La nouvelle Justine/Chapitre XVIII

CHAPITRE XVIII.


Histoire de Séraphine. — Comment Justine quitte les Mendians. — Nouvel acte de bienfaisance, dont on verra le succès. — Ce qu’est Roland. — Séjour chez lui.


Je suis née à Paris, d’un homme et d’une femme dont la réputation fort équivoque ne devait pas faire espérer pour le fruit de leur amour une somme de moralité très-étendue. Mon père était le gardien des capucins du Marais ; ma mère, une très-jolie coquine du quartier, que le père Siméon, auteur de ma naissance, entretenait avec l’argent du couvent dans une maison qui n’en était pas fort éloignée. J’avais un frère plus âgé que moi d’un an, résultat de la même intrigue, et que Pauline, ma mère, élevait comme moi dans des principes assez négligés ; ce petit frère que l’on nommait de l’Aigle, du nom de famille de mon père, était, à-la-fois, et le plus bel enfant et le plus insigne libertin qu’il y eût peut-être dans tout Paris. Les inclinations les plus vicieuses s’annonçaient en lui dès ses plus jeunes années, et le petit fripon n’avait rien de plus à cœur, que de me les suggérer toutes. À peine avait-il dix ans, qu’il était déjà paillard, ivrogne, voleur et cruel, et qu’il m’inspirait tous ces vices, en me les préconisant avec une force d’esprit et de raison très-extraordinaires à son âge. Ce fut lui qui me révéla les secrets de notre naissance, en faisant naître en moi, pour ceux de qui nous la tenions, le plus excessif mépris. Cependant, de l’Aigle aimait sa mère ; il la convoitait même ; cela se voyait aisément. Je n’ai que dix ans, Séraphine, me disait-il quelquefois, mais je coucherais avec ma mère, tout aussi bien que Siméon ; je suis bien sûr que je lui en fairais tout autant que lui… je les ai vus… je sais tout, et je te l’apprendrai quand tu voudras. Malheureusement, comme je vous l’ai dit, Pauline favorisait un peu toutes ces mauvaises dispositions ; elle idolâtrait mon frère ; elle le couchait avec elle ; et de l’Aigle ne fut pas longtems à m’avouer que c’était de cette mère incestueuse, qu’il apprenait une grande partie des choses dont il avait tant d’envie de m’instruire. Cette intempérance pouvait être tolérée par l’âge de ma mère qui ayant mis mon frère au monde à treize ans, en avait à peine vingt-trois. Pleine d’ardeur, et jolie comme un ange, la coquine, excusée par la nature, en écoutait infiniment plus la voix que celle de la raison. Il m’avait été facile de voir aux conseils que je recevais d’elle que sa morale était fort relâchée. Mais, n’ayant pas encore assez d’esprit pour interprêter ses motifs, je prenais pour de la tendresse, ce qui n’était l’effet que de la plus complète corruption.

Tels étaient à-peu-près les motifs pour lesquels notre éducation se négligeait : lire et écrire était à-peu-près tout ce qu’on nous enseignait, mais point de talens… point de morale… point de religion. Siméon, le plus impie, le plus libertin de tous les hommes, avait expressément défendu que l’on nous entretînt jamais de Dieu. Il serait à souhaiter, disait-il, qu’on eut égorgé le premier qui put en prononcer le nom. Préservons la jeunesse de ces dangereuses connaissances, ce seront autant d’êtres échappés à l’erreur ; puissent tous les pères agir de même, et la philosophie plânerait bientôt sur les hommes.

Voilà, m’allez-vous dire, peut-être bien de l’esprit pour un capucin ; mais mon père en avait beaucoup. Aussi était-il fort libertin ; tant il est vrai que ce défaut est presque toujours celui des grands hommes, et que bien rarement celui qui a des lumières, est exempt d’athéisme ou d’immoralité.

Quoique l’intrigue de Siméon, avec ma respectable mère, dura depuis treize ans, puisqu’il l’avait dépucelée à dix, et qu’elle-même était le fruit d’une première liaison de ce révérend père avec une marchande du quartier, d’où il résultait que Pauline, à-la-fois sa fille et sa maîtresse, avait un double titre à mériter son cœur ; quoiqu’il y eût, dis-je, treize ans que cet arrangement dura, à raison du double lien dont on vient de parler, leur amitié n’était nullement refroidie. La complaisance absolue de ma mère, son extrême docilité aux irréguliers caprices du capucin, l’assemblage de tous ces motifs, en un mot, lui rendait la société de Pauline précieuse, et il n’y avait pas de jours où il ne vînt passer cinq à six heures chez elle. Le supérieur du couvent, père Ives, qui entretenait, de son côté, une très-jolie fille de dix-huit ans, nommée Luce, se réunissait à ce couple, avec sa maîtresse. Dans chaque ménage il y avait une très-jolie servante qui se trouvait communément à ces assemblées libidineuses ; et là, ordinairement après un ample repas, on offrait à Vénus des sacrifices immondes, dont l’ordonnance et les détails ne peuvent appartenir qu’à des génies de moines.

La bande joyeuse venait de se réunir un jour, lorsque mon frère vint me trouver en hâte : Séraphine, me dit-il, es-tu curieuse de savoir à quoi ces bons religieux passent leur tems ? — Sans doute. — Mais, ma chère petite sœur, j’exige une condition, avant que de te faire jouir de ce spectacle. — Quelle est-elle ? — Tu me laisseras faire avec toi ce que nous leur verrons exécuter entr’eux ? — Et que font-ils, entr’eux ? — Tu le verras, ma sœur… Eh bien ! y consens-tu ? — Et le petit espiégle appuya sa proposition d’un baiser si chaud, sur mes lèvres, que les premiers symptômes du tempéramment de feu que m’avait donné la nature, se déclarèrent aussi-tôt en moi : je déchargeai dans les bras de mon frère. Le petit drôle, déjà très-au fait, profite de ma faiblesse, me précipite sur un lit, me trousse, écarte mes cuisses, et recueille dans sa bouche, avec empressement, les marques non équivoques du plaisir qu’il vient d’éveiller : Tu perds ton foutre, ma sœur, me dit de l’Aigle… Oui, mon Amour ; ce que tu viens de faire s’appelle ainsi… Tu es plus avancée que moi ; je n’en puis encore faire autant. Ma mère a beau me branler, me sucer, rien ne paraît ; elle dit que cela viendra… qu’il faut que j’attende ma quatorzième année, mais je n’en ai pas moins de plaisir. Tiens, continua mon frère en saisissant ma main, et la portant sur un petit membre, déjà très-roide et d’une fort jolie grosseur, secoue cela, ma sœur ; tu vas voir comme je jouirai… Ou bien, attends ; je vais t’arranger comme maman me place avec elle. Et le fripon, en disant cela, me débarrasse de mes jupons, quitte ses culottes ; et, m’ayant couchée sur le lit, il s’étend, en sens contraire, sur moi, de manière à pouvoir placer son vit dans ma bouche, et que ses lèvres posent sur mon con. Je le suce, il me le rend ; nous restons ainsi, près d’une heure, à nous pâmer, sans varier la posture. Enfin, le bruit qui se fait dans la pièce voisine, en attirant notre attention, nous avertit qu’il faut changer de rôle, et que d’agens, il faut devenir spectateurs.

Cette première scène de libertinage, dont mon frère me procurait la vue, est trop intéressante, pour ne pas vous être détaillée ; et je vais, sans crainte de vous déplaire, en tracer jusqu’aux plus légères circonstances. Les expressions, dont il faudrait que je me servisse, devraient être aussi pures, je le sens, que l’âge que j’avais alors : mais mon récit perdrait à vous être transmis sous ces voiles ; et je dois, pour être plus exact, employer les termes, dont je me servirais, si j’avais aujourd’hui cette même scène à décrire. Commençons par les personnages.

Ma mère, vous le savez, avait vingt-trois ans ; elle était belle comme un ange ; les cheveux châtains, la taille pleine quoique leste et dégagée, des chairs fermes et d’une grande fraîcheur, de superbes yeux, mais le visage un peu allumé par le trop fréquent usage de l’intempérance de table… sorte de vice où l’avait entraînée le desir de plaire à son amant, qui ne jouissait jamais aussi voluptueusement d’elle, que lorsque l’excès du vin et des liqueurs lui avait fait perdre la raison.

Luce, maîtresse du père Ives le supérieur du couvent et l’ami de mon père, avait dix-huit ans, ainsi que je viens de le dire ; elle était blonde, de beaux yeux bleus, du plus grand intérêt, la plus belle peau possible, la gorge… les fesses sublimes, et l’un des cons les plus étroits, à ce que prétendaient nos paillards, qu’il fût possible de donner à foutre à des capucins.

Les deux servantes étaient sœurs, dépucelées par nos deux libertins, dès l’âge de dix ans, et à leur service depuis cette époque. L’aînée, que l’on appelait Martine, pouvait avoir environ seize ans ; Léonarde, la cadette, en avait à peine quinze ; de jolies figures, de la taille, de la fraîcheur, voilà ce qui, sans exagération, plaçait l’une et l’autre fille dans la classe des plus jolies villageoises de France.

Pour nos moines, ils étaient à-peu-près du même âge. Mon père, cependant, paraissait l’aîné ; il pouvait avoir quarante ans, tourné comme un satyre, la barbe bleue, les yeux noirs, une étonnante vigueur, une imagination de feu, et l’un des plus superbes vits de l’Europe, après celui du père Ives, qui l’emportait cependant de beaucoup, puisqu’il avait onze pouces de long, tête franche, sur huit de pourtour. Ives n’avait que trente-huit ans ; sa physionomie était moins agréable que celle de mon père ; les yeux petits, le nez long, mais vigoureusement taillé, et plus libertin encore.

Toute la compagnie sortait de table, quand nous sautâmes au bas du lit, où nous venions de faire des extravagances, pour appliquer nos yeux contre les fentes d’une cloison, qui séparait la chambre où nous étions, de celle où les orgies allaient se célébrer.

À l’embrâsement où nous vîmes les têtes, il nous parut que les sacrifices qu’on se préparait à offrir, se ressentiraient de ceux qu’on venait de célébrer sur les autels du dieu de la bonne chère. Mon père, sur-tout, me parut complètement gris : Ives, dit-il à son confrère, faisons déshabiller ces garces ; celle qui sera plutôt nue, sera foutue la première… la plus paresseuse, au contraire, recevra cinquante coups de fouet de chacun. — J’y consens, répondit Ives ; aussi bien ai-je autant d’envie de fouetter que de foutre ; ce n’est pas qu’à mon gré le premier ne vaille infiniment mieux que le second ; mais, comme je bande beaucoup aujourd’hui, j’ai besoin d’élancer du sperme, et je ne le perds jamais si bien qu’en foutant. Le bougre, en disant ces mots, soutenait l’argument d’un vit musculeux, dont la tête écarlatte menaçait le ciel. Sacre-Dieu, lui dit mon père en venant empoigner ce membre… oh ! bougre-de-Dieu, mon ami, comme tu bandes… Conviens, Pauline, que voilà ce qui s’appelle un superbe engin. Tiens, je l’avoue, ma chère ; je jouirai toujours plus voluptueusement de te le voir mettre par un vit comme celui-là, que de te foutre moi-même. Si j’avais été marié, je n’aurais pas eu de plus grand plaisir que de me voir cocufié par un engin de cette espèce. — Infâme libertin, répondit père Ives en déboutonnant la culotte de son confrère, dont le froc était déjà au diable, conviens qu’il est encore un endroit où tu aimerais mieux voir ce vit-là, que dans le con de ta maîtresse ? — Où donc ? — Dans ton cul ! mon ami ; dans ton cul ! — Cela est vrai, dit Siméon ; regardes-le ce cul, dont tu parles ; vois comme il est beau ; balayes-le donc un instant, avant que d’entrer dans le con de ma garce. — Tiens, jean-foutre, te voilà content, dit père Ives en couchant Siméon sur un canapé, et lui dardant son nerveux engin dans le cul. — Ah ! foutre !… foutre ! s’écrie mon père en contrefaisant la putain, et frétillant comme une anguille ; oui, sacre-Dieu, voilà ce que je voulais. Et le paillard, faisant aussi-tôt glisser une des jeunes servantes sous lui, l’enconne, pendant qu’on l’encule ; mais ces attaques n’étant que des préludes, tous deux se retirent sans perdre de foutre ; et l’on met dans la scène lubrique un peu plus de régularité. Malgré ce petit épisode préliminaire, nos moines n’avaient pas perdu la carte ; ils avaient fort bien remarqué que la jeune Martine avait été la dernière à se déshabiller, et ma mère, la première nue. Exécutons l’arrêt, dit Siméon ; Pauline, donnes-nous des verges ; et toi, père Ives, empares-toi de cette petite putain, lies-lui les mains avec ton cordon, penches-la sur tes genoux ; je vais lui apprendre à être paresseuse ; quand je l’aurai mise en sang, tu prendras ma place. La pauvre petite fille est saisie ; elle a beau crier, se défendre, on ne l’écoute pas. Siméon fixant son attitude, au moyen du bras gauche, dont il lui entoure les reins, lui applique du droit une fessée si nerveuse, qu’en moins de vingt coups ses fesses sont toutes rouges. Venez vous mettre à genoux devant cet engin, Léonarde, dit-il à l’autre petite fille, et branlez-le sur vos petits tetons ; toi, Luce, pendant que je fouette, tu devrais polluer mon cul, encore escorié de l’attaque qu’il vient de recevoir ; tu vois comme il s’offre à toi tout entier ; chatouilles-le, ma bonne ; et toi, Pauline, viens te faire patiner par mon

JustineT4p134

confrère, pour te consoler un peu des peines qu’il prend de me contenir cette petite gueuse… Eh bien ! ne vous ai-je pas dit que cela allait former le plus joli groupe du monde ; examinez dans cette glace combien il est intéressant. Allons, changeons, père Ives, viens à ma place, je vais prendre la tienne ; achèves de m’étriller ce cul-là, de manière à ce qu’il s’en ressente au moins quinze jours. Ives ne se fait pas attendre, et la malheureuse Martine ne sort de ses mains qu’en sang. Allons, dit Siméon, nous avons puni, récompensons. Pauline a été la première nue ; tu sais ce que nous avons promis à cet acte d’obéissance : enfiles-la, père Ives ; je vais te servir de maquereau, sous condition qu’après tu me tiendras lieu de bardache. — J’y consens, dit père Ives ; il y a long-tems qu’à l’exemple de César, j’aime fort à être le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris. Ma mère se place ; la bougresse avait tant d’ardeur, qu’elle déchargeait déjà. Siméon conduit lui-même le vit, il le présente, il le fait pénétrer. Ah ! foutre, s’écrie ma mère, dès qu’elle le sent… quel engin monstrueux… je décharge. À peine sont-ils ensemble, que Siméon s’empare du derrière de celui qui le cocufie ; il braque son vit sans le mouiller, et se trouve presqu’aussi-tôt au fond du cul de son rival, que celui-ci l’est au fond du cul de Pauline… Tous deux foutent… tous deux s’agitent… ce sont les flots de la mer agitée sous l’aquilon qui les boursoufle. Mais il leur faut des épisodes : Martine, dit mon père, viens te mettre à cheval sur les reins d’Ives ; je veux baiser ton cul, pendant que je sodomise celui du fouteur de ma maîtresse ; et toi, Martine, places-toi de même, à califourchon, sur le sein de Pauline ; tu lui poseras le con sur la bouche ; la tribade te sucera ; elle aime à gamahucher une femme, pendant qu’on la fout, et père Ives te baisera les fesses : il est quelquefois nécessaire de baiser un cul, quand on lime un vagin ; c’est le contre-poison. Et moi, dit Luce, que ferai-je ? — Fouettes-moi, dit Siméon, et, de tems en tems, fais-moi baiser, et ta bouche et ton cul ; ensuite, tu danseras autour de nous, comme David devant l’arche, et tu pisseras, tu chieras en circulant ainsi ; ces ordures nous égayeront. En fait d’orgies, il faut tout essayer ; plus ce qu’on imagine est sale, et mieux l’on bande. Au diable la foutaise sans crapule ; tous les vices se prêtent la main ; ils s’enchaînent, ils se communiquent mutuellement des forces ; on doit les exercer tous en foutant. Il faut aussi qu’elle nous apporte à boire, dit père Ives ; j’aime à m’enivrer en me livrant aux luxures ; et je pense comme toi, mon ami, que tous les vices donnent des forces à celui-ci, et qu’on ne saurait en trop réunir au moment où l’on veut perdre du foutre… Tout est délicieux quand on bande ; et plus on fait de choses alors, plus on est vivement chatouillé. — Allons, décharges… décharges, répondit mon père, car le sperme souille tes idées, et tu ne sais bientôt plus ce que tu dis. — Eh bien ! foutre, je vais au moins te prouver que je sais ce que je fais ; car, pour ne pas procréer un enfant à ta garce, je vais lui lâcher ma bordée sur le ventre. — Non, non, dit Siméon en s’opposant au vertueux mouvement de son confrère, ne te gênes point pour cela ; il y a ce qu’il faut dans notre jardin ; fouts toujours, mon cher, et, quand la putain enflera, je me charge de remettre les choses en ordre. Ives, encouragé, redouble avec ardeur ; les mouvemens de mon père achèvent de l’embrâser ; tous deux goûtent en même-tems le souverain plaisir ; et tous deux, merveilleusement servis par les acolites, dardent à-la-fois, dans le vase qui les reçoit, le foutre épais qui leur tourne la tête. Mais tous les deux, trop libertins pour en rester là, ne font que changer de jouissance. Ives encule Siméon, qui, à son tour, enconne la maîtresse de son ami ; les deux petites filles font baiser leurs fesses, et Pauline est chargée des circonvallations libidineuses. Elle les accomplit avec tant d’art, elle satisfait si bien, tour-à-tour, les différens besoins de la nature, qu’elle précipite l’extase de nos fouteurs, dont une seconde éjaculation vient promptement couronner le délire.

Oh ! pour le coup, reposons-nous, dit mon père ; je ne bande plus que je n’aie bu au moins six bouteilles de vin de Champagne.

Profitons de cet instant pour vous rendre compte maintenant de tout ce qui s’était passé entre mon frère et moi, pendant cet intéressant spectacle.

Souvent de l’Aigle avait quitté le rôle de

spectateur pour s’acquitter de celui d’agent ; et, comme la position dans laquelle j’étais lui rendait la jouissance de mon devant assez difficile, le petit libertin s’en dédommageait par derrière : il avait relevé ma chemise sous mon corset ; et, maître de mon cul par mon

JustineT4p139

attitude, il le dévorait des plus ardens baisers ; nullement écolier sur rien, le fripon l’écartait, y dardait sa langue… son doigt ; et sur la fin de la scène, s’étant incliné sur mes reins, il était parvenu à m’insinuer son petit dard à l’entrée du con. Encouragé par ces préliminaires, prêtes-toi, ma sœur, m’avait-il dit, dès qu’il vit nos acteurs à table… restes dans la même posture ; inclines-toi seulement un peu, et tu verras que j’entrerai. Très-échauffée de ce que je voyais, je m’appuie fortement sur la cloison, en présentant, du mieux que je peux, mon derrière à de l’Aigle… Mais, grand Dieu ! quel événement ! La planche, mal assurée, se détache, et va tomber sur la tête de Martine, d’une manière si forte, et dans un sens si dangereux, qu’elle la renverse sans connaissance, en lui faisant un trou à la tête, dont le sang sort à gros bouillons. Cependant nos deux moines, très-étonnés de nous voir rouler à terre le long de cette planche, tous les deux dans une attitude et dans un état qui ne leur laisse rien à deviner, ne savent auquel ils courreront le plus vîte ; secoureront-ils Martine ? viendront-ils à nous ? La luxure l’emporte ici sur la pitié, ainsi que cela doit être dans l’ame d’un vrai libertin. Tous deux, singulièrement émus de la nudité où ils nous voyent, nous relèvent, promènent leurs mains sur nos charmes, nous grondent tour-à-tour, et laissent les femmes secourir la blessée, qui se trouve dans un tel état, qu’on est obligé de la mettre au lit. Cette malheureuse planche avait causé tant de désordre, que la table sur laquelle elle avait également portée, s’était anéantie, en entraînant avec elle les plats et les bouteilles, dont les débris inondaient la chambre. Nettoyez donc cela, dit Siméon en arrachant Léonarde aux soins qu’elle donne à sa compagne, et faisant voir, par cette dureté, qu’il s’occupe bien plus au local de ses plaisirs, que des soins dus a la malheureuse victime de cette aventure… Eh bien ! elle est blessée, poursuit-il… à la bonne heure, on verra ce que c’est… Mais, mon père, dit Léonarde, elle est toute en sang. — Il n’y a qu’à étancher ; on verra le reste quand nous aurons foutu… Et pendant ce dialogue… objet des caresses de mon père, pendant que de l’Aigle l’est de celles de père Ives, nos cruels paillards, sans s’inquiéter nullement de l’état de la pauvre Martine, ne paraissent émus que des plaisirs qu’ils attendent de deux nouvelles jouissances sur lesquelles ils ne comptaient guères. Regardes donc, disait Siméon à père Ives, comme cette petite coquine-là a déjà de la gorge !… et sa petite motte, comme elle s’ombrage !… C’est pourtant moi qui ai mis cela au monde !… Sais-tu qu’avant six mois cela sera bon à prendre ? — Pourquoi pas sur-le-champ, dit père Ives ? quelle nécessité y a-t-il d’attendre six mois ? Tiens, continua-t-il en montrant le cul de mon frère, regarde comme cela est déjà formé ! Allons… allons, puisque le hazard nous les donne, profitons-en, et pas tant de délicatesse.

Cependant de l’Aigle et moi très-honteux, n’osions rien opposer aux projets que l’on affichait sur nous. Ma mère s’était emparée de mon frère, et le baisant avec ardeur, charmant Amour, lui disait-elle en branlottant son petit vit, ne résistes point à ton père, c’est ton bonheur qu’il veut ; s’il peut s’attacher à toi, ta fortune est faite… Viens… viens dans mes bras, petit bougre ; viens placer ton vit dans le même lieu qui te donna la vie ; le plaisir que tu ressentiras de cette jouissance adoucira peut-être les tourmens de la défloration qu’on te prépare. — Ah ! l’excellente idée, dit Siméon ; je vais foutre mon fils, pendant qu’il enconnera sa mère : quel tableau pour toi, père Ives ! — Crois-tu, répond celui-ci, que je le considérerai de sang-froid ? je vais dépuceler ta fille pendant ce tems-là. — Non, sacre-Dieu, dit Siméon, tous deux sont mes enfans, et je veux les foutre tous deux. Tiens, mon ami, il y a une jouissance aussi piquante que voluptueuse à te procurer ici ; car, je sens bien qu’au spectacle d’une immoralité, il faut devenir très-impur et très-irrégulier soi-même : encule Martine, qui vient d’avoir la tête cassée… elle souffre comme une malheureuse, ton vit la vexera prodigieusement ; et, de cette double crise de douleur, résultera nécessairement, tu le conçois, une somme immense de volupté ; car, tu sais, mon ami, combien la douleur produite sur l’objet dont on jouit, rapporte, à nos sens, de plaisir ! — Ah ! foutre, l’idée est aussi neuve qu’excellente, s’écrie père Ives menaçant déjà de son vit énorme les fesses de la pauvre petite blessée… Allons, putain, viens présenter ton cul. — Mais, mon père, je souffre horriblement. — Tant mieux, c’est ce qu’il me faut. — Père Ives, dit Siméon, fais ôter ce mouchoir, ais la plaie sous tes yeux… Tout s’exécute, malgré les résistances naturelles et nécessitées par les disproportions qui se trouvent entre l’énorme engin de père Ives, et le cul mignon de la jeune Martine. L’attaque se commence ; Luce aide son amant… le baise… l’excite, pendant qu’il agit. La malheureuse victime, à-la-fois vexée par les douleurs du coup qu’elle a reçue, et par l’anti-naturelle intromission du vit dont on la perfore, jette des cris inhumains ; et Siméon ayant cet intéressant tableau sous les yeux, se met bientôt à la besogne. Déjà Pauline s’était introduit le petit engin très-dur, de mon frère ; déjà le petit bougre foutait sa mère, quand Siméon, voyant le cul de son fils bien à sa portée, se présente à l’orifice en vainqueur. Des difficultés sans nombre accompagnent l’entreprise ; mais Siméon n’est pas homme à se laisser repousser par aucune. Léonarde contient l’enfant ; elle lui écarte les fesses ; le moine mouille son vit… il le présente… deux bonds furieux, accompagnés d’énormes blasphêmes, engloutissent déjà la tête : Siméon redouble ; ma mère contient et caresse son fils ; l’enfant pleure ; les plaisirs qu’on lui donne par devant ne le dédommagent pas des douleurs qu’il ressent par derrière ; mais on s’inquiette peu de ce qu’il éprouve. De seconds élans décident enfin la victoire ; le paillard est au fond, et de nouveaux blasphêmes précèdent ses lauriers : Léonarde est sous sa main ; il la patine, il la langotte, tout en sodomisant son fils ; et, pour que l’inceste soit mieux prononcé, le paillard veut baiser mes fesses, pendant qu’il encule mon frère ; on m’établit en conséquence sur les reins du bardache filial de sa révérence, et le sodomite s’en donne à son aise. Cependant, et toujours sous les yeux de mon père, Ives porte au cul de Martine les plus sensibles coups, pendant que sa maîtresse l’encule lui-même avec un godmiché. Ives, dit Siméon, bandes-tu comme moi ? Oui, foutre, répond celui-ci en retirant, pour le lui prouver, son vit couvert de merde du cul qu’il sodomise, et le renfonçant aussi-tôt, ce qui renouvelle tellement les douleurs de la malheureuse blessée, qu’elle est prête à s’en évanouir… tu le vois si je bande. — Eh bien ! sacre-Dieu, si cela est, dit Siméon, fais donc souffrir cette putain ; et l’infortunée contre laquelle s’arrangeaient de si lâches complots inondait la chambre de son sang. Double-foutu-Dieu, poursuit le scélérat, fous le trou qu’elle s’est fait à la tête, puisque tu bandes, et fais-en un autre à côté, tout en déchirant celui-là. Cette nouvelle exécration s’exécute ; le féroce père Ives décule la blessée, la fait mettre à genoux… darde son vit sur la plaie, s’y enfonce, y décharge, en fracassant à coups de canne l’autre partie saine du crâne de cette infortunée. Voilà ce que c’est, dit Siméon en déchargeant de son côté dans le cul de mon frère, pendant qu’il mord mes fesses ; oui voilà ce que c’est ; j’aime les horreurs, moi… je ne décharge jamais aussi bien que quand j’en fais, que j’en vois, ou que j’en fais faire. Attends, poursuit mon père, pour me remettre en train, je vais fustiger cette garce. — Oh ! foutre, dit père Ives… elle est dans un état à ne pouvoir plus rien endurer. — Tu te fouts de moi, dit Siméon ; jusqu’à ce qu’une putain crève, elle est en état de tout soutenir. Le gueux la saisit en disant cela ; la courbant sous son bras gauche, d’une de ses jambes il lui enlace les deux siennes, et la fustige de la main droite avec une telle violence, qu’en moins de soixante coups, ses cuisses sont inondées du sang que son derrière distille : rien ne l’arrête ; il continue. Ives imagine de lui rendre ce qu’il fait à cette pauvre fille ; le cul de son confrère, entièrement à nu, se trouvait bien à sa portée. Une nouvelle scène se lie aussi-tôt. Siméon veut que Léonarde suce son vit, pendant qu’il flagelle Martine : élevée sur le lit, il baise encore le mien, et Luce continue de travailler avec un godmiché le cul de père Ives, qui, tout en fouettant son ami, touche brutalement les tetons de ma mère. Ne déchargeons pas ainsi, dit Siméon, cela n’en vaut pas la peine ; il vaut mieux foutre : tiens, sodomises mon fils encore une fois dans les bras de sa mère ; moi, je vais placer ma fille à cheval sur les tetons de la maman ; je l’enconnerai, pendant que, de ses fesses, elle pressurera le visage de sa mère ; Léonarde et Martine nous fouetteront pendant ce tems-là, et Luce nous fera baiser ses fesses.

Je ne vous peindrai point les douleurs que je ressentis à la perte de mon pucelage ; le vit de mon père était monstrueux, et il ne me ménageait pas : un nouveau supplice m’était préparé ; ma mère en déchargeant, ne sachant plus ce qu’elle faisait, saisit avec ses dents un morceau de mes fesses, qui, comme vous savez, reposaient sur son visage ; je jette un cri en poussant vigoureusement mes reins sur le vit monstrueux qui me perfore ; ce mouvement précipite l’extase de mon père… il décharge ; son confrère l’imite ; la posture se rompt, et quelques instans de calme viennent rafraîchir à-la-fois les sens et les esprits de nos libertins.

Buvons, dit mon père, les seuls excès de table produisent de bon foutre, et vous ne verrez jamais un véritable libertin qui ne soit ivrogne et gourmand. Donnes le meilleur vin que nous ayons, dit père Ives à Luce ; nous avons encore de la besogne à faire. Attends, dit Siméon, pendant que nous allons nous gorger de nourriture, il faut que ces deux enfans ne cessent de nous branler… et toute liberté pendant le repas… nous mangerons, nous boirons, nous pisserons, nous péterons, nous chierons, nous déchargerons… nous nous livrerons à-la-fois à tous les besoins de la nature. — Oui, foutre… oui, bougre-de-Dieu, dit père Ives déjà chancelant, il n’y a que cela de délicieux dans le monde ; quand on fait tant que de célébrer des orgies, il faut que tout y soit crapuleux… sale et cochon, comme le Dieu que l’on y révère ; il faut se vautrer dans l’ordure, à l’exemple des pourceaux, et ne chérir, comme eux, que la fange et que l’infamie. Martine, quoique baignée dans son sang, est mise sur la table ; ses fesses ensanglantées servent à poser les plats ; et, quand on en est au second service, les libertins mangent dessus des omelettes bouillantes. Après une heure de cette cruelle restauration, on parle de me foutre en cul ; je n’avais perdu qu’un de mes pucelages, il s’agissait d’attaquer l’autre. Il faut la mettre entre nous deux, dit père Ives, je foutrai son con tandis que tu l’enculeras ; Pauline t’arrangera l’engin de son fils dans le derrière, et te fouettera pendant ce tems ; Luce me rendra le même service ; Léonarde galopera autour de nous, en pissant et chiant dans la chambre, et en appliquant à chaque tour, tantôt un soufflet, tantôt une claque, ou même un coup de poing à la très-intéressante Martine, qui crèvera sans doute dans l’opération.

Tout s’arrange. Mais, Dieu du ciel ! si j’avais souffert à la première de ces introductions, que ne ressentis-je pas à la seconde ! Je crus que le vit de Siméon me partagerai en deux ; il me semblait que c’était une barre rouge que l’on introduisait dans mes entrailles ; et cependant, quelque jeune que je fusse, j’éprouvais, au travers de tout cela, de légères étincelles de plaisir, signes certains de celui que je recevrais un jour par cette voluptueuse manière de foutre : une dernière décharge couronna l’œuvre ; je sentis couler à-la-fois, et par devant et par derrière, les deux émissions que l’on dardait en moi ; et, retombant anéantie au milieu de mes deux athlètes, je fus plus d’un quart-d’heure à revenir de la secousse que de telles attaques venaient de porter à mon tempéramment.

Enfin, l’heure de la retraite au couvent fit promptement lever la séance. On se sépara. Martine fut envoyée à l’hôpital, où elle creva huit jours après. Nous continuâmes à rester chez ma mère. Quelques jours après, on recommença la même scène ; et Pauline, qui ne se cachait plus, se dédommageait dans nos bras des abstinences forcées où la contraignait son amant. Nous couchions tour-à-tour avec elle, et souvent tous les deux ensemble. Alors de l’Aigle et moi nous exécutions sous ses yeux mille postures plus lubriques les unes que les autres ; et la friponne dirigeant nos luxures, nous rendait aussi-tôt toutes les leçons qu’elle recevait de son amant ; elle nous inspirait ses principes, et ne négligeait rien de tout ce qui pouvait le plus promptement corrompre nos esprits et nos cœurs.

Lorsque nous eûmes atteint treize ou quatorze ans, la chère maman n’en resta point là. L’infâme créature osa nous conduire dans une maison où deux libertins s’amusèrent d’elle et de nous tout à-la-fois. Cent louis était la récompense de cette prostitution ; elle nous en donnait dix à chacun, sous les clauses du plus profond mystère ; et si, continuait-elle, nous étions exacts à ne rien révéler, elle nous procurerait bien d’autres aventures. Nous la satisfîmes ; et, dans moins de six mois, la bonne dame nous vendit ainsi l’un et l’autre à plus de quatre-vingt personnes, lorsque de l’Aigle, un jour, par unique principe de méchanceté, dévoila tout à mon père. Siméon, furieux, battit ma mère d’une si terrible force, qu’elle en tomba malade, et qu’au bout de huit jours elle se vit aux portes du tombeau. Ne restons pas ici, me dit mon frère ; cette bougresse-là va crever, et Siméon, ou nous gardera pour sa jouissance, ce qui ne nous rapportera pas grand chose, ou nous fera mettre à l’hôpital, ce qui deviendrait encore pis : tu es assez jolie pour faire fortune toute seule, et moi, ma sœur, je trouve un homme qui me couvre d’or, si je veux le suivre en Russie ; je pars. — Mais cette pauvre femme qui est dans son lit ? — Si sa situation te touche si vivement, il n’y a qu’à l’étrangler, elle ne souffrira plus. — Scélérat, dis-je en souriant, et comme peu révoltée d’un pareil projet, veux-tu donc nous faire rouer ? — Séraphine, me dit mon frère, on est bien près du crime, quand on n’est plus arrêté que par l’échafaud, — Je te jure que cette crainte me touche bien peu. — Eh bien ! exécutons, Ma foi, j’y consens ; je n’ai jamais trop aimé cette garce : et n’écoutant plus que notre fureur… que notre envie d’être libre, et de nous enrichir des dépouilles de cette malheureuse, nous entrons dans sa chambre comme deux forcenés… elle reposait ; nous nous jetons sur elle, et nous l’étranglons. Partageons vîte le coffre-fort, me dit mon frère. Nous y trouvons vingt mille francs, pour la moitié autant de bijoux ; et, ayant noblement partage, les portes se ferment, et nous décampons. Nous fûmes dîner au bois de Boulogne ; et, après nous être fait les plus tendres adieux, nous être promis le plus rigoureux secret, nous nous séparâmes. Mon frère suivit l’homme qui devait l’emmener, et moi, je fus trouver un des libertins que m’avait fait connaître ma mère, et sur lequel je comptais, d’après quelques promesses qu’il m’avait faites. Mon enfant, me dit cet homme dès que je fus chez lui, ce n’était pas de moi dont je te parlais ; je vois beaucoup de filles, mais n’en entretiens point : l’individu auquel je te destine vaut beaucoup mieux ; mais tu seras contrainte, je dois t’en prévenir, aux plus aveugles soumissions ; je vais l’envoyer prendre ; vous vous arrangerez. Ce personnage arrive : c’était un homme de soixante-cinq ans, très-riche, frais encore, et qui, après avoir remercié son confrère de la bonne fortune qu’il lui procurait, me fit passer dans le boudoir de son ami, où nous nous expliquâmes.

Cet homme, que l’on nommait Fercour, avait pour passion, de laisser foutre en con sa maîtresse devant lui, par un jeune homme qu’il enculait pendant ce tems-là ; mais il ne déchargeait pas dans le cul du jeune homme, il le quittait au milieu de la course, plaçait son vit merdeux dans la bouche de la femme, pendant que le jeune homme étrillait cette femme ; et dès qu’il lui voyait le cul en sang, le paillard la sodomisait ; le ganimède le fouettait alors, et l’enculait au bout de quelques minutes. Peu content de ces préliminaires, la femme s’étendait sur le dos dans un vaste canapé, et là, pendant qu’on lui enfonçait des épingles dans le derrière et dans les couilles, il en plaçait de même plus d’un cent dans les tetons de sa maîtresse. Une vieille gouvernante qui ne paraissait qu’alors, lui faisait perdre son foutre en lui chiant dans la bouche.

Quelques dures que dussent me paraître ces propositions, le besoin les fit accepter ; peu-à-peu je gagnai seule toute la confiance de Fercour ; au bout de deux ans j’en profitai pour écarter de lui tous les témoins qui m’étaient incommodes. Un jour que mon Crésus s’amusait sous mes yeux à compter ses richesses, elles me tentèrent. Mes réflexions furent bientôt faites : on passe promptement à un second crime, quand on n’a point conçu de remords du premier ; je jetai dans son chocolat six gros d’arsenic acheté pour détruire les rats, et dont on m’avait imprudemment confié la garde. Le vilain creva dans vingt-quatre heures ; je le volai, et passai sur-le-champ en Espagne. J’ai parcouru deux ans les plus grandes villes de cette contrée, y exerçant le métier de courtisane dans toutes avec autant d’agrément que de profit. O mes amis, c’est-là, c’est dans ces belles provinces où j’ai reconnu les passions de l’homme mille fois plus exaltées que dans aucun pays de l’Europe ! c’est-là où je les ai vues parvenir à des résultats dont on ne se doute point dans le reste de la terre. Il semble que l’excessive ardeur du soleil et la force de la superstition leur donnent un degré d’énergie inconnu aux autres hommes ; ce n’est vraiment que là où les piquans plaisirs du blasphême et du sacrilège s’amalgament délicieusement avec ceux du libertinage. Ce n’est que là où la mutuelle énergie qu’ils se prêtent, ajoutent au dernier degré du délire et de l’égarement. Ah ! si vous saviez ce que c’est que de foutre aux pieds d’une madone… au fond d’un confessionnal ou sur le bord d’un autel, ainsi que cela m’arrivait tous les jours. Non, rien au monde n’est délicieux comme l’existence de ces freins uniquement réalisés pour se procurer le plaisir de les rompre. Comme il est divin de rendre ainsi tout le paradis témoin de ses écarts ! Oh ! croyez-moi, les Espagnols sont les peuples de la terre qui raisonnent le mieux leurs voluptés… les seuls qui sachent le mieux en raffiner tous les détails. J’étais enfin la coquine la plus riche et la plus heureuse du monde, lorsqu’une aventure affreuse vint m’arrêter à Tolède au milieu de ma brillante carrière : le duc de Cortès ayant acquis de mon personnel une connaissance assez profonde, pour se flatter que je lui serais utile dans l’affreux parricide qu’il méditait, me fit entrer dans la maison de son père sur le pied de femme-de-charge ; le coup était prêt à éclater ; cinq cent mille livres de rente devenaient pour le jeune duc le prix de son forfait ; quatre mille pistoles en payaient l’exécution. Un malheureux valet-de-chambre découvre le mystère, et saisit le poison sur moi ; le duc se sauve… on m’arrête. Au bout de dix-huit mois d’une affreuse prison, je vais enfin subir mon jugement, lorsque votre camarade Gaspard que vous voyez ici, et détenu lui-même pour quelques crimes semblables, m’offre d’essayer la fuite avec lui. Nous réussissons. Il est un Dieu pour les grands coupables, les petits seuls n’échappent jamais. Nous repassâmes les monts ensemble ; et après avoir mendié près d’un an, nous trouvâmes enfin votre troupe ; vous savez, mes camarades, comme je m’y suis conduite depuis que j’ai l’honneur d’y être agrégée ; voilà tout ce que j’avais à vous dire : ce récit, je vous en avais prévenu, peu fertile en évènemens, ne méritait pas l’attention de gens qui, comme vous, ont passé leur vie d’aventures en aventures ; n’importe, je vous ai obéi, et vous ai convaincu par-là, que je mettrai toujours avec vous la soumission au rang de mes premiers devoirs.

L’histoire de Séraphine avait néanmoins allumé quelques étincelles de luxure dans le cœur de ces libertins ; la passion de Fercour sur-tout trouva des imitateurs. O malheureuse Justine ! ton beau sein servit de plastron aux deux scélérats qui voulurent copier cette manie ; et dès que tu fus sur ton triste grabat, les larmes que te faisait si fréquemment verser l’injustice des hommes, recommencèrent à couler avec plus d’abondance… Infortunée, tu te plaignais du ciel, sans te douter que ce même ciel te préparait pourtant l’aurore du beau jour qui devait t’enlever à cette cruelle situation… non pour terminer tes malheurs, mais pour en changer au moins la nature.

Malgré l’état d’avilissement où l’on tenait cette malheureuse fille dans le souterrain, Séraphine continuait pourtant de la protéger ; et comme elle l’employait souvent dans ses plaisirs particuliers, elle lui procurait de tems en tems quelques douceurs. Mon ange, lui dit-elle un jour, déjà trompée d’une manière cruelle par une de mes camarades, je crains de ne pas t’inspirer, à mon tour, un degré bien entier de confiance ; je te proteste pourtant de ne t’en imposer sur rien, et que la vérité pure va t’être offerte ici par ma bouche ; mais de la discrétion ou ma vengeance serait terrible. On me demande à Lyon une jolie fille pour un vieux négociant, dont les goûts sont bizarres, il est vrai, mais qui les paye assez généreusement pour consoler des peines ou des dégoûts qu’ils peuvent inspirer. S’ils te conviennent, je me charge de ta liberté : il s’agit de profanation ; l’homme dont je te parle, est un impie ; il te maniera pendant qu’on dira la messe devant lui ; à l’élévation il sortira d’une petite boîte une hostie aussi bien consacrée que celle qui s’élèvera devant toi ; il t’enculera avec cette hostie, pendant que le célébrant viendra te foutre, à son tour, avec celle qu’il viendra de consacrer. — Quelle horreur, s’écria Justine ! — Oui, j’ai senti qu’avec tes principes une telle proposition te répugnerait… Mais vaut-il mieux rester ici ? — Non, sans doute, — Eh bien ! décides-toi donc. — Je le suis, dit Justine avec un peu de remords ; fais de moi ce que tu voudras je me livre. Séraphine vole chez Gaspard ; elle lui représente que la punition de Justine est assez longue ; qu’il ne faut pas priver plus long-tems la troupe des services qu’une telle fille est en état de lui rendre au dehors ; qu’elle en demande l’assistance dans ses différentes opérations, et qu’elle en répond sur la surface de la terre comme dans les entrailles du globe. La grace s’obtient ; on renouvelle les leçons de Justine ; on lui fait subir un examen ; et au bout d’un séjour de cinq mois dans cet abominable repaire, elle obtient enfin la permission d’en sortir et de suivre sa protectrice à Lyon. — Grand Dieu ! se dit Justine en revoyant le soleil, une œuvre de pitié vient de m’engloutir toute vive pendant cinq mois ; la promesse d’un crime rompt mes fers. O Providence ! Expliques-moi donc tes incompréhensibles décrets, si tu ne veux pas que mon cœur se révolte.

Nos deux voyageuses s’arrêtèrent dans un cabaret pour déjeûner. Justine ne disait mot, mais elle n’en combinait pas moins son projet de liberté. Madame, s’écria-t-elle en s’adressant à la maîtresse du logis, femme très-douce et assez jolie, oh ! madame, je vous conjure de m’accorder votre secours et votre protection. La créature avec laquelle vous me voyez malgré moi, m’a fait jurer de la suivre en un lieu où mon honneur serait compromis ; je l’ai fait pour me tirer d’une bande de coquins où j’avais le malheur d’être prisonnière avec elle ; mon intention n’est pas de l’accompagner plus long-tems. Je vous prie de l’engager à renoncer aux prétentions qu’elle se croit sur mon individu, de la prier de suivre sa route, et de me garder chez vous jusqu’à demain, époque où, séparée d’elle, je prendrai, pour mon compte, une route… si opposée à la sienne, que de la vie nous ne nous rencontrerons. — Scélérate, dit Séraphine, furieuse, payes-moi, du moins, si tu veux me quitter. — J’atteste le ciel, dit Justine, que je ne lui dois rien… qu’elle ne me force pas à m’expliquer plus clairement. Séraphine, effrayée, disparaît en sacrant ; et Justine, caressée, consolée par l’hôtesse, la plus honnête et la plus aimable des femmes, passe quarante-huit heures dans cette maison, avec la prudence de ne jamais dire, en racontant ses aventures, rien qui puisse compromettre les malheureux qu’elle venait de quitter. Le troisième jour au matin, elle se remit en marche, comblée des présens… des amitiés de madame Delisle, et dirige ses pas du côté de Vienne décidée à vendre ce qu’il lui restait, pour arriver à Grenoble, où ses pressentimens ne cessaient de lui dire qu’elle devait trouver le bonheur. Nous allons voir comment elle y réussit, après avoir préalablement raconté les nouvelles traverses qui l’attendaient, avant que de parvenir à cette capitale du Dauphiné.

Justine marchait tristement, toujours dirigée vers la ville de Vienne, lorsqu’elle apperçoit, dans un champ à droite du chemin, deux cavaliers qui foulaient un homme aux pieds de leurs chevaux, et qui, après l’avoir laissé comme mort, se sauvèrent à bride abatue. Ce spectacle affreux l’attendrit jusqu’aux larmes : Hélas ! dit-elle, voilà un homme plus à plaindre que moi ; il me reste au moins la santé et la force ; je puis gagner ma vie ; et, si ce malheureux n’est pas riche, que va-t-il devenir en l’état où ces fripons viennent de le mettre ?

À quelque point que Justine eût dû se défendre des mouvemens de la commisération, quelque funeste qu’il eût été de tous les tems pour elle de s’y livrer, elle ne put vaincre l’extrême desir qu’elle éprouvait de se rapprocher de cet homme, et de lui prodiguer ses secours. Elle vole à lui, lui fait respirer quelques gouttes d’eau spiritueuse, et jouit enfin de toute la reconnaissance de l’infortuné qu’elle soulage. Plus ses soins réussissent, plus elle les redouble : un des seuls effets qui lui restent, une chemise… elle la met en pièces pour étancher le sang du blessé ; ces premiers devoirs remplis, elle lui donne à boire quelques gouttes de cette même liqueur spiritueuse. Le voyant tout-à-fait remis, elle l’observe, quoiqu’à pied, et dans un équipage assez leste, cet homme ne lui paraît pourtant pas dans la médiocrité ; il avait quelques effets de prix, des bagues, une montre, des boîtes, mais tout cela fort endommagé par son aventure. Quel est, dit-il, dès qu’il peut parler, quel est l’ange bienfaisant qui me secoure ? et que puis-je faire pour lui témoigner toute ma gratitude ? Ayant encore la simplicité d’imaginer qu’une ame, liée par la reconnaissance, doit lui appartenir en entier, l’innocente Justine croit pouvoir jouir du doux plaisir de faire partager ses pleurs à celui qui vient d’en verser dans ses bras ; elle l’instruit de ses revers, il les écoute avec intérêt, et, quand elle a fini le récit de la dernière catastrophe qui vient de lui arriver : Que je suis heureux, s’écrie l’aventurier, de pouvoir enfin reconnaître tout ce que vous venez de faire pour moi !… écoutez… écoutez, mademoiselle, et jouissez du plaisir que j’éprouve à vous convaincre qu’il est peut-être possible que je puisse m’acquitter envers vous.

On me nomme Roland ; je possède un fort beau château dans la montagne à quinze lieues d’ici ; je vous invite à m’y suivre ; et, pour que cette proposition n’alarme point votre délicatesse, je vais vous expliquer tout de suite à quoi vous me serez utile. Je suis garçon, mais j’ai une sœur que j’aime passionnément, qui s’est vouée à ma solitude, et qui la partage avec moi ; j’ai besoin d’un sujet pour la servir ; nous venons de perdre celle qui remplissait cet emploi ; je vous offre sa place. Justine, après avoir remercié son protecteur, lui demanda par quel hasard un homme comme lui s’exposait à voyager sans suite, et, ainsi que cela venait de lui arriver, à être molesté par des fripons ? — Un peu replet, jeune et vigoureux, je suis, depuis plusieurs années, dit Roland, dans l’habitude de venir de chez moi à Vienne de cette manière. Ma santé et ma bourse y gagnent ; ce n’est pas que je sois dans le cas de prendre garde à la dépense ; car je suis riche ; vous en verrez bientôt la preuve, si vous me faites l’amitié de venir chez moi ; mais l’économie ne gâte jamais rien. Quant aux deux hommes qui viennent de m’insulter, ce sont deux gentillâtres du canton, auxquels je gagnai cent louis la semaine passée, dans une maison à Vienne. Je me contentai de leur parole ; je les rencontre aujourd’hui ; je leur demande ce qu’ils me doivent, et voilà comme les scélérats me payent.

Notre compatissante voyageuse continuait de plaindre cet infortuné, du double malheur dont il était victime, lorsque l’aventurier lui proposa de se remettre en route. Graces à vos soins, je me sens un peu mieux, lui dit-il ; la nuit approche ; gagnons une maison qui doit être à deux lieues d’ici ; les chevaux que nous y prendrons demain, nous arriveront chez moi le même soir.

Absolument décidée à profiter des secours que le ciel lui envoyait, Justine aide Roland à se mettre en marche ; elle le soutient, et trouve effectivement, à deux lieues de là, l’auberge annoncée par son compagnon de route. Tous deux y soupent honnêtement ensemble. Après le repas, Roland la recommande à la maîtresse du logis ; et le lendemain, sur deux mulets de louage, qu’escortait un valet de l’auberge, nos gens gagnent la frontière du Dauphiné, se dirigeant toujours vers les montagnes. La traite étant trop longue pour ne remplir qu’un jour, ils s’arrêtèrent à Virieu, où Justine éprouva les mêmes soins, les mêmes égards de son patron, et, le jour suivant, ils continuèrent leur marche, toujours dans la même direction. Sur les quatre heures du soir, ils arrivèrent aux pieds des montagnes ; là, le chemin devenant presqu’impraticable, Roland recommanda au muletier de ne pas quitter Justine, et tous trois pénétrèrent dans les gorges. Notre héroïne, que l’on faisait tourner, monter et descendre, depuis plus de quatre heures, et qui ne reconnaissait plus aucune trace de chemin, ne put s’empêcher de témoigner un peu d’inquiétude. Roland la démêle, et ne dit mot : un tel silence effrayait davantage cette malheureuse fille, lorsqu’elle apperçut enfin un château perché sur la crête d’une montagne, au bord d’un précipice affreux, dans lequel il semblait prêt à s’abîmer. Aucune route ne paraissait y tenir ; celle que l’on suivait, seulement pratiquée par des chèvres, remplie de cailloux de tous côtés, arrivait cependant à cet effrayant repaire, ressemblant bien plutôt à un asyle de voleurs, qu’à l’habitation de gens honnêtes.

Voilà ma maison, dit Roland, dès qu’il crut que le château avait frappé les regards de Justine ; et, sur ce que celle-ci lui témoignait son étonnement de le voir habiter une telle solitude : C’est ce qui me convient, lui répondit-il avec brusquerie. Cette réponse, comme on l’imagine aisément, redoubla les craintes de notre infortunée. Rien n’échappe dans le malheur ; un mot, une réflexion, plus ou moins prononcée chez ceux de qui l’on dépend, étouffe ou ranime l’espoir : mais, n’étant plus à même de prendre un parti différent, Justine se contint. Enfin, à force de tourner, l’antique mâzure se trouva tout-à-coup en face. Roland descendit de sa mule ; par ses ordres Justine en fait autant ; et, ayant remis ces montures au valet, il le paye, et le congédie. Ce nouveau procédé déplut encore : Roland le vit. Qu’avez-vous, Justine, demanda-t-il assez doucement, tout en s’acheminant vers son habitation ; vous n’êtes point hors de France ; cette maison est sur les frontières du Dauphiné ; elle dépend de Grenoble. — Soit, monsieur… mais, comment vous est-il venu dans l’esprit de vous fixer dans un tel coupe-gorge ? — C’est que ceux qui l’habitent ne sont pas des gens très-honnêtes, dit Roland ; il serait possible que vous ne fussiez pas fort édifiée de leurs occupations. — Ah ! monsieur vous me faites frémir ! où me menez-vous donc ? — Je te mène servir de faux monnayeurs, dont je suis le chef, dit Roland en saisissant le bras de Justine, et lui faisant traverser de force un petit pont, qui s’abaissa et se releva tout de suite après. Vois-tu ce puits, continua-t-il dès que l’on fut entré, en montrant à Justine une grande et profonde grotte, située au fond de la cour, où quatre femmes, nues et enchaînées, faisaient mouvoir une roue ; voilà tes compagnes, et voilà ta besogne. Moyennant que tu travailleras journellement dix heures à tourner cette roue, et que tu satisferas, comme ces femmes, tous les caprices où il me plaira de te soumettre, il te sera accordé six onces de pain noir et un plat de féves par jour. Pour ta liberté, renonces-y ; tu ne l’auras jamais. Quand tu seras morte à la peine, on te jettera dans le trou que tu vois à côté de ce puits, avec deux cents autres coquines de ton espèce qui t’y attendent, et l’on te remplacera par une nouvelle. Oh ! grand Dieu ! s’écria Justine en se précipitant aux pieds de Roland, daignez vous rappeler, monsieur, que je vous ai sauvé la vie… qu’un instant ému par la reconnaissance, vous semblâtes m’offrir le bonheur, et que c’est en m’engloutissant dans un abîme éternel de maux que vous aquitez mes services. Ce que vous faites est-il juste ? et le remords ne vient-il pas déjà me venger au fond de votre cœur ? — Qu’entends-tu, je te prie, par ce sentiment de reconnaissance dont tu t’imagines m’avoir captivé, dit Roland ? Raisonnes mieux, chétive créature ; que faisais-tu, quand tu vins à mon secours ? Entre la possibilité de suivre ton chemin et celle de venir à moi, n’as-tu pas choisi le dernier parti comme un mouvement inspiré par ton cœur ? Tu te livrais donc à une jouissance ? Par où diable prétends-tu que je sois obligé de te récompenser des plaisirs que tu te donnes ? et comment te vint-il jamais dans l’esprit qu’un homme qui, comme moi, nage dans l’or et dans l’opulence, daigne s’abaisser à devoir quelque chose à une misérable de ton espèce ? m’eusses-tu rendu la vie, je ne te devrais rien, dès que tu n’as agi que pour toi : au travail, esclave, au travail, apprends que la civilisation, en bouleversant les principes de la nature, ne lui enlève pourtant pas ses droits ; elle créa dans l’origine des êtres forts et des êtres faibles, avec l’intention que ceux-ci fussent toujours subordonnés aux autres ; l’adresse, l’intelligence de l’homme varièrent la position des individus : ce ne fut plus la force physique qui détermina les rangs, ce fut l’or. L’homme le plus riche devint le plus fort, le plus pauvre devint le plus faible : à cela près des motifs qui fondaient la puissance, la priorité du fort fut toujours dans les loix de la nature, à qui il devenait égal que la chaîne qui captivait le faible fut tenue par le plus riche ou par le plus vigoureux, et qu’elle écrasât le plus faible ou bien le plus pauvre. Mais ces mouvemens de reconnaissance dont tu veux me composer des liens, elle les méconnaît, Justine ; il ne fut jamais dans ses loix que le plaisir où l’un se livrait en obligeant, devînt un motif pour celui qui recevait de se relâcher de ses droits sur l’autre : vois-tu, chez les animaux qui nous servent, d’exemples de ces sentimens que tu réclames ? Lorsque je te domine par mes richesses ou par ma force, est-il naturel que je t’abandonne mes droits, ou parce que tu as joui en m’obligeant, ou parce qu’étant malheureuse, tu t’es imaginée de gagner quelque chose à ton procédé ? le service fût-il même rendu d’égal à égal, jamais l’orgueil d’une ame élevée ne se laissera courber par la reconnaissance ; celui qui reçoit n’est-il pas toujours humilié ? et cette humiliation qu’il éprouve ne paye-t-elle pas suffisamment le bienfaiteur, qui, par cela seul, se trouve au-dessus de l’autre ? n’est-ce pas une jouissance pour l’orgueil que de s’élever au-dessus de son semblable ? en faut-il d’autre à celui qui oblige ? et si l’obligation, en humiliant celui qui reçoit, devient un fardeau pour lui, de quel droit le contraindre à le garder ? pourquoi faut-il que je consente à me laisser humilier chaque fois que me frappent les regards de celui qui m’a obligé ? l’ingratitude, au lieu d’être un vice, est donc la vertu des ames fières, aussi certainement que la reconnaissance n’est que celle des ames faibles ? Qu’on m’oblige, tant qu’on voudra si l’on y trouve une jouissance, mais qu’on n’exige rien pour avoir joui.

À ces mots, auxquels Roland ne donna pas à Justine le tems de répondre, deux valets la saisissent par ses ordres, la dépouillent, font examiner son corps à leur maître, qui le touche et le manie brutalement, puis, l’enchaînent avec ses compagnes qu’elle est obligée d’aider tout de suite sans qu’il lui soit seulement permis de se reposer une minute de la marche fatigante qu’elle vient de faire. Roland l’approche alors ; il lui touche une seconde fois les cuisses, les tetons et les fesses, paitrit durement dans ses doigts toutes ces chairs tendres et délicates, l’accable de sarcasmes et de mauvaises plaisanteries, en découvrant la marque avilissante et peu méritée dont le cruel Rombeau avait autrefois flétrie cette malheureuse ; puis, s’armant d’un nerf de bœuf toujours là, il lui en applique soixante coups sur le derrière, qui, boursouflant et meurtrissant toute la peau, arrachent des cris à cette malheureuse, dont retentissent les voûtes sous lesquelles elle est. — Voilà comme tu seras traitée, coquine, dit cet infâme, lorsque tu manqueras à ton devoir ; je ne te fais pas sentir l’échantillon de ce traitement pour aucune faute déjà commise, mais seulement pour te montrer comme j’agis avec celles qui en font. Justine redouble ses cris ; elle se débat sous ses fers, et les cruelles expressions de sa douleur ne servent que d’amusement à son bourreau. Ah ! je t’en ferai voir bien d’autres, putain, dit Roland en venant frotter avec la tête de son vit les gouttes de sang que faisaient jaillir les coups qu’il continuait d’appliquer, tu n’es pas au bout de tes peines, et je veux que tu connaisses ici jusqu’aux plus barbares raffinemens du malheur. Il la laisse.

Six réduits obscurs, situés sous une grotte autour de ce vaste puits, et qui se fermaient comme des cachots, servaient pendant la nuit de retraite aux malheureuses dont on vient de parler. Dès que la nuit fut venue, on détacha Justine et ses compagnes, et on les renferma dans ces niches, après leur avoir servi le mince souper dont Roland avait fait la description.

À peine notre héroïne fut-elle seule, qu’elle s’abandonna tout à l’aise à l’horreur de sa situation. Est-il possible, se disait-elle, qu’il y ait des hommes assez durs pour étouffer en eux le sentiment de la reconnaissance ?… Cette vertu où je me livrerais avec tant de charmes, si jamais quelques ames honnêtes me mettaient dans le cas de la sentir, peut-elle donc être méconnue de certains êtres ? et ceux qui l’étouffent avec tant d’inhumanité doivent-ils être autre chose que des monstres[1] ?

Justine était plongée dans ces réflexions lorsqu’elle entend tout-à-coup ouvrir la porte de son cachot, c’est Roland, Le scélérat vient achever de l’outrager en la faisant servir à ses odieux caprices… Et quels caprices, juste ciel ! On suppose aisément qu’ils devaient être aussi féroces que ses procédés, et que les plaisirs de l’amour dans un tel homme portaient nécessairement les teintes de son odieux caractère. Mais comment abuser de la patience de nos lecteurs pour leur peindre ces nouvelles atrocités ? N’avons-nous pas déjà trop souillé leur imagination par d’infâmes récits ? devons-nous en hasarder de nouveaux ? Hasardes… hasardes, nous répond ici le philosophe, on n’imagine pas combien ces tableaux sont nécessaires au développement de l’ame ; nous ne sommes encore aussi ignorans dans cette science, que par la stupide retenue de ceux qui voulurent écrire sur ces matières : enchaînés par d’absurdes craintes, ils ne nous parlent que de ces puérilités connues de tous les sots, et n’osent, portant une main hardie dans le cœur humain, en offrir à nos yeux les gigantesques égaremens. — Obéissons, puisque la philosophie nous y engage, et rassurés par sa voix céleste, ne craignons plus d’offrir le vice à nu.

Roland, qu’il est essentiel de peindre avant que de le mettre en scène, était un petit homme court et gros, âgé de trente-cinq ans, d’une vigueur incompréhensible, velu comme un ours, la mine sombre, le regard farouche, fort brun, des traits mâles et prononcés, le nez long, de la barbe jusqu’aux yeux, des sourcils noirs et épais, et le vit d’une telle longueur, d’une grosseur si démesurée, que jamais rien de pareil ne s’était encore présenté aux yeux de Justine, À ce physique un peu repoussant, notre fabricateur de faux louis joignait tous les vices qui peuvent résulter d’un tempéramment de feu, de beaucoup d’imagination, et d’une aisance toujours trop considérable pour ne l’avoir pas plongé dans de grands travers. Roland achevait sa fortune ; son père, qui l’avait commencée, l’avait laissé fort riche, moyennant quoi ce jeune homme avait déjà beaucoup vécu : blasé sur les plaisirs ordinaires, il n’avait plus recours qu’à des horreurs ; elles seules parvenaient à lui rendre des desirs épuisés par trop de jouissances ; les femmes qui le servaient étaient toutes employées à ses débauches secrètes, et pour satisfaire à des plaisirs un peu moins malhonnêtes dans lesquels ce libertin pût néanmoins trouver le sel du crime qui le délectait mieux que tout, Roland avait sa propre sœur pour maîtresse ; c’était avec elle qu’il achevait d’éteindre les passions qu’il venait allumer près des autres.

Il était presque nu quand il entra ; son visage, très enflammé, portait à-la-fois des preuves de l’intempérance de table où il venait de se livrer, et de l’abominable luxure qui le dévorait. Un instant il considère Justine avec des yeux qui la font frémir. — Quittes ces vêtemens, lui dit-il en arrachant lui-même ceux qu’elle avait repris pour se couvrir pendant la nuit… oui, quittes tout cela, et suis-moi ; je t’ai fait sentir tantôt ce que tu risquerais en te livrant à la paresse. Mais s’il te prenait envie de nous trahir, comme le crime serait bien plus grand, il faudrait que la punition s’y proportionnât : viens donc voir de quelle espèce elle serait. La saisissant aussi-tôt par le bras, le libertin l’entraîne : il la conduisait de la main droite ; de la gauche il tenait une petite lanterne, dont leur marche était faiblement éclairée. Après plusieurs détours, la porte d’une cave se présente ; Roland l’ouvre, et faisant passer Justine la première, il lui dit de descendre pendant qu’il referme cette clôture. À cent marches, on en trouve une seconde, qui s’ouvre et se referme d’une égale manière ; mais, après celle-ci, il n’y avait plus d’escalier ; c’était un petit chemin taillé dans le roc, rempli de sinuosités, et dont la pente était extrêmement roide. Roland ne disait mot ; ce silence effrayant redoublait la terreur de Justine, qui, parfaitement nue, ressentait encore plus vivement l’horrible humidité de ces souterrains. De droite et de gauche du sentier qu’elle parcourait, étaient plusieurs niches où se voyaient des coffres, renfermant les richesses de ces malfaiteurs. Une dernière porte de bronze s’offre enfin ; elle était à plus de huit cents pieds dans les entrailles de la terre : Roland l’ouvre, et celle qui le suit tombe à la renverse, en appercevant l’affreux local où on la conduit. La voyant fléchir, Roland la relève, et la pousse rudement au milieu d’un caveau rond, dont les murs, tapissés d’un drap mortuaire, n’étaient décorés que des plus lugubres objets. Des squelettes de toute sorte d’âge et de toute sorte de sexe, entrelassés d’ossemens en sautoir, de têtes de morts, de serpens, de crapauds, de faisceaux de verges, de disciplines, de sabres, de poignards, de pistolets, et d’armes absolument inconnues ; telles étaient les horreurs qu’on voyait sur les murs qu’éclairait une lampe à trois mèches, suspendue à l’un des coins de la voûte. Du ceintre, partait une longue corde, qui tombait à huit pieds de terre, et qui, comme vous allez bientôt le voir, n’était là que pour servir à d’affreuses expéditions. À droite, était un cercueil, qu’entr’ouvrait le spectre de la mort, armé d’une faulx menaçante ; un prie-dieu était à côté : sur une table un peu au-delà, se voyait un crucifix entre deux cierges noirs, un poignard à trois lames crochues, un pistolet tout armé, et une coupe remplie de poison. À gauche, le corps tout frais, d’une superbe femme, attaché à une croix : elle y était posée sur la poitrine, de façon qu’on voyait amplement ses fesses… mais cruellement molestées ; il y avait encore de grosses et longues épingles dans les chairs, et des goûtes d’un sang noir et caillé formaient des croûtes le long des cuisses : elle avait les plus beaux cheveux du monde ; sa belle tête était tournée vers nous, et semblait implorer sa grace. La mort n’avait point défiguré cette sublime créature, et la délicatesse de ses traits, moins offensée de la dissolution que de la douleur, offrait encore l’intéressant spectacle de la beauté dans le désespoir. Le fond du caveau était rempli par un vaste canapé noir, duquel se développaient aux regards toutes les atrocités de ce lieu.

Voilà où tu périras, Justine, dit Roland, si tu conçois jamais la fatale idée de quitter cette maison ; oui, c’est ici que je viendrai moi-même te donner la mort… que je t’en ferai sentir les angoisses par tout ce que je pourrai trouver de plus dur. En prononçant cette menace, Roland s’enflamme ; son agitation, son désordre le rendent semblable au tigre prêt à dévorer sa proie. C’est alors qu’il met au jour le redoutable membre dont il est pourvu. En as-tu quelquefois vu de semblable, dit-il en le faisant empoigner à Justine ? tel que le voilà, poursuivit ce faune, il faudra pourtant bien qu’il s’introduise dans la partie la plus étroite de ton corps, dussé-je te fendre en deux. Ma sœur, bien plus jeune que toi, le soutient dans cette même partie ; jamais je ne jouis différemment des femmes ; il faudra donc qu’il te déchire aussi ; et pour ne laisser aucun doute sur le local qu’il veut dire, il y introduit trois doigts armés d’ongles aigus, en disant : oui, c’est-là, c’est-là que j’enfoncerai, tout-à-l’heure, ce membre qui t’effraie ; il y entrera de toute sa longueur ; il te déchirera l’anus ; il te mettra en sang, et je serai dans l’ivresse. Il écumait en disant ces mots entremêlés de juremens et de blasphêmes odieux. La main dont il effleure le temple qu’il paraît vouloir attaquer, s’égare alors sur toutes les parties adjacentes ; il les pince, il les égratigne, il en fait autant à la gorge, et la meurtrit tellement, que Justine en souffrit quinze jours des douleurs horribles ; il la place ensuite sur le canapé, frotte d’esprit-de-vin tout le poil de la motte, y met le feu, et le brûle en totalité ; ses doigts s’emparent du clitoris ; ils le froissent rudement ; il les introduit delà dans l’intérieur ; et ses ongles molestent la membrane qui le tapisse. Ne se contenant plus, il dit à Justine, que puisqu’il la tient dans son repaire, il vaut tout autant qu’elle n’en sorte plus, que cela lui évitera la peine de redescendre… Notre infortunée se précipite à ses genoux ; elle ose lui rappeler encore les services qu’elle lui a rendus, et s’apperçoit bientôt qu’elle l’irrite davantage, en lui parlant des droits qu’elle se suppose à sa pitié. Tais-toi, lui dit ce monstre en la renversant d’un coup de genou vigoureusement appliqué dans le creux de son estomac… Allons, continue-t-il en la relevant par les cheveux, allons, prépares-toi bougresse, il est certain que je vais t’immoler. — Oh ! monsieur. — Non, non, il faut que tu périsses ; je ne veux plus m’entendre reprocher tes petits bienfaits ; je ne veux rien devoir à personne ; c’est aux autres à tenir tout de moi. Tu vas mourir, te dis-je ; places-toi dans ce cercueil, que je voie si tu pourras y tenir ; il l’y étend… il l’y enferme, et sort du caveau. Justine se crut perdue ; jamais la mort ne s’était approchée d’elle sous des formes plus sûres et plus hideuses. Cependant Roland reparaît, il la sort du cercueil ; tu seras au mieux là dedans, lui dit-il ; il semble que cette bierre ait été faite pour toi ; mais, t’y laisser finir tranquillement, ce serait une trop belle mort ; je vais t’en taire sentir une d’un genre différent, et qui ne laisse pas d’avoir ses douceurs : Allons, implores ton foutu Dieu, putain ; pries-le d’accourir te venger, s’il en a vraiment la puissance… La malheureuse se jette sur le prie-dieu ; et pendant qu’elle ouvre à haute voix son cœur à l’Éternel, Roland redouble sur les parties postérieures qu’elle lui expose, ses vexations et ses supplices ; il flagellait ces parties de toute sa force avec un martinet armé de pointes d’acier, dont chaque coup faisait jaillir le sang jusqu’à la voûte.

Eh bien ! continuait-il en blasphêmant, il ne te secoure pas, ton Dieu ; il laisse ainsi souffrir la vertu malheureuse ; il l’abandonne aux mains de la scélératesse ! Ah ! quel Dieu, Justine, que ce Dieu-là !… quel infâme bougre de Dieu ! Combien je le méprise et le bafoue de bon cœur ! Viens, lui dit-il ensuite, viens, ta prière dois être achevée ; en faut-il tant pour un abominable Dieu qui t’écoute si mal ? et la plaçant, en disant ces mots, sur le bord du canapé qui faisait le fond de ce lieu sépulcral ; je te l’ai dit, Justine, reprit-il ; il faut que tu meures ; il se saisit de ses bras, il les lie sur ses reins ; puis il passe autour du cou de la victime un cordon de soie noire, dont les deux extrémités, toujours tenues par lui, peuvent, en se serrant à sa volonté, comprimer la respiration de la patiente et l’envoyer en l’autre monde dans le plus ou le moins de tems qu’il lui plaira.

Ce tourment est plus doux que tu ne penses, Justine, dit Roland ; tu ne sentiras la mort que par d’inexprimables sensations de plaisir ; la compression que cette corde opérera sur la masse de tes nerfs, va mettre en feu les organes de la volupté, c’est un effet certain. Si tous les gens, condamnés à ce supplice, savaient dans quelle ivresse il fait mourir, moins effrayés de cette punition de leurs crimes, ils les commettraient plus souvent et avec bien plus d’assurance. Quel être balancerait à s’enrichir aux dépends des autres, quand, à côté de la presque certitude de n’être pas découvert, il aurait, pour toute crainte dans le cas où il le serait, la complète assurance de la plus délicieuse des morts. Cette charmante opération, poursuivit Roland, comprimant de même le local où je vais me placer, (et il enculait en disant cela), va doubler aussi mes plaisirs ; mais ses efforts sont vains ; il a beau préparer les voies, beau les ouvrir, et beau les humecter, trop monstrueusement proportionné pour réussir, ses entreprises sont toujours repoussées. C’est alors que sa fureur n’a plus de bornes ; ses ongles, ses mains, ses pieds servent à le venger des résistances que lui oppose la nature. Il se présente de nouveau ; le glaive en feu glisse au bord du canal voisin ; et de la vigueur de la secousse, il y pénètre de plus de moitié ; Justine pousse un cri terrible ; Roland, furieux de l’erreur, se retire avec rage, et, pour cette fois, frappe l’autre porte avec tant de vigueur, que le dard humecté s’y plonge en déchirant les bords. Roland profite des succès de cette première secousse ; ses efforts deviennent plus violens ; il gagne du terrein. À mesure qu’il avance, le fatal cordon qu’il a passé autour du cou, se resserre ; Justine pousse des hurlemens épouvantables ; le féroce Roland qu’ils amusent, l’engage à les redoubler ; trop sûr de leur inutilité, trop maître de les arrêter quand il le voudra, il s’enflamme à leurs sons aigus ; cependant l’ivresse est prête à s’emparer de lui ; les compressions du cordon se modulent sur les degrés de son plaisir. Peu-à-peu l’organe de notre infortunée s’éteint ; les serremens alors deviennent si vifs, que ses sens s’affaiblissent sans qu’elle perde néanmoins sa sensibilité. Rudement secouée par le membre énorme dont Roland déchire ses entrailles, malgré l’affreux état où elle est, elle se sent inondée des jets du foutre de son épouvantable enculeur ; elle entend les cris qu’il pousse en le versant. Un instant de stupidité succède ; mais bientôt dégagée, ses yeux se r’ouvrent à la lumière, et ses organes semblent s’épanouir. — Eh bien ! Justine, lui (dit son bourreau, je gage que si tu veux être vraie, tu n’as senti que du plaisir. Rien malheureusement n’était aussi sûr : le con tout barbouillé de notre héroïne démontrait l’assertion de Roland. Un instant elle voulut nier. Putain, dit le scélérat, crois-tu m’en imposer, lorsque je vois le foutre inonder ton vagin ; tu as déchargé, bougresse, l’effet est inévitable. — Non, monsieur, je vous jure. — Eh que m’importe ! tu dois, je l’imagine, me connaître assez pour être bien certaine que ta volupté m’inquiète infiniment moins que la mienne dans ce que j’entreprends avec toi ; et cette volupté que je recherche, a été si vive, que je vais encore m’en procurer les jouissances.

C’est de toi, maintenant, dit Roland ; c’est de toi seule, Justine, que tes jours vont dépendre. Il passe alors autour du cou de cette malheureuse la corde qui pendait au plafond ; dès qu’elle y est fortement arrêtée, il lie au tabouret, sur lequel Justine était montée, une ficelle dont il tient le bout, et va se placer dans un fauteuil en face. Dans une des mains de la patiente, est une serpe très-effilée, dont elle doit se servir pour couper la corde, au moment où, par le moyen de la ficelle qu’il tient, il fera manquer le tabouret sous les pieds de Justine. Tu le vois, ma fille, lui dit-il alors, si tu manques ton coup, je ne manquerai pas le mien ; je n’ai donc pas tort de dire que tes jours dépendent de toi. Le scélérat se branle le vit ; c’est au moment de sa décharge qu’il doit tirer le tabouret, dont la fuite va laisser Justine pendue au plafond ; il fait tout ce qu’il peut pour feindre cet instant ; il serait transporté, si Justine venait à manquer d’adresse. Mais il a beau faire, elle le devine ; la violence de son extase le trahit ; Justine saisit le mouvement, le tabouret échappe, elle coupe la corde, et tombe à terre, entièrement dégagée… Là, le croira-t-on, quoiqu’à plus de douze pieds du libertin, elle est inondée des jets de foutre que Roland perd en blasphémant.

Une autre que Justine, sans doute, profitant de l’arme qu’elle se trouvait entre les mains, se fût aussi-tôt jetée sur ce monstre. À quoi lui eût servi ce trait de courage ? N’ayant pas les clefs de ces souterrains, en ignorant les détours, elle serait morte, avant que d’en avoir pu sortir ; d’ailleurs, Roland était sur ses gardes : elle se releva donc, laissant l’arme à terre, afin qu’il ne conçût même pas sur elle le plus léger soupçon. Il n’en eut point ; et, content de la douceur, de la résignation de sa victime, bien plus que de son adresse, il lui fit signe de sortir, et tous deux remontèrent au château.

Le lendemain Justine examina mieux ce qui l’entourait. Ses quatre compagnes étaient des filles de vingt-cinq à trente ans ; quoique abruties par la misère, et déformées par l’excès des travaux, elles avaient de grands restes de beauté. Leur taille était belle ; et la plus jeune, appelée Suzanne, avec des yeux charmans, avait encore des traits délicieux. Roland l’avait prise à Lyon ; et, après l’avoir enlevée à sa famille, sous le serment de l’épouser, il l’avait conduite dans son affreuse maison. Elle y était depuis trois ans, et plus particulièrement encore que ses compagnes, l’objet des férocités de ce monstre. À force de coups de nerf de bœuf, ses fesses étaient devenues calleuses et dures comme une vieille peau de vache desséchée au soleil ; elle avait un cancer au sein gauche, et un abcès dans la matrice, qui lui causaient des douleurs inouies. Tout cela était l’ouvrage du perfide Roland ; chacune de ces horreurs était le fruit de ses lubricités. Ce fut d’elle que Justine apprit que ce coquin était à la veille de se rendre à Venise, si les sommes considérables qu’il venait de faire dernièrement passer en Espagne lui rapportaient les lettres-de-change qu’il attendait pour l’Italie, parce qu’il ne voulait point porter son or au-delà des monts. Il n’y en envoyait jamais ; c’était dans un pays différent de celui où il se proposait d’habiter, qu’il faisait passer ses fausses espèces. Par ce moyen, ne se trouvant riche, dans le lieu où il voulait se fixer, que des papiers d’une autre contrée, ses friponneries ne pouvaient jamais se découvrir : mais tout pouvait manquer dans un instant ; et la retraite qu’il méditait dépendait absolument de cette dernière négociation, où la plus grande partie de ses trésors était compromise, Si Cadix acceptait ses piastres, ses sequins, ses louis faux, et lui envoyait pour cela des lettres sur Venise, Roland était heureux le reste de sa vie ; si la fraude était découverte, un seul jour suffisait à culbuter le frêle édifice de sa fortune.

Hélas ! dit Justine en apprenant ces particularités, la Providence sera juste une fois ; elle ne permettra pas les succès d’un tel monstre, et nous serons toutes vengées… Infortunée ! Après les leçons que t’avait données cette même Providence, sur laquelle tu avais la faiblesse de compter encore, était-ce à toi de raisonner ainsi ?

On laissait à ces malheureuses, vers midi, deux heures de repos, dont elles profitaient pour aller toujours séparément respirer et dîner dans leurs chambres. À deux heures, on les rattachait, et on les faisait travailler jusqu’à la nuit, sans qu’il leur fût jamais permis d’entrer dans le château : si elles étaient nues, c’était afin d’être mieux à même de recevoir les coups que venait leur appliquer Roland, qui trouvait toujours des prétextes, et qui ne manquait jamais de vigueur. On leur donnait l’hiver un gilet, et un pantalon dégarni sur toute la superficie du derrière, de façon que leurs corps n’en étaient pas moins, en toute saison, exposés aux coups du scélérat, dont l’unique plaisir était de les rouer.

Huit jours se passèrent sans que Roland parut. Le neuvième, il vint au travail ; et, prétendant que Suzanne et Justine tournaient la roue avec trop de molesse, il leur distribua cinquante coups de nerf de bœuf à chacune, depuis le milieu des reins jusqu’aux gras de jambes.

Au milieu de la nuit qui suivit ce même jour, le vilain homme entra chez Justine ; il voulut contempler les meurtrissures du beau cul de cette infortunée ; le coquin les baisa ; et bientôt échauffé par ces préliminaires, il lui mit le vit dans le cul ; il lui pinçait la gorge en la sodomisant, et se plaisait à lui dire des horreurs qui faisaient frémir la nature. Quand il eut complètement déchargé, Justine voulut profiter de ce moment de calme pour le supplier d’adoucir son sort. La pauvre créature ignorait que si, dans de telles ames, le moment du délire rend plus actif le penchant qu’elles ont à la cruauté, le calme ne les ramène pas davantage aux douces vertus de l’honnête homme ; c’est un feu plus ou moins embrâsé par les alimens dont on le nourrit, mais qui brûle toujours sous la cendre.

Et de quel droit, lui répondit Roland, prétends-tu que j’allège tes chaînes ? est-ce en raison des fantaisies que je veux bien me passer avec toi ? Mais, vais-je à tes pieds implorer des faveurs de l’accord desquelles tu puisses exiger quelques dédommagemens ? Je ne te demande rien ; je prends, et ne vois pas que, de ce que j’use d’un droit sur toi, il doive en résulter qu’il me faille abstenir d’en exiger un second. Il n’y a point d’amour dans mon fait : l’amour est un sentiment chevaleresque souverainement méprisé par moi, et dont mon cœur ne sent jamais les atteintes. Je me sers d’une femme par nécessité comme d’un pot de chambre : j’employe celui-ci quand le besoin de chier se fait sentir, et l’autre quand le besoin de décharger m’aiguillonne ; mais de ma vie je ne fis plus de cas de l’un que de l’autre. N’accordant jamais à la femme que mon argent et mon autorité soumettent à mes desirs, ni estime ni tendresse, ne devant ce que j’enlève qu’à moi-même, et n’exigeant jamais d’elle que de la soumission, je ne puis être tenu, d’après cela, à lui accorder aucune gratitude. Je demande à ceux qui voudraient m’y contraindre, si un voleur qui arrache la bourse d’un homme dans un bois, parce qu’il se trouve plus fort que lui, doit quelque reconnaissance à cet homme du tort qu’il vient de lui causer ? Il en est de même de l’outrage fait à une femme ; ce peut être un titre pour lui en faire un second, mais jamais une raison suffisante pour lui accorder des dédommagemens. — Oh ! monsieur, dit Justine, à quel point vous portez la scélératesse ! — Au dernier période, dit Roland ; il n’est pas un seul écart au monde où je ne me sois livré ; pas un crime que je n’aye commis, et pas un que mes principes n’excusent ou ne légitiment. J’ai ressenti sans cesse au mal une sorte d’attrait tournant toujours au profit de la volupté. Le crime allume ma luxure ; plus il est affreux, plus il m’irrite ; je bande en le projetant, je décharge en le consommant ; et ses doux souvenirs réveillant mes esprits, ce n’est jamais que dans l’intention d’un nouveau, que le foutre piccote mes couilles. Tiens, vois mon vit, Justine ; j’ai la ferme résolution de t’assassiner, voilà d’où vient qu’il est en l’air ; le sperme en t’égorgeant en jaillira par flots, et de nouvelles horreurs lui rendront bientôt toute son énergie. Il n’est que le crime au monde pour faire bander un libertin ; tout ce qui n’est pas criminel est fade, et ce n’est jamais qu’au sein de l’infamie que la lubricité doit naître. — Ce que vous dites est affreux, répondit Justine ; mais malheureusement j’en ai vu des exemples. — Il en est mille, mon enfant : il ne faut pas s’imaginer que ce soit la beauté d’une femme qui irrite le mieux l’esprit d’un libertin ; c’est bien plutôt l’espèce de crime qu’ont attaché à sa possession les loix civiles ou religieuses : la preuve en est que, plus cette possession est criminelle, et plus nous en sommes irrités. L’homme qui jouit d’une épouse qu’il dérobe à son mari, d’une fille qu’il enlève à ses parens, est bien plus délecté sans doute que le mari qui ne fout que sa femme ; et plus les liens qu’on brise paraissent respectables, plus la volupté s’aggrandit. Si c’est sa mère, son fils, sa sœur, sa fille, dont il jouisse, nouveaux attraits aux plaisirs éprouvés. A-t-on goûté tout cela, on voudrait que les digues s’accrussent encore, pour donner plus de charmes à les franchir. Or, si le crime assaisonne une jouissance, détaché de cette jouissance, il peut donc en donner lui-même ; il y aura donc alors une jouissance certaine dans le crime seul. Car, il est impossible que ce qui prête du sel n’en soit pas très-pourvu soi-même. Ainsi, je le suppose, le rapt d’une fille, pour son propre compte, donnera un plaisir très-vif ; mais le rapt, pour le compte d’un autre, donnera tout le plaisir dont la jouissance de cette fille se trouvait améliorée par le rapt : le vol d’une montre, d’une bourse, etc. en donnera également ; et, si j’ai accoutumé mes sens à se trouver émus au rapt d’une fille, en tant que rapt, ce même plaisir, cette même volupté, se retrouvera au rapt de la montre, à celui de la bourse, etc. Et voilà ce qui explique la fantaisie de tant d’honnêtes gens qui volent sans en avoir besoin. Rien de plus simple de ce moment-là, et que l’on goûte les plus grands plaisirs à tout ce qui sera criminel, et que l’on rende, par tout ce que l’on pourra imaginer, les jouissances simples, aussi criminelles qu’il sera possible de les rendre : on ne fait, en se conduisant ainsi, que prêter à cette jouissance la dose de sel qui lui manquait, et qui devenait indispensable à la perfection du bonheur. Ces systêmes mènent loin, je le sais ; peut-être même te le prouverai-je avant peu, Justine ; mais qu’importe, pourvu qu’on soit délecté. Y avait-il, par exemple, chère fille, quelque chose de plus naturel que de me voir jouir de toi : mais tu t’y opposes ; tu me prouves que j’abuse de mes droits ; que je deviens un monstre d’ingratitude en te violant, voilà la masse du crime augmentée : je n’écoute rien ; je brise tous les nœuds qui captivent les sots ; je t’asservis aux plus sales desirs ; et de la plus simple… de la plus monotone jouissance, j’en fais une vraiment délicieuse. Soumets-toi donc, putain ; soumets-toi ; et, si jamais tu reviens au monde sous le caractère du plus fort, abuses de même de tes droits, et tu connaîtras de tous les plaisirs, le plus délicieux et le plus vif. Roland, à ces mots, passe autour du cou de Justine, une corde qu’il avait apportée, et l’encule, en serrant si prodigieusement cette corde, qu’il la laisse sans connaissance : qu’importe, il avait déchargé ; et le vilain, sans s’inquiéter des suites, ne s’en retira pas avec moins de calme.

Il y avait six mois que notre héroïne était dans cette maison, servant de tems en tems aux indignes débauches de ce scélérat, lorsqu’elle le vit entrer un soir dans sa prison avec Suzanne. Viens, Justine, lui dit ce monstre ; il y a long-tems, ce me semble, que je ne t’ai fait descendre dans ce caveau qui t’a tant effrayée ; suivez-y-moi toutes les deux ; mais ne vous attendez pas à remonter de même : il faut absolument que j’en laisse une ; nous verrons sur laquelle tombera le sort. Justine se lève ; elle jette des yeux alarmés sur sa compagne ; elle la voit en pleurs… Le bourreau marche, il faut le suivre.

Dès qu’elles sont entrées dans le souterrain, Roland les examine toutes deux avec des regards féroces ; il se complaît à leur répéter leur arrêt, et à les convaincre à tout instant, l’une et l’autre, qu’assurément il en restera une des deux. — Allons, dit-il en s’asseyant, et en les faisant tenir droites devant lui, travaillez chacune à votre tour au désenchantement de ce perclus, et malheur à celle qui lui rendra son énergie. — C’est une injustice, dit Suzanne ; celle qui vous fera le mieux bander doit être celle à qui la grace est due. — Point du tout, répondit Roland ; dès qu’il sera prouvé que c’est celle qui m’irrite davantage, il devient constant que c’est elle dont la mort me donnera le plus de plaisir, et je ne vise qu’à la plus grande dose de volupté ; d’ailleurs, en accordant la grace à celle qui va me mettre le plutôt en état, vous y procéderiez l’une et l’autre avec une telle ardeur, que vous me feriez peut-être décharger avant que je n’aie assassiné l’une des deux, et c’est ce que je ne veux pas, — C’est desirer le mal pour le mal seul, monsieur, dit Justine effrayée ; le complément de votre extase doit être la seule chose que vous deviez desirer, et si vous y arrivez sans crime, quelle nécessité y a-t-il d’en commettre ? — Parce que je ne perdrai mon foutre voluptueusement qu’ainsi, et que ce n’est que pour en égorger une que je suis descendu dans ce caveau : je sais parfaitement que je réussirais sans cela ; mais j’ai la méchanceté délicieuse d’exiger cela pour réussir ; et, ayant choisi Justine pour commencer, il se fait à-la-fois branler par elle le vit et le trou du cul, pendant qu’il manie à son aise toutes les parties de ce beau corps.

Il s’en faut encore de beaucoup, Justine, dit Roland en pressant les fesses, que ces belles chairs soient dans l’état de callosité… de mortification où voilà celles de Suzanne : on brûlerait les siennes sans qu’elle le sentît ; mais toi, Justine… mais toi, ce sont encore des roses qu’entrelacent des lis… Nous y viendrons… nous y viendrons.

On n’imagine pas combien cette menace tranquillisa Justine ; Roland ne se doutait pas sans doute, en la faisant, du calme qu’il répandait en elle. N’était-il pas certain, en effet, que puisqu’il projétait de la soumettre à de nouvelles cruautés, il n’avait pas envie de l’immoler encore… Tout frappe dans l’infortune ; Justine se rassura. Autre surcroît de bonheur, elle n’opérait rien, et cette masse énorme, mollement repliée sur elle-même, résistait à toutes les secousses. Suzanne, dans la même attitude, était palpée dans les mêmes endroits ; mais comme les chairs étaient bien autrement endurcies, Roland ménageait beaucoup moins. Suzanne était pourtant plus jeune.

— Je suis persuadé, disait ce libertin, que les fouets les plus effrayans ne parviendraient pas maintenant à tirer une goutte de sang de ce cul là. Il les courbe l’une et l’autre ; et s’offrant, par cette inclination, les quatre routes du plaisir, sa langue frétille dans les deux plus étroites, le vilain crache dans les autres. Il les reprend par devant, les fait mettre à genoux entre ses cuisses, de façon que les deux gorges se trouvassent à hauteur de son vit. — Oh ! pour les tetons, dit Roland en s’adressant à Justine, il faut que tu les cèdes à Suzanne ; jamais cette partie ne fut aussi belle en toi : tiens, vois comme c’est fourni ; et il pressait, en disant cela, le sein de cette pauvre Suzanne, jusqu’à le meurtrir dans ses doigts ; C’était elle qui le branlait alors : à peine ce changement de main s’était-il opéré, que le dard s’élançant du carquois, menaçait déjà tout ce qui l’entourait. Triste Suzanne, s’écria Roland, voici d’effrayans succès ; c’est ta mort… c’est l’arrêt de ta mort, coquine, poursuivait-il en lui pinçant, en lui égratignant le bout des mamelles ; pour celles de Justine, il les suçait et les mordillait seulement. Il place enfin Suzanne à genoux sur le bord du sopha ; il lui fait courber la tête, et l’encule dans cette posture. Tourmentée par de nouvelles douleurs, Suzanne se débat ; et Roland, qui ne veut qu’escarmoucher, content de quelques courses, vient se réfugier au trou du cul de Justine, pendant qu’il ne cesse de palper et de molester l’autre femme. — Voilà une bougresse qui m’excite bien incroyablement, dit-il en lui enfonçant une grosse épingle sur la fraise du teton gauche ; je ne sais ce que je voudrais lui faire, — Oh ! monsieur, dit Justine, ayez pitié d’elle, il est impossible que ses douleurs soient plus vives. — Elles pourraient l’être beaucoup plus, dit le scélérat : ah ! si j’avais ici ce fameux empereur Kié, l’un des plus grands monstres que la Chine ait vu sur son trône, nous ferions bien autre chose, vraiment[2] ; sa femme et lui, chaque jour, immolaient des victimes : tous deux, dit-on, les faisaient vivre dans les plus terribles angoisses, et dans un tel état de douleur, qu’elles étaient toujours prêtes à rendre l’ame, sans pouvoir y réussir, par les soins cruels de ces barbares, qui, les faisant flotter de secours en tourmens, ne les rappelaient cette minute-ci à la lumière que pour leur offrir la mort celle d’après… Moi, je suis trop doux, Justine, poursuivait ce taureau toujours limant, toujours déchirant le sein de Suzanne… oh ! Oui, je suis trop doux… je n’entends rien à tout cela… je ne suis qu’un écolier. Au bout d’une courte carrière, Roland se retire enfin, sans terminer le sacrifice, et cause plus de mal à Justine par cette retraite précipitée, qu’il ne lui en a fait en s’introduisant. Il se jette, tout bandant, dans les bras de Suzanne ; et joignant le sarcasme à l’outrage, aimable créature, lui dit-il, comme je me rappelle avec délices les premiers instans de notre union ! jamais femme ne me donna des plaisirs plus vifs ! jamais je n’en aimai comme toi !… Embrassons-nous, Suzanne, nous allons nous quitter pour bien long-tems, peut-être. — Tigre, répond cette malheureuse en repoussant avec horreur celui qui lui tiens d’aussi cruels discours, éloignes-toi ; ne joins pas aux tourmens que tu m’infliges le désespoir de m’entendre outrager ainsi. Monstre, assouvis ta rage ; mais respecte au moins mes malheurs. Roland, furieux, la saisit ; il la couche sur le canapé, les cuisses très-ouvertes, le vagin baillant, et bien à sa portée. Puis, poursuivant ses indignes sarcasmes : Temple de mes anciens plaisirs, s’écrie cet infâme ; vous qui m’en procurâtes de si délicieux quand je cueillis vos premières roses, il faut bien que je vous fasse aussi mes adieux… L’indigne… il y introduit ses ongles, et farfouillant avec, plusieurs minutes, dans l’intérieur, pendant lesquelles Suzanne jetait les hauts-cris, il ne les retire que couverts de sang. Ne croyant pas avoir fait assez de mal, il y fait pénétrer une grosse aiguille, et la lance jusqu’à la matrice. Le sang ruisselait à bouillons ; il le faisait couler sur son vit, et voulait que Justine vînt baiser ce vit, inondé du sang de sa compagne. Rassasié de ces horreurs, et sentant bien qu’il ne lui était plus possible de se contenir : Allons, dit-il, allons, chère Justine, dénouons tout ceci par une petite scène du jeu de coupe-corde[3] ; tel était le nom de cette funeste plaisanterie dont nous avons parlé plus haut. Notre orpheline monte sur le trépied ; le vilain lui attache la corde au cou, et se met vis-à-vis d’elle ; Suzanne, quoique dans un état affreux, l’excite de ses mains. Au bout d’un instant, il tire le tabouret ; mais, armée de la cerpe, Justine coupe la corde, et tombe à terre, sans nul mal. Bien, bien, dit Roland : à toi, Suzanne ; souviens-toi que je te fais grace, si tu t’en tires avec autant d’adresse.

Suzanne est mise à la place de Justine ; mais on la trompe sur l’arme qui lui est confiée ; c’est une cerpe qui ne coupe point ; Roland se plaît à la contempler un instant dans cet état ; il la touche, la manie par-tout, lui baise le cul avec délices, et va s’asseoir en face ; Justine le branle. Tout-à-coup le tabouret glisse ; mais les mouvemens de Suzanne sont inutiles ; les plus affreuses contorsions démontent les muscles de son visage, sa langue s’alonge ; Roland se lève… il se plaît extraordinairement à considérer ainsi cette fille. Le croirait-on ? il suce avec volupté cette langue que fait alonger la douleur. Oh ! Justine, s’écrie-t-il, quelle volupté ! La voilà pendue, la garce, la voilà morte… Oh ! double-foutu-Dieu, jamais il n’exista pour moi de plus délicieux spectacle… Redescendons-la… appuyons-la sur ce canapé, je veux l’enculer dans cet état ; on dit que c’est la seule façon de prendre les femmes pour les trouver étroites. Il exécute ; Suzanne n’a plus de connaissance, et cependant le monstre en jouit. Rattachons-la, dit-il, elle n’est pas morte ; il faut qu’elle expire ; et c’est toi, Justine, que je veux sodomiser en l’assassinant. Voilà Suzanne suspendue de nouveau ; et le bougre, s’agitant dans le cul de Justine, qu’il avait fait placer bien en face, décharge, en étranglant sa maîtresse. Il ouvre une pierre qui masquait un caveau plus profond encore, y précipite le cadavre, et sort avec Justine. Douce fille, lui dit-il en chemin, tu as vu ce qui vient de se passer ; souviens-toi bien que tu ne rentreras plus dans ce caveau, que ce ne soit ton tour. — Quand vous voudrez, monsieur, répondit Justine ; je préfère la mort à l’affreuse existence que vous me laissez : sont-ce à des malheureux comme nous que la vie peut être encore chère ? Et Roland, sans répondre, la renferme dans son cachot.

Le lendemain, les compagnes de Justine lui demandèrent ce qu’était devenue Suzanne ; elle le leur apprit, et ne les étonna point ; toutes s’attendaient à la même fin, et toutes, à l’exemple de Justine, voyant le terme de leurs maux, desiraient cette mort avec empressement.

Un an se passa de cette manière, pendant lequel deux des filles qu’avait trouvé Justine en arrivant furent traitées comme la malheureuse Suzanne, et remplacées par de nouvelles ; une troisième disparut encore : mais quel fut l’étonnement de Justine, en voyant celle qui allait prendre le rang de cette dernière victime !… c’était madame Delisle, l’hôtesse intéressante chez qui Justine s’était séparé de l’infâme catin qui ne l’avait sortie du repaire des mendians que pour la prostituer dans Lyon. — Oh ! madame, s’écria Justine en la voyant… vous que la nature a créée si douce et si bonne, à quel sort vous voilà réduite ! Est-ce donc ainsi que le ciel récompense la sagesse, l’hospitalité, la bienfaîsance, et toutes les vertus qui font le bonheur des hommes ?

Les charmes de madame Delisle avaient tellement échauffé Roland, qu’il lui avait fait faire son entrée au caveau dès le même soir de son arrivée. On imagine aisément qu’elle n’avait pas été plus ménagée que Justine ; elle en revint dans un état cruel, et ce fut une consolation pour toutes deux de pouvoir au moins pleurer leur malheur ensemble. Oh ! mon aimable dame, répondait Justine aux détails que la Delisle lui faisait des horreurs qu’elle venait d’éprouver, que ne donnerais-je pas pour vous rendre tous les bienfaits que j’ai reçus de vous ! mais, hélas ! malheureuse moi-même, à quoi puis-je vous être bonne ? ah ! si je pouvais briser mes fers, comme je me hâterais de rompre les vôtres ! j’aurais plus de plaisir à vous rendre libre, qu’à le devenir moi-même… Oh, Dieu ! vaine espérance, nous ne sortirons jamais d’ici. L’infâme, répondait Delisle, il ne m’a traité ainsi que parce qu’il me doit. Il y a trois ans qu’il dépense des sommes considérables dans ma maison, sans jamais payer. Dernièrement il m’engage à une promenade ; j’ai la faiblesse d’y consentir : deux de ses gens m’attendaient au coin d’un bois ; ils m’ont garotté… intercepté la respiration, et conduite ici, derrière un mulet, enveloppée dans un manteau. — Et votre famille ? — Je n’ai qu’un enfant en bas âge ; mon mari mourut l’an passé, et je suis orpheline ; le monstre était bien au fait de toutes ces particularités, et voilà d’où vient qu’il a cru pouvoir abuser de ma situation. Que va faire ma malheureuse petite fille ? sans secours… sans protection, livrée à une servante qui m’attend… que tout cela va-t-il devenir ? J’ai supplié ce malhonnête homme de me laisser au moins écrire… il me l’a refusé… je suis une femme perdue… Et des larmes coulaient en abondance des beaux yeux de cette intéressante créature… Et ses jouissances, demandait notre aimable consolatrice, vous ont outragé sans doute comme elles flétrissent toutes celles qui en sont victimes ? À ces mots la pudique créature montrait, pour toute réponse, son joli derrière à Justine… Hélas ! lui disait-elle, ma bonne, vous voyez ce qu’il m’a fait, j’en suis toute escoriée… toute meurtrie… toute déchirée… Oh ! De quels vices la nature a paitrie cette vilaine ame !

Telle était la situation des choses, lorsque l’on publia dans le château que les desirs de Roland étaient satisfaits ; que non-seulement il recevait pour Venise la quantité immense de papier qu’il avait desiré, mais qu’on lui redemandait même encore dix millions de fausses espèces, dont on lui ferait passer les fonds à volonté pour l’Italie. Il était impossible que ce scélérat fît une plus belle fortune ; il partait avec plus de deux millions de rente, sans les espérances qu’il pouvait concevoir. Tel était le nouvel exemple que la Providence préparait à Justine ; telle était la nouvelle manière dont elle voulait encore la convaincre que le bonheur n’était que pour le crime, et l’infortune pour la vertu.

Ce fut alors que Roland vint chercher Justine pour descendre une troisième fois dans le caveau ; la malheureuse frémit en se rappelant les menaces qu’il lui avait faites la dernière fois qu’ils y étaient descendus… Rassures-toi, lui dit-il, tu n’as rien à craindre ; il est question d’une chose qui ne concerne que moi… une volupté singulière, dont je veux jouir et qui ne te fera courir nuls risques. Justine suit… Dês que toutes les portes sont fermées, chère fille, dit Roland, il n’y a que toi dans la maison à qui j’ose me confier pour ce dont il s’agit ; il me fallait une très-honnête femme ; j’ai bien pensé à la Delisle, mais toute sage que je la suppose, je la crois vindicative… et quant à ma sœur, je l’avoue, je te préfère à elle… Pleine de surprise, Justine conjure Roland de s’expliquer. — Écoutes-moi, répond ce roué : ma fortune est faite ; mais quelques faveurs que j’aie reçu du sort, il peut m’abandonner d’un instant à l’autre, je puis être guetté… saisi dans le transport que je vais faire de mes richesses, et si ce malheur m’arrive, ce qui m’attend, Justine, c’est la corde, c’est la même punition dont je compose mes plaisirs avec les femmes, qui deviendra la mienne ; je suis convaincu, autant qu’il est possible de l’être, que cette mort est infiniment douce ; mais comme les femmes à qui j’en ai fait éprouver les premières angoisses, n’ont jamais voulu être vraies avec moi, c’est sur mon propre individu que je desire d’en éprouver la sensation ; je veux savoir, par mon expérience même, s’il n’est pas très-certain que cette compression détermine dans celui qui l’éprouve le nerf érecteur à l’éjaculation : une fois persuadé que cette mort n’est qu’un jeu, je la braverai bien plus courageusement ; car, ce n’est pas la cessation de mon existence qui m’effraie, mes principes sont faits sur cela, et bien persuadé que la matière ne peut jamais redevenir que matière, je ne crains pas plus l’enfer que je n’attends le paradis, mais j’appréhende les tourmens d’une mort cruelle ; ainsi que tous les gens voluptueux, je crains la douleur ; je ne voudrais pas souffrir en mourant. — Oh ! monsieur, dit Justine, vous aimez pourtant bien à tourmenter les autres. Eh vraiment oui, c’est précisément ce qui fait que je ne veux pas l’être moi-même. Essayons donc ; tu me feras tout ce que je t’ai fait ; je vais me mettre nu, je monterai sur le tabouret, tu lieras la corde, je me branlerai le vit un moment, puis, si-tôt que tu me verras bander, tu retireras le tabouret, et je resterai pendu ; tu m’y laisseras jusqu’à ce que tu voies ou des symptômes de douleur, ou mon foutre s’élancer par flots ; dans le premier cas, tu couperas la corde sur-le-champ ; dans l’autre, tu laisseras agir la nature, et tu ne me détacheras qu’après ma décharge. Eh bien, Justine, tu le vois, je vais mettre ma vie dans tes mains ; ta liberté, ta fortune, tel sera le prix de ta bonne conduite. — Oh ! monsieur, répondit Justine, il y a de l’extravagance à cette proposition. — Non, non, je le veux, répondit Roland en quittant ses habits ; mais conduis-toi bien : vois quelle preuve je te donne de ma confiance. — À quoi servait-il à Justine de balancer une minute ? Roland n’était-il pas maître d’elle ? il lui paraissait d’ailleurs que le mal qu’elle allait faire serait aussitôt réparé par l’extrême soin qu’elle prendrait pour lui conserver la vie ; et quelques pussent être les intentions de Roland, celles de Justine étaient toujours pures.

On se dispose. Roland s’échauffe par quelques-uns de ses préliminaires d’habitude ; la conversation tomba sur la Delisle. Cette créature ne te vaut pas, dit Roland ; j’aime assez son cul… il est fort blanc, très-bien coupé, mais il est moins étroit que le tien… elle n’est pas d’ailleurs si intéressante que toi dans les larmes, et je la vexe enfin avec moins de plaisir… elle y passera, Justine, elle y passera, sois-en sûre. — Et voilà donc, monsieur, comme vous payez vos dettes ? — N’est-ce donc pas la meilleure de toutes les façons ? et le meurtre n’est-il pas mille fois plus délicieux quand il emporte avec lui l’idée du vol ? Allons, fais-moi baiser tes fesses, Justine, et sois très-sure que je tuerai Delisle ; et comme Roland bandait à ces mots, il s’élance sur le tabouret ; Justine lui lie les mains, l’attache ; il veut qu’elle l’invective pendant ce tems-là, qu’elle lui reproche toutes les horreurs de sa vie : notre héroïne le fait. Bientôt le vit de Roland menace le ciel ; lui-même fait signe de retirer le tabouret… Le croira-t-on ?… Rien de si vrai que ce qu’avait cru Roland ; ce ne furent que des symptômes de plaisir qui se manifestèrent sur le visage de ce libertin, et presqu’au même instant, des jets rapides de semence s’élancent à la voûte. Quand tout est répandu, sans que Justine ait aidé en quoi

JustineT4p210

que ce puisse être, elle vole le dégager ; il tombe évanoui ; mais à force de soins, elle lui fait bientôt reprendre ses sens. — Oh ! Justine, dit-il en ouvrant les yeux, on ne se figure point ces sensations, elles sont au-dessus de tout ce qu’on peut dire : qu’on fasse maintenant de moi ce qu’on voudra, je brave le glaive de Thémis, Tu vas me trouver bien coupable envers la reconnaissance, Justine, dit Roland en lui liant les mains derrière le dos, mais que veux-tu, ma chère, on ne se corrige point à mon âge ; chère créature, tu viens de me rendre la vie, et je n’ai jamais si fortement conspiré contre la tienne ; tu as plaint le sort de Suzanne, eh bien, je vais te réunir à elle, je vais te plonger vive dans le caveau où repose son corps. Justine a beau pleurer, beau gémir, Roland n’écoute plus rien ; il ouvre le caveau fatal ; il y descend une lampe, afin que la malheureuse puisse discerner encore mieux la multitude de cadavres dont il est rempli ; il lui passe ensuite une corde sous les bras, qui, comme on vient de le dire, étaient liés derrière son dos, et par le moyen de cette corde, il la descend a vingt pieds au fond de ce caveau. On ne se peint point les douleurs de Justine ; il semblait que l’on lui arracha les membres : de quelle crainte ne devait-elle pas être saisie d’ailleurs !… quelle perspective s’offrait à ses yeux ! des monceaux de corps morts, au milieu desquels l’infortunée allait finir ses jours, et dont l’odeur l’infectait déjà. Roland arrête la corde autour d’un bâton fixé en travers du trou, puis, armé d’un couteau, l’œil fixé sur le poids qui pend au bâton, le vilain se branle le vit. Allons, putain, s’écrie-t-il, recommandes ton ame à Dieu, l’instant de mon délire sera celui où je te jetterai dans ce sépulchre, où je te plongerai dans l’éternel abîme qui t’attend… Ahe… ahe… ahe… foutre, ah ! double-foutu-Dieu, je décharge, et Justine se sent inondée d’un déluge de sperme, sans que le monstre eût coupé la corde… il la retire. Eh bien, lui dit-il, as-tu eu bien peur ? — Ah ! monsieur, — C’est ainsi que tu mourras, Justine, sois-en bien assurée, et j’étais bien-aise de t’y accoutumer… On remonte. Grand Dieu ! se dit encore Justine, quelle récompense de tout ce que je viens de faire tout récemment pour lui ! mais ne pouvait-il pas m’en arriver davantage ?… Oh ! quel homme !

Roland enfin prépara son voyage ; il vint voir Justine la veille à minuit. La malheureuse se jette à ses pieds ; elle le conjure avec les plus vives instances de lui rendre sa liberté, et d’y joindre quelque peu d’argent pour pouvoir se conduire à Grenoble, — À Grenoble, assurément non, tu nous dénoncerais. — Eh bien ! monsieur, dit Justine en arrosant de larmes les genoux de ce scélérat, je vous fais serment de n’y jamais aller ; et pour vous en convaincre, daignez me conduire avec vous jusqu’à Venise ; peut-être n’y trouverai-je pas des cœurs aussi durs que dans ma patrie ; et une fois que vous aurez bien voulu m’y rendre, je vous jure de ne vous y jamais importuner.

Je ne t’accorderais pas pour secours un denier, répondit brutalement cet insigne coquin. Tout ce qui tient à la pitié, à la commisération, à la reconnaissance, est si loin de mon cœur, que fussé-je trois fois plus riche encore, on ne me verrait pas donner un écu à un pauvre : le spectacle de l’infortune m’irrite, il m’amuse ; et quand je ne puis faire du mal moi-même, je jouis avec délices de celui que fait la main du sort ; j’ai des principes sur cela dont je ne m’écarterai jamais : Justine, le pauvre est dans l’ordre de la nature ; en créant les hommes de forces inégales, elle nous a convaincu du desir qu’elle avait que cette inégalité se conservât de même dans les changemens que notre civilisation apporterait à ses loix ; soulager l’indigent est anéantir l’ordre établi ; c’est s’opposer à celui de la nature ; c’est renverser l’équilibre qui est la base de ses plus sublimes arrangemens ; c’est travailler à une égalité dangereuse pour la société ; c’est encourager l’indolence et la fainéantise ; c’est apprendre au pauvre à voler l’homme riche, quand il plaira à celui-ci de refuser l’aumône ; et cela par l’habitude où ses secours auront mis le pauvre de les obtenir sans travail. — Oh ! monsieur, que ces principes sont durs ! Parleriez-vous de cette manière, si vous n’aviez pas toujours été riche ? — De même, assurément, Justine, l’aisance ne fait pas les systêmes, elle les consolide ; mais leur germe est dans notre cœur ; et ce cœur, tel qu’il puisse être, n’est jamais l’ouvrage que de la nature. Et la religion, monsieur, s’écria Justine… la bienfaisance et l’humanité ! — Sont les pierres d’achoppement de tout ce qui prétend au bonheur, dit Roland ; si j’ai consolidé le mien, ce n’est que sur les débris de tous ces infâmes préjugés de l’homme ; c’est en se moquant des loix divines et humaines ; c’est en sacrifiant toujours le faible, quand je le trouvais dans mon chemin ; c’est en abusant de la bonne-foi publique ; c’est en ruinant le pauvre et servant le riche, que je suis parvenu au temple escarpé de l’unique Dieu que j’encensais. Que ne m’imitais-tu ? La route étroite de ce temple s’offrait à tes yeux comme aux miens ; les vertus chimériques que tu as préférées, t’ont-elles consolée de tes sacrifices ? Il n’est plus tems, malheureuse, il n’est plus tems ; pleures sur tes fautes ; souffres et tâches de trouver, si tu peux, dans le sein des phantômes que tu révères, ce que le culte que tu leur as rendu, t’a fait perdre. Le cruel Roland, à ces mots, s’élance sur Justine, et la fait encore une fois servir aux indignes voluptés qu’elle abhorrait avec tant de raison. Elle crut cette fois qu’elle serait étranglée. Tout-à-coup il s’arrête sans terminer sa course ; ce procédé fait frémir Justine ; elle y croit lire son malheur. Je suis bien dupe de me gêner, dit ce monstre en se retirant, le vit écumant de luxure ; n’est-il donc pas tems que la garce ait son tour ? Il se lève, sort, et ferme le cachot ; on ne rend point l’inquiétude où il laissa cette infortunée. Mille pressentimens s’emparent d’elle ; à peine a-t-elle la force de discerner celui qui l’agite avec le plus d’empire. Son cachot s’ouvre au bout d’un quart-d’heure, c’est Roland ; il est avec sa sœur : c’est la première fois que cette belle et intéressante créature s’offre aux yeux de Justine. Oui, belle, elle l’était au-dessus de toute expression, intéressante… assurément, puisqu’elle était comme les autres, à cela près d’un peu plus de bien-être, esclave des passions d’un frère qui, malgré l’amour qu’il avait, disait-il, pour elle, la brutalisait pourtant chaque jour, et cela, quoiqu’elle fût enceinte de lui, — Suivez-moi toutes deux, dit Roland d’un air égaré ; on parvient en silence au funeste caveau. Tout est fini pour vous, ose annoncer d’un air ferme et terrible ce redoutable antropophage ; vous ne verrez plus le jour. En prononçant ces funestes paroles, il se saisit de sa sœur ; et s’emparant d’une poignée de verges, il la fouette un quart-d’heure entier sur tout le corps et particulièrement sur le ventre. De combien de mois es-tu grosse, s’écria le barbare en feu ? De six, répond cette aimable et douce créature en se jetant aux pieds de son frère ; si ta rage te porte à sacrifier, à-la-fois dans ma seule existence, ta sœur, ta maîtresse, ton amie, la mère de ton enfant, que ce ne soit au moins qu’après que ce malheureux fruit de ton amour aura vu la lumière. — J’en serais, sacre-Dieu, bien fâché, dit Roland ; la terre a bien assez d’un, monstre tel que moi ; je ne veux point lui en rendre l’image ; tu sais bien d’ailleurs que je n’aime pas la progéniture ; rien ne fut plus mal-à-droit de ta part, comme de te laisser faire un enfant ; tu traçais toi-même ton arrêt de mort avec le foutre dont tu lui donnais la vie. — Oh ! mon cher Roland. — Et, non, non, il faut que tu périsses avec ton fruit ; je veux que dans une heure il ne soit pas plus question de la mère que de l’enfant. Mais, ne t’inquiètes point, poursuit le scélérat, en liant et garrottant sa malheureuse sœur sur un banc de bois, les cuisses très-écartées et les reins relevés par un sac de bourre ; non, ne t’inquiètes point, je veux, en arrachant l’arbre, en planter sur-le-champ un autre ; branles-moi, Justine, pendant que j’opérerai : l’infâme ! Oh ! grand Dieu ! comment rendre de telles exécrations ! Le monstre abominable ouvre avec un scapel le ventre de sa sœur… en arrache lui-même le fruit, le foule aux pieds, et remplace le germe qu’il détruit, par le foutre écumeux que lui fait dégorger Justine. Il laisse cette malheureuse femme ouverte et respirant encore. À ton tour, dit-il à Justine ; mais je veux augmenter l’outrage de quelques procédés plus barbares : le poids de la reconnaissance revient peser sur mon cœur attendri. Il faut que je m’acquitte, il le faut ; et le gueux se rebranlait en disant cela. Je vais te lier aux restes ensanglantés de cette intéressante sœur, et te descendre ainsi dans le caveau des morts ; là, délaissée, sans secours, sans nourriture, au milieu des crapauds, des rats et des couleuvres, tu satisferas toute vive à la faim de ces animaux, en expirant toi-même à petit feu des tourmens de ce cruel besoin ; exécrablement aiguillonnée par lui, tu dévoreras le cadavre auquel je t’attacherai… Oh ! bougresse, il faut bien que cette idée soit délicieuse ; car tu vois l’état où elle me met, quoique je vienne de perdre mon foutre. Viens, Justine, il faut que je t’encule encore une fois avant que de te quitter pour la vie… Ah ! le beau cul, coquine ! quel dommage de livrer si-tôt tant de charmes aux vers ! que je te fouette, mon ange ; que je t’ensanglante à loisir pour mieux décider l’érection ; sa sœur respirait encore ; elle haletait ; c’est sur l’estomac de cette moribonde que Roland place Justine, en telle sorte que les fesses de celle-ci soient perpendiculaires aux deux tetons de l’autre. L’opération commence : le bourreau frappe à-la-fois et la gorge palpitante de sa malheureuse sœur, et les fesses charnues de notre héroïne, qu’il courbe quelquefois, afin que sa tête s’enfonce dans les entrailles que déchire sa rage. Ah ! putain, dit-il à Justine en la flagellant de toutes ses forces, je voudrais te faire rentrer dans le ventre de ma sœur, t’y coudre, t’y enfermer, et t’y faire trouver ton cercueil… Mais, quel oubli ! je ne me le pardonne pas. Eh quoi ! Justine, une de tes amies respire encore dans ces lugubres lieux, et ce n’est point dans ses bras que je t’immole ? — Attends… attends, je vais la chercher. Le monstre sort avec promptitude, et laisse sa triste victime tête-à-tête avec cette femme expirante, et dont les cris déchiraient le cœur. La sensible Justine veut profiter de ce moment pour donner quelques soins à sa compagne d’infortune. Hélas ! il n’est plus tems ; le plus grand service qu’on pût lui rendre, serait de l’achever ; et ce ne sont pas des soins de cette espèce qui s’allient à l’ame de Justine ; tout ce qu’elle fait est donc inutile ; on ne lui laisse d’ailleurs le tems de rien ; Roland reparaît avec Delisle : tiens, Justine, dit-il en la lui présentant : rends graces à mes attentions ; je veux que ton amie meure avec toi.

Mille caresses, suivant l’usage de ce scélérat, précèdent ses atrocités. Le malheureux s’y livre à la fin : c’est avec une férule, armée de pointes de fer, que Roland s’apprête à déchirer les belles fesses de la compatissante hôtellière ; il les met en sang. La fixant sur les deux autres femmes, il l’encule, et les arrange si bien toutes les trois, qu’il passe alternativement du ventre déchiré de l’une dans la bouche de l’autre, et de celle-ci dans le cul de la troisième ; il saisit à la fin la Delisle, il la pend, lui monte sur les épaules, et foule la tête avec les pieds pour mieux lacérer les vertèbres du cou. Oh ! Justine, dit-il en se branlant de toutes ses forces, je te traiterais de même si je ne bandais pas excessivement à l’idée de t’enterrer toute vive… Ce supplice est affreux… mon foutre est prêt à s’élancer sur la seule idée de te voir souffrir ; il se saisit, en disant cela, de cette malheureuse, l’attache fortement aux deux cadavres, et lie la masse entière à une grosse corde. Entr’ouvrant alors le caveau des morts, il y laisse couler une lampe ; puis se prépare à y placer de même les trois corps. Allons, Justine, il est tems, dit-il en continuant de se branler, il est tems de nous séparer pour jamais… oui, pour jamais ; Justine, nous ne nous reverrons plus. Fille aveuglée, poursuivit-il, voilà pourtant le fruit de tes vertus ; regardes s’il n’eût pas mieux valu pour toi de ne jamais me secourir quand tu me rencontras, que de donner à ton bourreau, par ces secours, tous les moyens de te faire expirer de la plus effrayante des morts ; il descend les corps en disant cela ; puis, dès qu’il sent que le poids est à terre, le scélérat décharge au-dessus de leur tête, et d’affreuses invectives accompagnent encore les derniers élans de sa phrénésie. Tout se termine, et la pierre se ferme.

O malheureuse Justine ! ô fille trop infortunée ! te voilà donc vivante au milieu des morts, liée entre deux cadavres, et plus morte toi-même que ceux qui t’environnent !

« Juste Dieu ! s’écrie-t-elle en contemplant l’horreur de sa situation : est-il dans la nature un être aussi à plaindre que moi ? Dieu que j’implore, ne m’abandonnes pas, et donnes-moi la force nécessaire à me préserver du désespoir où mon triste sort me réduit. Rien de ce que tu fais n’est sans but ; je ne t’interroge point sur tes décrets ; ils doivent être, je le sais, incompréhensibles comme toi ; mais, de quel crime suis-je donc coupable pour être traitée comme je la suis ? n’importe, tu le veux, je m’y soumets ; que ta volonté s’accomplisse ; j’étais peut-être un instrument du crime que ta justice veut briser. Je t’abandonne, ô mon Dieu, ce corps épuisé par la douleur, et qu’ont si long-tems desséché les larmes de la misère et du désespoir ; mais laisses revoler vers toi cette ame aussi pure, que quand il te plut de me la donner, et que tes bras consolateurs s’ouvrent au moins pour y recevoir une malheureuse qui n’a jamais vécu que pour toi ».

Justine n’était éclairée que d’une lampe funèbre ; elle profite du moment où brûle ce fatal luminaire pour se débarrasser de ses fers : les corps entre lesquels on l’avait liée ne vivant plus, elle eut moins de peine à se dégager ; elle y réussit à la fin ; son premier mouvement est d’en rendre grâces à l’Être-Suprême ; elle jette ensuite un œil d’horreur sur ce qui l’environne ; il lui est impossible de compter les cadavres dont est couvert le sol impur de ce lieu d’horreur ; elle y croit reconnaître pourtant ceux des femmes qui l’ont précédées ; il paraissait que la dernière qu’on y avait descendue, y était, comme Justine, arrivée pleine de vie, et qu’elle y avait même souffert les horreurs de la faim. Presque droite, appuyée contre le mur, elle tenait encore dans ses doigts un crâne dans lequel, sans doute, la malheureuse a cru trouver la chétive substance exigée par l’impérieuse loi de la nature… Oh ! Dieu ! Dieu ! voilà donc quelle sera ma fin, s’écrie Justine ; voilà les tourmens que je vais ressentir, et les angoisses qui vont terminer ici mes déplorables jours ! Elle avait déjà passé quinze heures dans ce lieu dégoûtant, où le défaut d’air et l’infection, en absorbant en elle toutes les facultés de son existence, l’avaient jusqu’alors empêché d’éprouver aucun besoin. Depuis long-tems la lampe ne brûlait plus : assise entre deux cadavres, l’infortunée attendait en silence, qu’il plût à l’Être-Suprême de la rappeler vers lui ; et ses idées, comme on l’imagine aisément, étaient aussi lugubres que sa position… lorsque tout-à-coup elle entend du bruit… Elle écoute ; ce n’est point une illusion : les portes s’ouvrent… Il n’y a rien, disent confusément des voix d’hommes et de femmes qu’elle distingue à peine… Vous vous trompez, dit-elle en criant de toutes ses forces… une malheureuse victime respire dans ces lieux d’horreur ; daignez prendre pitié d’elle, et délivrez-la le plutôt qu’il vous sera possible ; elle expire… On écoute : Justine pousse de nouveaux cris ; on cherche la pierre qui bouche le caveau ; notre prisonnière l’indique comme elle peut… elle se lève enfin. Au nom du ciel, sauvez-moi d’ici, dit Justine… Quoi !… Justine, dit une voix de femme. — Elle-même, sauvez-la du cruel traitement où notre maître commun l’a condamnée. — Il ne règne plus sur nous, répond la même femme que Justine reconnaît pour une de ses anciennes compagnes ; le ciel nous en a délivré… Viens jouir de la prospérité commune que cet évènement nous donne à tous. Une échelle se descend aussi-tôt, et voilà Justine remontée dans l’affreux boudoir de Roland ; elle s’imagine être déjà dans le monde en revoyant ce caveau dans lequel elle ne descendait jamais sans se croire à mille lieues de l’univers. Sa camarade l’embrasse ; les deux hommes qui l’accompagnent, s’empressent de lui apprendre que Roland est enfin parti ; et que le nouveau chef de cette maison est maintenant Delville, homme doux et sensible, dont les premiers soins ont été de réparer toutes les atrocités de son prédécesseur. C’est par les ordres de cet honnête individu que tout se fouille avec exactitude ; c’est par ses bontés… par son zèle, que tout se calme et se civilise dans ce séjour, où des crimes assez grands se commettent déjà, dit Delville, sans les accompagner d’épisodes inutiles, et qui font frémir la nature.

Justine remonte au château, pleine d’espérance et de joie ; on la soigne… on la restaure… on lui demande ses dernières aventures ; elle les raconte ; et dès le même soir elle est établie, comme ses compagnes, dans de très-bonnes chambres où l’on ne les occupe plus qu’à la taille des pièces de monnaie, métier moins fatigant, sans doute, que celui qu’elles exerçaient auparavant, et dont elle était récompensée, ainsi que les autres, par tout plein d’égards et par une excellente nourriture.

Au bout de deux mois Delville, successeur de Roland, fit part à toute la maison de l’heureuse arrivée de son confrère à Venise : il y était établi ; il y avait réalisé sa fortune, et y jouissait de tout le repos… de tout le bonheur dont un homme pouvait se flatter. Il s’en fallut bien que le sort de celui qui le remplaçait fut le même. Le malheureux Delville était honnête dans sa profession ; n’en était-ce pas plus qu’il n’en fallait pour être promptement écrasé ?

Un jour que tout était tranquille à la maison… que, sous les loix de ce bon maître, le travail, quoique criminel, s’y faisait pourtant avec gaieté… où la malheureuse Justine plus calme s’occupait doucement des moyens de pouvoir quitter ces gens-ci, les portes s’enfoncent tout-à-coup, les fossés s’escaladent, et le château, avant que ceux qui l’habitent aient le tems de songer à leur défense, se trouve rempli de plus de soixante cavaliers de maréchaussée ; il faut bien se rendre ; il ne reste aucun moyen de faire autrement ; on enchaîne tous ces misérables comme des bêtes ; on les attache sur des chevaux, et on les conduit à Grenoble. — Eh bien ! dit Justine en y entrant, c’est donc l’échafaud qui va faire mon sort dans cette ville, où j’avais la folie de croire que le bonheur devait naître pour moi !… O pressentimens de l’homme, à quel point vous êtes trompeurs !

Le procès des faux monnayeurs fut bientôt fait ; tous furent condamnés à être pendus ; lorsque l’on vit la marque dont Justine était flétrie, on s’évita presque la peine de l’interroger ; et elle allait être traitée comme les autres, quand elle essaya d’obtenir enfin quelque peu d’attention du magistrat fameux, honneur de ce tribunal… juge intègre… citoyen chéri… philosophe éclairé, dont la sagesse et la bienfaisance graveront à jamais, au temple de Thémis, le nom célèbre en lettres d’or. Il l’écouta : convaincu de la bonne-foi de cette infortunée, et de la vérité de ses malheurs, il daigna mettre à l’examen de son procès un peu plus d’importance que n’en avaient mis ses collègues à l’affaire des autres coupables.

M. S… devint lui-même l’avocat de Justine ; les plaintes de cette pauvre fille furent écoutées ; les dépositions générales des faux monnayeurs vinrent à l’appui du zèle de celui qui prenait la défense de la vertu dans les fers, et notre intéressante héroïne fut unanimement déclarée séduite, innocente et pleinement déchargée d’accusation avec l’entière liberté de devenir ce qu’elle voudrait. Son protecteur joignit à ce service le produit d’une quête entreprise pour elle, et qui lui rapporta plus de cinquante louis. Enfin, Justine voyait luire à ses yeux l’aurore du bonheur ; elle se croyait au terme de ses maux… le ciel paraissait juste à son égard, quand il plut à la Providence de la convaincre que ses desseins sur elle ne varieraient jamais, et qu’elle était encore bien loin de voir réaliser les chimères que son esprit trompé croyait enfin saisir.

dês: dès

  1. Justine ici raisonne en égoïste ; il est impossible de se le dissimuler ; elle est malheureuse, et par conséquent surprise d’être repoussée ; mais l’homme heureux raisonnant d’après les mêmes principes, ne dira-t-il pas également : pourquoi, moi qui ne souffre point, moi qui peux satisfaire à tout sans avoir besoin de personne, irai-je, ou froidement mériter la reconnaissance des autres, ou m’exposer, par mes bienfaits, à ne trouver que des ingrats ? L’apathie, l’insouciance, le stoïcisme, la solitude de soi-même, voilà le ton où il faut nécessairement monter son ame, si l’on veut être heureux sur la terre.
  2. L’empereur Chinois, Kié, avait une femme aussi cruelle et aussi débauchée que lui : le sang ne leur coûtait rien à répandre ; et, pour leur seul plaisir, ils en versaient journellement des flots. Ils avaient, dans l’intérieur de leur palais, un cabinet secret où les victimes s’immolaient sous leurs yeux, pendant qu’ils foutaient. Théo, l’un des successeurs de ce prince, eut, comme lui, une femme très-cruelle : ils avaient inventé une colonne d’airain, que l’on faisait rougir, et sur laquelle on attachait des infortunés sous leurs yeux. « La princesse, dit l’historien dont nous empruntons ces traits, s’amusait infiniment des contorsions et des cris de ces tristes victimes ; elle n’était pas contente, si son mari ne lui donnait fréquemment ce spectacle. » Hist. des Conj., pag. 43, tom. 7.
  3. Ce jeu, qui a été décrit plus haut, était fort en usage chez les Celtes, dont nous descendons. (Voyez l’Histoire des Celtes, par Peloutier.) Presque tous les écarts de débauches, les passions singulières du libertinage décrites dans l’histoire de Justine, et qui réveillaient si ridiculement jadis l’attention des loix, étaient, pris dans des tems plus reculés encore, ou des jeux de nos ancêtres, ou des coutumes légales, ou des cérémonies religieuses. Dans combien de cérémonies pieuses des Payens, par exemple, ne faisait-on pas usage de la fustigation ? Plusieurs peuples employaient ces mêmes tourmens pour installer leurs guerriers : cela s’appelait huscanavar. (V. les cérémonies religieuses de tous les peuples de la terre.) Ces plaisanteries, dont tout l’inconvénient est, au plus, la mort d’une putain, étaient des crimes capitaux dans le dernier siècle, et dans les quatre-vingt premières années de celui-ci ; mais on s’éclaire, et, grâces à la philosophie, un honnête homme ne sera plus sacrifié pour une racrocheuse. Mettant ces viles créatures à leur véritable place, on commence à sentir qu’uniquement faites pour servir de victimes à nos passions, ce n’est que leur désobéissance qu’il faut punir, et non pas nos caprices.