Justice aux Canadiens-Français !/Chapitre XIV

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XIV


Vous terminez votre étude sur les Canadiens-Français par un court portrait à la plume des deux hommes les plus en vue de la province de Québec : l’honorable Honoré Mercier, et l’honorable chef de la « loyale opposition. »

La désinvolture avec laquelle vous traitiez de « vrai don Quichotte parlementaire » le très respecté chef du parti conservateur de la province de Québec, avait tout d’abord surpris vos lecteurs canadiens.

Ceux-ci ont beaucoup ri en apprenant que l’honorable monsieur Taillon n’assistait pas au dîner que vous décrivez avec une verve si railleuse.

Chacun se demande, aujourd’hui, quel peut bien être le malheureux convive dont la figure vous a rappelé le héros de Cervantès.

Quoi qu’il en soit, laissez-moi réhabiliter à vos yeux le courageux patriote dont vous avez confondu la marquante personnalité avec un personnage créé de toutes pièces, sans doute, dans la fièvre de la composition.

Monsieur Taillon est un des hommes dont s’honore la nationalité canadienne-française. Orateur habile, apôtre éloquent et convaincu d’une cause dont il s’est fait le plus ardent champion dans la province de Québec, il a su, par la remarquable intégrité de sa vie publique, rallier à lui tous les dévouements de son parti, et commander le respect même de ses adversaires politiques.

Eussiez-vous rencontré l’homme, que sa haute stature, ses épaules carrées de solide Canadien, la loyauté de son regard, l’air de fine bonhomie qui se dégage de toute sa physionomie, vous eût frappé au premier abord. Quelques mots échangés avec l’ancien ministre vous auraient, à tout jamais, interdit de le confondre avec les politiciens d’occasion, que l’on rencontre trop souvent dans les pays dotés d’un régime parlementaire.

Après avoir apprécié à sa juste valeur, l’habileté de l’honorable monsieur Mercier, vous ne pouvez vous empêcher de lui lancer un trait.

C’est là une coutume qui vous est familière.

Monsieur Mercier fait honneur, par ses hautes capacités, à la race canadienne-française. Il est permis de ne pas approuver sa politique, mais ce serait faire preuve d’une singulière étroitesse d’esprit que de ne pas lui reconnaître des qualités hors ligne de tribun et d’habile politique.

Le premier ministre de la province ne cache pas ses origines, c’est un enfant du peuple ; il en fait volontiers parade, et en cela, a raison.

À l’exemple de la plupart des Canadiens de marque, il doit à sa puissante volonté et aux dons seuls de son intelligence, d’être parvenu aux postes les plus élevés. En a-t-il de l’orgueil, je tendrais à le croire.

Mais cet orgueil, en somme, ne rejaillit-il pas tout entier sur sa nationalité, dont il affirme, une fois de plus, les multiples aptitudes.

L’abord facile de nos gouvernants, la bonhomie de leur accueil, le joyeux empressement avec lequel ils mettent de côté toute gravité d’emprunt pour fêter un ami de France, vous amuse au lieu de vous toucher.

C’est affaire de tempérament.

Nous autres, Français, n’avons pu nous habituer, depuis vingt ans, à nous passer de la forme extérieure dans l’autorité. Et pourtant, nous nous disons républicains austères, et partisans de l’égalité démocratique.

Un général sans son panache perd chez nous tout droit à l’admiration, un ministre bon enfant ne serait pas pris au sérieux, et monsieur le président de la chambre ne s’assoierait pas à son fauteuil sans être, au préalable, passé entre une double haie de soldats, tambours battants, clairons sonnants.

Quelle conclusion tirer de ces remarques ? Celle-ci, simplement : que chez les peuples américains, les dehors de l’autorité sont en rapport avec l’esprit même de la constitution qui les régit ; les détenteurs du pouvoir, simples délégués de la volonté populaire, n’estiment pas qu’en dehors de l’exercice officiel de leurs charges, ils soient tenus à un vain décorum qui n’ajouterait rien à leur mérite, et serait en contradiction avec les tendances naturelles de la nation.

Une étude approfondie des lois constitutionnelles du Canada et de la façon intelligente dont le peuple en comprend le fonctionnement, ainsi que plus de données sur l’ensemble de notre organisation sociale, vous eussent permis de constater que nous sommes, ici, infiniment plus démocratiques dans nos goûts, nos idées et notre manière de vivre, que vous ne le serez jamais, en France, en dépit de la république une et indivisible.


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