Journal d’un habitant de Nancy pendant l’invasion de 1870-1871/29

VENDREDI 9, SAMEDI 10 SEPTEMBRE.

Apparition d’un général français. — Passage des prisonniers à la gare. — Les dames Hermann. — Le premier numéro du Moniteur prussien. — La circulaire de M. Jules Favre. — Réclamation contre les exactions prussiennes. — Une tournée domiciliaire. — Propos d’un capitaine sur l’armée et l’Empereur. — L’opinion et le maréchal Mac-Mahon.

9 septembre. — Ce matin, une vive agitation se produit dans le faubourg Saint-Georges. On crie, on court d’un air effaré. Les gens paisibles rentrent chez eux et ferment leurs portes. Le bruit se répand que ce sont les Français qui arrivent à Nancy, qu’on va sonner le tocsin, et qu’il doit se livrer une bataille dans la ville. C’était une simple panique qui n’avait pour cause que l’apparition d’un général français en uniforme, le général de Brauer, frère de celui qui commandait notre département au moment où la guerre a éclaté. Fait prisonnier sur parole en vertu de la capitulation de Sedan, avec permission de résider à Lunéville, il avait obtenu, en passant à Nancy, celle de visiter sa belle-sœur, qui y est restée. Dès qu’il parut en ville, avec son pantalon rouge et son képi galonné, la population se précipita sur son passage, et le bruit se répandit aussitôt qu’il était suivi de vingt mille hommes, avec lesquels il allait reprendre Nancy sur les Prussiens. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que les Allemands crurent aussi à une alerte, que le poste de l’Hôtel-de-Ville courut aux armes, que les soldats dispersés se rallièrent à leur quartier, et que l’on en vit, dans les maisons particulières, qui se barricadèrent par précaution. De leur côté, les habitants rentraient précipitamment chez eux, et les marchands de la rue des Dominicains et des environs de la place Stanislas fermaient leurs boutiques. Telle a été la cause de cette panique qui s’apaisa aussi promptement qu’elle avait éclaté, après nous avoir leurré un instant de l’espoir de cette délivrance, qu’on attend toujours et qui ne vient jamais.

Hélas ! ce n’est pas comme libérateurs, c’est comme prisonniers et blessés que nos pauvres soldats traversent notre ville. Le chemin de fer en charrie tous les jours de nombreux convois en Allemagne et la gare est toujours assiégée par la foule à l’heure du passage des trains. C’est le moment que choisissent des personnes charitables pour pénétrer dans l’intérieur afin de prodiguer leurs soins à ces malheureux, et leur distribuer des secours en vivres et en argent. Dans l’accomplissement de cette bonne œuvre, il faut signaler en première ligne le dévouement permanent et infatigable de Madame Hermann et de ses trois filles, à qui la fermeture des guichets laisse tout leur loisir et qui en profitent pour devenir la providence de nos prisonniers et blessés, pendant le temps que stationnent les trains qui les transportent. Les Prussiens tolèrent cette assistance, à condition que les leurs en aient leur part. Mais on dit que ces facilités vont être retirées, parce que les grands convois de transport de l’armée de Sedan vont entrer en circulation et, alors, les visites à la gare seront interdites pour prévenir l’encombrement et le tumulte.

C’est aujourd’hui que paraît le premier numéro du journal que l’autorité prussienne fait publier en français sous ce titre : Moniteur officiel du gouvernement général de Lorraine et du préfet de la Meurthe. Ce numéro n’est qu’une feuille simple, qui n’est pas même remplie des deux côtés. Il n’y a pas encore de rédaction propre au journal. On n’y trouve que la reproduction des actes officiels qui s’étalent depuis longtemps sur nos murailles, et qui ne nous apprennent rien que nous ne sachions déjà. La seule nouveauté est un avertissement aux communes qui les informe qu’elles seront responsables de tout ce qui sera fait contre la circulation des chemins de fer sur l’étendue de leur territoire, et, comme application de la mesure, une note où l’on dit « que la ville de Nancy et la commune de Jarville ont été frappées chacune d’une amende de 1 000 francs, à raison de plusieurs jets de pierres sur la voie ferrée. » Le petit village de Jarville a déjà eu à supporter 7 000 fr. d’amende pour ce genre de délit. Or comme la police de la ligne est faite par l’administration prussienne, elle peut multiplier les poursuites comme il lui plaît et écraser nos pauvres communes en battant monnaie à leurs dépens. Ce Moniteur prussien paraîtra tous les cinq jours. Il va sans dire que toutes les communes de la province de Lorraine sont tenues à s’y abonner aux frais de la caisse municipale. Ajoutons que c’est l’imprimerie Hinzelin qui est contrainte, par réquisition du préfet prussien, comte Renard, — car notre département a son préfet prussien comme la province a son gouverneur, — de fournir ses presses et ses ouvriers pour l’impression de ce journal.

Samedi 10 septembre. — Depuis deux ou trois jours, il n’est bruit que de la circulaire de M. Jules Favre, ministre des affaires étrangères de par le 4 septembre, aux agents diplomatiques de la France. Il n’y a qu’à applaudir à l’appel qu’il fait à tous les partis de se réunir sur le terrain commun de la défense nationale. C’est le devoir et ce doit être le sentiment de tous en ce moment. Pour le reste, la pièce me paraît plus que faible et bien au-dessous de son succès. On en célèbre à l’envi le style et l’éloquence. Mais, ô Athéniens, c’est bien d’éloquence et de style qu’il s’agit à l’heure qu’il est. Ne vaudrait-il pas mieux qu’il y eût dans ce morceau quelques périodes de moins et que le fond en fût plus solide ? La déclaration de ne céder ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses, la résolution de pousser la résistance jusqu’à la guerre des barricades, ce sont là de ces phrases à effet qui soulèvent les bravos du parterre, mais qui sont ridicules puisqu’on ne peut pas les soutenir par ses actes. Il paraît que nous n’en finirons jamais avec la fausse rhétorique, et c’est la république, qui reprochait à l’Empire de nous mener par des mots, qui nous y replonge de plus belle. Bref, ce n’est pas l’œuvre d’un homme d’État qui mesure son langage à l’étendue de ses moyens, mais celle d’un phraseur habile qui fait de la politique de sentiment et qui tient à couvrir sa faiblesse par l’emphase de ses grands mots. Au reste, M. J. Favre fût-il plus entendu au métier de diplomate qu’il veut faire sans apprentissage, qu’il ne pourrait aboutir à rien. Il y a des situations irrémédiables qui sont la faute de tous et que l’effort d’un seul ne peut réparer. Celui qui l’entreprend, quel qu’il soit, y succombe toujours. M. J. Favre y succombera infailliblement, et, n’était le dommage que nous en éprouverons, je dirais que ce sera justice, car personne ne l’avait prié de s’en charger.

La mairie vient de faire imprimer un mémoire ayant pour titre : Observations présentées par le corps municipal de la ville de Nancy à Monsieur le général de Bonin au sujet de l’ordre du 5 septembre 1870, relatif aux contributions. Voici à quelle occasion et pour quel grave intérêt on a rédigé ce mémoire. Qu’il veuille ou non garder la Lorraine dans l’avenir, le gouvernement prussien prétend bien l’exploiter pendant qu’il l’occupe. Il a donc songé à y lever des impôts, mais comme aucun de nos agents de finance n’a voulu prêter son concours à l’exécution de ses mesures, il s’est mis à l’œuvre pour se payer de ses propres mains. En conséquence le gouverneur général, par sa proclamation du 5 courant, a supprimé, pour simplifier l’opération, tous les impôts directs et indirects où s’alimentent chez nous les caisses de l’État, du département et des communes, et il les remplace par une seule contribution directe dont la répartition aura pour base le montant moyen des sommes payées dans les quatre dernières années. Cette contribution unique, évaluée à un million pour Nancy seulement, et qui varie pour chaque commune, sera payée par douzièmes, du 6 au 10 de chaque mois, à partir du mois de septembre. Ce sont les maires qui feront la perception de cet impôt, et les communes sont responsables de sa rentrée. C’est donc environ 90 000 francs que Nancy a à payer pour sa part, tous les mois, et qu’il faut verser aujourd’hui même.

Or, l’objet des Observations du corps municipal est de faire comprendre au gouverneur général ce qu’il y a d’écrasant, pour les populations lorraines, dans la mesure qu’il vient de prendre. On lui rappelle que les autorités prussiennes ont déclaré qu’elles entendaient maintenir les lois fiscales françaises, et opérer le paiement des contributions d’après les lois en vigueur chez nous. On lui représente que s’il veut se substituer à l’État français, il ne doit prendre que la part de l’État français, et laisser au département et aux communes ce qui leur revient pour leurs dépenses spéciales ; qu’au lieu de cette équitable répartition, il prend tout pour son gouvernement, qu’il prend tout à des gens qui n’ont plus rien, qu’il prend une seconde fois à des gens qui ont déjà payé leur impôt, beaucoup de contribuables, et j’en suis là pour mon compte, ayant l’habitude d’en acquitter tout le montant, dès le commencement de l’année. — Certes le gouverneur a des oreilles pour entendre, mais la question est de savoir s’il ne voudra pas faire le sourd. Il parle sans cesse de ses bonnes dispositions, et il a souvent le mot de justice sur les lèvres, mais on ne croit guère à la sincérité de ces belles protestations, et l’on doute du succès de cette démarche. Toutefois on a bien fait de présenter cette réclamation, ne serait-ce que pour rappeler à M. de Bonin qu’il nous opprime et qu’il y a de l’exaction dans la mesure qu’il ordonne. — Je rendrai compte ultérieurement du résultat de cette affaire.

On a entendu toute la matinée le canon du siége de Toul. On se rappelle que c’est le 16 août que l’ennemi est venu investir la place. Les Toulois ont résisté à cette première attaque, ainsi qu’à celles du 20 et du 23. Ils ont fait éprouver à l’ennemi des pertes, qu’on exagère sans doute, mais qui ont été sensibles, et ils continuent à lui interdire l’usage du chemin de fer, ce qui entrave toutes ses opérations sur l’intérieur. Cette résistance fait grand honneur à M. Huc qui commande la place, et à la petite et héroïque garnison de la ville qui compte beaucoup de Nancéiens dans ses rangs. On s’y attendait d’autant moins, que là, comme ailleurs, rien n’était préparé pour la défense. Les Prussiens croyaient y entrer sans coup férir : ils sont fort désappointés de ce retard. Aussi font-ils de grands préparatifs pour en finir. Ils ont fait venir de Marsal tout le canon qu’ils nous ont pris dans cette place, sans compter d’autres formidables engins de leur façon avec lesquels ils comptent bien écraser la place. Espérons qu’elle les tiendra encore longtemps en échec.

Hier, il m’est arrivé, par occasion, une lettre de mon ami Mézières, qui reste à Paris pour concourir à sa défense. Sur sa recommandation, je vais m’informer de l’état où se trouve la maison de Madame de Caumont, sa belle-mère, qui était allée le rejoindre au commencement des vacances. Les deux bonnes qu’elle a laissées chez elle me disent qu’elles ont sans cesse des officiers et des soldats à loger, mais qu’ils sont très-convenables et qu’elles n’ont jamais eu à se plaindre de leurs procédés à leur égard. — De là je vais chez mon collègue de Margerie qui, dès la menace de l’invasion, avait conduit dans le Limousin sa femme enceinte et ses huit enfants, pour les mettre en sûreté. Ce devoir de père et d’époux accompli, il était revenu à Nancy ramené par le besoin de s’acquitter de ses devoirs de citoyen. C’était à la veille de l’entrée des Prussiens dans Nancy. Ayant constaté l’impuissance universelle et l’inutilité de sa présence, il était reparti à pied pour rejoindre sa famille. J’allai donc voir où en était sa maison, restée seule avec ses domestiques. Là aussi, officiers et soldats s’étaient succédé sans interruption. Là aussi les femmes de service avaient été constamment respectées. — « Avec les nôtres, me disaient-elles, aussi bien chez de Margerie que chez Mézières, nous ne serions peut-être pas si tranquilles. » — Il est certain que les polissons, qui rédigent certains journaux et qui crayonnent certaines caricatures, ont tellement habitué nos soldats à regarder nos servantes comme une proie pour leurs plaisirs, qu’elles seraient moins en sûreté, si c’était à eux qu’elles eussent à faire. La propagande du libertinage, qui est si active chez nous, a sa grande part dans notre désastre, et l’une des conclusions à tirer de l’épreuve présente, c’est qu’on ferait bien de balayer les dégoûtantes industries littéraires et artistiques qui l’entretiennent.

La moralité et la discipline des armées c’est, plus qu’on ne pense, une question d’existence et de salut public. Les détails qui suivent vont nous en fournir la preuve.

L’obligeant M. Duserre, qui trouve, je ne sais comment, le moyen de se procurer des journaux de toute sorte, a ouvert chez lui comme un cabinet de lecture, où ses amis vont chercher des nouvelles et causer des affaires présentes. Sur l’avis qu’il devait s’y trouver aujourd’hui un officier de l’armée de Sedan, je m’y rends à l’heure dite, pour entendre les propos qu’il tient sur ce grand désastre. C’est un capitaine du 79e de ligne, que la capitulation laisse libre sur parole, et qui passe par Nancy pour rentrer dans sa famille. Inutile de dire qu’on est choqué ici de voir ces officiers qui, profitant de leur grade, s’en vont tranquillement chez eux attendre la fin de la guerre, au lieu de partager la captivité de leurs soldats. Mais la question n’est pas là. Il ne s’agit ici que des propos tenus par ce capitaine et que je vais résumer aussi exactement que possible. On les trouvera peut-être empreints d’une exagération amère, qu’explique assez, du reste, l’état d’une âme aigrie par la honte et l’infortune. Mais qu’on en rabatte tout ce qu’on voudra, il en restera toujours assez pour faire comprendre combien notre armée est malade et participe à la décadence générale de la nation.

— « Vous plaignez nos soldats, nous dit-il en répondant à nos interpellations, vous rejetez tout sur le compte des chefs, vous croyez qu’on manquait de vivres et de munitions. Détrompez-vous, on ne manquait de rien, et ce n’est pas pour avoir vidé ses gibernes, que l’armée a été obligée de se rendre. Je veux bien qu’il y ait beaucoup à dire sur les chefs, mais sachez aussi tout ce qui a manqué aux soldats. Ce qui leur a manqué, c’est l’essentiel, c’est-à-dire la discipline, et il faut s’en prendre par dessus tout au régime adopté par l’Empire pour le recrutement de l’armée. Il en a fait une cohue d’engagés, de vendus, sans patriotisme et sans vraie bravoure. Ce sont, pour la plupart, de mauvais sujets qui se sont faits soldats pour échapper aux métiers de la ville, ou au labeur des champs. Ils ne sont bons qu’à s’amuser, boire, brailler et se moquer de leurs chefs. Il n’y a pour eux que la bamboche sous toutes ses formes. En campagne surtout, il est impossible d’en rien faire. Ils raisonnent sur les ordres qu’on leur donne, et il n’y a que l’instinct de conservation qui les empêche d’aller chacun de leur côté. Ils gaspillent ce qu’ils ont, ils pillent le paysan, moins par besoin, que par goût pour la maraude. On les redoute plus que les Prussiens dans nos campagnes. Nous ne pouvons rien pour garantir l’habitant. Ils se rient de nos ordres, et nous ne sommes pas toujours tranquilles sur le sort qu’ils nous réservent. Pour la plupart ils sont sans famille, sans propriété, sans intérêt d’aucune sorte à défendre. Ce n’est pas une armée nationale, ce sont des prétoriens manqués. Si l’on a le temps de former une armée avec les mobiles, elle vaudra cent fois mieux que celle qui vient de périr. Elle comptera dans ses rangs des fils, des époux, des frères qui penseront aux leurs, au toit paternel, au clocher du village, et la patrie retrouvera de vrais soldats. Quant à moi, je me suis séparé des miens sans regret, bien heureux même de n’avoir plus à commander à de tels vauriens, et je le leur ai dit en face en leur faisant mes adieux. Ils m’ont répondu en me riant au nez et en se moquant de moi, mais au moins c’était la dernière fois que j’avais à faire à eux. Il faut à tout prix que la discipline militaire se relève dans nos armées : il y va de notre existence. Mais on n’obtiendra rien tant qu’on aura des soldats qui feront de la politique et qui voteront dans les plébiscites. »

Interrogé sur ce qu’il pensait de la conduite des généraux et de la direction donnée à cette triste campagne, il mit le maréchal Mac-Mahon hors de cause, lui reprochant seulement de n’avoir pas su ou pu se débarrasser de l’Empereur. — « Mon opinion, ajouta-t-il, c’est que l’Empereur est la cause première du désastre, et qu’il y a eu trahison de sa part. Je ne puis m’expliquer que par la trahison, car l’ineptie ne peut aller jusque-là, les marches et contremarches qui nous ont fait perdre un temps si précieux, lorsque nous avions de l’avance, et qui ont donné à l’ennemi le temps de nous rejoindre et de nous envelopper. Mac-Mahon commandait en chef, mais l’Empereur agissait personnellement sur certains généraux que l’opinion a déjà flétris comme ils le méritent, et qui restaient les exécuteurs de ses volontés. Quant à cette trahison, elle s’explique par la haine et le désir de la vengeance. Napoléon savait qu’on ne voulait plus de lui, que sa chute était inévitable, et il s’est donné le plaisir d’y entraîner la nation avec lui. Notre régiment était à Paris le 15 août. Les soldats avaient eu la permission de sortir : ils s’étaient mêlés à la foule, et ils avaient entendu dire que, vainqueur ou vaincu, on ne souffrirait plus l’Empereur à Paris. Ces propos avaient été rapportés dans les camps. Napoléon se savait repoussé de tout le monde, il voyait qu’il n’y avait plus d’asile pour lui en France, et il s’y est pris de manière à livrer l’armée et à se jeter dans les bras de la Prusse. Ceci, je vous le répète, c’est une opinion qui m’est personnelle, mais je suis convaincu que c’est la véritable explication de l’événement. »

Je ne prends rien sur mon compte des paroles que je viens de rapporter, mais j’en garantis la parfaite exactitude ; je pourrais au besoin invoquer le témoignage de ceux qui les ont entendues comme moi. Du reste, elles ne faisaient que confirmer, en l’outrant peut-être, ce que nous savions de la démoralisation de notre armée. Quant à la prétendue trahison de l’Empereur, c’est pour moi, jusqu’à preuves à l’appui, supposition pure. Il n’est pas nécessaire de tant raffiner, quand tout s’explique par la réunion, dans le même homme, de l’ineptie et de l’aveuglement. Mais d’une façon ou de l’autre, le rôle de Napoléon III est fini, et il ne lui sera pas donné de reparaître sur la scène qu’il n’a occupée que trop longtemps.

Il faut remarquer que tout déchaîné qu’il était, notre capitaine s’est abstenu de toucher à Mac-Mahon. On ne saurait dire combien le sentiment public s’attache à ce brave maréchal, et avec quelle joie on a reçu le démenti de la nouvelle de sa mort. On sent que l’on a encore besoin de lui, et qu’il peut nous être réservé, dans l’avenir, pour quelque grand service. Les journaux que je viens de lire n’en parlent qu’avec une respectueuse sympathie. C’est qu’on comprend qu’il est au-dessus de sa fortune et personne ne songe à le rendre responsable des revers qu’il a essuyés. D’ordinaire les vaincus tombent en disgrâce auprès du public, toujours enclin à ne plus tenir compte d’un mérite que le succès abandonne. Mais la France qui est généreuse, malgré ses travers, n’en veut jamais à ceux qui savent se dévouer et mourir, et elle ne cessera d’honorer un glorieux vaincu, comme Mac-Mahon, qui a su laver sa défaite par l’effusion de son sang.