Juillet, chansons et poèmes
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 59 (p. 500-501).
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LA SOURCE.


Sur le cresson noir, sur les cailloux blancs,
Et sans une ride et sans un murmure,
Dans son berceau vert aux rideaux tremblans,
Dort la source froide, immobile et pure.

La broussaille horrible et la roche en pleurs
Couvrent son secret d’une ombre éternelle,
Et, fixe, elle est là comme une prunelle,
Entre les longs cils des iris en fleurs.

Elle est là, bien loin des lieux où nous sommes,
Et loin du soleil qui n’y boit jamais,
Sous la forêt sombre et sur les sommets,
Trop bas pour le ciel, trop haut pour les hommes.

Les oiseaux de l’ombre, aussi ceux de l’air,
Les rossignols blonds et les hirondelles,
Ceux-là seuls à qui Dieu donna des ailes,
Le voient assoupi, le flot chaste et clair.

À travers la branche où sifflent les merles,
Sur son front poli passent tour à tour
L’ombre et le rayon, la nuit et le jour,
L’un la criblant d’or, et l’autre de perles.


De ces drames bleus le mouvant dessin,
Sans plus l’entamer, joue à sa surface ;
Elle, vierge et nue, a le calme au sein,
L’ombre à ses côtés et le ciel en face.

Luis au fond du bois triste et murmurant,
Coupe d’émeraude où l’oiseau s’abreuve ;
Dors, cristal muet qui seras torrent ;
Reste, goutte d’eau qui deviendras fleuve !

Dans tes rochers hauts comme le mépris,
Dans tes bois touffus comme la pensée,
O source farouche, à ces deux abris
Reste obstinément — limpide et glacée.

La mousse t’enchâsse, ô diamant noir, »
Ce qui vient d’en haut en toi se reflète,
Silence fluide et divin miroir,
Larme de l’azur, — âme de poète !


EDOUARD PAILLERON.