Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Tome 15p. 261-269).


CHAPITRE XXI.

LE BILLET.


L’impatiente ambition qui dépasse le but, et tombe de l’autre côté.
Shakspeare. Macbeth.


La splendeur des fêtes qui allaient avoir lieu à Kenilworth était alors le sujet des conversations de toute l’Angleterre ; et à l’intérieur comme à l’extérieur on rassemblait tout ce qui pouvait ajouter à l’éclat et à la magnificence de la réception d’Élisabeth dans le château de son premier favori. Cependant Leicester paraissait faire, chaque jour, de nouveaux progrès dans le cœur de la reine. Au conseil il était toujours à ses côtés ; dans les moments d’amusement de la cour, toujours écouté avec plaisir… Sa faveur avait presque le caractère d’une intimité familière. Recherché par tous ceux qui avaient quelque chose à espérer de la reine, courtisé par les ministres étrangers qui lui apportaient de la part de leurs souverains les témoignages de respect les plus flatteurs, il paraissait l’alter ego de la superbe Élisabeth, qui, à ce qu’on croyait généralement, attendait le moment et l’occasion de l’associer par le mariage à sa puissance souveraine.

Au milieu de ce flux de prospérités, ce favori de la fortune et de la reine était probablement l’homme le plus malheureux du royaume qui paraissait lui être soumis. Il avait sur ses amis et ses serviteurs la supériorité du roi des génies, et il voyait beaucoup de choses qu’ils ne pouvaient voir. Le caractère de sa maîtresse lui était parfaitement connu ; c’était la profonde et minutieuse étude qu’il avait faite de ses goûts, aussi bien que de ses nobles qualités, qui, jointe à la puissance de ses facultés intellectuelles et à l’éclat de ses avantages extérieurs, l’avait élevé aussi haut dans sa faveur ; mais c’était aussi cette même connaissance de son caractère qui lui faisait craindre à chaque instant une disgrâce soudaine et accablante. Leicester était dans la position d’un pilote, muni d’une carte qui lui révèle tous les détails de sa navigation, mais qui lui montre tant d’écueils, de brisants, de récifs et de rochers, qu’il ne retire guère d’autre avantage de l’observer, que la triste conviction qu’un miracle seul pourra le faire échapper à sa perte.

Dans le fait, la reine offrait l’étrange assemblage de la raison la plus mâle et de toutes les faiblesses qui sont regardées comme l’attribut particulier du sexe féminin. Ses sujets avaient tout le profit de ses vertus, qui l’emportaient de beaucoup sur ses faiblesses ; mais les courtisans et ceux qui approchaient de sa personne avaient souvent à essuyer les caprices les plus bizarres et les boutades de son humeur jalouse et despotique. Elle était la mère nourricière de son peuple, mais elle était aussi la véritable fille de Henri VIII ; et quoique les souffrances de sa jeunesse et une excellente éducation eussent réprimé et modifié le caractère altier qu’elle tenait de ce monarque indomptable[1], elles n’avaient pu cependant parvenir à le détruire entièrement. Son esprit, dit son spirituel filleul, sir John Harrington[2], qui avait éprouvé toutes les alternatives de sa bonne et de sa mauvaise humeur, était souvent comme la brise caressante qui vient de l’occident par une matinée d’été, il était doux et frais pour tout ce qui l’environnait. Sa parole gagnait tous les cœurs. Mais en même temps il s’opérait un tel changement en elle quand on lui désobéissait, qu’il était aisé de reconnaître de qui elle était fille. Son sourire était comme un rayon de soleil dont chacun se disputait la bénigne chaleur ; mais bientôt après, au sein d’un amas soudain de nuages, éclatait la tempête, et le tonnerre tombait, d’une manière épouvantable, sur tous indistinctement. Cette inégalité d’humeur, comme le savait fort bien Leicester, était surtout redoutable pour ceux qui avaient part à la bienveillance de la reine, et dont le crédit provenait plutôt de son affection personnelle que des services indispensables qu’ils pouvaient rendre à ses conseils et à sa couronne. La faveur de Burleigh et de Walsingham, moins éclatante que celle à laquelle s’était élevé Leicester, était fondée, comme le savait parfaitement ce dernier, sur l’estime d’Élisabeth et non sur une partialité irréfléchie : aussi était-elle à l’abri de ces causes de changements et de décadence auxquelles étaient nécessairement sujettes celles qui devaient principalement leur origine à des agréments personnels ou à la prédilection momentanée d’une femme. Ces grands hommes d’état étaient jugés par la reine, d’après les mesures qu’ils proposaient et les raisons dont ils appuyaient leurs opinions dans le conseil, tandis que la fortune de Leicester dépendait de ces accès changeants de caprice ou d’humeur, qui contrarient ou favorisent les progrès d’un amant dans les bonnes grâces de sa maîtresse ; de plus, c’était une maîtresse qui craignait sans cesse d’oublier sa dignité ou de compromettre son autorité de reine en s’abandonnant à ses affections de femme. De tous les périls qui environnaient une puissance trop grande pour qu’il pût la garder ou la céder, aucun n’échappait à la pénétration de Leicester ; et quand il cherchait avec anxiété les moyens de se maintenir dans sa position précaire, et quelquefois ceux d’en descendre sans danger, il ne voyait d’espoir de parvenir à l’un ni à l’autre de ces deux résultats. Dans de tels moments ses pensées se reportaient sur son mariage secret et ses conséquences, et c’était avec un sentiment d’aigreur contre lui-même, sinon contre la malheureuse comtesse, qu’il attribuait à cette résolution précipitée, adoptée dans l’ardeur de ce qu’il appelait alors une passion inconsidérée, l’impossibilité d’asseoir son pouvoir sur une base solide, et l’imminence de sa chute terrible.

« On dit, » pensait-il dans ces moments d’anxiété et de repentir, « que je pourrais épouser Élisabeth et devenir roi d’Angleterre : tout me porte à le croire. Ce mariage est chanté dans des ballades, aux grands applaudissements de la multitude ; on en a touché quelques mots dans les écoles… on en a causé dans les salons de réception ; on l’a recommandé du haut de la chaire… il a été l’objet de prières particulières dans les églises calvinistes du continent… Nos hommes d’état y ont fait allusion dans le conseil même. Ces insinuations hardies n’ont été réprimées par aucune censure, par aucune marque de déplaisir, par aucun reproche ; à peine Élisabeth les a-t-elle repoussées par la protestation d’usage de vivre et de mourir vierge. Ses paroles ont été plus aimables que jamais, bien qu’elle sût que ces bruits s’étaient répandus, ses manières plus gracieuses, ses regards plus doux. Rien ne semble me manquer pour devenir roi d’Angleterre et me placer au dessus de l’inconstance de la faveur de cour, que d’étendre ma main pour saisir cette couronne, la gloire de l’univers ! Et quand je pourrais avancer cette main avec hardiesse, elle est arrêtée par un lien secret et indissoluble… J’ai là des lettres d’Amy, » disait-il en les prenant avec humeur ; « elle me persécute pour que je la reconnaisse publiquement, pour que je fasse ce que je dois à elle et à moi-même… et je ne sais quoi encore. Il me semble que je n’en ai déjà que trop fait. Puis, elle parle comme si Élisabeth devait recevoir la nouvelle de cette union avec la joie d’une mère qui apprend le mariage d’un fils, objet de toutes ses espérances ! Elle, la fille de ce Henri qui n’épargnait aucun homme dans sa colère, aucune femme dans ses désirs, se voir ainsi jouée, et amenée par les apparences trompeuses d’une passion au point d’avouer son amour à un de ses sujets, et à un sujet marié ! Élisabeth apprendre qu’elle a été dupée de la même manière qu’une fille de campagne l’est par un libertin de cour, c’est alors que nous apprendrions aussi furens quid femina[3] ».

Ensuite il s’arrêtait et appelait Varney, aux avis duquel il avait recours plus fréquemment que jamais, se souvenant des remontrances que celui-ci lui avait faites au sujet de son mariage secret. Leurs consultations se terminaient d’ordinaire par la délibération la plus embarrassante, savoir, comment et de quelle manière la comtesse serait présentée à Kenilworth. Ces délibérations avaient eu, pendant quelque temps, pour résultat unique de différer le voyage de jour en jour. Mais enfin il devenait nécessaire de prendre un parti décisif.

« Élisabeth ne sera satisfaite qu’après qu’elle l’aura vue, dit le comte ; je ne sais si quelque soupçon est entré dans son esprit, comme l’indiquent mes appréhensions, ou si la pétition de Tressilian lui est rappelée par Sussex ou par quelque autre ennemi secret ; mais au milieu de toutes les marques de faveur qu’elle me donne, elle revient souvent à l’histoire d’Amy Robsart. Je crois qu’Amy est l’esclave placé dans le char par ma mauvaise fortune pour entraver et troubler mon triomphe au moment même où il est le plus éclatant. Donne-moi quelque moyen, Varney, pour me tirer de ce labyrinthe inextricable. J’ai imaginé tous les empêchements que décemment je pourrais faire valoir pour retarder ces maudites fêtes, mais l’entrevue d’aujourd’hui ne m’a plus laissé d’espoir que dans le hasard. Elle m’a dit avec douceur, mais d’un ton impératif : « Nous ne voulons pas vous accorder un plus long délai pour vos préparatifs, de peur que vous ne vous ruiniez. Samedi, 9 juillet, nous serons chez vous, à Kenilworth. Nous vous prions de n’oublier aucun des hôtes que nous vous avons désignés, surtout cette volage Amy Robsart. Nous désirons voir la femme qui a pu préférer à Tressilian, ce favori des muses, votre écuyer Richard Varney. » Ainsi, Varney, appelle à ton aide ton génie inventif qui si souvent nous a été utile ; car, aussi vrai que mon nom est Dudley, le danger dont je suis menacé par mon horoscope plane en ce moment sur moi.

— Ne pourrait-on, d’aucune manière, persuader à milady de jouer, pendant un court espace de temps, le rôle obscur que les circonstances lui imposent ? » dit Varney après un moment d’hésitation.

« Comment, coquin ! la comtesse paraîtrait sous le nom de ta femme ? Ceci n’est compatible ni avec mon honneur ni avec le sien.

— Hélas ! milord, répondit Varney, tel est pourtant le titre sous lequel la connaît Élisabeth, et la désabuser, c’est tout découvrir.

— Imagine quelque autre expédient, Varney, » dit le comte en proie à une vive agitation, « celui-ci est inadmissible. Quand j’y consentirais, elle ne le voudrait pas ; car je te l’apprends, Varney, si tu ne le sais pas, Élisabeth sur son trône n’a pas plus d’orgueil que la fille de cet obscur gentilhomme du Devonshire. Elle est docile en beaucoup de circonstances, mais quand elle croit son honneur engagé, son esprit a toute la pénétration et toute la vivacité d’action de l’éclair.

— Nous l’avons éprouvé, milord ; sans cela nous ne nous trouverions pas dans cette position embarrassante. Mais je ne sais quel autre conseil vous donner. Il me semble que celle qui fait naître le danger devrait aussi le détourner.

— C’est impossible, » dit le comte en avançant la main ; « je ne connais point d’autorité, point de prière qui pût la décider à porter ton nom pendant une heure.

— C’est un peu dur cependant, » dit Varney d’un ton sec ; et sans s’arrêter sur ce sujet, il ajouta : « Supposons que l’on trouvât quelqu’un pour la représenter ; de pareils tours ont été joués à la cour de monarques aussi clairvoyants que la reine Élisabeth.

— Pure folie, répondit le comte ; la prétendue Amy serait confrontée avec Tressilian, et la découverte deviendrait inévitable.

— Tressilian peut être éloigné de la cour, » dit Varney sans hésiter.

« Et par quels moyens ?

— Il y en a plusieurs par lesquels un homme d’état dans votre situation, milord, peut éloigner de la scène un homme qui se mêle de ses affaires et se met dans une position dangereuse avec lui.

— Ne me parle pas d’une pareille politique, Varney, » dit le comte vivement, « politique d’ailleurs qui serait sans profit dans la circonstance actuelle. Il peut y avoir à la cour bien d’autres personnes à qui Amy soit connue ; et puis, en l’absence de Tressilian, son père ou quelqu’un de ses amis pourra être mandé sur-le-champ. Voyons, fais un nouvel effort de génie.

— Milord, je ne sais que dire ; mais si j’étais en pareil embarras, je volerais à toute bride à Cumnor-Place, et je forcerais ma femme à donner son consentement à telle mesure qu’exigerait son salut et le mien.

— Varney, dit Leicester, je ne puis la forcer à faire une chose qui répugnerait à son noble caractère ; ce serait bassement récompenser l’amour qu’elle a pour moi.

— Fort bien, milord, dit Varney ; Votre Seigneurie est un homme plein de sagesse, plein d’honneur, fidèle à ses scrupules romanesques, qui sont peut-être de mise en Arcadie, comme l’écrit votre neveu Sidney. Pour moi, votre serviteur, je suis un homme de ce monde, un homme assez heureux pour que la connaissance que j’ai de ce monde ait pu mériter d’être utilisée par Votre Seigneurie. Maintenant je voudrais bien savoir qui de vous ou de milady a de l’obligation à l’autre dans cette union fortunée ; et lequel des deux a le plus de motifs de montrer de la complaisance à l’autre, de prendre en considération ses désirs, ses convenances et sa sûreté.

— Je te le répète, Varney, tout ce qu’il était en mon pouvoir de lui donner n’était pas seulement mérité, mais mille fois au dessous de sa vertu et de sa beauté ; car jamais la grandeur ne vint trouver une créature aussi digne de l’orner et de l’embellir.

— Il est fort heureux, milord, que vous soyez aussi satisfait, » répondit Varney avec ce sourire sardonique qui lui était familier, et que même son respect pour son maître ne pouvait pas toujours réprimer. « Vous avez tout le loisir de jouir en paix de la société d’une femme aussi gracieuse et aussi belle, c’est-à-dire après un emprisonnement dans la Tour de Londres, dont la durée sera proportionnée au crime de se jouer des affections d’Élisabeth Tudor. Je ne pense pas que vous vous attendiez à une peine plus douce.

— Malicieux démon ! répondit Leicester, tu me railles dans mon infortune. Fais ce que tu voudras.

— Si vous parlez sérieusement, milord, il faut partir à l’instant, et courir ventre à terre à Cumnor-Place.

— Vas-y toi-même, Varney ; le diable t’a donné cette espèce d’éloquence qui est la plus puissante dans une mauvaise cause. Je serais coupable d’infamie à mes propres yeux si je me prêtais à une pareille perfidie. Pars, te dis-je. Dois-je te demander à genoux mon propre déshonneur ?

— Non, milord, dit Varney ; mais si vous voulez me charger de la tâche de poursuivre le succès de cette mesure indispensable, il faut me donner un billet pour milady, qui me serve de lettre de créance, et fiez-vous à moi pour appuyer son contenu de toute ma force et de tout mon pouvoir. Telle est, au reste, mon opinion de l’amour de milady pour Votre Seigneurie, de son désir de faire tout ce qui peut contribuer à votre satisfaction et à votre sûreté, que je suis sûr qu’elle condescendra à porter, pendant peu de jours, un nom aussi honorable que le mien, surtout lorsque ce nom n’est nullement inférieur, pour l’ancienneté, à celui de sa propre famille. »

Leicester prit la plume pour écrire, et, à deux ou trois reprises, commença une lettre qu’il déchira par morceaux. Enfin il parvint à tracer quelques lignes sans suite, par lesquelles il conjurait la comtesse, par des motifs qui intéressaient sa vie et son honneur, de consentir à porter le nom de Varney quelques jours seulement, pendant les fêtes de Kenilworth. Il ajoutait que Varney lui communiquerait toutes les raisons qui rendaient cette surpercherie indispensable ; puis, ayant signé et scellé cette lettre de créance, il la jeta sur la table à Varney en lui faisant signe de partir, signe que son conseiller n’eut pas de peine à comprendre, et auquel il eut bientôt obéi.

Leicester demeura comme pétrifié jusqu’au moment où il entendit le pas des chevaux, lorsque Varney, qui n’avait pas même pris le temps de changer d’habit, se jeta en selle, et, suivi d’un seul domestique, se mit en route pour le Berkshire. À ce bruit le comte se leva précipitamment de son siège et courut à la fenêtre avec l’intention momentanée de révoquer l’indigne commission qu’il venait de donner à un homme dont il avait l’habitude de dire qu’il ne lui connaissait aucune bonne qualité, excepté son affection pour son maître. Mais Varney était déjà hors de la portée de sa voix, et la voûte brillante du firmament, que dans ce siècle on considérait comme le livre du destin, s’étant offerte aux yeux de Leicester au moment où il ouvrit la fenêtre, cette vue le détourna de la résolution plus courageuse et plus digne de lui qu’il venait de former.

« Elles roulent dans leur cours silencieux et puissant, » dit le comte en regardant les étoiles ; « elles n’ont point de langage pour nos oreilles, mais des influences qui, dans tous les changements, se font sentir aux habitants de cette vile planète. Si les astrologues ne mentent point, voici le moment de crise pour ma destinée. L’heure à laquelle on m’a averti de prendre garde approche… l’heure aussi à laquelle on m’a exhorté à espérer… Roi, c’est le mot… Mais comment ? la couronne matrimoniale… tout espoir est perdu… Eh bien ! n’y pensons plus… Les riches provinces des Pays-Bas me demandent pour chef, et, si Élisabeth y consent, elles me donnent la couronne… Eh ! n’ai-je pas des droits même à ce royaume ? les droits d’York, transmis par George de Clarence à la maison de Huntingdon, droits qui, si cette femme mourait, m’offrent une belle chance… Je suis de la maison d’Huntingdon… Mais je ne veux pas m’enfoncer plus avant dans ces profonds mystères. Il faut, pendant quelque temps encore, poursuivre ma carrière dans le silence et l’obscurité, comme un fleuve souterrain… Le temps viendra où je pourrai éclater dans toute ma force et renverser tout obstacle devant moi. »

Tandis que Leicester cherchait ainsi à étouffer le cri de sa conscience, soit en colorant sa conduite de la nécessité politique, soit en s’égarant au milieu des rêves de l’ambition, son agent laissait derrière lui la ville et ses tours, s’avançant rapidement vers le Berkshire. Lui aussi nourrissait de hautes espérances. Il avait amené Leicester au point où il voulait, à lui confier les pensées les plus secrètes de son cœur, et à le choisir comme intermédiaire dans ses rapports les plus intimes avec sa femme. Il prévoyait que désormais il serait difficile à son patron de se passer de ses services et de lui rien refuser, quelque déraisonnables que fussent ses demandes ; et si cette dédaigneuse personne, comme il nommait la comtesse, souscrivait à la demande de son époux, Varney, son prétendu mari, se trouverait forcément à son égard dans une situation où son audace ne connaîtrait plus de bornes et ne s’arrêterait peut-être pas jusqu’à ce que les circonstances lui eussent procuré un triomphe auquel il ne pouvait penser sans un mélange de sentiments diaboliques, parmi lesquels le désir de se venger des dédains d’Amy était le plus puissant et le plus impérieux. Il envisageait ensuite la possibilité de la trouver absolument intraitable, et de la voir refuser obstinément de jouer ici le rôle qui lui était assigné dans le drame de Kenilworth.

« Alors, disait-il, Alasco jouera son rôle ; la maladie sera une excuse à donner à Sa Majesté si elle se plaint de ne pas recevoir les hommages de mistress Varney… Oui, et cette maladie pourra devenir longue et dangereuse si Élisabeth continue à regarder Leicester d’un œil aussi favorable. Je ne veux pas perdre la chance de devenir le favori d’un monarque en reculant devant les mesures extrêmes, si elles deviennent nécessaires… En avant, mon bon cheval, en avant… L’ambition, l’ardent amour de la puissance, du plaisir, de la vengeance, enfoncent leurs aiguillons aussi profondément dans mon sein que je plonge mes éperons dans tes flancs… Sus, mon cheval, sus… le diable nous pousse tous les deux en avant… »


  1. Hard-ruled. Le véritable mot serait indominable, si ce mot était français. a. m.
  2. Nugæ antiquæ (Vol. Ier, pages 335, 336), Recueil de John Harrington. a. m.
  3. Furens quid femina possit, ce que peut une femme en fureur ; pensée de Virgile. a. m.