Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Tome 15p. 463-479).


CHAPITRE XLI et dernier.

PIÈGE INFERNAL ET CONCLUSION.


On entendit trois fois la cloche mortuaire, trois fois on entendit l’appel d’une voix aérienne, et trois fois le corbeau agita ses ailes en s’approchant des tours de Cumnor.
Miecle.


Il nous faut maintenant revenir à cette partie de notre histoire où nous avons dit que Varney, muni de l’autorisation du comte de Leicester et d’une semblable permission de la reine, s’empressa de se mettre en sûreté contre la découverte de sa perfidie en emmenant la comtesse du château de Kenilworth. Il s’était d’abord proposé de partir de bonne heure le lendemain matin ; mais, réfléchissant que le comte pouvait s’adoucir pendant cet intervalle, et chercher à avoir une autre entrevue avec la comtesse, il résolut de prévenir, par un départ immédiat, tout événement qui aurait pu amener la connaissance de ses complots et le perdre. Dans ce dessein, il appela Lambourne, et fut excessivement irrité en apprenant que son fidèle serviteur était allé faire quelque excursion dans le village voisin ou toute autre part. Comme on l’attendait à tout moment, sir Richard ordonna qu’on lui signifiât de se préparer à l’accompagner dans un voyage qu’il allait entreprendre immédiatement, ou à le suivre s’il ne revenait qu’après le départ de son maître.

En même temps, Varney employa le ministère d’un domestique, nommé Robin Tider, qui avait souvent accompagné le comte, et auquel les secrets de Cumnor-Place étaient déjà connus en partie. Ce fut à cet individu, dont le caractère ressemblait à celui de Lambourne, quoiqu’il ne fût ni aussi alerte ni tout-à-fait aussi débauché, que Varney ordonna de faire seller trois chevaux, de préparer une litière et de l’attendre à la poterne. Le prétexte assez naturel de l’aliénation de la dame, aliénation à laquelle on croyait alors généralement, justifiait assez bien le mystère avec lequel on l’enlevait du château, et il comptait sur cette excuse dans le cas où la résistance et les cris de la malheureuse Amy la rendraient nécessaire. Le concours d’Antony Foster lui était indispensable, et Varney courut s’en assurer.

Ce personnage, d’un caractère naturellement sombre et insociable, et d’ailleurs un peu fatigué d’être venu si rapidement de Cumnor dans le Warwickshire apporter la nouvelle de la fuite de la comtesse, s’était retiré de bonne heure de la foule des buveurs pour aller se coucher, et il dormait profondément lorsque Varney, tout équipé pour le voyage, une lanterne sourde à la main, entra dans son appartement. Ce dernier s’arrêta un instant pour écouter ce que son associé marmottait dans son sommeil, et il distingua clairement ces mots : « Ave Maria, ora pro nobis. Non, ce n’est pas ainsi : Délivrez-nous du mal : oui, c’est cela. «

« Il prie en dormant, dit Varney, et confond ses anciennes et ses nouvelles oraisons. Il aura encore plus besoin de prières avant que nous en ayons fini ensemble… Holà ! ho ! saint homme, bienheureux pénitent, réveillez-vous, réveillez-vous ! le diable ne vous a pas encore congédié de son service. »

Comme Varney, en parlant ainsi, avait saisi le dormeur par le bras, cette pression changea le cours de ses idées, et il s’écria : « Au voleur ! au voleur ! je mourrai en défendant mon or. Où est Jeannette ? Jeannette est-elle en sûreté ?

— Assez en sûreté, diable de braillard, dit Varney ; n’es-tu pas honteux de faire tant de bruit ? »

Foster était alors complètement réveillé ; et se mettant sur son séant, il demanda à Varney ce que signifiait une visite faite à une heure aussi indue. « Elle ne me présage rien de bon, ajouta-t-il.

— Fausse prophétie, bienheureux Antony, répondit Varney ; elle présage que le moment est venu de changer l’acte de ton bail en un acte de propriété Que dis-tu à cela ?

— Si tu me l’avais dit en plein jour, je m’en serais réjoui ; mais à cette heure lugubre de la nuit, à cette heure, à la sombre lueur et à l’aspect de ton pâle visage, qui forme un effrayant contraste avec tes joueuses paroles, il m’est impossible de ne pas songer davantage à l’œuvre qu’il faudra accomplir qu’à la récompense qui en sera le résultat.

— Comment donc, imbécile, il ne s’agit que d’escorter ta pupille à Cumnor-Place.

— Est-ce là tout en effet ? Tu es d’une pâleur mortelle, et tu n’as pas l’habitude de t’émouvoir pour des bagatelles. Est-ce là tout en effet ?

— Oui, cela, et peut-être quelque chose de plus.

— Ah ! ce quelque chose ?… tu me parais de plus en plus pâle…

— Ne fais pas attention à mon visage, tu le vois à la lueur de cette triste lumière… Debout et agissons, mon cher ; pense à Cumnor-Place, pense à ton acte de propriété. Comment donc ? mais tu seras en état de faire dire un sermon par semaine, outre que tu pourras doter Jeannette comme la fille d’un baron… Soixante et dix livres et plus de revenu.

— Soixante-neuf livres cinq shellings et cinq sous et demi, et, en outre, la valeur du bois ; et serai-je propriétaire de la totalité ?

— Oui, mon ami, et sans en excepter un écureuil… Pas une sorcière ne t’enlèvera la valeur d’un balai, pas un enfant ne te prendra un nid d’oiseau sans t’en payer le prix. Allons, voilà qui est bien ; habille-toi aussi promptement que possible… Les chevaux… tout est prêt, tout, excepté ce maudit coquin de Lambourne, qui est sorti pour quelque infernale escapade.

— Voilà ce que c’est, sir Richard, vous n’avez pas voulu suivre mon conseil. Je vous ai toujours dit que cet ivrogne vous manquerait quand vous en auriez besoin ; moi, j’aurais pu vous procurer quelque jeune homme sobre.

— Oui, quelque frère de la congrégation à la parole doucereuse et lente. Eh bien ! nous aurons besoin aussi de quelque personnage de ce genre, mon cher, le ciel soit loué. Il nous faudra des travailleurs de toutes les sortes. Allons, voilà qui est bien ; n’oublie pas tes pistolets ; viens maintenant, et partons.

— Où allons-nous ? dit Foster.

— Dans la chambre de madame ; et songe qu’il faut qu’elle vienne avec nous : tu n’es pas homme à te laisser effrayer par des cris ?

— Non, quand on peut s’appuyer des paroles de l’Écriture ; et il est écrit : « Femmes, obéissez à vos maris… » Mais les ordres de milord nous autorisent-ils à employer la violence ?

— Bon ! dit Varney, voici son cachet. » Après avoir fait taire de cette manière les objections de son associé, ils se rendirent ensemble à l’appartement de lord Hunsdon, et donnant connaissance de leur dessein à la sentinelle comme ayant reçu la sanction de la reine et du comte de Leicester, ils entrèrent dans l’appartement de l’infortunée comtesse.

On peut concevoir quelle fut l’horreur d’Amy quand, éveillée en sursaut au milieu d’un sommeil agité, elle vit à côté de son lit ce Varney, l’homme qu’elle craignait et détestait le plus. Sa seule consolation fut de voir qu’il n’était pas seul, quoiqu’elle eût autant de raison de redouter son brutal compagnon.

« Madame, dit Varney, il n’y a pas de temps à perdre en cérémonies ; milord Leicester, ayant mûrement réfléchi aux difficultés du moment, vous envoie l’ordre de retourner immédiatement avec nous à Cumnor-Place. Regardez, voici sa bague, qui porte son sceau, comme gage de cet ordre immédiat et positif.

— C’est faux, dit la comtesse, tu lui as dérobé ce gage, toi qui es capable de toute espèce de scélératesse, depuis la plus basse jusqu’à la plus noire.

— Vous vous trompez, madame, répondit Varney ; cela est si vrai que, si vous ne vous levez pas à l’instant et ne vous préparez pas à nous suivre, nous devons vous forcer d’obéir à ces ordres.

— Me forcer ! tu n’oserais pas en venir à ce point, tout vil que tu es, s’écria la malheureuse comtesse.

— C’est ce qui reste à prouver, madame, » dit Varney, qui avait résolu de l’intimider, comme le seul moyen de vaincre sa résistance. « Si une fois vous me forcez à m’y mettre, vous trouverez en moi un rude valet-de-chambre. »

Ce fut à cette menace qu’Amy se mit à pousser des cris si effrayants que, sans l’opinion où l’on était qu’elle avait perdu l’esprit, elle aurait vu bientôt arriver lord Hunsdon et d’autres à son aide. S’apercevant cependant que ses cris étaient inutiles, elle en appela à Foster dans les termes les plus touchants, le conjurant, si l’honneur et l’innocence de sa fille Jeannette lui étaient chers, de ne pas souffrir qu’elle fût traitée avec cette brutale violence.

« Ma foi, madame, les femmes doivent obéir à leurs maris : telle est la loi de l’Écriture, dit Foster ; mais si vous voulez vous habiller, et venir avec nous sans faire résistance, personne ne vous touchera du bout du doigt tant que j’aurai la faculté de tirer un pistolet. »

Voyant qu’aucun secours n’arrivait, et un peu rassurée même par le langage bourru de Foster, la comtesse promit de se lever et de s’habiller s’ils voulaient se retirer de la chambre. Varney l’assura alors que son honneur et sa sûreté ne couraient aucun risque entre leurs mains, et lui promit même de ne pas l’approcher, puisque sa présence lui était désagréable. Son époux, ajouta-t-il, serait à Cumnor-Place vingt-quatre heures après leur arrivée.

Un peu consolée par cette assurance, quoiqu’elle ne vit pas beaucoup de raisons d’y compter, la malheureuse Amy fit sa toilette à la faible lueur de la lanterne qu’ils lui laissèrent en quittant l’appartement.

Tremblante, versant des pleurs, et adressant des prières au ciel, l’infortunée mit ses vêtements. Qu’elles étaient différentes, ses sensations, de celles qu’elle avait souvent éprouvées à se parer dans tout l’orgueil de sa beauté ! Elle essaya de faire durer sa toilette aussi long-temps que possible, jusqu’à ce que, effrayée de l’impatience de Varney, elle fut obligée de dire qu’elle était prête à les suivre.

Au moment où ils allaient partir, la comtesse s’attacha au bras de Foster avec un effroi si visible, causé par la présence de Varney, que ce dernier lui protesta avec serment qu’il n’avait aucune intention de s’approcher d’elle. « Si vous consentez seulement, dit-il, à obéir tranquillement à la volonté de votre mari, vous ne me verrez guère ; je vous laisserai aux soins de l’écuyer que vous avez le bon goût de me préférer.

— La volonté de mon mari ! s’écria-t-elle, mais c’est la volonté de Dieu, et cela doit me suffire. Je suivrai maître Foster avec aussi peu de résistance qu’une victime qui se laisse conduire volontairement au sacrifice : il est père, et s’il manque d’humanité, il respectera du moins la décence ; quant à toi, Varney, dussent ces paroles être les dernières que je dois prononcer, je te répète que tu es également étranger à toutes deux. »

Varney lui répondit seulement qu’elle était libre de choisir, et les précéda de quelques pas pour leur montrer le chemin, tandis que, moitié s’appuyant sur Foster, moitié portée par lui, la comtesse fut transportée de la tour de Saint-Lowe à la poterne, où Tider attendait avec la litière et les chevaux.

La comtesse se laissa placer dans la litière sans résistance ; elle vit avec quelque satisfaction que Foster et Tider se tenaient à ses côtés, et que le redoutable Varney restait en arrière, où il disparut bientôt dans l’obscurité. Elle essaya pendant quelque temps, car la route côtoyait les bords du lac, de suivre des yeux ces tours majestueuses qui reconnaissaient son époux pour seigneur, et qui, en quelques endroits où des buveurs attardés avaient prolongé leurs libations, étincelaient encore de lumières. Mais quand la direction de la route ne le lui permit plus, elle retira la tête, et, s’enfonçant dans sa litière, se recommanda à la protection de la Providence.

Outre le désir d’engager la comtesse à continuer paisiblement son voyage, Varney voulait aussi avoir un entretien particulier avec Lambourne, par lequel il s’attendait à tout moment à être rejoint. Il connaissait le caractère actif, ferme, cruel et rapace de cet homme, et le regardait comme l’agent le plus convenable qu’il pût employer pour l’exécution de ses projets ultérieurs. Mais la litière et son escorte avaient déjà un mille d’avance sur lui lorsqu’il entendit le galop rapide d’un cheval, et vit arriver Michel Lambourne.

Vivement irrité de son absence, Varney accueillit son domestique par des reproches pleins de dureté et d’amertume : « Coquin d’ivrogne, lui dit-il, ta paresse et tes débauches te prépareront une corde avant peu, et je suis d’avis que le plus tôt sera le mieux. »

Lambourne, dont la tête était exaltée à un degré peu ordinaire, non seulement par un verre de vin de plus que de coutume, mais par l’espèce d’entrevue confidentielle qu’il venait d’avoir avec le comte, et le secret dont il s’était rendu maître, ne reçut pas ces réprimandes avec son humilité ordinaire. Il répondit qu’il ne souffrirait aucune parole insolente, fût-ce du meilleur des chevaliers qui eût jamais porté des éperons ; lord Leicester l’avait retenu pour une affaire importante, et cela devait suffire à Varney, qui n’était qu’un serviteur comme lui.

Varney ne fut pas médiocrement surpris de ce ton d’impertinence inaccoutumé ; mais l’attribuant à l’ivresse, il le laissa dire sans y faire attention. Il commença alors à sonder Lambourne sur ses dispositions à écarter des pas du comte de Leicester l’obstacle qui entravait une élévation qui lui donnerait le moyen de récompenser ses fidèles serviteurs autant que pouvaient s’étendre leurs désirs les plus ambitieux. Michel Lambourne ne paraissait pas le comprendre ; il lui indiqua la litière comme l’entrave dont il fallait se débarrasser.

« Écoutez-moi, sir Richard, dit Michel Lambourne, il y a des gens qui valent mieux que d’autres, voilà un point ; il y en a aussi qui sont pires, et en voilà un autre. Je connais les intentions de milord sur cette affaire beaucoup mieux que vous, car il me l’a confiée à fond. Voici ses ordres, et voici ses derniers mots : « Michel Lambourne, m’a-t-il dit, » car Sa Seigneurie parle comme un gentilhomme accoutumé à porter l’épée, et ne se sert pas des mots de coquin, d’ivrogne, et autres semblables, comme les gens qui ne sont pas faits à leurs nouveaux honneurs ; « Michel Lambourne, m’a-t-il dit, Varney doit traiter la comtesse avec le plus grand respect, et c’est à vous que je m’en rapporte pour y avoir l’œil, Lambourne, m’a dit Sa Seigneurie ; et il faut aussi que vous me rapportiez sans délai le sceau que je lui ai confié.

— Vraiment, dit Varney, il vous a dit cela ? Ainsi donc, vous savez tout.

— Tout, tout ; et il serait sage à vous de vous faire un ami de moi avant qu’il ne s’élève quelque nuage entre nous.

— Et il n’y avait personne présent lorsque milord vous parla ainsi ? dit Varney.

— Pas une créature vivante, répondit Lambourne. Croyez-vous que milord voudrait confier de telles affaires à tout autre qu’à un homme de ma capacité ?

— Il est vrai, » dit Varney ; et, s’arrêtant un moment, il examina la route éclairée par la lune : c’était une vaste bruyère découverte. La litière les précédait au moins d’un mille, et ils en étaient dès lors trop éloignés pour qu’on pût les voir ou les entendre. Il jeta un regard derrière lui, et vit une immense étendue de pays où l’on n’apercevait pas une créature humaine. Alors il reprit la conversation avec Lambourne : « Vous tourneriez-vous donc contre votre maître ? contre celui qui vous a introduit dans la carrière de la faveur, contre celui dont vous avez été l’apprenti, Michel, et qui vous a initié aux intrigues de cour ?

— Ne me donnez pas ainsi du Michel ; j’ai un nom qui mérite autant qu’un autre d’être précédé du monsieur ; et quant au reste, si j’ai été apprenti, mon apprentissage est fini, et j’ai résolu de voler de mes propres ailes.

— Reçois donc d’abord ta récompense, insensé, » dit Varney, et déchargeant sur Lambourne un pistolet qu’il tenait à sa main, il lui envoya une balle à travers le corps.

Le misérable tomba de son cheval sans pousser un seul gémissement ; et Varney, mettant pied à terre, vida ses poches et en retourna la doublure, afin que l’on crût qu’il était tombé sous les coups des voleurs. Il s’empara de la lettre du comte, qui était son principal objet ; il prit aussi la bourse de Lambourne, qui contenait les restes de ce que ses débauches lui avaient laissé ; mais, par une étrange association de sentiments, il ne la porta que jusqu’à une petite rivière qui traversait la route, et dans laquelle il la jeta aussi loin qu’elle put aller.

Tels sont les bizarres scrupules d’une conscience qui semble les avoir tous étouffés : cet homme, inaccessible aux remords, aurait cru s’avilir en gardant quelques pièces d’or qui avaient appartenu au misérable qu’il venait d’assassiner avec tant de cruauté.

Le meurtrier rechargea son pistolet, après en avoir nettoyé la platine et le canon, de manière à ce qu’il n’y restât pas de trace de la dernière explosion. Il continua paisiblement son chemin, satisfait de s’être si adroitement débarrassé d’un témoin importun de plusieurs de ses intrigues, et du porteur d’un ordre auquel il n’avait nulle intention d’obéir, et qu’il désirait en conséquence faire croire qu’il n’avait jamais reçu.

Le reste du voyage se fit avec une rapidité qui montra le peu d’égards que l’on avait pour la santé de la malheureuse comtesse, ils ne s’arrêtèrent que dans des lieux où tout leur était soumis, et où l’histoire de la prétendue folie de lady Varney aurait inspiré toute confiance, dans le cas où elle aurait cherché à faire un appel à l’humanité du peu de personnes qui l’approchèrent. Amy ne vit donc aucun moyen de se faire écouter de ceux auxquels elle aurait eu l’occasion de s’adresser, et d’ailleurs la présence de Varney lui inspirait trop d’effroi pour violer la condition convenue, qu’il devait la délivrer de sa compagnie pendant le voyage. L’autorité de Varney, souvent employée de la même manière pendant les voyages secrets du comte à Cumnor, lui procura sans peine les relais dont il eut besoin ; de sorte qu’ils arrivèrent dans le voisinage de Cumnor-Place la seconde nuit après leur départ de Kenilworth. Varney vint alors rejoindre l’escorte derrière la litière, comme il avait déjà fait plusieurs fois pendant sa route, et demanda : « Que fait-elle ?

— Elle dort, dit Foster, je voudrais que nous fussions arrivés ; ses forces sont épuisées.

— Le repos la remettra, dit Varney ; elle dormira bientôt profondément et pour long-temps. Il faut réfléchir où nous la logerons.

— Dans son propre appartement, sans doute, dit Foster ; j’ai envoyé Jeannette chez sa tante, en lui faisant une bonne réprimande ; et quant aux vieilles femmes, elles sont la fidélité même ; car elles haïssent cordialement la jeune dame.

— Nous ne nous y fierons pas cependant, ami Antony, dit Varney ; il faut la mettre en sûreté dans cette forteresse où tu gardes ton or.

— Mon or ! » dit Antony fort alarmé ; « comment donc ? quel or ai-je ? Dieu m’assiste, je n’ai pas d’or ; plût au ciel que j’en eusse !

— Que Dieu te confonde, stupide animal ! qui songe à ton or ou s’en soucie ? Si c’était moi, ne pourrais-je pas trouver mille meilleurs moyens d’y arriver ? Bref, ta chambre à coucher, que tu as fortifiée si étrangement, doit lui servir de retraite ; et toi, vieux bouc, tu fouleras ses coussins de plume. Je parierais bien que le comte ne redemandera jamais le riche ameublement de ces quatre chambres. »

Cette dernière considération rendit Foster fort traitable. Il demanda seulement la permission de prendre les devants pour tout faire préparer ; et, donnant de l’éperon à son cheval, il galopa devant la litière, tandis que Varney, restant en arrière à environ soixante pas, continua d’être escorté par le seul Tider.

Lorsqu’ils arrivèrent à Cumnor-Place, la comtesse demanda Jeannette avec empressement, et montra beaucoup d’effroi en apprenant qu’elle ne devait plus compter sur les services ni sur la compagnie de cette aimable fille.

« Ma fille m’est chère, madame, dit Foster, et je n’ai aucun désir qu’elle prenne les vices de la cour, et apprenne à mentir et à faire des fugues ; elle n’en a déjà que trop appris, n’en déplaise à Votre Seigneurie. »

La comtesse, très fatiguée, et très épouvantée des circonstances qui avaient accompagné son voyage, ne fit pas de réponse à cette insolence, mais exprima avec douceur le désir de se retirer dans sa chambre.

« Oui, oui, murmura Foster, c’est juste ; mais, s’il vous plaît, vous n’irez pas vous coucher dans votre nouvel appartement, au milieu de tous vos brillants colifichets. Non, non, vous dormirez cette nuit sous meilleure garde.

— Je voudrais que ce fût dans la tombe, dit la comtesse, si la faiblesse humaine ne frémissait pas à l’idée de cette séparation de l’âme et du corps.

— Ce n’est pas vous, je pense, que cette idée doit faire tressaillir, dit Foster ; milord doit venir ici demain, et vous saurez bien, sans doute, vous justifier auprès de lui.

— Mais vient-il ici ? vient-il réellement ici ? bon Foster.

— Oui, oui, bon Foster ; mais comment parlerez-vous demain de Foster à milord, quoique tout ce que j’ai fait ait été pour obéir à ses ordres.

— Oh ! je vous nommerai mon protecteur, un protecteur un peu brusque, mais un protecteur du moins, dit la comtesse. Oh ! si Jeannette était ici !

— Elle est mieux où elle est, répondit Foster ; une de vous suffit pour faire tourner la tête d’un honnête homme. Mais ne voulez-vous pas prendre quelque chose ?

— Oh, non, non ! je ne veux que ma chambre… ma chambre ; j’espère, dit-elle, que je pourrai la fermer en dedans ?

— Tant qu’il vous plaira, de tout mon cœur, répondit Foster, pourvu que moi je puisse la fermer en dehors ; » et prenant une lumière, il la conduisit vers une partie du bâtiment qu’Amy n’avait jamais vue, et lui fit monter un escalier très élevé, précédée d’une vieille femme qui tenait une lampe. Au sommet de l’escalier, dont l’œil pouvait à peine mesurer la hauteur, ils eurent à traverser une courte galerie de bois de chêne noire et fort étroite, au bout de laquelle ils arrivèrent à une porte très solide, également de chêne, qui leur donna entrée dans l’appartement de l’avare, dont l’ameublement était grossier au dernier point, et qui, à l’exception du nom, ne différait guère d’un cachot.

Foster s’arrêta à la porte, et donna la lampe à la comtesse, sans lui permettre de recevoir les soins de la vieille femme qui l’avait éclairée. La malheureuse dame ne prit pas le temps de s’en inquiéter ; mais, saisissant la lampe avec précipitation, elle ferma la porte après elle et se barricada de son mieux en dedans.

Varney, pendant ce temps, s’était tenu aux aguets derrière eux sur l’escalier ; mais en entendant fermer la porte, il s’avança sur la pointe du pied, et Foster, lui faisant signe, lui montra avec beaucoup de satisfaction une espèce de bascule cachée dans le mur, qui, jouant avec beaucoup de facilité et peu de bruit, faisait tomber une partie de la galerie de bois à la manière d’un pont-levis, de manière à couper toute communication entre la chambre à coucher qu’il habitait ordinairement et le palier du haut escalier qui y conduisait. Le cordon qui faisait mouvoir cette machine était habituellement dans l’intérieur de la chambre, le but de Foster étant de se prémunir contre toute invasion du dehors ; mais dans cette circonstance, voulant s’assurer de sa prisonnière, il avait placé la corde du côté de l’escalier, et l’y avait assujettie après avoir laissé tomber la trappe secrète.

Varney examina cette machine avec beaucoup d’attention, et mesura plusieurs fois des yeux le profond abîme qu’avait ouvert le mouvement de la bascule. Il était noir comme l’enfer, et paraissait d’une profondeur considérable, descendant presque, comme lui apprit tout bas Foster, jusqu’aux caves les plus basses du château. Varney jeta pour la dernière fois un long et farouche regard sur ce noir abîme, et suivit ensuite Foster dans la partie du manoir le plus ordinairement habitée.

Quand ils arrivèrent dans le parloir, Varney pria Foster de lui faire donner à souper, et surtout de son meilleur vin. « Je vais aller trouver Alasco, dit-il, nous aurons de la besogne pour lui, et il faut lui donner du cœur.

Foster gémit en l’entendant parler ainsi, mais il ne répondit pas. La vieille femme assura Varney qu’Alasco n’avait presque ni bu ni mangé depuis le départ de son maître, restant continuellement enfermé dans son laboratoire, et parlant comme si la durée du monde dépendait de ce qu’il y faisait.

« Je vais lui apprendre que le monde attend autre chose de lui, » dit Varney en prenant une lumière pour aller chercher l’alchimiste. Il revint après un intervalle assez long, très pâle, mais portant encore sur sa physionomie l’expression de froide raillerie qui lui était habituelle.

« Notre ami, dit-il, s’est évaporé.

— Comment ? que voulez-vous dire ? s’écria Foster ; échappé, enfui avec mes quarante livres sterling qu’il devait multiplier mille fois ! Je le poursuivrai à cor et à cri.

— Je t’indiquerai un meilleur moyen, dit Varney.

— Comment ? quel moyen ? demanda Foster. Je veux ravoir mes quarante livres sterling. Je comptais avec certitude qu’elles seraient multipliées au centuple. Je veux avoir mon enjeu du moins.

— Va te pendre, alors, et plaide contre Alasco devant le chancellerie du diable, car c’est à ce tribunal qu’il a porté sa cause.

— Quoi ! que signifie cela ? est-il mort ?

— Oui vraiment, il l’est, répondit Varney, et joliment enflé de corps et de visage. Il paraît qu’il préparait quelques-unes de ses drogues infernales, et que le masque de verre qu’il portait habituellement est tombé de son visage, par lequel ce poison subtil s’est introduit dans le cerveau et l’a tué.

Sancta Maria ! s’écria Poster ; je veux dire que Dieu dans sa miséricorde nous préserve de l’envie et de tout péché mortel… N’avait-il pas obtenu de produit, croyez-vous ? n’avez-vous pas vu de lingots dans ses creusets ?…

— Ma foi, je n’ai rien vu que son cadavre, répondit Varney, assez vilain spectacle,… Il est enflé comme un corps qui aurait été exposé trois jours sur la roue… Allons ! donnez-moi un verre de vin.

— Je vais y aller, et l’examiner moi-même. » Il prit la lampe, et s’approcha rapidement de la porte ; mais là il balança et s’arrêta… « Ne voulez-vous pas venir avec moi ? dit-il à Varney.

— Pourquoi faire ? dit Varney ; j’en ai vu et senti assez pour m’ôter l’appétit. J’ai ouvert la croisée cependant, pour donner de l’air… la chambre était pleine de vapeurs sulfureuses et d’autres exhalaisons suffocantes, comme si le diable lui-même eût été là.

— Et ne serait-ce pas l’œuvre du démon lui-même ? » dit Foster en hésitant toujours. « J’ai entendu dire qu’il était puissant dans de telles circonstances et en de tels lieux.

— Et quand même, répondit Varney, ce serait l’œuvre de Satan, qui tourmente ainsi ton imagination ? tu es en parfaite sûreté, à moins qu’il ne soit un diable bien exigeant, car il a eu deux bons morceaux depuis peu.

— Comment, deux bons morceaux ! Qu’est-ce que cela signifie ? que voulez-vous dire par là ? demanda Foster.

— Tu le sauras quand il le faudra, dit Varney… Et puis cet autre banquet qu’on lui prépare… Mais tu la regardes peut-être comme un morceau trop friand pour la dent du démon… Il lui faudra ses hymnes, ses harpes et ses séraphins. «

Antony Foster, en entendant ces paroles, revint lentement près de la table : « Bon Dieu, sir Richard, eh ! faut-il donc aussi que cela ait lieu ?

— Oui, assurément, Antony, où il n’y a pas pour toi d’acte de propriété.

— J’avais prévu que cela en viendrait là… Mais comment, sir Richard ? comment ? car pour la possession du monde je ne voudrais pas porter les mains sur elle.

— Je ne puis pas t’en blâmer ; j’y aurais moi-même de la répugnance. Alasco et sa manne nous manquent cruellement, ainsi que ce chien de Lambourne.

— Et pourquoi Lambourne tarde-t-il tant ?

— Ne me fais pas de question : tu le reverras un jour, si ta croyance est vraie. Mais occupons-nous d’affaires plus graves… Je veux t’apprendre un piège, Tony, pour attraper les vanneaux… Cette trappe, cette bascule de ton invention, peut rester solide en apparence, n’est-ce pas, quoique les supports en soient retirés ?

— Oui, sans doute, dit Foster, tant qu’on ne marchera pas dessus.

— Mais si la dame cherchait à s’enfuir, reprit Varney, son poids ne suffirait-il pas pour la faire crouler ?

— Le poids d’une souris suffirait, dit Foster.

— Eh bien donc, si elle se tue en essayant de s’enfuir, qu’y pouvons-nous, vous ou moi, honnête Foster ? Allons nous coucher, et nous exécuterons ce projet demain. »

Le lendemain, à l’approche du soir, Varney somma Foster de songer à l’exécution de leur plan. Tider et un vieux domestique de Foster furent écartés sous prétexte d’une commission, et Antony lui-même, comme s’il désirait s’assurer que la comtesse ne manquât de rien, alla la trouver dans sa prison. Il fut si ébranlé par la douceur et la patience avec lesquelles elle semblait supporter sa captivité, qu’il ne put s’empêcher de lui recommander instamment de ne pas traverser le seuil de son appartement, sous aucun prétexte, que le comte de Leicester ne fût arrivé : « Et j’espère, ajouta-t-il, que ce sera sous peu. » Amy promit avec douceur de se résigner à son sort, et Foster retourna près de son compagnon plus endurci, la conscience à moitié soulagée du poids inquiétant qui l’accablait. « Je l’ai avertie, se dit-il ; c’est sûrement en vain qu’on tend un piège sous les yeux mêmes de l’oiseau. »

Il ne barricada donc pas la porte de la comtesse en dehors, et sous les yeux de Varney il retira les appuis qui soutenaient la galerie mobile qui, en conséquence, ne conservait sa position fixe que par une faible adhésion. Ils se retirèrent au rez-de-chaussée pour attendre le résultat de cette opération ; mais ils attendirent long-temps en vain. À la fin Varney, après s’être promené à grands pas, la figure enveloppée dans son manteau, le jeta tout d’un coup en arrière en s’écriant : « Assurément, jamais il n’y eut de femme assez sotte pour négliger une si belle occasion de s’échapper.

— Peut-être a-t-elle résolu, dit Foster, d’attendre l’arrivée de son mari.

— Ah ! c’est vrai, c’est très vrai, dit Varney en s’élançant dehors, je n’avais pas songé à cela. »

Il ne s’était pas écoulé deux minutes quand Foster, qui était resté à sa place, entendit le pas d’un cheval, puis un coup de sifflet semblable à celui qui servait ordinairement de signal au comte. Un instant après la porte de la comtesse s’ouvrit, et, au même moment, la galerie s’écroula ; on entendit le bruit de quelque chose qui se précipite et tombe pesamment, puis un faible gémissement… et tout fut fini…

Au même instant Varney vint se montrer à la fenêtre, et d’un ton qui offrait un mélange inexprimable d’horreur et de raillerie, il s’écria : « L’oiseau est-il pris ? la besogne est-elle faite ?

— Oh ! que Dieu ait pitié de nous ! » s’écria Antony Foster.

« Imbécile que tu es, dit Varney, ta tâche est finie, et ta récompense t’est assurée ; regarde dans le caveau, que vois-tu ?

— Je ne vois qu’un monceau de linge blanc semblable à un tas de neige, dit Foster. Ô Dieu ! elle remue un bras !

— Jette quelque chose sur elle ; ta cassette d’or, Tony… elle doit être pesante.

— Varney, tu es un démon incarné ; il n’est plus besoin de rien ; elle ne bouge plus ; elle a cessé de vivre.

— Ainsi finissent nos peines, » dit Varney en entrant dans l’appartement ; « je n’aurais jamais cru imiter si bien le signal du comte.

— Oh ! s’il existe une vengeance divine, tu l’as bien méritée, et tu ne saurais t’y soustraire. Tu t’es servi de ses plus tendres affections pour la détruire : c’est faire bouillir le chevreau dans le lait de sa mère.

— Tu es un stupide fanatique, Foster. Mais songeons maintenant au moyen de répandre l’alarme. Il faut que le corps reste où il est. »

Mais leur perversité ne devait pas être plus long-temps soufferte, car au moment où ils se consultaient sur ce point, ils furent interrompus par l’arrivée de Tressilian et de Raleigh, qui s’étaient procuré l’entrée de la maison au moyen de Tider et des domestiques de Foster, dont ils s’étaient assurés dans le village.

Antony Foster s’enfuit à leur aspect ; et connaissant tous les passages et tous les coins de cette vieille maison, dont les détours ressemblaient à un labyrinthe, il échappa à toutes les recherches.

Mais Varney fut arrêté à l’instant ; et au lieu de paraître se repentir de ce qu’il avait fait, il sembla prendre un plaisir infernal à leur montrer le corps de la comtesse assassinée, tout en les défiant de prouver qu’il eût eu aucune part à sa mort. Le désespoir de Tressilian en contemplant les restes mutilés et encore chauds d’un objet qui peu d’instants auparavant était encore si charmant et si tendrement aimé, fut tel, que Raleigh se vit obligé de le faire transporter de force hors de la maison, tandis qu’il se chargea lui-même de diriger tout ce qu’il y aurait à faire.

Varney, dans un second interrogatoire, ne chercha guère à cacher son crime et les motifs qui l’y avaient porté, donnant pour raison de sa franchise que, quoiqu’on ne pût concevoir contre lui des soupçons sur la plus grande partie des faits qu’il venait d’avouer, cependant ce soupçon même suffisait seul pour le priver de la confiance de Leicester, et détruire tous ses projets gigantesques d’ambition. « Je ne suis pas né, dit-il, pour traîner le reste de mes jours comme un proscrit, dans l’avilissement et la dégradation, et je ne veux pas non plus que ma mort soit un jour de fête pour le vulgaire. »

On craignit d’après ces paroles qu’il n’eût le dessein d’attenter à sa vie, et on eut soin de lui enlever tous les moyens d’exécuter ce projet ; mais comme quelques-uns des héros de l’antiquité, il partait sur lui une petite dose d’un poison actif, préparé probablement par le fameux Démétrius Alasco. Il avala cette potion le soir, et le lendemain on le trouva mort dans sa prison. Il ne parut pas même qu’il eût éprouvé une longue agonie ; sa physionomie présentait encore après sa mort cette expression d’amère raillerie qui lui était habituelle. Le méchant, dit l’Écriture, n’a pas de frein dans sa mort.

Le sort de son infâme complice fut long-temps inconnu. La résidence de Cumnor fut abandonnée immédiatement après le meurtre qui y avait eu lieu, car les domestiques prétendirent avoir entendu des gémissements, des cris et autres bruits surnaturels, dans le voisinage de ce qu’on appelait la chambre de lady Dudley. Après un certain laps de temps, Jeannette, n’entendant pas parler de son père, devint sans contestation maîtresse de tous ses biens, qu’elle donna avec sa main à Wayland, dont le caractère avait pris de la stabilité, et qui avait obtenu un emploi dans la maison d’Élisabeth ; mais ce ne fut que quelques années après la mort de l’un et de l’autre que leur fils aîné, faisant faire quelques fouilles dans la vieille maison de Cumnor, découvrit un passage secret, fermé par une porte en fer cachée derrière le lit de lady Dudley, et qui descendait dans une espèce de cave où l’on trouva une cassette de fer renfermant une assez grande quantité d’or, et sur laquelle était étendu le squelette d’un homme : le sort d’Antony Foster devint alors manifeste. Il s’était réfugié dans ce lieu secret, oubliant la clef de la serrure à ressort ; et ne pouvant pour en sortir user des moyens qu’il avait employés pour la conservation de cet or, qui était le prix de son salut, il avait péri misérablement dans ce lieu. Sans aucun doute, les cris et les gémissements entendus par les domestiques n’étaient pas entièrement imaginaires, et étaient ceux que ce misérable, dans son désespoir, poussait en appelant à son secours.

La nouvelle du sort affreux de la comtesse mit un terme soudain aux fêtes de Kenilworth. Leicester se retira de la cour, et pendant fort long-temps s’abandonna tout entier à ses remords. Mais comme Varney, dans ses derniers aveux, avait eu soin de ménager la réputation de son maître, le comte devint plutôt un objet de pitié que d’indignation. La reine finit par le rappeler à la cour ; il s’y distingua encore une fois en qualité d’homme d’état et de favori. Le reste de sa carrière est bien connu dans l’histoire ; mais il y eut une espèce de justice rétributive dans sa mort, si, d’après le bruit généralement accrédité, elle fut causée par une dose de poison destinée à une autre personne.

Sir Hugh Robsart mourut peu de temps après sa fille, laissant son bien à Tressilian. Mais ni la perspective de l’indépendance et de la vie champêtre, ni les promesses de faveur que lui fit Élisabeth pour l’engager à s’attacher à la cour, ne purent dissiper sa profonde mélancolie. En quelque lieu qu’il portât ses pas, il lui semblait voir le corps défiguré du premier et de l’unique objet de ses affections. À la fin, ayant pourvu au sort des vieux amis et serviteurs dont se composait la maison de sir Hugh à Lidcote-Hall, il s’embarqua avec son ami Raleigh pour l’expédition de la Virginie, et trouva une mort prématurée dans cette terre étrangère, jeune d’années, mais vieilli par les chagrins.

Quant aux personnages secondaires de cette histoire, il suffira de dire que le bon sens de Blount se ranima à mesure que ses rosettes jaunes se fanèrent, et qu’il devint un excellent officier. il se montra à la guerre beaucoup plus dans son élément que pendant le court espace de temps où il avait suivi la cour. Quant à Flibbertigibbet, son esprit subtil et pénétrant lui fit obtenir des distinctions ; il eut la faveur de Burleigh ainsi que de tous ceux qui l’employèrent.

On peut trouver l’esquisse de cette triste narration dans les Antiquités du Berkshire, par Ashmole ; il en est également question dans plusieurs autres ouvrages relatifs à Leicester. L’ingénieux traducteur du Camoëns, William Julius Mickle, a fait de la mort tragique de la comtesse le sujet d’une élégie que le lecteur a lue dans l’introduction de ce roman.




FIN DE KENILWORTH.