Kéraban-le-Têtu/Deuxième partie/3

Hetzel (tome 2p. 52-69).

I I I

DANS LEQUEL BRUNO JOUE À SON CAMARADE NIZIB UN TOUR QUE LE LECTEUR VOUDRA BIEN LUI PARDONNER.

Une grossière maison de bois, divisée en deux chambres avec fenêtres ouvertes sur la mer, un pylône, fait de poutrelles, supportant un appareil catoptrique, c’est-à-dire une lanterne à réflecteurs, et dominant le toit d’une soixantaine de pieds, tel était le phare d’Atina et ses dépendances. Donc rien de plus rudimentaire.

Mais, tel qu’il était, ce feu rendait de grands services à la navigation, au milieu de ces parages. Son établissement ne datait que de quelques années. Aussi, avant que les difficiles passes du petit port d’Atina qui s’ouvre plus à l’ouest fussent éclairées, que de navires s’étaient mis à la côte au fond de ce cul-de-sac du continent asiatique ! Sous la poussée des brises du nord et de l’ouest, un steamer a de la peine à se relever, malgré les efforts de sa machine, — à plus forte raison, un bâtiment à voiles, qui ne peut lutter qu’en biaisant contre le vent.

Deux gardiens demeuraient à poste fixe dans la maisonnette de bois, disposée au pied du phare ; une première chambre leur servait de salle commune ; une seconde contenait les deux couchettes qu’ils n’occupaient jamais ensemble, l’un d’eux étant de garde chaque nuit, aussi bien pour l’entretien du feu que pour le service des signaux, lorsque quelque navire s’aventurait sans pilote dans les passes d’Atina.

Aux coups qui furent frappés du dehors, la porte de la maisonnette s’ouvrit. Le seigneur Kéraban, sous la violente poussée de l’ouragan — ouragan lui-même ! — entra précipitamment, suivi d’Ahmet, de Van Mitten, de Bruno et de Nizib.

« Que demandez-vous ? dit l’un des gardiens, que son compagnon, réveillé par le bruit, rejoignit presque aussitôt.

— L’hospitalité pour la nuit ? répondit Ahmet.

— L’hospitalité ? reprit le gardien. Si ce n’est qu’un abri qu’il vous faut, la maison est ouverte.

— Un abri, pour attendre le jour, répondit Kéraban, et de quoi apaiser notre faim.

— Soit, dit le gardien, mais vous auriez été mieux dans quelque auberge du bourg d’Atina.

— À quelle distance est ce bourg ? demanda Van Mitten.

— À une demi-lieue, environ du phare et en arrière des falaises, répondit le gardien.

— Une demi-lieue à faire par ce temps horrible ! s’écria Kéraban. Non, mes braves gens, non !… Voici des bancs sur lesquels nous pourrons passer la nuit !… Si notre araba et nos chevaux peuvent s’abriter derrière votre maisonnette, c’est tout ce qu’il nous faudra !… Demain, dès qu’il fera jour, nous gagnerons la bourgade, et qu’Allah nous vienne en aide pour y trouver quelque véhicule plus convenable…

— Plus rapide, surtout !… ajouta Ahmet.

— Et moins rude !… murmura Bruno entre ses dents.

— … que cette araba dont il ne faut pourtant pas dire du mal !… répliqua le seigneur Kéraban, qui jeta un regard sévère au rancunier serviteur de Van Mitten.

— Seigneur, reprit le gardien, je vous répète que notre demeure est à votre service. Bien des voyageurs y ont déjà cherché asile contre le mauvais temps et se sont contentés…

— De ce dont nous saurons bien nous contenter nous-mêmes ! » répondit Kéraban.

Et cela dit, les voyageurs prirent leurs mesures pour passer la nuit dans cette maisonnette. En tout cas, ils ne pouvaient que se féliciter d’avoir trouvé un tel refuge, si peu confortable qu’il fût, à entendre le vent et la pluie qui faisaient rage au dehors.

Mais, dormir, c’est bien, à la condition que le sommeil soit précédé d’un souper quelconque. Ce fut naturellement Bruno qui en fit l’observation, en rappelant que les réserves de l’araba étaient absolument épuisées.

« Au fait, demanda Kéraban, qu’avez-vous à nous offrir, mes braves gens,… en payant, bien entendu ?

— Bon ou mauvais, répondit un des gardiens, il y a ce qu’il y a, et toutes les piastres du trésor impérial ne vous feraient pas trouver autre chose ici que le peu qui nous reste des provisions du phare !

— Ce sera suffisant ! répondit Ahmet.

— Oui !… s’il y en a assez !… murmura Bruno, dont les dents s’allongeaient sous la surexcitation d’une véritable fringale.

— Passez dans l’autre chambre, répondit le gardien. Ce qui est sur la table est à votre disposition !

— Et Bruno nous servira, répondit Kéraban, tandis que Nizib ira aider le postillon à remiser le moins mal possible, à l’abri du vent, notre araba et son équipage ! »

Sur un signe de son maître, Nizib sortit aussitôt, afin de tout disposer pour le mieux.

En même temps, le seigneur Kéraban, Van Mitten et Ahmet, suivis de Bruno, entraient dans la seconde chambre et prenaient place devant un foyer de bois flambant, près d’une petite table. Là, dans des plats grossiers se trouvaient quelques restes de viande froide, auxquels les voyageurs affamés firent honneur. Bruno, les regardant manger si avidement, semblait même penser qu’ils leur en faisaient trop.

« Et mais il ne faut pas oublier Bruno ni Nizib ! fit observer Van Mitten, après un quart d’heure d’un travail de mastication que le serviteur du digne Hollandais trouva interminable.

— Non certes, répondit le seigneur Kéraban, il n’y a pas de raison pour qu’ils meurent de faim plus que leurs maîtres !

— Il est vraiment bien bon ! murmura Bruno.

— Et il ne faut point les traiter comme des Cosaques !… ajouta Kéraban !… Ah ! ces Cosaques !… on en pendrait cent…

— Oh ! fit Van Mitten.

— Mille… dix mille… cent mille… ajouta Kéraban en secouant son ami d’une main vigoureuse, qu’il en resterait trop encore !… Mais la nuit s’avance !… Allons dormir !

— Oui, cela vaut mieux ! » répondit Van Mitten, qui, par ce « oh ! » intempestif, avait failli provoquer le massacre d’une grande partie des tribus nomades de l’Empire moscovite.

Le seigneur Kéraban, Van Mitten et Ahmet revinrent alors dans la première chambre, au moment où Nizib y rejoignait Bruno pour souper avec lui. Là, s’enveloppant de leur manteau, étendus sur les bancs, tous trois cherchèrent à tromper dans le sommeil les longues heures d’une nuit de tempête. Mais il leur serait bien difficile, sans doute, de dormir dans ces conditions.

Cependant, Bruno et Nizib, attablés l’un devant l’autre, se préparaient à achever consciencieusement ce qui restait dans les plats et au fond des brocs, — Bruno, toujours très dominateur avec Nizib, Nizib, toujours très déférent vis-à-vis de Bruno.

« Nizib, dit Bruno, à mon avis, lorsque les maîtres ont soupé, c’est le droit des serviteurs de manger les restes, quand ils veulent bien leur en laisser.

— Vous avez toujours faim, monsieur Bruno ? demanda Nizib d’un air approbateur.

— Toujours faim, Nizib, surtout quand il y a douze heures que je n’ai rien pris !

— Il n’y paraît pas !

— Il n’y paraît pas !… Mais, ne voyez-vous pas, Nizib, que j’ai encore maigri de dix livres depuis huit jours ! Avec mes vêtements devenus trop larges, on habillerait un homme deux fois gros comme moi ?

— C’est vraiment singulier, ce qui vous arrive, monsieur Bruno ! Moi ! j’engraisse plutôt à ce régime-là !

— Ah ! tu engraisses !… murmura Bruno, qui regarda son camarade de travers.

— Voyons un peu ce qu’il y a dans ce plat, dit Nizib.

— Hum ! fit Bruno, il n’y reste pas grand chose… et, quand il y en a à peine pour un, à coup sûr il n’y en a pas pour deux !

— En voyage, il faut savoir se contenter de ce que l’on trouve, monsieur Bruno !

— Ah ! tu fais le philosophe, se dit Bruno ! Ah ! tu te permets d’engraisser !… toi ! »

Et ramenant à lui l’assiette de Nizib :

« Eh ! que diable vous êtes-vous donc servi là ? dit-il.

— Je ne sais, mais cela ressemble beaucoup à un reste de mouton, répondit Nizib, qui replaça l’assiette devant lui.

— Du mouton ?… s’écria Bruno. Eh ! Nizib, prenez garde !… Je crois que vous faites erreur !

— Nous verrons bien, dit Nizib, en portant à sa bouche un morceau qu’il venait de piquer avec sa fourchette.

— Non !… non !… répliqua Bruno, en l’arrêtant de la main. Ne vous pressez pas ! Par Mahomet, comme vous dites, je crains bien que ce ne soit de la chair d’un certain animal immonde, — immonde pour un Turc, s’entend, et non pour un chrétien !

— Vous croyez, monsieur Bruno ?

— Permettez-moi de m’en assurer, Nizib. »

Et Bruno fit passer sur son assiette le morceau de viande choisi par Nizib ; puis, sous prétexte d’y goûter, il le fit entièrement disparaître en quelques bouchées.

« Eh bien ? demanda Nizib, non sans une certaine inquiétude.

— Eh bien, répondit Bruno, je ne me trompais pas !… C’est du porc !… Horreur ! Vous alliez manger du porc !

— Du porc ? s’écria Nizib. C’est défendu…

— Absolument.

— Pourtant, il m’avait semblé…

— Que diable, Nizib, vous pouvez bien vous en rapporter à un homme qui doit s’y connaître mieux que vous !

— Alors, monsieur Bruno ?…

— Alors, à votre place, je me contenterais de ce morceau de fromage de chèvre.

— C’est maigre ! répondit Nizib.

— Oui… mais il a l’air excellent ! »

Et Bruno plaça le fromage devant son camarade. Nizib commença à manger, non sans faire la grimace, tandis que l’autre achevait à grands coups de dents le mets plus substantiel, improprement qualifié par lui de porc.

« À votre santé, Nizib, dit-il, en se servant un plein gobelet du contenu d’un broc posé sur la table.

— Quelle est cette boisson ? demanda Nizib.

— Hum !… fit Bruno… il me semble…

— Quoi donc ? dit Nizib en tendant son verre.

— Qu’il y a un peu d’eau-de-vie là-dedans… répondit Bruno, et un bon musulman ne peut se permettre…

— Je ne puis cependant manger sans boire !

— Sans boire ?… non !… et voici dans ce broc une eau fraîche, dont il faudra vous contenter, Nizib ! Êtes-vous heureux, vous autres Turcs, d’être habitués à cette boisson si salutaire ! »

Et, pendant que buvait Nizib :

« Engraisse, murmurait Bruno, engraisse, mon garçon… engraisse !… »

Mais voilà que Nizib, en tournant la tête, aperçut un autre plat déposé sur la cheminée, et dans lequel il restait encore un morceau de viande d’appétissante mine.

« Ah ! s’écria Nizib, je vais donc pouvoir manger plus sérieusement, cette fois !…

— Oui… cette fois, Nizib, répondit Bruno, et nous allons partager en bons camarades !… Vraiment, cela me faisait de la peine de vous voir réduit à ce fromage de chèvre !

— Ceci doit être du mouton, monsieur Bruno !

— Je le crois, Nizib. »

Et Bruno, attirant le plat devant lui, commença à découper le morceau que Nizib dévorait du regard.

« Eh bien ! dit-il.

— Oui… du mouton… répondit Bruno, ce doit-être du mouton !… Du reste, nous avons rencontré tant de troupeaux de ces intéressants quadrupèdes sur notre route !… C’est à croire, vraiment, qu’il n’y a que des moutons dans le pays !

— Eh bien ?… dit Nizib en tendant son assiette.

— Attendez, … Nizib, … attendez !… Dans votre intérêt, il vaut mieux que je m’assure… Vous comprenez, ici… à quelques lieues seulement de la frontière… c’est presque encore de la cuisine russe… Et les Russes… il faut s’en défier !

— Je vous répète, monsieur Bruno, que, cette fois, il n’y a pas d’erreur possible !

— Non… répondit Bruno qui venait de goûter au nouveau plat, c’est bien du mouton, et cependant…

— Hein ?… fit Nizib.

— On dirait… répondit Bruno en avalant coup sur coup les morceaux qu’il avait mis sur son assiette.

— Pas si vite, monsieur Bruno !

— Hum !… Si c’est du mouton… il a un singulier goût !

— Ah !… je saurai bien !… s’écria Nizib, qui, en dépit de son calme, commençait à se monter.

— Prenez garde, Nizib, prenez garde ! »

Et ce disant, Bruno faisait précipitamment disparaître les dernières bouchées de viande.

« À la fin, monsieur Bruno !…

— Oui, Nizib, … à la fin… je suis fixé !… Vous aviez absolument raison, cette fois !

— C’était du mouton ?

— Du vrai mouton !

— Que vous avez dévoré !…

— Dévoré, Nizib ?… Ah ! voilà un mot que je ne saurais admettre !… Dévoré ?… Non !… J’y ai goûté seulement !

— Et j’ai fait là un joli souper ! répliqua Nizib d’un ton piteux. Il me semble, monsieur Bruno, que vous auriez bien pu me laisser ma part, et ne point tout manger, pour vous assurer que c’était…

— Du mouton, en effet, Nizib ! Ma conscience m’oblige…

— Dites votre estomac !

— À le reconnaître !… Après tout, il n’y a pas lieu pour vous de le regretter, Nizib !

— Mais si, monsieur Bruno, mais si !

— Non !… Vous n’auriez pu en manger !

— Et pourquoi ?

— Parce que ce mouton était piqué de lard, Nizib, vous entendez bien… piqué de lard, … et que le lard n’est point orthodoxe ! »

Là-dessus, Bruno se leva de table, frottant son estomac en homme qui a bien soupé ; puis, il rentra dans la salle commune, suivi du très déconfit Nizib.

Le seigneur Kéraban, Ahmet et Van Mitten, étendus sur les bancs de bois, n’avaient encore pu trouver un instant de sommeil. La tempête, d’ailleurs, redoublait au dehors. Les ais de la maison de bois gémissaient sous ses coups. On pouvait craindre que le phare ne fût menacé d’une dislocation complète. Le vent ébranlait la porte et les volets des fenêtres, comme s’ils eussent été frappés de quelque bélier formidable. Il fallut les étayer solidement. Mais aux secousses du pylône, encastré dans la muraille, on se rendait compte de ce que pouvaient être, à cinquante pieds au-dessus du toit, les violences de la bourrasque. Le phare résisterait-il à cet assaut, le feu continuerait-il à éclairer les passes d’Atina, où la mer devait être démontée, il y avait doute à cela, un doute plein d’éventualités des plus graves. Il était alors onze heures et demie du soir.

« Il n’est pas possible de dormir ici ! dit Kéraban, qui se leva et parcourut à petits pas la salle commune.

— Non, répondit Ahmet, et si la fureur de l’ouragan augmente encore, il y a lieu de craindre pour cette maisonnette ! Je pense donc qu’il est bon de nous tenir prêts à tout événement !

— Est-ce que vous dormez, Van Mitten, est-ce que vous pouvez dormir ? » demanda Kéraban.

Et il alla secouer son ami.

« Je sommeillais, répondit Van Mitten.

— Voilà ce que peuvent les natures placides ! Là où personne ne saurait prendre un instant de repos, un Hollandais trouve encore le moment de sommeiller !

— Je n’ai jamais vu pareille nuit ! dit l’un des gardiens. Le vent bat en côte, et qui sait si demain les roches d’Atina ne seront pas couvertes d’épaves !

— Est-ce qu’il y avait quelque navire en vue ? demanda Ahmet.

— Non… répondit le gardien, du moins, avant le coucher du soleil. Lorsque je suis monté au haut du phare pour l’allumer, je n’ai rien aperçu au large. C’est heureux, car les parages d’Atina sont mauvais, et même avec ce feu qui les éclaire jusqu’à cinq milles du petit port, il est difficile de les accoster. »

En ce moment, un coup de rafale repoussa plus violemment la porte à l’intérieur de la chambre comme si elle venait de voler en éclats.

Mais le seigneur Kéraban s’était jeté sur cette porte, il l’avait repoussée, il avait lutté contre la bourrasque, et il parvint à la refermer avec l’aide du gardien.

« Quelle entêtée ! s’écria-t-il, mais j’ai été plus têtu qu’elle !

— La terrible tempête ! s’écria Ahmet.

— Terrible, en effet, répondit Van Mitten, une tempête presque comparable à celles qui se jettent sur nos côtes de la Hollande, après avoir traversé l’Atlantique !

— Oh ! fit Kéraban, presque comparable !

— Songez donc, ami Kéraban ! Ce sont des tempêtes qui nous viennent d’Amérique à travers tout l’Océan !

— Est-ce que les colères de l’Océan, Van Mitten, peuvent se comparer à celles de la mer Noire ?

— Ami Kéraban, je ne voudrais pas vous contrarier, mais, en vérité…

— En vérité, vous cherchez à le faire ! répondit Kéraban, qui n’avait pas lieu d’être de très bonne humeur.

— Non !… je dis seulement…

— Vous dites ?…

— Je dis qu’auprès de l’Océan, auprès de l’Atlantique, la mer Noire, à proprement parler, n’est qu’un lac !

— Un lac !… s’écria Kéraban en redressant la tête. Par Allah ! il me semble que vous avez dit un lac !

— Un vaste lac, si vous voulez !… répondit Van Mitten qui cherchait à adoucir ses expressions, un immense lac… mais un lac !

— Pourquoi pas un étang ?

— Je n’ai point dit un étang !

— Pourquoi pas une mare ?

— Je n’ai point dit une mare !

— Pourquoi pas une cuvette ?

— Je n’ai point dit une cuvette !

— Non !… Van Mitten, mais vous l’avez pensé !

— Je vous assure…

— Eh bien, soit !… une cuvette !… Mais, que quelque cataclysme vienne à jeter votre Hollande dans cette cuvette, et votre Hollande s’y noiera tout entière !… Cuvette ! »

Et sur ce mot qu’il répétait en le mâchonnant, le seigneur Kéraban se mit à arpenter la chambre.

« Je suis pourtant bien sûr de n’avoir point dit cuvette ! murmurait Van Mitten, absolument décontenancé. — Croyez, mon jeune ami, ajouta-t-il en s’adressant à Ahmet, que cette expression ne m’est pas même venue à la pensée !… L’Atlantique.

— Soit, monsieur Van Mitten, répondit Ahmet, mais ce n’est ni le lieu ni l’heure de discuter là-dessus !

— Cuvette !… » répétait entre ses dents l’entêté personnage.

Et il s’arrêtait pour regarder en face son ami le Hollandais, qui n’osait plus prendre la défense de la Hollande, dont le seigneur Kéraban menaçait d’engloutir le territoire sous les flots du Pont-Euxin.

Pendant une heure encore, l’intensité de la tourmente ne fit que s’accroître. Les gardiens, très inquiets, sortaient de temps en temps par l’arrière de la maisonnette pour surveiller le pylône de bois à l’extrémité duquel oscillait la lanterne. Leurs hôtes, rompus par la fatigue, avaient repris place sur les bancs de la salle et cherchaient vainement à se reposer dans quelques instants de sommeil.

Tout à coup, vers deux heures du matin, maîtres et domestiques furent violemment secoués de leur torpeur. Les fenêtres, dont les auvents avaient été arrachés, venaient de voler en éclats.

En même temps, pendant une courte accalmie, un coup de canon se faisait entendre au large.