Joyeusetés galantes et autres/XXVIII. — Scholl

Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 97-100).

XXVIII

SCHOLL

Quand Mirecourt sentit venir sa fin prochaine,
Tournant ses yeux mourants, pleins d’une sombre haine
Vers le clan des écrivassiers,
Il s’écria : « Je vais casser ma pipe ! Était-ce
La peine d’amasser tant d’amère tristesse
Et de déchaîner tant d’huissiers !


« Mon œuvre ne sera pas achevée, ô rage !
Biographe anhélant, sans force et sans courage,
Je descends dans le noir oubli !
Qui me continuera ? Béranger au passage,
Pour le glorifier a su prendre, homme sage,
Le virginal Boiteau d’Ambly !

« Mais moi, je vais crever comme un chien, sans un homme
De ma trempe, — en pouvant recevoir, — que l’on nomme
Mirecourt, deuxième du nom !
Quoi ! cela sera-t-il, et le destin contraire
Tuera-t-il ce métier de mouchard littéraire,
Que j’ai créé ? Non ! cent fois non !

« Non ! car tel qu’une fleur, émergeant de la toile
D’un faux-col anglais, Scholl, blond aux pâleurs d’étoile
Surgit, délicat maquignon ;
Mon âme errante aura sa nouvelle enveloppe
Sous les frusques de ce publiciste interlope,
Vérolé comme un champignon.

« Sot ! n’avoir pas songé plus tôt à ce bellâtre
Qui pose sur son œil vairon, comme un emplâtre,

Un indescriptible lorgnon,
Et, même dans ses jours de tendresse expansive,
A l’air d’un chat qu’on a trempé dans la lessive,
Et marche maussade et grognon !

« Musqué comme une grue aux courses de Vincennes,
Il rappelle, par ses exhalaisons malsaines,
L’officine d’un parfumeur !
Commerson rougirait de ses mots, et sa prose,
Lorsque dans un journal quelconque on la dépose,
Produit l’effet d’une tumeur !

« Je me souviens encor du four que fit Denise,
Ce poème bourgeois, où Musset fraternise
Avec tous les Ponsards connus,
Et de quel air hautain, la Muse, à ce jeune homme
Dit : Tu peux t’en aller, ô Scholl, fils de Prudhomme !
Tes pairs, chez moi, sont mal venus !

« C’est alors que, jaloux, plein de misanthropie,
Il lâcha son venin impur dans sa copie
Offerte à cent recueils divers,
Et c’est depuis ce temps, tu peux le dire, ô Doche !

Que son dos où, parfois, l’or du soleil s’accroche,
Brille nacré de reflets verts[1] ! „

Ayant dit, Mirecourt s’éteignit. Son disciple,
Cuirassé d’un aplomb remarquable et multiple,
Le Scholl aux regards effarés,
Le remplace partout, même en simple police,
Et, pantin qui s’exhibe et sort de la coulisse,
Danse au milieu des Gens tarés !


  1. M. Scholl publiait dans le Figaro les Amours de Théâtre, roman d’alcôve où, selon son habitude, il insultait les femmes qui l’avaient honoré de leurs bontés.

    Un officieux avisa madame Doche de la publication, en ajoutant : — Scholl vous y habille bien !

    — Laissez-le faire, répondit-elle, il ne m’habillera jamais autant que je l’ai habillé moi-même.