Joyeusetés galantes et autres/XXXIV. — La Nuit de Mai

Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 113-119).

XXXIV

LA NUIT DE MAI

LA MUSE

Poète ! viens à moi. Sous mes voiles sacrés,
Les spasmes dévolus aux femmes hystériques
Dressent les roses bouts de mes tétons nacrés !
C’est l’instant de donner l’essor aux chants lyriques.
Fifre ou guitare, prends ton luth, et viens ! mes bras
Et mes cuisses d’argent, où souvent tu sombras,

S’ouvrent pour t’absorber. Ô poète, je t’aime !
Je veux passer la main dans les rares cheveux
Qui restent sur ton front pur, que Siraudin même
Ne désavouerait pas. Ô mon amant ! je veux
Une nuit, folle, ardente, et qui rende jalouse
L’ombre de Cléopatre, ou Madame Collet !
Morpions d’or semés dans la verte pelouse,
Vois-tu les vers luisants ? Plus blanche que du lait,
Ma gorge aux blancs rayons de la lune étincelle,
Et mes yeux sont brillants, et tu sais que j’excelle
En ces combats divins d’où le poète sort
Superbe, radieux et vainqueur de la mort !

LE POÈTE

Ô Muse ! idéale amoureuse,
Va-t’en ! Je ne donne plus dans
Ces ponts vieillis et ces godans !
Ô Muse ! assez de viande creuse
Est venue agacer mes dents !

Assez de gorges symboliques !
Je ne veux plus m’égarer sur
Un con fait de vague et d’azur !

Des filles, même aussi publiques
Que tu le voudras, c’est plus sûr !

Et puis, aussi bien ! je m’ennuie :
La grue, aux yeux couleur de jais,
Dans laquelle je me plongeais,
Depuis ce matin est enfuie,
Et m’a laissé d’autres sujets

De tracas et de rêverie
Que le soin d’arranger des vers.
Je me sens la tête à l’envers,
Muse, et ma cervelle charrie
Un tas d’embêtements divers !

LA MUSE

Oublie auprès de moi cette grue infidèle !
Viens ! nous remonterons aux cieux, d’un grand coup d’aile !
Méprise cette fille indigne de l’amour
D’un cœur que j’ai choisi pour y verser ma flamme ;
Tourne tes yeux ardents vers la clarté du jour ;
Les astres et les bois, les prés, tout nous réclame !
Et si, cœur affolé de tendresse, tu veux
Murmurer à quelqu’un les suaves aveux

Qui volent, plus légers et doux qu’une caresse
De la brise, aux beaux jours du printemps, fais-les-moi !
Car je dois être et suis ton unique maîtresse.
Arrière cette fille ! et chasse loin de toi
Le dernier souvenir qui te peut rester d’elle.
Qu’elle s’appelle Agathe, Arsène ou bien Adèle,
Puisqu’elle est à présent disparue à jamais,
Il faut ne plus savoir comment tu la nommais !

LE POÈTE

Son nom, je m’en fous ! Ce que je regrette,
C’est les coups tirés avec elle, c’est
Ma pine dressée ainsi qu’une aigrette,
Lorsque devant moi, blanche, elle passait ;

Ce sont les baisers bandants de sa bouche,
Sa langue furtive et prompte, accrochant
La mienne au passage, et, d’un bond farouche,
Érectant mon cœur qu’elle allait cherchant ;

Ce sont ses grands yeux noyés, fous d’ivresse,
Si noirs sous les cils, et dont le regard,
Parcourant mon corps comme une caresse,
Faisait délirer mon chibre hagard !

Des femmes, parfois, telles qu’une plaine,
Montrent leur poitrine où de froids boutons
Poussent désolés : j’avais la main pleine
Quand je patinais ses fermes tétons.

Elle ne savait guère l’orthographe,
Et lisait les vers comme un pur cochon ;
Mais quand j’enlevais sa dernière agrafe,
On eût de ses poils pu faire un manchon !

Mais grue au possible, elle avait, ô Muse !
Pour mon faible cœur, point essentiel !
Elle avait ce que chacun te refuse :
Un cul sérieux, solide et réel !

LA MUSE

Laisse-là ces amours d’un jour. Pour le poète
Il n’est qu’une amoureuse aimée et toujours prête :
C’est la Muse ! Le reste est vain ; reviens à moi.
Viens ! Pégase effaré se cabre, blanc d’effroi,
Et nous emportera vers la cime où Laprade
Cause avec le nuage ailé, son camarade.
Dans mes chastes baisers tu te retremperas.

LE POÈTE

Chastes sont, en effet, tes baisers ; mais tes bras,
Ô Muse ! rentrent trop dans cet ordre de choses
Qui sont pour les mortels autant de lettres closes.
Si je bande, je veux déesse, que ce soit
Pour un être qu’on puisse avoir au bout du doigt.

Ces masturbations d’une espèce nouvelle,
Muse, ne me vont plus.
Je jouis par la queue et non par la cervelle,
Comme aux jours révolus.

Ton con, je sais, hélas ! comment on le fabrique :
C’est avec les cinq doigts,
Et j’ai pris pour ton corps un traversin lubrique.
La nuit, plus d’une fois.

Aime à plein cœur ceux dont la verge clandestine
N’a rien d’un étalon ;
Va branler ce projet de nœud que Lamartine
Cache en son pantalon ;

Pour moi, je veux baiser les filles que l’on baise
Très effectivement,
Car ma pine raidit, fougueuse et pleine d’aise,
Auprès d’un con fumant !

Toi, si tu veux aimer d’un amour platonique,
À l’abri des hasards,
Va secouer les plis de ta blanche tunique
Près de Petitessarts !

C’est un jeune homme sage ; il ne baise qu’en rêve ;
C’est un Malek-Adel ;
Va le voir ! Moi je sens ma culotte qui crève…
Et je vais au bordel !