Justice aux Canadiens-Français !/Chapitre XIII

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XIII


Vous êtes, mon cher de Coubertin, un sincère partisan des institutions anglaises.

Je partage votre admiration en autant qu’elle ne se traduit pas au détriment des Canadiens-Français.

Comment n’avez-vous pas consacré un chapitre spécial à l’étude de notre constitution, au lieu d’affirmer que « ce que l’on ignore assez généralement, c’est qu’une province canadienne ressemble absolument à un état de l’union » ?

En observant plus attentivement l’ensemble de nos lois constitutionnelles, vous eussiez, sans aucun doute, constaté que celles-ci répondent mieux aux aspirations du peuple, que ne le pourraient faire les institutions de la république voisine.

« La constitution canadienne, disait Lord Dufferin, est supérieure à celle des États-Unis, en ce qu’elle reflète à un plus haut degré la volonté du peuple. »

Mais pourtant, direz-vous, les Américains ont adopté le suffrage universel, tandis qu’au Canada, vous n’en êtes encore qu’au suffrage restreint.

C’est là, mon cher ami, ne vous en déplaise, une des causes de la supériorité de notre système.

Les destinées du pays ne se trouvent pas, chez nous, à la merci d’une foule ignorante de ses besoins, et indifférente, en somme, à tout ce qui ne flatte pas ses passions du moment. Des lois sages limitent seulement aux classes de citoyens qui concourent au développement de la prospérité publique, le droit de se choisir des représentants, dépositaires de leur volonté.

Tandis que le président, à Washington, ou le gouverneur, dans chaque État de l’Union, est seul responsable de ses actes et nomme ses conseillers, qui ne pénètrent jamais ni dans l’une ni dans l’autre chambre du Congrès ; chez nous, le représentant de la reine, est avisé par des ministres responsables devant la législature, c’est-à-dire devant le peuple.

Laissez-moi vous rappeler également que notre magistrature est inamovible, et que chaque province, grâce aux subsides qu’elle reçoit du gouvernement fédéral, et au produit de la vente des terres publiques dont elle dispose, ne se voit pas dans la nécessité de frapper la propriété foncière des taxes énormes qui pèsent sur le peuple américain.

Les lois qui régissent l’éducation, la répartition des charges publiques, l’organisation de nos forces militaires, nos institutions municipales, sont autant de points sur lesquels notre législation est de beaucoup supérieure à celle de nos voisins.

Vous aviez là, mon cher de Coubertin, un vaste et intéressant champ d’études, que vous eussiez dû explorer pour le plus grand profit de ceux que préoccupe, à juste titre, l’avenir colonial de la France.

On admire volontiers, chez nous, vous le savez, le génie colonisateur de l’Angleterre, mais combien sont-ils, ceux-là qui, non contents d’en apprécier les effets, en recherchent les causes ? — Un très petit nombre, dont on néglige le plus souvent d’écouter les avis.

L’une de ces causes, et la moins discutable, est, assurément, le régime décentralisateur que la Grande-Bretagne applique à ses colonies.

Certains esprits prévenus tournent volontiers en ridicule la libéralité avec laquelle la métropole dote la moindre de ses possessions d’une forme de gouvernement représentatif.

Et pourtant, cette méthode, outre qu’elle s’adapte admirablement au caractère même de la race anglo-saxonne, constitue l’un des secrets de sa prédominance coloniale.

Elle encourage l’initiative privée, en la dégageant des embarras multiples que lui suscite, partout où elle règne en maîtresse, cette maladie si française qui s’appelle : la centralisation ; elle ouvre un champ d’émulation aux jeunes talents impatients de prendre une part active à la direction des affaires ; elle forme, enfin, à côté des « business men, » une pépinière d’hommes publics au courant des besoins et des aspirations de leur pays, mieux que ne sauraient l’être les membres du bureau colonial de Londres.

En France, les partisans du système anglais commencent à se compter, mais à chacun de leurs efforts, on leur fait, dans les sphères officielles, une réponse invariable : « ce qui convient au caractère anglais ne peut convenir à celui des Français ; centralisateurs nous sommes, et centralisateurs nous resterons. »

Sublime entêtement, qui mérite de passer à la postérité, au même titre que celui de notre légendaire Pandore !  !

Quelle étude pourrait mieux prouver l’inanité d’un pareil raisonnement, que celle du développement politique des Français d’Amérique !

Lord Dufferin, qui aimait sincèrement les Canadiens-Français, disait d’eux : « Qu’en droit parlementaire et dans la libre pratique de leurs institutions, ils étaient supérieurs à leurs concitoyens d’origine anglaise. »

Que si, mon cher de Coubertin, ces paroles vous laissaient incrédule, je vous conseillerais de parcourir, entre beaucoup d’autres ouvrages, l’histoire des Canadiens-Français de 1840 à 1867.

Vous y constateriez à quel point notre tempérament national est capable de développer les qualités d’initiative et de persévérance qu’on se plaît, pourtant, à ne pas vouloir lui reconnaître.


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