Jules César (Shakespeare)/Traduction Guizot, 1864/Acte I

Jules César
Traduction par François Guizot.
Œuvres complètes de ShakespeareDidiertome 2 (p. 9-28).
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JULES CÉSAR

TRAGÉDIE



PERSONNAGES :
JULES CÉSAR, LUCILIUS,
TITINIUS,
MESSALA,
Le jeune CATON,
VOLUMNIUS,
amis de Brutus et de Cassius.
OCTAVE CÉSAR,
MARC-ANTOINE,
M. EMILIUS LÉPIDUS,
triumvirs ap. la mort de César.
 
PUBLIUS,
POPILIUS LÉNA,
CICÉRON,
Sénateurs. ARTEMIDORE, sophiste ou rhéteur de Gnide.
 
BRUTUS,
CASSIUS,
CASCA,
TRÉBONIUS,
LIGARUS,
DÉCIUS BRUTUS[1],
MÉTELLUS CIMBER,
CINNA,
conjurés contre Jules César. Un devin.
CINNA, poëte.
Un autre poëte.
VARRON,
CLITUS,
CLAUDIUS, STRATON,
LUCIUS,
DARDANIUS,
serviteurs de Brutus ou Romains attachés à lui.
 
FLAVIUS,
MARULLUS
tribuns du peuple. PINDARUS, esclave de Cassius
CALPHURNIA, femme de César.
PORCIA, femme de Brutus.
Sénateurs, citoyens, gardes et suite.
La scène, pendant la plus grande partie de la pièce, est à Rome, ensuite à Sarde et près de Philippes.

ACTE PREMIER


SCÈNE I

Rome. — Une rue.
Entrent FLAVIUS et MARULLUS, et une multitude de citoyens des basses classes.

flavius. — Hors d’ici, rentrez, fainéans ; rentrez chez vous. Est-ce aujourd’hui fête ? Quoi ! ne savez-vous pas que vous autres artisans vous ne devez circuler dans les rues les jours ouvrables qu’avec les signes de votre profession ? — Parle, quel est ton métier ?

premier citoyen. — Moi, monsieur ? charpentier.

marullus. — Où sont ton tablier de cuir et ta règle ? Que fais-tu ici avec ton habit des jours de fêtes ? — Et vous, s’il vous plaît, quel est votre métier ?

second citoyen. — Pour dire vrai, monsieur, en fait d’ouvrage fin, je ne suis pas autre chose que comme qui dirait un savetier.

marullus. — Mais quel est ton métier ? Réponds-moi tout de suite.

second citoyen. — Un métier, monsieur, que je crois pouvoir faire en sûreté de conscience : je remets en état les âmes[2] qui ne valent rien.

marullus. — Quel est ton métier, maraud, mauvais drôle, ton métier ?

second citoyen. — Monsieur, je vous en prie, que je ne vous fasse pas ainsi sortir de votre caractère[3]. Cependant, si vous en sortiez par quelque bout, monsieur, je pourrais vous remettre en état.

marullus. — Qu’entends-tu par là ? Me remettre en état, insolent ?

second citoyen. — Sans difficulté, monsieur, vous resaveter.

marullus. — Tu es donc savetier ? L’es-tu ?

second citoyen. — Bien vrai, monsieur, je n’ai pour vivre que mon alêne. Je n’entre pas, moi, dans les affaires de commerce, dans les affaires de femmes ; je n’entre qu’avec mon alêne[4]. Au fait, monsieur, je suis un chirurgien de vieux souliers quand ils sont presque perdus, je les recouvre[5] ; et on a vu bien des gens, je dis des meilleurs qui aient jamais marché sur peau de bête, faire leur chemin sur de l’ouvrage de ma façon[6].

flavius. — Mais pourquoi n’es-tu pas dans ta boutique aujourd’hui ? pourquoi mènes-tu tous ces gens-là courir les rues ?

second citoyen. — Vraiment, monsieur, pour user leurs souliers, afin de me procurer plus d’ouvrage. — Mais sérieusement, monsieur, nous nous sommes mis en fête pour voir César, et nous réjouir de son triomphe.

marullus. — Vous réjouir ! et de quoi ? quelles conquêtes vient-il vous rapporter ? Quels nouveaux tributaires le suivent à Rome pour orner, enchaînés, les roues de son char ? Bûches, pierres que vous êtes, vous êtes pires que les choses insensibles ! Ô cœurs durs, cruels enfants de Rome, n’avez-vous point connu Pompée ? Bien des fois, bien souvent, n’êtes-vous pas montés sur les murailles et les créneaux, sur les fenêtres et les tours, jusque sur le haut des cheminées, vos enfants dans vos bras ; et là, patiemment assis, n’attendiez-vous pas tout le long du jour pour voir le grand Pompée traverser les rues de Rome ; et de si loin que vous voyiez paraître son char, le cri universel de vos acclamations ne faisait-il pas trembler le Tibre au plus profond de son lit, de l’écho de vos voix répété sous ses rivages caverneux ? Et aujourd’hui vous prenez vos plus beaux vêtements, et vous choisissez ce jour pour un jour de fête ! et aujourd’hui vous semez de fleurs le passage de l’homme qui vient à vous triomphant du sang de Pompée ![7]. — Allez-vous-en. — Courez à vos maisons, tombez à genoux, priez les dieux de suspendre l’inévitable fléau près d’éclater sur cette ingratitude.

flavius. — Allez, allez, bons compatriotes ; et pour expier votre faute, assemblez tous les pauvres gens de votre sorte, conduisez-les au bord du Tibre et là, pleurez dans son canal tout ce que vous avez de larmes, jusqu’à ce que ses eaux, à l’endroit le plus enfoncé de son cours, caressent le point le plus élevé de son rivage. (Les citoyens sortent.) Voyez si cette matière grossière n’a pas été émue : ils disparaissent la langue enchaînée par le sentiment de leur tort. — Vous, descendez cette rue qui mène au Capitole ; moi, je vais suivre ce chemin. Dépouillez les statues si vous les trouvez parées d’ornements de fête.

marullus. — Le pouvons-nous ? Vous savez que c’est aujourd’hui la fête des Lupercales.

flavius. — N’importe, ne souffrons pas qu’aucune statue porte les trophées de César[8]. Je vais parcourir ces quartiers et chasser le peuple des rues ; faites-en de même partout où vous le trouverez attroupé. Ces plumes naissantes arrachées de l’aile de César ne le laisseront voler qu’à la hauteur ordinaire ; autrement dans son essor, il s’élèverait trop haut pour être vu des hommes, et nous tiendrait tous dans un servile effroi.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Toujours à Rome. — Une place publique.
Entrent en procession et avec la musique CÉSAR, ANTOINE préparé pour la course ; CALPHURNIA, PORCIA, DÉCIUS, CICÉRON, BRUTUS, CASSIUS, CASCA. — Ils sont suivis d’une grande multitude dans laquelle se trouve un devin.

CÉSAR. — Calphurnia !

CASCA. — Holà silence ! César parle[9].

(La musique cesse.)

césar. — Calphurnia !

calphurnia. — Me voici, mon seigneur.

césar. — Ayez soin de vous tenir sur le passage d’Antoine, quand il courra. — Antoine !

antoine. — César, mon seigneur.

césar. — N’oubliez pas en courant, Antoine, de toucher Calphurnia ; car nos anciens disent que les femmes infécondes, en se faisant toucher dans cette sainte course, secouent la malédiction qui les rendait stériles.

antoine. — Je m’en souviendrai. Quand César dit : Faites cela, cela est fait.

césar. — Partez, et n’omettez aucune cérémonie.

(Musique.)

le devin. — César !

césar. — Ha ! qui m’appelle ?

casca, s’adressant à ceux qui l’environnent. — Commandez que tout bruit cesse. Encore une fois, silence !

(La musique s’arrête.)

césar. — Qui est-ce, dans la foule, qui m’appelle ainsi ? J’entends une voix, plus perçante que tous les instruments de musique crier César ! Parle, César se tourne pour entendre.

le devin. — Prends garde aux ides de mars.

césar. — Quel est cet homme ?

brutus. — Un devin qui vous avertit de prendre garde aux ides de mars.

césar. — Amenez-le devant moi, que je voie son visage.

casca. — Mon ami, sors de la foule, regarde César.

césar. — Qu’as-tu à me dire maintenant ? Répète encore.

le devin. — Prends garde aux ides de mars.

césar. — C’est un visionnaire ; laissons-le, passons.

(Les musiciens exécutent un morceau.)
(Tous sortent, excepté Brutus et Cassius.)

cassius. — Irez-vous voir l’ordre de la course ?

brutus. — Moi ? non.

cassius. — Je vous en prie, allez-y.

brutus. — Je ne suis point un homme de divertissements ; je n’ai pas tout à fait la vivacité d’Antoine. Que je ne vous empêche pas, Cassius, de suivre votre intention ; je vais vous laisser.

cassius. — Brutus, je vous observe depuis quelque temps ; je ne reçois plus de vos yeux ces regards de douceur, ces signes d’affection que j’avais coutume d’en recevoir. Vous tenez envers votre ami, qui vous aime, une conduite trop froide et trop peu cordiale.

brutus. — Ne vous y trompez point, Cassius : si mon regard s’est voilé, ce trouble de mon maintien ne porte que sur moi-même. Je suis tourmenté depuis quelque temps de sentiments qui se contrarient, d’idées qui ne concernent que moi, et donnent peut-être quelque bizarrerie à mes manières : mais que mes bons amis, au nombre desquels je vous compte, Cassius, n’en soient donc pas affligés, et ne voient rien de plus dans cette négligence, sinon que ce pauvre Brutus, en guerre avec lui-même, oublie de donner aux autres des témoignages de son amitié[10].

cassius. — Alors je me suis bien trompé, Brutus, sur le sujet de vos peines, et cela m’a fait ensevelir dans mon sein des pensées d’un haut prix, d’honorables méditations. Dites-moi, digne Brutus, pouvez-vous voir votre propre visage ?

brutus. — Non, Cassius ; car l’œil ne peut se voir lui-même, si ce n’est par réflexion, au moyen de quelque autre objet.

cassius. — Cela est vrai, et l’on déplore beaucoup, Brutus, que vous n’ayez pas de miroirs qui puissent réfléchir à vos yeux votre mérite caché pour vous, qui vous fassent voir votre image. J’ai entendu plusieurs des citoyens les plus considérés de Rome (sauf l’immortel César) parler de Brutus ; et, gémissant sous le joug qui opprime notre génération, ils souhaitaient que le noble Brutus fit usage de ses yeux.

brutus. — Dans quels périls prétendez-vous m’entraîner, Cassius, en me pressant de chercher en moi-même ce qui n’y est pas.

cassius. — Brutus, préparez-v.pus à m’écouter ; et puisque vous savez que vous ne pouvez pas vous voir vous-même aussi bien que par la réflexion, moi, votre miroir, je vous découvrirai modestement les parties de vous-même que vous ne connaissez pas encore. Et ne vous méfiez pas de moi, excellent Brutus : si je suis un railleur de profession, si j’ai coutume de faire avec les serments ordinaires, étalage de mon amitié à tous ceux qui viennent me protester de la leur, si vous savez que je courtise les hommes et les étouffe de caresses pour les déchirer ensuite, ou que dans la chaleur des festins je fais des déclarations d’amitié à toute la salle, alors tenez-moi pour dangereux.

(On entend des trompettes et une acclamation.)

brutus. — Qu’annonce cette acclamation ? Je crains que ce peuple n’adopte César pour roi.

cassius. — Oui ? le craignez-vous ? — Je dois donc penser que vous ne voudriez pas qu’il le fût.

brutus. — Je ne le voudrais pas, Cassius ; cependant je l’aime beaucoup. Mais pourquoi me retenez-vous si longtemps ? de quoi désirez-vous me faire part ? Si c’est quelque chose qui tende au bien public, placez devant mes yeux l’honneur d’un côté, la mort de l’autre[11], et je les regarderai tous deux indifféremment car je demande aux dieux de m’être aussi propices, qu’il est vrai que j’aime ce qui s’appelle honneur plus que je ne crains la mort.

cassius. — Je vous connais cette vertu, Brutus, tout aussi bien que je connais le charme de vos manières. Eh bien ! l’honneur est le sujet de ce que j’ai à vous exposer. Je ne puis dire ce que vous et d’autres hommes pensent de cette vie ; mais pour moi, j’aimerais autant ne pas être que de vivre dans la crainte et le respect devant un être semblable à moi. Je suis né libre comme César ; vous aussi ; nous avons tous deux profité de même ; tous deux nous pouvons aussi bien que lui soutenir le froid de l’hiver. — Dans un jour brumeux et orageux où le Tibre agité s’irritait contre ses rivages, César me dit « Oses-tu, Cassius, t’élancer avec moi dans ce courant furieux, et nager jusque là-bas ? » — À ce seul mot, vêtu comme j’étais, je plongeai dans le fleuve, en le sommant de me suivre. En effet, il me suivit le torrent rugissait ; nous le battions de nos muscles nerveux, rejetant ses eaux des deux côtés et coupant le courant d’un cœur animé par la dispute. Mais avant que nous eussions atteint le but marqué, César s’écrie « Secours-moi, Cassius, ou je péris. » Moi, comme Énée notre grand ancêtre emporta sur son épaule le vieux Anchise hors des flammes de Troie, j’emportai hors des vagues du Tibre César épuisé : et cet homme aujourd’hui est devenu un dieu, et Cassius n’est qu’une misérable créature, et il faut que son corps se courbe si César daigne seulement le saluer d’un signe de tête négligent ! — En Espagne, il eut la fièvre, et pendant l’accès je fus frappé de voir comme il tremblait. Rien n’est plus vrai, je vis ce dieu trembler : ses lèvres poltronnes avaient fui leurs couleurs ; et ce même œil, dont le regard seul impose au monde, avait perdu son éclat. Je l’entendis gémir, oui, en vérité ; et cette langue qui commande aux Romains de l’écouter et de déposer ses paroles dans leurs annales[12], criait « Hélas ! Titinius, donne-moi à boire, » comme l’aurait fait une petite fille malade. Dieux que j’atteste, je me sens confondu qu’un homme si faible de tempérament prenne les devants sur ce monde majestueux, et seul remporte la palme.

(Acclamation, fanfare.)

brutus. — Encore une acclamation Sans doute ces applaudissements annoncent de nouveaux honneurs qu’on accumule sur la tête de César.

cassius. — Eh quoi ! mon cher, il foule comme un colosse cet étroit univers, et nous autres petits bonshommes nous circulons entre ses jambes énormes, cherchant de tous côtés où nous pourrons trouver à la fin d’ignominieux tombeaux. Les hommes, à de certains moments, sont maîtres de leur sort ; et si notre condition est basse, la faute, cher Brutus, n’en est pas à nos étoiles ; elle en est à nous-mêmes. Brutus et César… Qu’y a-t-il donc dans ce César ? Pourquoi ferait-on résonner ce nom plus que le vôtre ? Écrivez-les ensemble, le vôtre est tout aussi beau prononcez-les, il remplit tout aussi bien la bouche ; pesez-les, son poids sera le même ; employez-les pour une conjuration, Brutus évoquera aussi facilement un esprit que César. Maintenant dites-moi, au nom de tous les dieux ensemble, de quelle viande se nourrit donc ce César d’aujourd’hui pour être devenu si grand ? Siècle, tu es déshonoré ! Rome, tu as perdu la race des nobles courages ! Quel siècle s’est écoulé depuis le grand déluge, qui ne se soit enorgueilli que d’un seul homme ? A-t-on pu dire, jusqu’à ce jour, en parlant de Rome, que ses vastes murs n’enfermaient qu’un seul homme ? C’est bien toujours Rome, en vérité, et la place n’y manque pas, puisqu’il n’y a qu’un seul homme[13]. Oh ! vous et moi nous avons ouï dire à nos pères qu’il fut jadis un Brutus qui eût aussi aisément souffert dans Rome le trône du démon éternel que celui d’un roi.

brutus. — Que vous m’aimiez, Cassius, je n’en doute point. Ce que vous voudriez que j’entreprisse, je crois le deviner : ce que j’ai pensé sur tout cela, et ce que je pense du temps où nous vivons, je le dirai plus tard. Quant à présent, je désire n’être pas pressé davantage ; je vous le demande au nom de l’amitié. Ce que vous m’avez dit, je l’examinerai. Ce que vous avez à me dire encore, je l’écouterai avec patience, et je trouverai un moment convenable pour vous écouter et répondre sur de si hautes matières. Jusque-là, mon noble ami, méditez sur ceci : Brutus aimerait mieux être un villageois que de se compter pour un enfant de Rome aux dures conditions que ce temps doit probablement nous imposer.

cassius. — Je suis bien aise que le choc de mes faibles paroles ait du moins fait jaillir cette étincelle de l’âme de Brutus. (Rentrent César et son cortége.)

brutus. — Les jeux sont terminés ; César revient.

cassius. — Quand ils passeront près de nous, retenez Casca par la manche et il vous racontera de son ton bourru tout ce qui s’est aujourd’hui passé de remarquable.

brutus. — Oui, je le ferai. Mais regardez, Cassius : la teinte de la colère enflamme le front de César, et tout le reste a l’air d’une troupe de serviteurs réprimandés. Les joues de Calphurnia sont pàles ; Cicéron a ce regard fureteur et flamboyant que nous lui avons vu au Capitole, lorsque dans nos débats il était contredit par quelques sénateurs.

cassius. — Casca nous dira de quoi il s’agit.

césar. — Antoine !

antoine. — César.

césar. — Que j’aie toujours autour de moi des hommes gras et à la face brillante, des gens qui dorment la nuit. Ce Cassius là-bas a un visage hâve et décharné ; il pense trop. De tels hommes sont dangereux.

antoine. — Ne le crains pas, César ; il n’est pas dangereux. C’est un noble Romain et bien intentionné.

césar. — Je voudrais qu’il fût plus gras, mais je ne le crains pas. Cependant si quelque chose en moi pouvait être sujet à la crainte, je ne connaîtrais point d’homme que je voulusse éviter avec plus de soin que ce maigre Cassius. Il lit beaucoup, il est grand observateur et pénètre jusqu’au fond des actions des hommes. Il n’a point comme toi le goût des jeux, Antoine ; on ne le voit point écouter de musique. Rarement il sourit, et il sourit alors de telle sorte qu’il a l’air de se moquer de lui-même, et de dédaigner son propre esprit parce qu’il a pu se laisser émouvoir à sourire de quelque chose. Les hommes de ce caractère n’ont jamais le cœur à l’aise tant qu’ils en voient un autre plus élevé qu’eux ; et voilà ce qui les rend si dangereux. Je te dis ce qui est à craindre plutôt que ce que je crains, car je suis toujours César. Passe à ma droite, j’ai cette oreille dure, et dis-moi franchement ce que tu penses de lui.

(César sort avec son cortége.)
(Casca demeure en arrière.)

casca. — Vous m’avez tiré par mon manteau. Voudriez-vous me parler ?

brutus. — Oui, Casca. Dites-nous, que s’est-il donc passé aujourd’hui, que César ait l’air si triste ?

casca. — Quoi ! vous étiez à sa suite. N’y étiez-vous pas ?

brutus. — Je ne demanderais pas alors à Casca ce qui s’est passé.

casca. — Eh bien ! on lui a offert une couronne ; et quand on la lui a offerte, il l’a repoussée ainsi du revers de la main. Alors tout le peuple a poussé de grands cris.

brutus. — Et la seconde acclamation, quelle en était la cause ?

casca. — Mais c’était encore pour cela.

cassius. — Il y a eu trois acclamations. Pourquoi la dernière ?

casca. — Pourquoi ? pour cela encore.

brutus. — ESt-ce que la couronne lui a été offerte trois fois ?

casca. — Eh ! vraiment oui, et trois fois il l’a repoussée, mais chaque fois plus doucement que la précédente ; et, à chacun de ses refus, mes honnêtes voisins se remettaient à crier.

cassius. — Qui lui offrait la couronne ?

casca. — Qui ? Antoine.

brutus. — Dites-nous de quelle manière l’a-t-il offerte, cher Casca ?

casca. — Que je sois pendu si je puis vous dire la manière. C’était une vraie momerie ; je n’y faisais pas attention. J’ai vu Marc-Antoine lui présenter une couronne : ce n’était pourtant pas non plus tout à fait une couronne ; c’était une espèce de diadème[14] ; et comme je vous l’ai dit, il l’a repoussé une fois. Mais malgré tout cela, j’ai dans l’idée qu’il aurait bien voulu l’avoir. — Alors Antoine la lui offre encore, — et alors il la refuse encore, — mais j’ai toujours dans l’idée qu’il avait bien de la peine à en détacher ses doigts. — Et alors il la lui offre une troisième fois. — La troisième fois encore il la repousse ; et à chacun de ses refus, la populace jetait des cris de joie : ils applaudissaient de leurs mains toutes tailladées ; ils faisaient voler leurs bonnets de nuit trempés de sueur ; et parce que César refusait la couronne, ils exhalaient en telles quantités leurs puantes haleines, que César en a presque été suffoqué. Il s’est évanoui, et il est tombé ; et pour ma part je n’osais pas rire, de crainte, en ouvrant la bouche, de recevoir le mauvais air.

cassius. — Mais un moment, je vous en prie. Quoi ! César s’est évanoui ?

casca. — Il est tombé au milieu de la place du marché ; il avait l’écume à la bouche et ne pouvait parler.

brutus. — Cela n’est point surprenant ; il tombe du haut mal.

cassius. — Non, ce n’est point César ; c’est vous, c’est moi et l’honnête Casca, qui tombons du haut mal.

casca. — Je ne sais ce que vous entendez par là ; mais il est certain que César est tombé. Si cette canaille en haillons ne l’a pas claqué et sifflé, selon que sa conduite leur plaisait ou déplaisait, comme ils ont coutume de faire aux acteurs sur le théâtre, je ne suis pas un honnête homme.

brutus. — Qu’a-t-il dit en revenant à lui ?

casca. — Eh ! vraiment, avant de s’évanouir, quand il a vu ce troupeau de plébéiens se réjouir de ce qu’il refusait la couronne, il vous a ouvert son habit et leur a offert sa poitrine à percer. Pour peu que j’eusse été un de ces ouvriers, si je ne l’avais pas pris au mot, je veux aller en enfer avec les coquins. Et alors il est tombé. Lorsqu’il est revenu à lui, il a dit « que s’il avait fait ou dit quelque chose de déplacé, il priait leurs Excellences de l’attribuer à son infirmité. » Trois ou quatre créatures autour de moi se sont écriées : « Hélas ! la bonne âme ! » Elles lui ont pardonné de tout leur cœur, mais il n’y a pas à y faire grande attention. César eût égorgé leurs mères, qu’ils en auraient dit autant.

brutus. — Et c’est après cela qu’il est revenu si chagrin ?

casca. — Oui.

cassius. — Cicéron a-t-il dit quelque chose ?

casca. — Oui, il a parlé grec.

cassius. — Dans quel sens ?

casca. — Ma foi, si je peux vous le dire, que je ne vous regarde jamais en face[15]. Ceux qui l’ont compris souriaient l’un à l’autre en secouant la tête ; mais pour ma part, je n’y entendais que du grec. Je puis vous dire encore d’autres nouvelles. Flavius et Marullus, pour avoir ôté les ornements qu’on avait mis aux statues de César, sont réduits au silence[16]. Adieu ; il est bien d’autres choses absurdes, si je pouvais m’en souvenir.

cassius. — Voulez-vous souper ce soir avec moi, Casca ?

casca. — Non, je suis engagé.

cassius. — Demain, voulez-vous que nous dînions ensemble ?

casca. — Oui, si je suis vivant, si vous ne changez pas d’avis, et si votre dîner vaut la peine d’être mangé.

cassius. — Il suffit : je vous attendrai.

casca. — Attendez-moi. Adieu tous deux.

(Il sort.)

brutus. — Qu’il s’est abruti en prenant des années ! Lorsque nous le voyions à l’école, c’était un esprit plein de vivacité.

cassius. — Et malgré les formes pesantes qu’il affecte, il est le même encore lorsqu’il s’agit d’exécuter quelque entreprise noble et hardie. Cette rudesse sert d’assaisonnement à son esprit ; elle réveille le goût, et fait digérer ses paroles de meilleur appétit.

brutus. — Il est vrai. Pour le moment je vais vous laisser. Demain, si vous voulez que nous causions ensemble, j’irai vous trouver chez vous ; ou, si vous l’aimez mieux, venez chez moi, je vous y attendrai.

cassius. — Volontiers, j’irai. D’ici là, songez à l’univers. (Brutus sort.) Bien, Brutus, tu es généreux ; et, cependant, je le vois, le noble métal dont tu es formé peut être travaillé dans un sens contraire à celui où le porte s, a disposition naturelle. Il est donc convenable que les nobles esprits se tiennent toujours dans la société de leurs semblables ; car, quel est l’homme si ferme qu’on ne puisse le séduire ? César ne peut me souffrir, mais il aime Brutus. Si j’étais Brutus aujourd’hui, et que Brutus fût Cassius, César n’aurait pas d’empire sur moi. — Je veux cette nuit jeter sur ses fenêtres des billets tracés en caractères différents, comme venant de divers citoyens et exprimant tous la haute opinion que Rome a de lui. J’y glisserai quelques mots obscurs sur l’ambition de César ; et, après cela, que César se tienne ferme, car nous la renverserons, ou nous aurons de plus mauvais jours encore à passer[17].

(Il sort.)

SCÈNE III

Toujours à Rome. — Une rue. — Tonnerre et éclairs.
Entrent des deux côtés opposés CASCA, l’épée à la main, et CICÉRON.

cicéron. — Bonsoir, Casca. Avez-vous reconduit César chez lui ? Pourquoi êtes-vous ainsi hors d’haleine ? Pourquoi ces regards effrayés ?

casca. — N’êtes-vous pas ému quand toute la masse de la terre chancelle comme une machine mal assurée ? Ô Cicéron ! j’ai vu des tempêtes où les vents en courroux fendaient les chênes noueux ; j’ai vu l’ambitieux Océan s’enfler, s’irriter, écumer, et s’élever jusqu’au sein des nues menaçantes : mais jamais avant cette nuit, jamais jusqu’à cette heure, je ne marchai à travers une tempête qui se répandît en pluie de feu : il faut qu’il y ait guerre civile dans le ciel, ou que le monde, trop insolent envers les dieux, les excite à lui envoyer la destruction.

cicéron. — Quoi ! avez-vous donc vu des choses encore plus merveilleuses ?

casca. — Un esclave de la plus basse classe, vous le connaissez de vue, a levé la main gauche en l’air, elle a flambé et brûlé comme vingt torches unies ; et cependant sa main, insensible à la flamme, est restée intacte. Outre cela (et depuis mon épée n’est pas rentrée dans le fourreau), près du Capitole, j’ai rencontré un lion, ses yeux reluisants se sont fixés sur moi, puis il a passé d’un air farouche sans m’inquiéter ; près de là s’étaient attroupées une centaine de femmes semblables à des spectres, tant la peur les avait défigurées : elles jurent qu’elles ont vu des hommes tout flamboyants errer par les rues ; et hier, en plein midi, l’oiseau de la nuit s’est établi criant et gémissant sur la place du marché. Quand tous ces prodiges se rencontrent à la fois, que les hommes ne disent pas : « Ils portent en eux-mêmes leurs causes, ils sont naturels. » Pour moi, je pense que ce sont des présages menaçants pour la contrée dans laquelle ils ont eu lieu.

cicéron. — En effet, ce temps semble disposé à d’étranges événements ; mais les hommes interprètent les choses selon leur sens, très-différent peut-être de celui dans lequel se dirigent les choses-elles-mêmes. César vient-il demain au Capitole ?

casca. — Il y vient, car il a chargé Antoine de vous faire savoir qu’il y serait demain.

cicéron. — Sur cela, je vous souhaite une bonne nuit, Casca : sous ce ciel orageux, il ne fait pas bon se promener dehors.

(Cicéron sort.)
(Entre Cassius.)

casca. — Adieu, Cicéron !

cassius. — Qui va là ?

casca. — Un Romain.

cassius. — C’est la voix de Casca.

casca. — Votre oreille est bonne, Cassius, qu’est-ce que c’est qu’une nuit pareille ?

cassius. — Une nuit agréable aux honnêtes gens.

casca. — Qui a jamais vu les cieux menacer ainsi ?

cassius. — Ceux qui ont vu la terre aussi pleine de crimes. Pour moi, je me suis promené le long des rues, m’exposant à cette nuit périlleuse ; et mes vêtements ouverts comme vous le voyez, Casca, j’ai présenté ma poitrine nue à la pierre du tonnerre[18] ; et lorsque le sillon bleuâtre entr’ouvrait le sein du firmament, je me plaçais dans la direction de son trait flamboyant.

casca. — Mais pourquoi tentiez-vous ainsi les cieux ! C’est aux hommes à craindre et à trembler quand les dieux tout-puissants envoient en témoignages d’eux-mêmes ces hérauts formidables pour nous épouvanter ainsi.

cassius. — Vous ne savez pas comprendre, Casca ; et ces étincelles de vie que devrait renfermer en lui-même un Romain vous manquent, ou vous demeurent inutiles. Vous pâlissez, vous paraissez interdit et saisi de crainte ; vous vous abandonnez à l’étonnement en voyant cette étrange impatience des cieux : mais si vous vouliez remonter à la vraie cause et chercher pourquoi tous ces feux, tous ces spectres glissant dans l’ombre ; pourquoi ces oiseaux, ces animaux qui s’écartent des lois de leur espèce pourquoi ces vieillards imbéciles, ces enfants qui prophétisent ; pourquoi, de leur règle ordinaire, de leur nature propre, de leur manière d’être préordonnée, toutes ces choses passent ainsi à une existence montstrueuse ; alors vous arriveriez à concevoir que le ciel ne leur infuse cet esprit qui les agite que pour en faire des instruments de crainte et nous avertir d’une situation monstrueuse. Maintenant, Casca, je pourrais te nommer un homme semblable à cette effrayante nuit, un homme qui tonne, foudroie, ouvre les tombeaux et rugit comme le lion dans le Capitole, un homme qui de sa force personnelle n’est pas plus puissant que toi ou moi, et qui cependant est devenu prodigieux et terrible comme ces étranges bouleversements.

casca. — C’est de César que vous parlez : n’est-ce pas de lui, Cassius ?

cassius. — Qui que ce soit, qu’importe ? les Romains d’aujourd’hui sont, pour la taille et la force, pareils à leurs ancétres ; mais malheur sur notre temps ! les âmes de nos pères sont mortes, et nous ne sommes plus gouvernés que par l’esprit de nos mères ; notre joug et notre patience à le souffrir ne font plus voir en nous que des efféminés.

casca. — En effet, on prétend que les sénateurs se proposent d’établir demain César pour roi, et qu’il portera sa couronne sur mer, sur terre, partout, excepté ici, en Italie[19].

cassius. — Moi, je sais alors où je porterai ce poignard. Cassius affranchira Cassius de l’esclavage. C’est par là, grands dieux, que vous donnez de la force aux faibles ; c’est par là, grands dieux, que vous déjouez les tyrans. Ni la tour de pierre, ni les murailles de bronze travaillé, ni le cachot privé d’air, ni les liens de fer massif, ne peuvent enchaîner la force de l’âme ; mais la vie fatiguée de ces entraves terrestres ne manque jamais du pouvoir de s’en affranchir. Si je sais cela, que le monde entier le sache : cette part de tyrannie que je porte, je puis à mon gré la rejeter loin de moi.

casca. — Je le puis de même, et tout captif porte dans sa main le pouvoir d’anéantir sa servitude.

cassius. — Alors, pourquoi donc César serait-il un tyran ? Pauvre homme ! Je sais bien, moi, qu’il ne serait pas un loup s’il ne voyait que les Romains sont des brebis ; il ne serait pas un lion si les Romains n’étaient pas des biches. Qui veut élever en un instant une flemme puissante commence par l’allumer avec de faibles brins de paille. Quel amas d’ordures, de débris, de pourriture, doit être Rome pour fournir le vil aliment de la lumière qui se réfléchit sur un aussi vil objet que César ! Mais, ô douleur ! où m’as-tu conduit ? Peut-être parlé-je ici à un esclave volontaire, et alors je sais que j’aurai à en répondre ; mais je suis armé, et les dangers me sont indifférents.

casca. — Vous parlez à Casca, à un homme qui n’est point un impudent faiseur de rapports. Voilà ma main, travaillez à redresser tous ces abus : Casca posera son pied aussi avant que celui qui ira le plus loin.

cassius. — C’est un traité conclu. Apprenez maintenant, Casca, que j’ai disposé un certain nombre des plus généreux Romains à entrer avec moi dans une entreprise honorable et dangereuse par son importance : dans ce moment, je le sais, ils m’attendent sous le portique de Pompée, car, dans cette effroyable nuit, il n’y a pas moyen de se tenir dehors ni de se promener dans les rues ; et la face des éléments, comme l’œuvre qui repose dans nos mains, est sanglante, enflammée et terrible.

(Entre Cinna.)

casca. — Mettons-nous un moment à l’écart ; quelqu’un s’avance à grands pas.

cassius. — C’est Cinna, je le reconnais à sa démarche : c’est un ami. — Cinna, où courez-vous ainsi ?

cinna. — Vous chercher. — Qui est-là ? Métellus Cimber ?

cassius. — Non, c’est Casca, un Romain qui fait corps avec nous pour nos entreprises. Ne suis-je pas attendu, Cinna ?

cinna. — J’en suis bien aise. Quelle terrible nuit que celle-ci ! Quelques-uns d’entre nous ont vu d’étranges phénomènes.

cassius. — Ne suis-je pas attendu ? dites-le moi.

cinna. — Oui, vous l’êtes. Ô Cassius ! si vous pouviez gagner à notre parti le noble Brutus !

cassius. — Vous serez content. Cher Cinna, prenez ce papier, ayez soin de le placer dans la chaire du préteur, de façon que Brutus puisse l’y trouver. Jetez celui-ci sur sa fenêtre ; fixez ce dernier avec de la cire sur la statue de Brutus l’ancien. Cela fait, revenez au portique de Pompée, où vous nous trouverez. Décius Brutus et Trébonius y sont-ils ?

cinna. — Tous y sont, excepté Métellus Cimber qui est allé vous chercher à votre demeure. Moi, je vais me hâter et distribuer ces papiers comme vous me l’avez prescrit.

cassius. — Après cela revenez au théâtre de Pompée. (Cinna sort.) Venez, Casca ; vous et moi nous irons avant le jour voir Brutus à son logis : il est aux trois quarts à nous, et à la première rencontre l’homme tout entier nous appartiendra.

casca. — Oh ! Brutus est placé bien haut dans le cœur du peuple ; et ce qui paraîtrait en nous un attentat, l’autorité de son nom, comme la plus puissante alchimie, le transformera en mérite et en vertu.

cassius. — Vous vous êtes formé une juste idée de lui, de son prix, et de l’extrême besoin que nous avons de lui. — Marchons, car il est plus de minuit, et avant le jour nous irons l’éveiller et nous assurer de lui.

(Ils sortent.)
FIN DU PREMIER ACTE.
  1. Ce conjuré s’appelait non pas Décius, mais Décimus Brutus, surnommé Albinus. C’est de lui que Plutarque dit, dans la Vie de Drutus, qu’on s’ouvrit à lui de la conjuration, « non qu’il fût autrement homme à la main, ou vaillant de sa personne, mais parce qu’il pouvoit beaucoup à cause d’un grand nombre de serfs escrimans à oultrance qu’il nourrissoit pour donner au peuple le passe-temps de les voir combattre ; joint aussi qu’il avoit crédit alentour de César. » Il dit ailleurs que César avait tant de confiance en ce Décimus Brutus qu’il l’avait nommé son second héritier. Ce fut lui qui, le jour de sa mort, alla le chercher et le décida à se rendre au sénat, malgré Calphurnia et les augures.
  2. Soals, semelles ; dans l’ancienne édition, souls, âmes. Ces deux mots se prononcent de même, et c’est là-dessus que roule la plaisanterie du savetier ; la correction faite dans les éditions subséquentes ne me paraît pas heureuse, car si le cordonnier disait que son métier est de raccommoder les mauvaises semelles ; bad soals, il serait étrange que Marullus ne le comprît pas sur-le-champ. Le mot souls m’aurait donc paru plus convenable à laisser dans le texte. Quant à la traduction il s’est trouvé par un bonheur qui n’est pas commun lorsqu’il s’agit de rendre un calembour, que, dans l’argot du cordonnier, une partie de la botte s’appelle âme ; ce qui a donné le moyen de rendre ce jeu de mots avec une fidélité qu’il n’est pas possible de promettre toujours.
  3. Be not out with me, yet if you be out. — To be out signifie également être de mauvaise humeur et avoir un vêtement déchiré.
  4. I meddle with no tradesman’s matters, nor women’s matters, but with awl, with all ou withal, jeu de mots qu’on n’a pu rendre, mais qu’on a tâché de suppléer, parce qu’il est dans le caractère du personnage.
  5. When they are in great danger I recover them. Recover, recouvrir, recover, guérir, sauver, recouvrer.
  6. Cette dernière phrase est omise dans la traduction qu’a faite Voltaire des trois premiers actes de Jules César. Voltaire ayant donné cette traduction comme exacte, on relèvera quelques-unes de ses nombreuses inexactitudes.
  7. Après la victoire remportée en Espagne sur les enfants de Pompée. C’était la première fois que Rome voyait triompher d’une victoire remportée sur des Romains, et ce fut ce qui commença à indisposer fortement contre César. Shakspeare place ce triomphe le jour de cette fête des Lupercales, où Antoine offrit la couronne à César, ce qui n’eut lieu que plus d’un an après. Il fait de même des Lupercales la veille des ides de mars, quoique les Lupercales se célébrassent vers le milieu de février et que les ides fussent le 15 mars. Voltaire n’a pas bien compris ce passage, et a cru que César triomphait de la bataille de Pharsale.

    Quoi vous couvrez de fleurs le chemin d’un coupable,
    Du vainqueur de Pompée encor teint de son sang !

  8. Ce ne fut point à ce moment, mais après que la couronne eût été offerte à César, que Flavius et Marullus dépouillèrent ses statues non pas d’ornements triomphaux, mais des diadèmes dont quelques-unes avaient été couronnées.
  9. Voltaire, paix, messieurs ; le mot messieurs, qu’il attribue ici à César, n’a aucun équivalent dans l’original. Voltaire traduit aussi constamment le my lord par mylord, qui n’en est point la traduction. Mylord n’est qu’une application particulière que les Anglais font du mot de lord à la dignité de pair, et qui n’affecte en rien la signification générale de ce mot, consacré en anglais à exprimer toutes les sortes de dominations et de dignités, en sorte qu’à moins qu’il ne s’applique à des pairs d’Angleterre, il doit être traduit, comme tous les autres mots de la langue ; par un équivalent français.
  10. Traduction de Voltaire :

    Vous vous êtes trompé ; quelques ennuis secrets,
    Des chagrins peu connus, ont changé mon visage ;
    Ils me regardent seul et non pas mes amis.
    Mon, n’imaginez point que Brutus vous néglige ;
    Plaignez plutôt Brutus en guerre avec lui même :
    J’ai l’air indifférent, mais mon cœur ne l’est pas.</poem>

  11. Set honour in one eye, and death i’the other.

    Voltaire a traduit :

    La gloire dans un œil, et le trépas dans l’autre.

    Eye veut dire ici point de vue ; il est continuellement employé en anglais dans ce sens.

  12. Voltaire s’est ici tout à fait mépris sur le sens ; il traduit ainsi :

    Et cette même voix qui commande à la terre,
    Cette terrible voix (remarque bien, Brutus,
    Remarque, et que ces mots soient écrits dans tes livres)

  13. Now it is Rome indeed, and room enough
    When there is in it but one only man.

    Room, place, lieu, endroit, se prononce à peu près comme Rome. C’est tout au plus si on a pu dans la traduction donner un sens à cette phrase, qui, dans l’original, n’en a absolument que par le calembour.

  14. L’original dit coronet, ce qui signifie, non pas, comme l’a dit Voltaire, les coronets des pairs d’Angleterre, mais quelque chose qui paraît à Casca un peu différent d’une couronne.
  15. Traduction de Voltaire :

    « Ma foi, je ne sais, je ne pourrai plus guère vous regarder en face. » C’est un contre-sens.

  16. Ce fut plus tard, et pour avoir, comme on l’a déjà dit, arraché les diadèmes placés sur quelques-unes des statues de César. Ils avaient aussi reconnu et fait arrêter quelques-uns des hommes. qui, apostés par Antoine, avaient applaudi lorsqu’il avait présenté la couronne à César.
  17. Traduction de Voltaire :

    Son joug est trop affreux, songeons à le détruire,
    Ou songeons à quitter le jour que je respire.

  18. Thunder-stone. Shakspeare parie encore ailleurs de cette pierre du tonnerre.
  19. Traduction de Voltaire :

    Oui, si l’on m’a dit vrai, demain les sénateurs
    Accordent à César ce titre affreux de roi ;
    Et sur terre, et sur mer, il doit porter le sceptre,
    En tous lieux, hors de Rome, où déjà César règne.