Jours d’Exil, tome II/Los Estudiantes de España

Jours d’Exil, tome II
Los Estudiantes de España
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LOS ESTUDIANTES DE ESPAÑA.




Madrid, Febrero 1854.



« Era el bachiller de condicion maliciosa,
amigo de donaires y de burlas. »
M. Cervantes.


I


238 Ils descendent, ils descendent ! Entendez-vous le rappel tonnant des castagnettes, des panderetas et des guitares ? Voyez-vous leurs brillants costumes de chevaliers, leurs éperons d’or, les plumes éclatantes de leurs sombreros et leurs bannières en feu ? Ce sont eux qui chantent :

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des deux Castilles ! »

239 Du sein de ce grand peuple ami des fêtes s’élevaient ainsi mille voix joyeuses. Et moi, trouvère, je suivais la foule frémissante qui courait au devant des étudiants, et j’écoutais avec bonheur leurs chants improvisés.

— Car je m’étais merveilleusement acclimaté dans le paradis de la terre, dans les belles Espagnes ! Je flânais aussi consciencieusement qu’un Gitano ; je roulais le cigarro de papel sans perdre de tabac ; je savais passer deux heures à la Virgen del Puerto, suivant avec intérêt les danses des Asturiens, avalant firmé soleil et poussière ; déjà je me faisais remarquer parmi les aficionados des courses de taureaux. J’en étais venu jusqu’à risquer des opinions raisonnables sur la coupe d’un costume de majo, sur la qualité d’un verre d’agraz et le mérite d’un espada. Enfin je ne faisais plus trop sentir mon accent français quand je m’en allais bras dessus, bras dessous avec Xavier Charre et les ouvriers nos amis, en répétant :

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des deux Castilles ! »


Ami lecteur, si tu savais combien ce cher peuple est fier, brave, noble et généreux, tu me pardonnerais de consacrer à son souvenir deux pauvres lignes d’admiration !


II


Les étudiants descendaient la grande rue de la Montera.

Quand elles les sentirent arriver, les señoritas attiffèrent leurs mantilles et leurs épingles d’or ; puis s’avançant sur les balcons, elles posèrent leurs petites mains sur le fer luisant et se tinrent prêtes à saisir au passage les compliments courtois.

La troupe s’arrête devant une maison de grande apparence, forme le demi-cercle et reprend son éternel refrain :

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des deux Castilles ! »


Il y a beaucoup de jeunes filles aux fenêtres. Au premier, une 240 petite brune de noble race qui suit quelque pensée d’amour dans l’étendue des cieux. Au second, une grande Navarraise bien découplée, qui montre en riant ses dents d’ivoire. Au troisième, une pauvre enfant et un vieillard plein d’amabilité, couple réuni par des chaînes d’argent. Au quatrième, des manolas et des majos aux rires bruyants, aux tailles fines, tout rayonnants de joie.


L’orateur de la bande, l’élégant, le gracieux, l’improvisateur, Felipe Garcia, sort des rangs, accorde sa guitare et chante pour la brune rêveuse :

« Tu regardes bien l’étoile d’Orient, Dolores mignonne ! Voudrais-tu prendre tes diplômes en astronomie ? Que te dit-elle, Dolores, la prunelle tremblante de l’étoile d’amour ? Est-il fidèle au rendez-vous lointain, le bien-aimé perdu ? Reviendra-t-il bientôt ? S’il allait être ingrat !

» Hermosa ! regarde-moi. Les astres regardent bien le dernier des insectes perdu dans la verdure et le poisson dans l’eau.

» Maravilla ! Il fut un temps où vos nobles mères ne croyaient pas déroger en recherchant le bonheur dans nos mansardes, un temps où tel grand d’Espagne se voyait dédaigné pour un pauvre étudiant. Aujourd’hui vous préférez les titres, les honneurs, les bonbons, l’or et les parures. Vous n’aimez plus l’amour. Au moins faites-nous l’aumône ; nous la recevons fièrement.

» Morenita ! jette donc un cuarto dans mon tambour de basque ; l’on a souvent besoin d’un plus petit que soi. Moi, je te dirai ce que fait l’ami de ton cœur. Et le don de ta main, nous le ferons servir à passer nos épreuves de sangrador ou de curé. Jamais un bienfait ne se perd. »

Comme il finissait, la Dolores enveloppa quelques maravedises dans un papier d’azur ; elle y joignit deux pastilles de menthe et laissa coquettement tomber le tout dans la pandereta sonore.

« Ole ! Ole ! reprit le chœur. Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des deux Castilles ! »


L’orateur continue :

« À toi maintenant ma strophe galante, Ramona, douce amie qui ris de si bon cœur. Oh ! ramène si tu veux les franges de ta mantille sur tes lèvres de corail. Je te reconnais : rien n’échappe à l’étudiant masqué.

» Comment l’appelles-tu, le brun cavalier de Grenade qui 241 passait avec toi les matins de printemps sous les feuillées du Pardo ? Et que te disait-il quand vous vous serriez de si près, cheveux dans les cheveux, quand tu frissonnais, pauvrette, et que vous regardiez tous deux les rouges-gorges bâtir leurs nids ?

» Tu le sais, Ramona, j’ai le droit de tout dire et le désir de tout cacher…

» Jette donc un cuarto couronné dans la pandereta de ton fidèle serviteur et poète. Et nous irons boire à ta beauté quelques verres de ce vin de Jérès, l’élixir des âmes fières de nos Espagnes. »

Et Ramona la blonde détacha de ses longs cheveux un beau ruban tout rose ; elle y renferma son offrande, puis enlaça la faveur gracieuse au rameau d’oranger en fruits. Et le présent de la Navarraise fut habillement recueilli par l’étudiant chanteur qui s’inclina profondément.

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des deux Castilles ! »


Le couple du troisième étage eût bien voulu quitter son balcon, mais il lui fallut écouter le discours du trovador que je traduis ainsi :

« Hola ! bel amoureux d’arrière-printemps, ne reste pas si longtemps sous la chaste lune. Ne vois-tu pas qu’elle argente tes cheveux et qu’elle te rend encore plus chaste qu’elle ?

» Nos jeunes femmes ressemblent aux coursiers andaloux. Malheur au cavalier qui les fait languir dans la mollesse et le repos, au milieu des râteliers de marbre et des coupes de cristal. Ne croyez pas les dompter avec des rênes d’or.

» Il leur faut l’aiguillon ; la dent contre la dent ; contre les flancs la jambe, dans les cheveux la main. Elles cherchent la menace qui promet la caresse, la dispute qui ramène la paix tant désirée. Donnez-leur des matinées d’amour et des soirées de fête, des chansons et des danses, des parfums et des fleurs. Ou sinon…

» Tu vois ma pandereta vide, hidalgo vénérable. Avise à la remplir, et je respecterai le calme de ton front. Envoie-moi quelque beau douro pour le plus grand honneur de la Science, ma maîtresse.

» Car les pères sont avares, les professeurs exigeants, les livres chers, et longues les études. Tout s’achète jusqu’à l’amour : tu le sais, hidalgo ! »

Et le douro tomba dans le tambour qui vibrait encore. Et l’improvisateur 242 laissa le noble gentilhomme continuer son tête-à-tête interrompu.

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des Espagnes ! »


Alors Felipe Garcia, le beau chanteur, leva ses regards au quatrième étage et reprit plus joyeux :

« Manolas agaçantes qui ne quittez la mantille ni pour le soleil, ni pour l’ombre, roses fraîches des balcons, accueillez bien mes chants de fête. — Ole !

» Vous êtes nos sœurs, les bien-aimées, les belles, les capricieuses. Aux corridas magnifiques où bondit le taureau, dans les jotas étourdissantes, dans les tertullas où l’on rit et l’on chante, vous êtes nos compagnes. — Ole !

» Comme nous, vous êtes vraiment philosophes ; vous méprisez l’argent qui ne sert pas aux plaisirs ; vous redoutez le travail répugnant, les chagrins et les peines qui abrègent la vie. Tout le long du jour vous chantez ; votre dot est de joie, votre ivresse, d’amour ! — Ole !

» Nous ne venons pas vous demander vos pauvres économies ; elles vous coûtent trop cher et vous vivez à peine. Mais envoyez-nous, du fond du cœur, et prières et chansons. — Ole ! »

Sur l’aile des vents légers elles envoyèrent alors et chansons et prières. À mesure qu’elles les disaient, les étudiants en chœur reprenaient leur refrain :

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des Espagnes ! »


III


À la Puerta del Sol toute brillante de lumières, à la Puerta del Sol tant renommée, les voici parvenus les étudiants joyeux.

« Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des Espagnes ! »

243 Alors chante Pedro Perez, Pedro Perez de Segovia :

« Nous sommes les étudiants de la très héroïque cité de Madrid, les frères cadets de ceux de là-bas, de Santiago de Compostelle et de Salamanca la renommée. — Ole ! »

Près de Pedro Perez passait un muletier bavard.

« Ami borrico, dit-il à l’âne de son cœur qui voulait se reposer au son du luth, il y a plus de talent dans une de tes belles oreilles que dans toute la tête d’un bachelier de Salamanque. — Ole ! Ole ! »

Force fut bien à Pedro Perez d’interrompre son chant et de parlementer avec le muletier.


Ramon Alvar reprit, Ramon Alvar de Burgos, cette vieille capitale de la Castille Vieille. Ramon Alvar, concitoyen du bon Cid Campeador. Écoutez ce qu’il dit :

« Nous sommes les étudiants de la très savante université de Madrid, les galants, les jaloux, les intrépides, hardis avec les hommes aux mains larges, timides avec les filles aux petits pieds — Ole !

» Ces petits pieds, nous les baisons cent fois le jour ; la nuit, nous les tenons tout nuds dans nos mains. — Ole !

» Toute notre ambition, c’est d’avoir un bon cheval, et des armes brillantes, et des femmes au cœur fort ; — des femmes au cœur fort comme celle de la Bible, comme Maria Padilla, comme les vierges indomptées, les brunes de Sarragosse en Arragon. — Ole ! Ole ! »

À la fin de cette strophe, Ramon Alvar se sentit coudoyé rudement par don Jose Sevilla. le beau picador :

« Tu demeures dans la calle de Hortaleza, Ramon Alvar, dit le picador ; tu dors sous les toits, près du ciel dont la robe capricieuse change autant de fois de couleurs que le cœur de la femme change d’amours. Et tu t’endors tranquille chaque soir. Ramon Alvar ! !

» Cependant doña Carmen, la jolie, repose en ce moment dans le boudoir au papier vert, elle est étendue sous le couvre-pieds d’azur, devant l’armoire à glaces. Elle dort sans remords, Ramon Alvar, les femmes n’ont plus de conscience !

» Et moi je te le dis, tu as mordu la Carmen au sein gauche, la nuit dernière. Ce n’est pas bien, Ramon. Car les femmes montrent ces sortes de blessures à l’amant préféré et lui demandent 244 sang pour sang. M’entends-tu, Ramon, Ramon Alvar ? — Ole ! Ole ! »

Force fut bien à Ramon Alvar d’interrompre son chant comme l’avait fait Pedro Perez. Et la rage au cœur, il s’en fut parlementer avec don Jose Sevilla, le beau picador.


Ce fut le tour de Manuel Cordova, hijo de Madrid, la ville blanche. Ainsi chanta Manuelito :

« Nous sommes les étudiants, l’espérance des grandes Espagnes.

Dans les années de paix et de bonheur nous flânons, insoucieux. Nous suivons l’astre d’or qui laisse tomber les heures. Nous faisons des cigarros et des chansons ;

» Car la vie nous est chère. — Ole !

» Mais que l’ennemi, dans son orgueil, s’avance contre nos vieilles Espagnes !… Et nous irons à lui, nous l’atteindrons. Et l’ennemi sera repoussé, comme il le fut toujours, de ce libre pays. — Ole !

» Nous irons à lui par la poussière, les épines et les cailloux, par les gorges des Sierras, dans le sang et dans le carnage. Nous irons à lui sur les mers vastes. — Ole !

» Sur les flots des vastes mers, sous l’aile de la tempête, dans le tourbillon, dans la nuit, au milieu des éclairs et des vaisseaux qui sombrent. — Ole !

» À travers les bataillons hérissés de fer, sur les dragons pesants, et les lanciers légers, et les hussards aux riches costumes, sur les poitrines cuirassées, sur les bronzes tièdes et les coursiers râlants, nous passerons. — Ole !

» Car nous ne connaissons pas le danger et nous ne craignons point la mort. — Ole ! Ole !

» Vivent le carnaval de Madrid et les étudiants des Espagnes ! reprit le chœur. »


IV


Ils passèrent ensuite dans le grand faubourg de Tolède, ce faubourg si populeux. Et ils allaient parmi la foule en chantant :

245 » Companeros, Companeros ! Ole y Viva ! !

» Vivent les braves muletiers des Castilles, de la Manche et du royaume de Léon ! — Et les éloquentes lavandières qui font de si galants discours à ceux qui passent sur les ponts du Mançanares ! — Vivent les Serranos agiles dans les danses ; les Maragatos aux sombreros en parasol ; les fils de Pelasjo, beaux joueurs de boules asturiennes ; les Gitanos à la taille de serpent ; ceux de Murcia qui nous apportent les fruits d’or ; ceux d’Arragon qui rajeunissent nos mules ! — Et ceux de Séville qui pourraient parler tout un jour sans boire ! »

« Amigos, Amigos ! répondirent les faubouriens : Ole y Viva ! ! »

« Vive San-Iago de Galice, le vieux patron monté sur son blanc cheval ! — Vivent Grenade et l’Alhambra ! Valence et Salamanca ! Burgos et Valladolid ! — Vivent Cadix et ses canons ! Toledo, château du Tage ! L’héroïque Bilbao ! Sarragosse l’imprenable ! Et Jérès aux pampres verts ! — Vivent la belle Séville ! Pamplona fortifiée ! Et Madrid la desséchée ! Fin de Tierra sur la mer[1] !

» Ole ! Ole ! Vivent le Carnaval de Madrid et les étudiants des Espagnes ! »


V


Suivis de beaucoup de peuple, ils arrivèrent enfin à la place du palais des Cortes et se rangèrent autour de la statue de Cervantes l’immortel. — Gloire aux grands !

Alors Francisco Gomez de Alcala se détacha de ses camarades, et découvrant sa tête, parla comme il suit :

« Ô Miguel Cervantes ! premier de nos Espagnes, grande ombre au rire moqueur remontée vers les cieux,… quand tu 246 luttais sans espoir contre la misère et l’oubli : que tu devais souffrir !

» Toi qui compris si bien l’ironie castillane… quand le peuple de ce pays passait sous ta fenêtre, rayonnant de verve et de joie ; et qu’il ignorait ton nom — ce nom que l’univers répète aujourd’hui : que tu devais souffrir !

» Quand ta plume mordait le papier, quand ta tête brûlante enfantait des merveilles, quand tu étais au ciel !… Et quand tu les entendais dans la

rue, chantant et vantant quelque vieille ballade, sans esprit, sans amour : que tu devais souffrir !


» Oh ! vivre ainsi ! Vivre inconnu parmi le peuple qu’on illustre ! Et ne respirer cependant que le souffle de son génie, que le délire de sa fièvre ; ne sourire qu’à ses joies, n’endurer que ses peines, n’aimer, ne voir que lui, ce peuple ingrat ! Et se consumer, d’un crépuscule à l’autre, dans le travail dévorant de la pensée ! C’est l’enfer ici-bas. — Que tu devais souffrir !

» Avoir connu sa force, savoir qu’on fait une œuvre, savoir qu’on sera grand ! Et mourir immortel, ignoré, misérable, quand on entend la Gloire battre des ailes sur son tombeau ! C’est l’enfer ici-bas. — Que tu devais souffrir !

» Manquer du pain du corps et du pain de l’esprit ! Compter les ans, les jours, les minutes si longues quand on attend la Gloire au rendez-vous donné ! Se débattre, comme un aigle, dans l’étroite prison de la réalité ; sans feu, sans vin, sans livres, dans la mansarde nue ! C’est l’enfer ici-bas. — Que tu devais souffrir !


» Ô Miguel ! Quand elle te balançait entre ciel et chaos, la Gloire cruelle ; quand elle t’envoyait les Souffrances et les Désillusions, ses démons précurseurs. Quand tu te demandais : suis-je fou ? suis-je grand ?… Et que tu ne savais comment répondre. — Que tu devais souffrir !

» Quand le soleil souriait à la terre ; quand les fleurs de l’oranger faisaient monter à lui l’encens de leurs corolles ; quand l’oiseau bienheureux chantait sur les palmiers ; quand le poisson doré s’élançait hors des ondes ; quand les jeunes filles étaient aux balcons…

» Quand tu les voyais au bras des vaniteux et que tu passais triste ! Et que pas une ne t’avait deviné, et que pas une n’avait su te dire : console-toi, don Miguel Cervantes de Saâvedra, verse dans nos cheveux tes larmes précieuses. Car nous t’aimons, nous 247 femmes, nous t’admirons, nous t’adorons ! Et toujours l’avenir confirme les prédictions de notre cœur.

» Quand pas un ange ne te gardait, Miguel !… que tu devais souffrir !


» Oh ! coupables les femmes qui laissent s’éteindre, dans l’abandon, des âmes si grandes ! Coupable Laura ! Coupable Léonore ! Mais ils sont rares sur terre les Petrarca, les Tasso ! Mais il n’y a qu’un Cervantes au monde !

» Mais quand de semblables mortels daignent vous élever jusqu’à leur cœur, princesses ou grandes dames ; quand ils perdent pour vous des heures d’un prix inestimable ; quand ils transmettent à la postérité vos noms insignifiants avec leurs noms illustres…

» Vous devriez pleurer, vous qui n’avez rien qu’un cœur et une intelligence ordinaires pour les sauver et les comprendre. Vous devriez gémir, et racheter par une tendresse infinie l’imperfection de vos natures !

» Étudiants des Espagnes ! mes frères, tressons-lui des couronnes avec les rameaux des arbres d’Ibérie ; dans les salles de nos universités conservons sa grande image. Qu’il soit notre inspiration, notre vie, notre amour, notre Dieu !

» Au pied de sa statue revenons tous les ans, afin d’apprendre aux hommes à respecter la gloire ; réchauffons de nos hommages le cadavre du grand que nos pères, dans leur ignorance, firent descendre en la tombe avant l’heure !

» Sur les murailles de sa demeure gravons son nom ; gravons-le dans le marbre, en des caractères d’or. Et faisons de sa mansarde un temple de lumière qui scintille, dans l’avenir, aux yeux en pleurs des nations ! ! »

« Ole ! Ole ! Vive Cervantes aux traits critiques, l’ange de l’Ironie ! Vivent la verve castillane, le carnaval de Madrid et les étudiants des Espagnes ! »




Moi proscrit, je consacre ces lignes à ta mémoire, ô soldat de Lépante, ô travailleur sublime qui redressas les torts de ton siècle 248 hypocrite ! J’aime tes traits ouverts, et ta franche ironie, et ton divin langage, et ton âme intrépide ; j’aime les mœurs, les conversations, les ridicules même de ce grand peuple qui se résume en toi. Tu m’as réjoui dans la solitude, tu m’as consolé dans la tristesse, tu m’as soutenu dans l’adversité, tu m’as inspiré dans la lutte entreprise contre les hommes de mon temps, moins nobles de cœur, plus délirants de langue que l’ingenioso hidalgo de la Mancha. Où que tu sois, Cervantes, dans la plume de Proudhon ou l’âme de Toussenel, je te salue, je te bénis !


  1. J’ai cherché surtout dans cette strophe à imiter la cadence des airs populaires espagnols. Cette mesure entraînante s’est gravée profondément dans mon esprit qu’il me serait impossible de m’astreindre à aucun autre rhythme en retraçant les scènes de la vie madrilègne. Cette remarque s’applique d’ailleurs à tous les chapitres où je traite de l’Espagne.