Journal de l’expédition du chevalier de Troyes/010

Texte établi par La Compagnie de L’Éclaireur,  (p. 113-115).

appendice f


Le Père SILVY Jesuite, qui de Missionnaire de Sauvage étoit devenu en cette occasion l’Aumonier d’un petit corps de troupes composé de Canadiens, a si bien ramassé en peu de mots tout ce qui s’y est fait de plus remarquable, que j’ay cru devoir transcrire sa lettre du trentième de Juillet 1686.

« Ce n’a pas esté, dit-il sans bien des risques et des fatigues qu’avec l’aide de Dieu nous sommes venus à bout de nos detsseins. La route depuis Mataouan est extrêmement difficile, ce ne sont que des rapides très-violents et très-périlleux à monter et à descendre ; je fus plusieurs fois en danger de me perdre avec tous ceux qui m’accompagnoient, le charpentier Noël le Blanc, un de nos meilleurs hommes, et dont nous avions le plus besoin, fut englouti tout d’un coup sans reparaître sur l’eau. M. d’Iberville qui le menoit avec luy, ne se sauva que par son adresse, et par sa présence d’esprit qu’il conserva toujours toute entière. D’autres s’étaient sauvés a la nage en furent quitte pour la perte de leur canot, de leur bagage, de leurs vivres. Ces désastres néanmoins n’étonnèrent point notre petite flotte, qui arriva enfin auprès des Hollandois sans qu’ils eussent le moindre vent de nôtre marche. Ces Messieurs ne se défians de rien, dans leur Fort Monsousipi ou, y furent surpris pendant leur sommeil, ils ne purent ni tirer un coup, ni même se mettre en défense, le bruit du bélier, dont on enfonçoit une grosse porte bien ferrée, et les mousquetades de nos gens qui perçoient sans cesse leurs chambres d’outre en outre, les éveillèrent en sursault. En moins d’un quart d’hure on fut maître de leur fort et de leur maisons, où ils eurent à peine le loisir de demander quartier, tant on alloit vite en besogne. Cependant ce fort avoit quatre bastions munis de bons canons qui ne servirent en rien, et la platte-forme de la maison avoit aussi les siens qui demeurerent inutiles. Un des assiegez plus fier que les autres, y ayant voulu monter pour en braquer un contre nous, fut tué sur le champ, et paya luy seul pour tous les autres. Les quinze qui restoient eurent la vie, et on s’assura de leur personne. Nous en eussions pris quinze autres dans une barque que nos découvreurs avoient appercue la veille, si elle ne fut partie le même jour pour Nemiskau, où le petit Brigueur (John Bridgar) nommé pour commander l’année suivante au fonds de la Baye, alloit porter des ordres et faire faire des travaux. Nous fûmes bien fâchez de l’avoir manquée, et comme elle nous étoit necessaire pour porter du canon au Fort de Kitchitchouan, on prit résolution de la suivre, et d’aller attaquer NemisKau gardé par quinze autres Hollandois, espérant enlever l’un et l’autre en même temps pour y pouvoir ensuite aller prendre Kitchitchouan poste principal où étoit le Gouverneur avec trente hommes de la même nation, tion.

« Monsieur d’Iberville avec douze maîtres fut en cannot affronter la barque durant la nuit, et il la prit pendant que Mr. de Troyes suivi de son monde prenait le Fort avec la même facilité, sans nulle perte de notre part. Les ennemis n’y perdirent de leur côté que deux hommes, et il n’y en eut deux autres avc une femme qui furent blessez. Aussitôt on mit sur la barque tous les canons du premier Fort, et nous étant rendus en dilligence devant le 3e, (où on ne nous attendoit pas) il se rendit par composition.

« Après avoir esté criblé par six vingts coups de canon en moins d’une heure ; on y entra tambour battant et enseigne déployée le propre jour de Sainte Anne qu’on avoit prise pour patronne du voyage et de l’entreprise. Voilà Monseigneur, continue ce Pere, les coups d’essay de nos Canadiens, sous la sage conduite du brave Mr de Troyes, et de Mrs. de Sainte Hélène et d’Iberville, ses Lieutenans. Ces deux généreux frères se sont merveilleusement signalez ; et les Sauvages qui ont vu ce qu’on à fait en si peu de temps et avc si peu de carnage, en sont si frappez d’étonnement, qu’ils ne cesseront jamais d’en parler partout où ils se trouveront. Je n’en ay vû qu’un très petit-nombre de diverses Nations, dont les uns m’entandoient, et les autres ne m’entendoient pas : comme on leur parle qu’en passant, parce qu’ils courent toujours : il ny a gueres d’apparence qu’on puisse sitôt les faire Chrêtiens : il faut espérer néamoins que Dieu par sa bonté toute puissante leur donnera les moyens de se convertir, s’ils veulent concourir avec nous à cet important ouvrage. »