui croque les trois coqs[3] !

Et voilà comment Koadalan remporta la victoire sur les trois diables, et comment ses trois livres rouges lui restèrent.

Après tant d’épreuves, Koadalan revint chez lui. Son père était mort ; sa femme et son fils moururent aussi peu après, et il se trouva seul. Mais il avait toujours ses trois livres rouges. Avec eux il pouvait faire tout ce qu’il voulait ; tout, excepté éviter la mort. Et il était déjà vieux, et il avait grand’ peur de la mort ! Chaque jour il étudiait de plus en plus ses livres et y cherchait le secret de devenir immortel. Un jour il crut l’avoir trouvé, et voici comment.

Il assemble tous les gens de sa maison, et leur dit :

— Obéissez-moi ponctuellement, n’importe ce que je vous commanderai, et je vous donnerai de l’argent et de l’or autant que vous en voudrez. Allez d’abord chercher une femme allaitant son enfant premier né et amenez-moi sur-le-champ et la mère et l’enfant.

On lui amène une mère allaitant son enfant premier né, et ayant du lait en abondance. Celle-ci devait rester six mois au château, sans voir aucun homme, pas même son mari. Elle aurait cent écus par mois. Koadalan lui dit : — Moi, je serai à présent mis à mort et haché menu comme chair à saucisses ; puis, mon corps, ainsi réduit en morceaux, sera mis dans une grande terrine. Cette terrine sera enfouie dans un tas de fumier chaud, et, deux fois par jour, pendant six mois, à midi et à trois heures, il vous faudra venir, une demi-heure chaque fois, répandre le lait de vos seins sur le fumier, à l’endroit où se trouvera la terrine. Mais prenez bien garde de vous endormir, pendant que vous répandrez le lait de vos seins ! Au bout des six mois, si vous faites exactement ce que je vous recommande, je me relèverai tout entier de la terrine, plein de vie et de santé, et plus fort et plus beau que je ne fus jamais ; et alors je ne mourrai plus jamais. — Ferez-vous cela, dites-moi ? Vous aurez cent écus par mois. — Oui, dit-elle, je le ferai.

Alors il fait venir ses domestiques et leur dit :

— Maintenant il vous faudra me mettre à mort, et hacher tout mon corps en morceaux menus comme chair à saucisses. Puis, vous mettrez tous ces morceaux, et le sang aussi, dans une grande terrine, que vous recouvrirez d’un linge et enfouirez ensuite dans un tas de fumier chaud, où elle devra rester pendant six mois entiers. Les six mois accomplis, vous me verrez me relever de là, plein de vie et de santé, et plus fort et plus beau que je ne le fus jamais. Et n’ayez aucune crainte, car tout arrivera comme je viens de vous dire. M’obéirez-vous ?

— Oui, répondirent les domestiques.

On fait chaque chose comme il a recommandé. On le met à mort, on le hache en morceaux menus comme chair à saucisses. Puis tous les morceaux, et le sang aussi, sont mis dans une grande terrine, que l’on enfouit dans un tas de fumier chaud.

Deux fois par jour, pendant une demi-heure chaque fois, la nourrice va répandre le lait de ses seins sur le fumier, au-dessus de la terrine. Elle l’avait fait pendant cinq mois, cinq mois et demi ; il ne s’en fallait plus que de trois jours que les six mois ne fussent accomplis, quand elle s’endormit sur le tas de fumier, en répandant le lait de ses seins au-dessus de la terrine.

Hélas ! alors mourut Koadalan !

Quand on découvrit la terrine, on retrouva son corps tout entier, sorti du vase et sur le point de se relever. Encore trois jours, et il aurait réussi !

Mais, hélas ! il était mort, bien mort, pour avoir voulu se rendre immortel !


Conté par Jean-Marie Guézennec,

charpentier à Plouaret,

Et recueilli par F.-M. Luzel.

Janvier 1869.




OBSERVATIONS SUR LE CONTE PRÉCÉDENT.


Ce conte est en grande partie composé de différents contes que l’on rencontre ailleurs séparément. On peut comparer :

I. Le conte de l’enfant qui sert chez le Diable dans l’enfer, et doit attiser le feu sous les chaudières où se trouvent les pauvres âmes, et auquel il est défendu d’en lever le couvercle. Voyez mes observations sur ce conte dans le Jahrbuch für Romanische und Englische Literatur, tome VII, p. 268 ;

II. Les contes que j’ai réunis dans le même recueil, tome VIII, p. 256 et suiv., où l’on retrouve la chambre défendue, la coloration dorée que revêtent les cheveux du héros et sa fuite à l’aide d’un cheval enchanté ;

III. Le conte du sorcier et de son apprenti qui après différentes métamorphoses tue son maître qui s’était aussi diversement transformé : Siddhi-kür, trad. allem. d’Jülg, p. I ; Benfey : Pantschatantra, tome I, p. 410 ; Les Quarante Vizirs, trad. all. de Behrnauer, p. 195 ; von Hahn : Griechische Mærchen, no 68 ; Wuk Stephanowitsch Karadschitsch : Volks-mærchen der Serben, no 6 ; Straparole : Notti, VIII, 5 ; Schott : Walachische Mærchen, no 18 ; Grimm : Kinder und Hausmærchen, no 68 ; Müllenhoff : Sagen, Mærchen und Lieder der Herzogthümer Schleswig, Holstein, und Lauenburg, no 27 des Mærchen ; Prœhle : Mærchen für die Jugend, no 26 ; Schœnwerth, Aus der Oberpfalz, tome III, p. 211 ; Waldau, Bœhmisches Mærchenbuch, p. 116 ; Polnische Mærchen, traduit de Woycicki par Lewestam, p. 110 ; Glinski : Bajarz Polski, tome I, p. 188 ; Etlar : Eventyr og Folkesagn fra Jylland, p. 36 ; Grundtvig : Gamle danske Minder i Folkemunde, tome I, pp. 228 et 231 ; Asbjœrnsen et Moë : Norske Folkeeventyr, no 57. Dans tous ces contes, à l’exception du conte kalmouck du Siddhi-kür, lors de la vente du bœuf ou du cheval dans lequel s’est transformé l’apprenti sorcier, la corde ou la bride ne doit pas être livrée à l’acheteur. Dans le conte des Quarante Vizirs, dans les contes grec et serbe, le jeune sorcier se transforme aussi en une maison de bains ou en une boutique dont l’acheteur ne doit pas recevoir la clef. Un des contes danois (Grundtvig, tome I, p. 231) commence tout-à-fait comme le conte breton. Le gars qui cherche à entrer en service rencontre un seigneur qui lui demande s’il sait lire. Sur la réponse affirmative du gars, le seigneur lui dit qu’il ne peut le prendre à son service. Le gars fait alors comme Koadalan, retourne sa jaquette, rencontre de nouveau le seigneur, et lorsque celui-ci lui adresse la même question, il répond qu’il ne sait point lire. Dans un conte allemand (Grimm, tome III, p. 117) le sorcier demande : « Sais-tu lire et écrire ? — Oui, dit le gars. — Alors, fait le sorcier, si tu sais lire et écrire, je ne puis t’employer. — Vous parlez de lire et d’écrire ? reprend le gars. Je vous ai donc mal compris, je croyais que vous me demandiez si je sais manger et crier, et je sais le faire consciencieusement, mais je ne sais ni lire ni écrire. » Dans le conte bohême également, le sorcier demande au gars s’il sait lire, mais celui-ci répond négativement. Entre le conte breton et celui des Quarante Vizirs existe sur un point une très-curieuse ressemblance. Dans le conte breton le diable transformé en musicien demande au seigneur du château comme récompense de sa musique la bague que la servante a trouvée : Dans le conte des Quarante Vizirs le sorcier, également transformé en musicien, demande au roi comme récompense la rose dans laquelle l’apprenti s’est métamorphosé. Le conte grec mérite aussi quelque attention. Bien que s’éloignant fort du conte breton en certains endroits, sur d’autres points il s’en rapproche plus que tous les autres contes. Il y a dans la chambre du diable, une chambre que l’apprenti ne doit pas ouvrir : il en rencontre par hasard la clef et l’ouvre. Il y trouve une jeune fille prisonnière qui lui donne le conseil d’apprendre par cœur, en cachette, le livre magique du diable, et de s’enfuir avec elle. Ils s’échappent ensemble après qu’elle s’est transformée en jument. Sur son conseil il a pris un plat avec du sel, un morceau de savon et un peigne ; et en jetant ces différents objets, il retarde le diable qui les poursuit ; car le sel se transforme en un vaste incendie, le morceau de savon en fleuve, et le peigne en marais.

IV. En ce qui concerne l’essai malheureux fait par Koadalan pour revivre et rajeunir, on peut comparer la légende de l’enchanteur Virgile. Voyez Edelestand Du Méril : Mélanges archéologiques et littéraires, p. 433. Virgile se fait hacher en morceaux par son serviteur, se fait saler, mettre dans un tonneau et fait mettre ce tonneau sous une lampe, de sorte qu’elle y dégoutte neuf jours et neuf nuits. Le septième jour l’Empereur demande à voir Virgile, force le serviteur à le conduire dans le château, et lorsqu’il voit en morceaux le cadavre de Virgile, il tire son épée et tue le serviteur. « Tout aussitôt, devant l’empereur et toute sa cour, un petit enfant nu tourna trois fois en courant autour du tonneau et s’écria : Maudits soient le jour et l’heure où tu es venu ici ! — Après quoi le petit enfant disparut. Personne ne l’a plus revu, et Virgile resta mort dans le tonneau. » On raconte la même histoire d’Albert le Grand, de Roger Bacon, et d’Agrippa de Nettesheim. Voyez Græsse : Der Tannhæuser und der Ewige Jude, 2e éd. p. 112. Il court encore aujourd’hui sur Théophraste Paracelse une légende d’après laquelle il aurait chargé son serviteur de le hacher en morceaux, de le mettre dans un tonneau, de le saupoudrer avec une poudre, ou de l’arroser avec un baume, et de n’ouvrir le tonneau qu’au bout de neuf mois. Mais le serviteur ouvrit le tonneau après sept mois, et y trouva un enfant de sept mois qui mourut aussitôt. (Voyez : Alpenburg : Mythen und Sagen Tirols, p. 309 ; Zingerle : Sagen, Mærchen und Gebræuche aus Tirol, p. 346 ; Peter : Volksthümliches aus Oesterreichisch-Schlesien, tome II, p. 29).


Reinhold Kœhler.




  1. Ce conte est un de ces nombreux récits populaires, transmis par la tradition orale, et qui font le charme de nos chaumières et de nos manoirs bretons durant les veillées d’hiver. Il a été recueilli sous la dictée du conteur et traduit avec une grande fidélité sur le texte authentique.
  2. Le nom de Koadalan, traduit en français, serait Bois-Allain ; — mais je doute fort que ce soit là le nom primitif, car nos conteurs populaires ont la fâcheuse habitude de changer arbitrairement les noms, ceux des personnages comme ceux des lieux, et de leur substituer d’autres noms, généralement connus de leur auditoire.
  3. Cette série de métamorphoses du héros de notre conte rappelle la poursuite de Gwion par Keridwen dans le Hanes Taliesin :
    « Vraiment, s’écria Keridwenn, c’est Gwion le nain qui est le ravisseur. » Ayant prononcé ces mots, elle se mit à sa poursuite. Gwion, l’apercevant de loin, se transforma en lièvre, et redoubla de vitesse ; mais Keridwenn aussitôt changée en levrette le dépassa et le chassa vers la rivière.
    Se précipitant dans le courant, il prit la forme d’un poisson ; mais son implacable ennemie, devenue loutre, le suivit à la trace ; si bien qu’il fut obligé de prendre la figure d’un oiseau et s’envola dans l’air.
    Cet élément ne lui fut pas un refuge ; car la dame, sous la forme d’un épervier, gagnait sur lui, et allait le saisir de sa serre. Tremblant de la terreur de la mort, il aperçut un tas de blé, sur une aire, et se glissa au milieu, semblable à un simple grain.
    Kéridwenn prit la forme d’une poule noire à la crête élevée, ouvrit en grattant le tas de blé, distingua le grain et l’avala, etc.. »
    Traduction donnée d’après la traduction anglaise d’Ed. Davies (Celt. Myth., p. 229 et suiv.), par Jules Leflocq, Études de mythologie celtique, p. 69.