Juillet, chansons et poèmes
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 59 (p. 498-500).
◄  04
06  ►
LES ROSES.

Elle dort, c’est trop tôt, l’aube à peine se lève.
Je m’étais trop hâté, demeurons un moment ;
Allons auprès du lit nous asseoir doucement :
Même par un baiser ne troublons pas un rêve.

Mon bouquet parfumé ne vaut pas son sommeil.
Qui sait ce qu’elle voit sous ses paupières closes ?
Attendons tous les deux, aurore au doigt vermeil,
Attendons tous les deux, les mains pleines de roses.

Ah ! paresseuse, à peine on l’entend respirer ;
Sous ces voiles confus, à peine on la devine ;
À voir le fin tissu que sa peau vient moirer,
On dirait des lilas sous de la neige fine.

Ses yeux n’ont pas senti le sommeil se poser,
Sa bouche garde encor son doux pli de la veille,
Et la voilà si belle ainsi que le baiser,
Près de sa joue en fleurs, rôde comme une abeille.

Et pendant qu’aux hasards de son repos charmant
Elle offre ses bras nus et son épaule grasse,

On sent qu’à ses côtés veillent incessamment
Ces anges de l’amour : la Pudeur et la Grâce.

Dors ! je suis là qui veille et te parle tout bas.
Celui que vous aimez, madame, vous admire.
Je puis vous admirer, vous ne me voyez pas,
Vous ne m’entendez pas, je puis bien vous le dire.

Ainsi qu’on voit courir les gaîtés de l’azur
Sur les frissons du lac où sa splendeur se mire,
On voit ses songes d’or éclairer son front pur…
N’est-ce pas que j’en suis, chère, de ce sourire ?

Repose heureuse, enfant, sous mes regards heureux.
Tout ce bonheur rêvé, je veux qu’il soit le nôtre,
Et que tes jours soient doux comme tes nuits ; je veux
Qu’il te semble au réveil passer d’un songe à l’autre !

C’est que j’ai mis sur toi ce que j’ai de plus cher,
Ce qu’épargne le temps et nous laisse l’envie,
Le sang de notre sang, la chair de notre chair,
Tout ce qu’ayant vécu j’ai sauvé de la vie,

Tout ce que l’on dérobe à ce monde moqueur,
Mes plus saintes ardeurs et ma foi la plus vive,
Et mes larmes aussi, — cet écrin de mon cœur, —
Tout ce qui fait qu’on aime et ce qui vaut qu’on vive,

Tout ! je t’ai tout donné, d’un seul coup, en un jour.
Ce tout, — tant et si peu, ― si puissant et si frêle,
Est dans tes frêles mains, ô mon unique amour !…
N’allez pas le casser au moins, mademoiselle !

Ah ! faisons-nous petits ! soyons heureux bien bas,
(Hélas ! tant de bonheur tient dans si peu d’espace !)
Si bas que le malheur ne nous entende pas,
Et dise en nous voyant : « Je ne vois rien, » et passe.

Car les amours cachés sont les amours bénis.
L’avare pour son or cherche un endroit bien sombre,
L’herbe cache ses fleurs et les oiseaux leurs nids,
Et nous, qui nous aimons, soyons heureux dans l’ombre,

Mais si nos soins sont vains, mais si malgré cela
(Le malheur attentif a des retours tenaces)

Il veut frapper un jour… Eh bien ! je serai là,
La poitrine à ses coups et l’œil à ses menaces.

Là, devant toi, toujours, éclairant le chemin,
De tes pieds délicats écartant jusqu’au doute.
Aujourd’hui sans souffrir engendrera demain,
Et, calme, grâce, à moi, tu poursuivras la route.

Calme et joyeuse aussi, de sommets en sommets,
Ainsi tu marcheras jusqu’au bout de la voie,
Ayant souri toujours, sans avoir su jamais
De combien de douleurs je te faisais ta joie.

Mais va ! mon âme est riche : avant qu’ils soient pillés,
Ses trésors lasseraient tous les destins moroses,
Et pourvu que tes yeux… Ah ! vous vous éveillez,
Dormeuse ! — Mon amour, je t’apportais des roses.