Journal de la comtesse Léon Tolstoï/Troisième partie/Chapitre VII

◄   Chapitre VI Chapitre VIII   ►


31 juillet 1868.


C’est drôle de relire son journal ! Que de contradictions ! Comme si j’étais une femme malheureuse. Y a-t-il des femmes plus heureuses que moi ? Existe-t-il des couples plus unis et plus heureux que nous ne le sommes ? Parfois, quand je suis seule dans ma chambre, je me mets à rire de joie et à faire le signe de la croix. Dieu veuille qu’il en soit ainsi longtemps, longtemps. Je n’écris mon journal que lorsque nous sommes fâchés l’un contre l’autre. Maintenant, il nous arrive encore de nous disputer, mais ces querelles ont des causes si profondes et si subtiles qu’elles n’éclateraient pas si nous ne nous aimions pas comme nous nous aimons. Bientôt six ans que je suis mariée. Et mon amour ne fait que croître. Liovotchka dit souvent que ce n’est déjà plus de l’amour, mais que nous sommes tellement unis que nous ne pourrions pas vivre l’un sans l’autre. Je l’aime toujours du même amour inquiet, passionné, jaloux, poétique. Sa sûreté et son calme m’irritent parfois.
Il est parti à la chasse avec Pétia. L’été, il n’est pas d’humeur à écrire. De la chasse, Pétia et lui se rendront à Nikolskoïé. Je suis malade et suis restée à la maison presque toute la journée. Les enfants jouent en plein air et ne viennent sur la terrasse que pour manger. Ilia est merveilleusement gentil. Tania est absorbée par Dacha et ne vient près de moi que rarement et pour une minute. Kouzminskii n’est ni chair ni poisson.

◄   Chapitre VI Chapitre VIII   ►