Joyeusetés galantes et autres/XXIX. — Le Coup du Vieux

Joyeusetés galantes et autresA l’Enseigne du Beau Triorchis (Mlle Doucé) (p. 101-103).

XXIX

LE COUP DU VIEUX.

Plus tard, vieux rossignol sans gosier, vieux poète,
Noyé dans un habit d’académicien,
J’irai, lugubre à voir, triste et hochant la tête,
Rabâchant vaguement quelque propos ancien.

En ce temps-là, j’aurai, sur bien des tombes closes,
Prononcé de pompeux discours très applaudis,

Et je rebuterai, par mes dehors moroses,
Les poètes nouveaux, jeunes cons étourdis !

Je crierai : « Foutez-moi la paix avec vos odes !
À mon âge, on relit les livres déjà lus,
Puis, mon corps n’est pas fait à vos nouvelles modes ;
Soyez chastes surtout, car je ne bande plus ! »

Quelquefois, par les soirs d’été, quand la caresse
De la brise fera tressaillir les grands bois,
La Muse, caressant son bouton qui se dresse,
Viendra me dire : « Ami, que devient donc ta voix ?

« chante encor, comme au temps de nos vertes années !
Le monde attend de toi de nouvelles chansons.
Vois ! les voûtes du ciel brillent, illuminées,
Et la rose a frémi d’amour sous les buissons ! »

Et je lui répondrai : « Mamie, au clair de lune,
On se peut enrhumer facilement. Le soir
Était déjà malsain quand ma tête était brune,
Puis, en plein air, d’ailleurs, on n’aurait qu’à nous voir ! »

« Attendons à demain, soupirera la Muse ;
Le clair soleil de juin, joyeux et réveillant

Les oiseaux sous la masse animée et confuse
Des branches, planera dans l’espace brillant. »

« Je ne pourrai chanter demain non plus, mamie ;
Le soleil est mauvais pour mon front découvert,
Il échauffe par trop ma cervelle endormie,
Et blesse l’œil, malgré mon vieil abat-jour vert. »

« Hélas ! » fera la Muse, et de ses mains ridées,
Elle essuiera les pleurs qui mouilleront ses yeux ;
Alors, réunissant quelques pauvres idées,
Je lui dirai : « Voyons ! Pourtant, je suis bien vieux ! »

Ô spectacle touchant ! sur la lyre faussée,
Haletants, et penchant tous deux nos fronts jaunis,
Nous recommencerons, sans crainte, la risée,
La chanson de Monsieur et madame Denis.

Et toi, public, troupeau bêlant que rien n’arrête,
À qui la jeune Muse, en vain, ouvre les bras,
Comme je ne serai plus qu’une vieille bête,
Tu seras à genoux et tu m’applaudiras !