Pierre R. Bisaillon, engr. (p. 153-155).
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XIX


Puisque Pauline Dubois est indispensable au bonheur de sa vie, il n’y a qu’une chose à faire : l’épouser.

Dans l’ordre du sentiment il apporte la même tactique qu’aux affaires : « Droit au but et sans tarder. » Les américains appellent cette catégorie de gens des « go getter ».

Le lendemain il se présente chez la jeune fille.

Sans préambule romantique ou romanesque, il lui confie, sûr de la réponse :

— Pauline je vous aime. Voulez-vous de moi. Fixez une date pour notre mariage.

Cette demande ne constitue qu’une simple formalité. S’il le voulait, il pourrait la prendre, l’emmener avec lui, la garder comme sa chose. La jeune fille l’aime. Il en a eu les preuves, irréfutables.

Mais à quoi obéit-elle ?

Elle le regarde et voit sur toute sa figure un reflet de bonheur où nulle trace d’inquiétude ne se montre.

Est-ce par un besoin de faire souffrir l’être aimé ou par une conception soudaine de l’amour qui se change en cruauté, cruauté qui en est souvent le fond ? Est-ce la tigresse qui dort en toute femme qui se réveille ? L’être primitif a-t-il pris le dessus, celui dont la loi suprême est celle du talion ? Veut-elle simplement par un retour des choses, lui faire souffrir ce qu’elle a souffert elle-même ?

Est-ce sadisme, cruauté, vengeance ?

Elle ne le sait pas elle-même.

Au lieu de la réponse qu’il attendait, la minute de silence émue se brise par un « non » cruel, brutal.

Un cri rauque sort de sa gorge ; les yeux roulent dans l’orbite ; le cœur s’arrête puis reprend à battre lourdement, le sang se retire des joues ; et l’homme comme un taureau qu’on assomme, fléchit sur ses genoux.

Une souffrance l’étreint, aiguë, cuisante, intolérable. Il n’avait jamais pensé qu’on put tant souffrir.

Sans rien répondre, sans même la regarder, aussitôt l’arrêt prononcé, il sort, brusquement.

Elle réalise ce qui vient de se passer. Comment a-t-elle pu refuser ce que toute sa vie elle a désiré.

Mystère insondable, aussi impénétrable que le cœur féminin ! Elle voudrait reprendre ce « non ». Effarée, elle court à lui, pour lui avouer qu’elle n’a fait qu’obéir à des sensations obscures, qu’à défaut de la voix, son cœur crie la réponse véritable.

Comme un tombeau que l’on scelle, la porte s’est refermée.