Éditions de la Toison d’or (p. 90-91).


JOURS DE FÊTE


Je me rappelle surtout les transes de la faim, les jours de fête. Mon père, qui s’était mis à boire, s’enivrait alors dès le matin avec les premiers pourboires qu’on lui donnait, et était, le reste du jour, incapable de conduire son fiacre. Or, c’étaient ces, pourboires qui nous faisaient végéter. Il y avait donc, ces jours-là, un redoublement de misère.

Ma mère cependant nous attifait le mieux qu’elle pouvait pour la fête, et, avec le plus petit enfant sur ses bras, nous allions faire un tour, humer les bonnes odeurs de mangeaille.

Les femmes, sur le seuil des portes, attendaient la famille et les invités. Ma mère s’arrêtait à causer là où cela sentait bon le café et les tartines beurrées, dans le vague espoir d’une invitation, ou seulement de l’offre d’une tasse de café ou de n’importe quoi ; mais non, jamais on ne nous invitait.

Puis nous rentrions. Les plus grands refouillaient les armoires, espérant trouver une croûte égarée ; les petits pleuraient et réclamaient à manger ; ma mère, pâle, les mains sur les genoux, ne disait rien ; mon père ronflait, empestant l’atmosphère de son haleine d’ivrogne.

Alors ma mère sortait précipitamment, et revenait peu après avec du pain pas assez cuit, de la margarine et du café moulu. Elle était allée taper un des nombreux petits boutiquiers dont tout le fonds valait bien dix florins et que nous avons conduits de la sorte à la faillite.