Kama Soutra (trad. Lamairesse)/Titre III/Chapitre 4

Kama Soutra, règles de l’amour de Vatsyayana.
Traduction par Pierre-Eugène Lamairesse.
(p. 51-53).
CHAPITRE IV
Des morsures.


On peut mordre toutes les parties du corps que l’on baise, excepté la lèvre inférieure, l’intérieur de la bouche et les yeux.

Les qualités des dents sont : l’éclat, l’égalité entre elles, les proportions convenables, l’acuité aux extrémités.

Leurs défauts sont d’être rudes, molles, grandes et branlantes.

On distingue plusieurs sortes de morsures : celles non apparentes, ne laissant sur la peau qu’une rougeur momentanée ;

La morsure gonflée : la peau a été saisie et tirée comme avec une tenaille ;

Le point : une très petite portion de peau a été saisie par deux dents seulement ;

Corail et joyau : la peau est pressée à la fois par les dents (les bijoux) et les lèvres (le corail) ;

La ligne de joyaux : la morsure est faite avec toutes les dents ;

Le nuage brisé : ligne brisée formée de points sortant et rentrant par rapport à un arc de courbe, à cause de l’intervalle entre les dents ;

La morsure du verrat : sur les seins et les épaules, deux lignes de dents marquées les unes au-dessus des autres, avec un intervalle rouge.

Les trois premières morsures se font sur la lèvre inférieure ; la ligne de points et celle des joyaux, sur la gorge, la fossette du cou et aux aînes.

La ligne de points seule s’imprime sur le front et les cuisses.

La morsure gonflée, et celle dite corail et joyau, se font toujours sur la joue gauche dont les traces d’ongles et de dents sont considérées comme les ornements.

On témoigne à une femme qu’on la désire en faisant, avec les ongles et les dents, des marques sur les objets suivants qu’elle porte ou qui lui appartiennent : un ornement du front ou des oreilles, un bouquet de fleurs, une feuille de béthel ou de tamala.

Voici à ce sujet quelques vers :

« Quand un amant mord bien fort sa maîtresse, celle-ci doit, d’une feinte colère, le mordre deux fois plus fort. »

Ainsi, pour un point, elle rendra une ligne de points ; pour une ligne de points, un nuage brisé.

Si elle est très exaltée, et si, dans l’exaltation de ses transports passionnés, elle engage une sorte de combat, alors elle prend son amant par les cheveux, attire à elle sa tête, lui baise la lèvre inférieure ; puis, dans son délire, elle le mord par tout le corps, enfermant les yeux.

Et même le jour et en public, quand son amant lui montre quelque marque qu’elle lui a faite, elle doit sourire à cette vue, tourner la tête de son côté comme si elle voulait le gronder, lui montre à son tour, d’un air irrité, les marques que lui-même lui a faites.

Quand deux amants en usent ainsi, leur passion dure des siècles sans diminuer.

APPENDICE AU CHAPITRE IV


Ovide ne parle guère des mignardises que dans la XIVe Élégie du livre III, Des Amours.

« Non, je ne te défends pas quelques faiblesses, puisque tu es belle.

« Il est un lieu fait pour la débauche ; là, ne rougis point de te dépouiller de la tunique légère qui voile tes charmes et de soutenir sur ta cuisse celle de ton amant ; là, qu’il glisse entre tes lèvres de rose, sa langue jusqu’au fond de ta bouche, et que l’amour varie en mille manières les jeux de Vénus. Là, n’épargne ni les douces paroles, ni les caresses provocantes, et fais trembler ta couche par des mouvements lascifs. Mais fais au moins que je l’ignore ; que je ne voie pas tes cheveux en désordre et la trace d’une dent marquée sur ton cou.

« Si je venais à te surprendre nue dans les bras d’un autre, j’en croirais plutôt la bouche que mes yeux. »

Properce, livre III, Élégie VIII.


Morsures entre amants.


« Quelle douce querelle tu me fis hier aux flambeaux !
Avec quel plaisir j’ai vu tes éclats, entendu tes malédictions !

« Échauffée par le vin, tu repousses ta table et tu me lances, d’une main égarée, des coupes encore pleines. Eh bien, poursuis, saisis mes cheveux, déchire ma figure, menace mes yeux, arrache mes vêtements et mets à nu ma poitrine, voilà des marques certaines de tendresse.

« Jamais de colère furieuse chez une femme sans un violent amour.

« Quand une belle s’emporte aux amours, qu’elle parcourt les rues comme une bacchante, que de vains songes l’épouvantent souvent ou qu’elle s’émeut à la vue d’une jeune fille, ces marques trahissent un amour réel ; pour croire à la fidélité, il faut qu’elle se montre par des injures.

« Dieu de Cythère, donne à mes ennemis une amante insensible.’

« Que mes rivaux comptent sur mon sein les dents de ma maîtresse.

« Que des traces bleuâtres montrent à tous que je l’aime près de moi.

« Je veux me plaindre d’elle ou entendre ses plaintes.

« Je serai, ô Cynthie, toujours en guerre avec toi ou pour toi avec mes rivaux.

« Je t’aime trop pour vouloir quelque trêve ; jouis du plaisir de n’avoir point d’égale en beauté.