Justice aux Canadiens-Français !/Chapitre VI

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VI

Vous ne voulez pas toucher à l’enseignement primaire, ce qui, dites-vous, vous entraînerait trop loin.

Vous n’hésitez pas, pourtant, au cours de votre étude, à formuler contre l’ensemble du système les plus sévères critiques.

La vérité est que les lois qui régissent notre enseignement primaire, sont sagement conçues, et que celui-ci passe à bon droit, auprès des hommes compétents, comme un modèle de perfection.

Son application donne les meilleurs résultats, au témoignage même de protestants éclairés, comme vous en trouverez la preuve plus loin.

Le nombre d’écoles élémentaires, dans la province de Québec, était en 1886, de 4594 ; 179,855 élèves fréquentaient ces écoles.

La présence moyenne était de 130,048 ; cette proportion était de soixante-douze pour cent plus élevée que dans la province d’Ontario.

Je ne passerai pas en revue les différentes statistiques à l’aide desquelles il me serait facile d’établir que l’ensemble de notre système d’enseignement primaire peut soutenir une comparaison, toute à son avantage, avec celui de n’importe quel autre pays, je me contenterai de signaler un fait qui prouve, à lui seul, l’importance que les Canadiens attachent à l’instruction de leurs enfants.

Malgré le nombre considérable de paroisses disséminées sur toute l’étendue du territoire, il arrive, en plus d’un endroit, que des groupes d’« habitants » se trouvent trop éloignés des villages pour envoyer leurs enfants à l’école.

Les « commissaires scolaires » pourvoient alors, d’une façon ingénieuse, aux difficultés suscitées par la distance, à la diffusion de l’instruction

Des « maisons d’écoles » sont construites aux carrefours des chemins de « concessions » et la direction en est donnée à des filles de cultivateurs, diplômées pour la plupart.

Que de fois ne m’est-il pas arrivé, au cours de mes longues excursions, de m’arrêter, attentif, au seuil d’une de ces humbles maisonnettes, perdues dans la solitude des bois, et d’écouter curieusement ces voix d’enfants répétant avec ensemble les leçons de leur jeune institutrice, pas laïque du tout, celle-là, je vous en réponds.

Si vous ne touchez pas à l’enseignement primaire, du moins ne vous faites-vous pas faute de parler avec un dédain voulu de nos maisons d’éducation.

Vous en voulez, tout particulièrement, au collège de Montréal.

Les élèves de cette institution sont, pour vous, des « êtres » qui ont l’air de « ratés » habitant une « boîte » !

Voilà bien des gros mots, qui cachent, à tout le moins, un singulier dépit.

Mais, mon cher de Coubertin, vous allez sans doute nous donner une idée de l’instruction que reçoivent ces « ratés, » et nous montrer ce qu’elle peut avoir de défectueux ?

Allons donc !

Vous vous promènerez à travers les dortoirs, vous examinerez la dimension des cuvettes, la largeur de l’espace qui sépare les lits, et vous remplirez ainsi, permettez-moi de vous le dire, les fonctions d’un inspecteur de l’hygiène scolaire.

Je nie, mon cher ami, votre droit, en tant que délégué par le grand maître de notre université, à critiquer la propreté de nos maisons d’éducation canadiennes.

Comme moi, vous avez sans doute subi l’hospitalité forcée d’un de nos grands lycées ? Eh ! bien, vous souvenez-vous de ces fontaines (microscopiques aussi), installées dans nos dortoirs avec une parcimonieuse économie ?

Vous rappelez-vous d’avoir jamais constaté quelque chose qui ressemblât à une salle de bains dans ces grands bazars universitaires ? Non, n’est-ce pas ? Pourquoi alors attaquer cette question toujours délicate de la propreté chez les autres ?

Vous avez lu Maxime du Camp, et vous souvenez, sans doute, de la triste description qu’il donne du Lycée Louis-le-Grand ? cette description ne nous permet pas, à nous autres français, d’être sévères dans nos appréciations à l’étranger.

Je sais que vous allez réformer tout cela, à ce titre, vous mériterez la reconnaissance de la santé publique.

Mais votre œuvre n’en est qu’à ses débuts ; attendez qu’elle soit complète pour vous en prévaloir comme d’un précédent.

En parcourant le Canada, vous avez pu constater la libéralité avec laquelle la nature a doté cette belle contrée de fleuves, de rivières et de lacs ; comment, dès lors, pouvez-vous supposer que les habitants d’un pays aussi bien partagé du côté de l’eau, ignorent les notions élémentaires de la propreté !

Eussiez-vous consacré quelques jours à visiter nos campagnes canadiennes, que le soin méticuleux avec lequel nos « habitants » entretiennent l’intérieur de leurs maisons vous eût frappé.

Rien de plus séduisant à l’œil, d’ailleurs, que ces coquettes habitations, peintes en blanc pour la plupart, disséminées dans la verdure, éparpillées sur les bords de nos cours d’eau, ou accrochées aux flancs de nos collines.

Pénétrez, le samedi, dans l’un de ces foyers paisibles, et admirez l’activité avec laquelle chacun lave, brosse, frotte, à grand renfort d’eau, les planchers, les murs, le plafond, les meubles, et vous devrez vous avouer que les Canadiens-Français sont les ennemis nés du désordre et de la malpropreté.

Les « habitants ! » comment se peut-il que vous les ayez ignorés ? Vous eussiez reconnu en eux les qualités fondamentales dont la possession assure, tôt ou tard, à une race, la prédominance morale et physique.

Vous vous plaignez de ce que l’éducation, telle que vous la comprenez, ne soit pas suffisamment développée dans notre pays, et vous voudriez nous voir adopter pour nos enfants le programme qui tient, dites-vous, à la dernière page de votre livre, dans ces deux mots : Sport et liberté.

La liberté ! nous la possédons à tous les degrés : libertés civiques, liberté de conscience, liberté d’action, liberté de travail ; nous avons les muscles ; nous avons l’intelligence ; notre progrès matériel et moral a frappé d’étonnement les esprits les plus sérieux qui se soient occupés de notre histoire. La seule réforme dont nous ayons vraiment besoin est celle qui aurait pour effet de nous débarrasser des esprits forts, dont le rêve, depuis quelques années, est de miner chez le peuple ses plus chères croyances, sous prétexte de l’initier au véritable progrès moderne, selon eux.