Journal d’un exilé politique aux terres australes/Retour de Sydney en Angleterre
RETOUR DE SIDNEY EN ANGLETERRE.
le 9 juillet, 1844, nous embarquâmes au
nombre de 38, à bord du vaisseau l’Achille,
Capt. Heale, le but du voyage était Londres.
Le reste de nos frères d’exil ne pouvant payer
leur passage furent contraints de rester. Le
10 au matin nous levâmes l’ancre et favorisés
d’une légère brise nous parvînmes à l’embouchure
du hâvre où nous jetâmes l’ancre pour attendre
l’inspection de la douane qui se fait ordinairement
au moment d’entrer en mer. Nous
passâmes tous en revue, et l’on nous identifia,
vers 4 heures P. M. nous levâmes encore l’ancre
et vers 7 heures nous partîmes, laissant derrière
nous, à notre grand regret quinze de nos
compatriotes. Ce fut de grand cœur que nous
dîmes adieu à la Nouvelle Galles, qui nous
avait servi de prison pendant environ quatre ans.
le 11, nous eûmes un fort vent N. O. qui nous poussa dans une assez bonne direction, car nous faisions voile pour le Cap Horn. Le soir nous vîmes quatre ou cinq baleines. Dans la nuit, le vent tourna à l’Ouest avec violence, nous faisant faire neuf nœuds à l’heure en bonne direction. Il est inutile de dire la joie que nous ressentions tous de fuir si rapidement cette terre qui avait été si longtemps pour nous un lieu de souffrance et de peine, pendant que chaque instant nous rapprochait de notre patrie, nos familles et nos amis.
le 12, le même vent continua à souffler avec la même violence. Nous fûmes forcés d’amener bas les hautes voiles ; plusieurs d’entre nous eurent le mal de mer, mais bien moins que lors du premier voyage, ce que l’on doit attribuer à la nourriture moins grossière ainsi qu’à la liberté d’être sur le pont du matin au soir, du soir au matin. Vers six heures, le vent augmenta à un tel point que plusieurs s’en effrayèrent, et durant la nuit le vaisseau fut tant agité que nous pûmes à peine demeurer dans nos lits. Chaque vague y jetait un gros volume d’eau, le vent était accompagné d’orage.
le 13, même vent, mais beaucoup plus violent, un orage, de tems en tems, tems couvert, la mer extrêmement grosse, à chaque instant le pont submergé par les flots. Nous filions toujours en bonne direction pour le Cap Horn : — L’on commençait à s’apercevoir que le tems refroidissait à mesure que nous avancions au Sud, car notre route était Sud-Est.
le 14, le vent toujours du même côté, mais moins violent : nous eûmes plusieurs orages dans le courant du jour.
le 15, le vent très violent, Ouest Sud Ouest, accompagné d’orage, la mer était si grosse que nous fûmes obligés de descendre dans l’entrepont pour nous soustraire aux vagues qui se précipitaient sur le pont. Le nombre des malades était diminué, nous faisions toujours bonne route.
le 16, même vent, mais plus modéré qu’hier : plusieurs orages dans le courant du jour, fort vent durant la nuit.
le 17, tems calme toute la journée — quantité de gros poissons autour du vaisseau, aussi des oiseaux.
le 18, vent Nord Ouest très violent, accompagné de pluie ; la mer très agitée, l’eau couvre le vaisseau durant tout le jour : plusieurs même sont effrayés ; sur le soir, le mauvais tems augmenta encore et cessa durant la nuit.
le 19, beau tems, vent frais et bon ; nous passâmes les Nouvelles Zélandes au Nord, et faisions bonne route pour le Cap Horn.
le 20, vent N. O., plus violent qu’hier, accompagné de pluie et de tonnerre. Forte orage à 4 heures P. M. La nuit fut une des plus sévère que nous eussions endurées depuis notre départ. Nous ne pûmes dormir à cause du roulis du vaisseau ; la mer roule continuellement sur le pont, de manière à effrayer plusieurs d’entre nous.
le 21, le vent souffla avec la même violence, la mer est très grosse : le vaisseau est extraordinairement agité : nous supportions pourtant ces inconvénients avec courage, et cela d’autant plus que la tempête nous portait en bonne direction.
le 22, vent modéré, orage ; nous nous avançons promptement.
le 23, tems calme et beau. Nous primes deux Albatrosses à la ligne. Il est bien singulier que des oiseaux, avec des ailes si grandes, ne peuvent point s’envoler lorsqu’ils sont sur un terrain plan et solide. Nous les jetâmes sur le pont et ils se promenèrent d’un bout à l’autre du vaisseau sans même essayer de prendre leur essort. — Ils font un met excellent.
les 24, 25, 26 et 27, furent une suite continuelle de mauvais tems : vent Sud extraordinairement fort accompagné de pluie et quelquefois de grêle. La vague ne cessa de couvrir complètement le pont du vaisseau : aussi le roulis du vaisseau était affreux ; la mer est en fureur, les flots s’élèvent à une hauteur effrayantes.
le 28 fut un sujet de contestation. D’après notre manière de compter les jours depuis notre départ ; nous étions convaincu que c’était le Dimanche. — Le Capitaine soutenait lui, que ce jour devait être regardé comme le Samedi. Il n’est pas nécessaire de dire qu’il remporta. Le temps fut calme tout le jour et servit à nous rétablir. Notre santé avait beaucoup souffert du mauvais temps pendant ces derniers jours, le vent s’éleva vers le soir.
le 29, temps affreux : vent contraire et d’une force effrayante ; il est accompagné de pluie de grêle et de froid. L’on fut contraint de mettre le vaisseau à la Cap comme les Anglais disent ; c’est à dire le placer dans l’état le plus propre à résister à l’ouragan. — Ceux-là seuls qui connaissent la navigation peuvent avoir une idée exacte de l’état d’un vaisseau à la Cap sur une mer en fureur. C’était une vraie tempête : le vaisseau s’élevait à une hauteur terrible ; et tombait comme dans un abîme. — L’on aurait dit que le vaisseau allait s’engloutir à chaque instant. Il nous était impossible de demeurer sur le pont.
le 30, le vent est un peu modéré et encore contraire : le temps est couvert et un grand nombre d’oiseaux voltigent autour du vaisseau.
le 31, vent favorable et violent. Nous faisons entre sept à huit milles à l’heure ; le tems est clair.
le 1er. août, vent S. O. un peu contraire à notre route ; tems couvert et orageux, brouillard, le tems est toujours bien mauvais dans cette saison-ci. La belle saison est depuis décembre en février.
le 2, vent favorable et frais. La mer est bien appaisée, le tems est beau. Nous prîmes ce qu’ils appellent des pigeons du Cap, sorte d’oiseaux de la grosseur de nos pigeons. Ils sont bien bons à manger.
le 3, beau tems, et presque calme. C’est le premier jour, je crois depuis notre départ, où il ne pleut pas.
les 4, 5 et 6, bon vent, mais tems couvert et accompagné de pluie et de grêle. La mer est fort agitée ; nous poursuivîmes toujours la bonne route pendant trois jours, faisant de six à sept milles à l’heure.
les 7, 8 et 9, fort vent d’Ouest, accompagné de pluie et de grêle. Nous nous avançons toujours en bonne direction pour le Cap Horne, il gela pendant ces dernières nuits.
le 10, d’abord même vent que la veille : le tems est couvert ; de gros nuages présagent une tempête. Plusieurs brouillards qui eurent lieu pendant le jour, nous rappellent le climat du Canada. Vers neuf heures du soir, la tempête qui avait menacé tout le jour, éclata de la manière la plus furieuse. Les vagues s’élevaient à une hauteur effrayante ; le vaisseau montait comme sur de vastes montagnes et ensuite retombait de tout son poids dans un gouffre profond. La mer tombait par masses sur le vaisseau : le vent soufflait avec furie, la grêle, la pluie, les éclairs, l’on aurait dit que tous les éléments s’étaient ligués pour nous perdre ; notre vaisseau fut aussi maltraité que s’il avait été exposé au feu d’un combat : les voiles se déchirèrent, les antennes se brisèrent, les planches qui servaient à entourer le vaisseau furent rompues et emportées. Des barriques qui étaient attachés sur le pont se délièrent ; elles furent jetées à la mer par les matelots pour prévenir les accidents. Le vaisseau craquait et s’ébranlait, par la secousse de la mer : deux hommes étaient attachés à la roue du gouvernail. Tout ceci se faisait pendant la plus obscure des nuits.
le 11, le mauvais temps continua avec la même impétuosité. Le pont présentait le plus affreux spectacle. Tout y était brisé et dévasté : l’eau le couvrait à la hauteur des genoux, il nous était impossible d’y demeurer. Jamais les matelots n’avaient vu une tempête si affreuse et de si longue durée. Pendant ces deux derniers jours nous naviguâmes entre deux eaux ainsi que la nuit.
les 12, 13 et 14, vent un peu modéré quoiqu’encore très violent soufflant toujours de l’ouest ; temps couvert, orageux et très froid ; abat de neige. Nous approchions avec rapidité du Cap Horn, à notre grande satisfaction.
le 15, le vent était presqu’entièrement tombé, mais la mer très houleuse, le temps est très froid ; le soleil paraît pour la première fois depuis quinze jours.
le 16, temps couvert, fort vent d’ouest, la mer est extrêmement agitée : apparence de mauvais temps vers le soir ; nuit assez bien passée.
les 17 et 18, même vent ; plusieurs brouillards épais se font sentir. Il y a environ quatre doigts de neige sur le pont du vaisseau, la neige qui tapisse les mats et les cordages se durcit par le froid de la nuit ; la manœuvre devient extrêmement difficile. Ce temps est bien pénible pour les pauvres matelots qui sont contraints dans le plus fort, du mauvais temps de monter dans les mats glacés et mouillés pour prendre des ris, manœuvre qui ne peut s’exécuter que nud-mains. Ils étaient eux mêmes constamment mouillés en conséquence de la vague qui lavait continuellement le pont.
les 19 et 20, toujours temps couvert, même vent que les jours précédents : brouillards fréquent, les jours sont très court dans cette région-ci. À midi le soleil ne paraissait pas plus haut sur l’horizon qu’il ne l’est en Canada à huit heures du matin dans le mois de Mars.
le 21, vent modéré, la mer un peu calme, temps clair et froid. Nous apprenons aujourd’hui que nous avions atteint le 58o de latitude sud, et que c’est la ligne par laquelle nous devions doubler le Cap dont nous sommes très rapprochés. C’est pourquoi nous nous flattons de ne plus éprouver de froids plus sévères que ceux que nous avons ressentis, et voir bientôt cesser celui qui nous incommodait tant. Car depuis trois semaines, il nous avait été impossible de demeurer sur le pont, et nous n’y allions que par nécessité : et nous éprouvions beaucoup d’inconvénients dans l’entre-pont où nous étions, il existait une grande humidité et le local était extrêmement étroit, un épais brouillard se fit sentir sur le soir.
le 22, bon vent frais, temps couvert. Légers brouillards durant le jour. Nous suivions toujours le 58o. de latitude, et espérions arriver au Cap sous peu de jours. Je fus surpris de voir paraître la planet Vénus à l’Orient vers huit heures du soir après l’avoir vu tomber avec le jour à l’Occident lors de notre départ de Sydney.
le 23, le vent s’était élevé et les nuages promettait de le faire durer long temps, la mer est très grosse : plusieurs brouillards se font sentir pendant le jour.
les 24 et 25, vent très violent venant de l’Ouest, la mer extrêmement grosse, l’eau roula continuellement sur le vaisseau durant ces deux derniers jours.
nous attaignîmes aujourd’hui ce fameux Cap, la terreur de tous les marins et des voyageurs, ce Cap difficile à imaginer et impossible à décrire, je m’en étais formé une idée sur des relations que j’en avais lues et sur le récit de certains voyageurs qui avaient eu occasion de visiter ces parages, mais quoique je la crusse exagérée, elle était pourtant bien au dessous de la réalité et rien de ce que j’en avais vu et entendu n’était exagéré. Pour se faire une idée de ces lieux, que l’on se figure une navigation sous les cinquante-huitième degré de latitude Sud, à travers une continuité de vent violent, de pluie et de brouillards épais, une mer dont vous diriez que les vagues tombent plutôt du ciel qu’ils ne roulent sur la surface de l’Océan, prêt à vous engloutir à chaque instant. En un mot, pour se faire un tableau de la mer en cette région, figurez vous être entouré de montagnes d’eau sans cesse mouvantes majestueusement.
les 26 et 27, fort vent d’Ouest, temps couvert ; pluie et neige de temps en temps ; nous commençâmes à cingler vers le N. E. en doublant le Cap, à notre grande satisfaction. Car nous espérions sous peu de jours être délivrés de nos misères : c’est à dire que nous pourrions avec plus d’aisance jouir de l’avantage de demeurer sur le pont, lorsque nous viendrions dans les climats chauds. Aujourd’hui vers cinq heures, le vent tourna avec violence du côté du Nord et ceci nous obligea de mettre à la Cap.
le 28, le vent était diminué. Il soufflait de l’Ouest et nous poussait en bonne direction. Le temps était beau, la mer bien houleuse.
le 29, même vent qu’hier. Nous faisions bonne route, nous courrions au N. E.
le 30, beau temps, vent Ouest-Sud-Ouest assez violent. Nous commencions à sentir les premiers degrés de chaleur des Tropiques à mesure que nous avancions au Nord, c’est un fait remarquable, que deux jours après avoir doublé le Cap, nous nous apperçûmes d’un changement graduel et rapide dans la température.
le 31, temps couvert soufflant de l’Ouest, et assez modéré.
le 1er Septembre, beau temps clair ; vent Ouest — assez violent. Nous sommes forcés de faire un peu plus de longitude que nous aurions voulu en faire sans pourtant nous jeter hors de notre route.
les 2 et 3, toujours même vent, venant pourtant un peu plus du Nord et ralentissant un peu notre course.
le 4, temps pluvieux ; vent de Sud assez modéré — Il nous poussait en bonne direction. Nous avions beaucoup de latitude à faire. Nous avions atteint les 42° de latitude Sud, nous prîmes plusieurs pigeons du Cap, à la ligne.
Les 5 et 6, temps clair ; vent Sud Ouest très modéré. Le séjour sur le pont était agréable. Le temps s’était échauffé de beaucoup depuis que nous faisions voile au Nord, bien que nous n’avions encore atteint que le 40° de latitude Sud.
Les 7 et 8, temps couvert et pluvieux ; vent variable — Nous fûmes obligés de courir des bordées aujourd’hui pour la première fois depuis notre départ de Sydney. Nous avions atteint ces parages ou les vents sont variables tout le cours de l’année. Nous vîmes un grand nombre de poursils le jour autour du vaisseau ainsi que des légions d’oiseaux. Le vent devint favorable vers dix heures.
le 9, temps couvert ; vent de l’Ouest, un peu opposé à notre route.
le 10, vent très violent soufflant de l’Ouest.
N. O. Nous sommes contraints de mettre à la Cap pour tout le jour. La mer est extrêmement grosse, le temps pluvieux : nous prîmes plusieurs oiseaux — Le dix de chaque mois, nous devint une époque assez marquant — Depuis notre départ de Sydney ce jour signalé par un événement remarquable. Ce fut le dix Juillet que nous abandonnâmes le lieu de notre exil ; le dix Août nous éprouvâmes une tempête sur l’Orien Pacifique et le dix Septembre, une autre sur l’Atlantique sud, ou au moins un vent d’une violence extraordinaire quoiqu’il n’arriva aucun accident.
les 11 et 12, fort vent d’Ouest — temps serein et assez chaud : la mer très agitée, nous faisions assez bonne route. Cependant nous vîmes quantité de Marsouins de quinze à vingt pieds de longs et plus
le 13, temps clair, vent Ouest N. O., assez léger. Nous apprîmes que nous étions, au 35°14, latitude Sud.
le 14 beau temps, vent bien diminué, la mer unie. Nous vîmes cinq à six baleines dans la matinée, et quelques unes d’elles tout près du vaisseau. Vers dix heures du matin nous aperçûmes sur l’horison, une voile presque imperceptible. Un orage survenu sur ces entrefaits, nous la cacha tout à fait. Vers trois heures, P. M., le temps s’éclaircit et nous apperçumes la même voile, l’on reconnut que c’était un Baleinier Américain, nommé le Tymar. Comme il parut s’approcher de nous, notre capitaine hissa son pavillon de signal. Mais il n’y répondirent point ; peu de temps après, ils se dirigèrent directement sur nous, et nous passèrent en poupe — C’était, non seulement le premier vaisseau que nous rencontrions depuis notre départ, mais le premier objet indépendamment des oiseaux et des baleines.
le 15, beau temps. Il commençait déjà à faire chaud — Nous apprîmes que nous étions au 31° de latitude et 84° de longitude.
le 16, beau temps, vent toujours frais mais modéré. Temps nuageux dans l’après midi.
le 17, le vent tourna Sud-Ouest pendant la nuit. C’était les premières impulsions des vents de commerce que nous devions atteindre entre les 28° et 30° de latitude. Ces vents devaient conséquemment nous être favorable jusqu’au même degré de latitude Nord. Pour nous prévaloir de ces vents alizés, nous augmentâmes le nombre de nos mâts et de nos voiles.
le 18 et 19, beau temps, calme et bien tempéré. Nous commencions à souffrir un peu de la chaleur dans l’entrepont, et surtout la nuit. Le jour nous nous tenions tous sur le pont où nous respirions un bon air. Nous désirions beaucoup de vent afin de passer les Tropiques au plutôt, et encore mieux d’avancer notre route.
le 20, ciel serein ; la mer calme comme je ne l’avais pas encore vue. L’atmosphère tempéré. Vers midi la brise s’élevât de l’Ouest bien légèrement.
Le 21, beau temps, mais chaud — brise légère, soufflant de l’Ouest. Nous étions au 29° de latitude sud.
Le 22, même temps — Vent venant de l’Ouest N. O. un peu frais et contraire à notre route.
Le 23, ciel serein ; vent très violent et un peu frais — Le vaisseau est fort agité. Nous voyons des poissons volants pour la première fois depuis notre départ. Nous avons atteint le 23° de latitude sud.
Le 24 à six heures du matin le vent tourna du côté du Sud : le temps fut couvert tout le jour. Nous passâmes Rio-Janeiro ce jour là mais à une grande distance.
Le 25, vent sud assez violent. Temps couvert et pluvieux. Vers midi nous apercevons une voile à l’horizon. Nous atteignons promptement ce vaisseau qui nous passe en proue sans aucun salut de part ni d’autre. C’est un baleinier Américain nommé l’Elisabeth.
Le 26, léger vent de Sud — temps chaud nous sommes au 9° de latitude sud.
Le 27, même vent ; ciel nuageux. Nous souffrîmes beaucoup de la chaleur, principalement la nuit où il nous était presqu’impossible de dormir.
Le 28 vent Sud Est modéré. Le temps est chaud. Nous avions actuellement les vents alizés qui viennent du Sud Est depuis Avril jusqu’en Novembre comme il a été dit au commencement de ce journal. À neuf heures le ciel se couvrit de nuages qui présageaient une de ces tempêtes fréquentent et dangereuses qui se font sentir dans les parages ou nous étions ; heureusement nous en fûmes quittes pour l’appréhension, et nous n’éprouvâmes qu’une brise agréable.
Le 27, temps couvert jusqu’à neuf heures du matin et ensuite beau et chaud. Légère brise Sud Est. Nous Voyons aujourd’hui pour la première fois depuis notre départ, un requin qui côtoyait le bâtiment ; et pendant que l’équipage faisait des préparatifs pour le prendre il s’enfuit. Nous étions au 15° 33′ de Latitude Sud. — Le 30 beau temps, mais chaud, nous étions au 15° 50′ de latitude Sud. Nous rencontrâmes un bâtiment Hollandais qui faisait voile pour Batavia une Isle des Indes Nous nous saluâmes et nous fûmes en vue toute la journée à cause du calme.
Le 1er. Octobre temps calme, la mer est aussi unie qu’une glace et ne conserve qu’une majestueuse ondulation. La chaleur est excessive. Elle pénètre jusque dans notre appartement ; nous en sommes fort incommodés. Le 2 à cinq heures du matin, il soufflait à notre grande satisfaction une agréable brise Sud Est qui augmenta dans le courant de la journée. Ceci nous dédommagea de nos souffrances passées. Quelqu’un de nous saisit à la main un oiseau qui vint se poser sur le bord du vaisseau. Le 3 il soufflait une bonne brise Sud Est. La chaleur était grande, nous étions au 14° 8′ latitude Sud. Le 4, la brise s’était élevée durant la nuit et soufflait avec violence. Nous avancions rapidement faisant de six à sept milles à l’heure. Nous rencontrâmes un navire Écossais venant de Glasgow et cinglant pour Bombay dans les Indes Orientales. L’impétuosité du vent ne nous permit pas de lui parler. Nous nous eûmes bientôt perdus de vue l’un et l’autre : latitude 12° 24′.
Le 5, la brise continuait à souffler du Sud Est avec force, et favorisait fort notre route. Le temps fut nuageux, nous nous aperçûmes que le vent Sud Est était plus constant depuis le 14° latitude (Sud) : nous avions proprement atteint les vents de commerce. Vers trois heures P.M. nous rencontrâmes un bâtiment Américain qui faisait voile au Sud, il venait de Boston. Nous nous signalâmes l’un l’autre. À huit heures du soir nous en rencontrâmes un autre qui passa près de nous. Nous ne pûmes le voir que faiblement à cause de l’obscurité. Cependant ils élevèrent une lumière à diverses reprises. Chose assez remarquable, depuis que nous étions arrivés sous les Tropiques, tous les oiseaux petits et gros qui jusque là avaient environné notre vaisseau depuis notre départ, disparurent graduellement à mesure que nous avancions vers l’Équateur, excepté pourtant une sorte de petites hirondelles noires et grises que les marins anglais appellent “ Mother Carry’s chickens.”
Le 6 le vent continua à nous favoriser avec la même force, heureusement pour nous, car le soleil dardait ses rayons presque verticalement sur nos têtes. Sans la brise Sud Est, nous aurions fort souffert de la chaleur. Le 7, même vent. Le ciel nuageux et le temps chaud. Nous passâmes aujourd’hui sous le soleil qui alors se trouvait entre les 5° 6′ dégrés de latitude Sud, de longitude de Westminster. À une distance à l’Est, nous distinguâmes un navire. Le 8, même vent, ciel serein. Nous rencontrâmes un brick anglais, venant de Jersey et faisant voile pour l’Amérique du Sud. Nous en vîmes un autre à une grande distance cinglant encore pour le même lieu. Le temps était chaud. Heureusement pour nous la brise Sud Est nous rafraichissait, latitude (Sud) 30°.
Le 9, même vent, chaleur brûlante, ciel nuageux. Nous vîmes des légions de poissons volants et un grand nombre de poursils, les matelots, essayèrent à prendre un de ces derniers. Ils réussirent en effet à le darder ; mais au moment où ils allaient le tirer de l’eau, le harpon s’arracha, et le poursil tout blessé qu’il était, s’enfuit rougissant l’eau de son sang.
Le 10 Octobre dans l’après-midi, nous passâmes l’Équateur par un beau temps, et un peu rafraichis par une faible brise. Nous nous trouvâmes donc dans l’Hémisphère Septentrional, le nôtre par conséquent que nous avions laissé depuis cinq ans. Les matelots signalent ce jour par une fête burlesque. Ils se barbouillent de noir les uns les autres ; ensuite se lancent de l’eau avec des seaux pour se laver, disent ils. Ils se revêtirent ensuite d’habits comiques et firent des farces, chantèrent, etc. Mais toute cette bouffonnerie tendait plutôt à obtenir du Grogue de la part du Capitaine, que par respect pour Neptune. C’est une pratique à bord de tous les vaisseaux : les passagers y prennent même quelque fois part. Le 10, nous eûmes le même vent et le même ciel que les jours précédents. Le temps est fort trompeur entre les Tropiques. Les signes auxquels le mauvais temps s’annonce dans notre pays, sont souvent suivis du beau temps et réciproquement. Un ciel serein amène quelquefois des bourasques violentes. Les marins les préviennent assez facilement, le nuage qui les produit se montre soudainement à l’horizon quelquefois il est très petit. Il fond ensuite avec rapidité sur le vaisseau comme la foudre et briserait les mats et les voiles sans les précautions des marins. C’est le sort qu’ont éprouvé plusieurs vaisseaux dont l’équipage n’avait pas eu le temps de prévenir ces bourasques. Les Français appellent ces sortes de nuages Grains et les anglais White Squall. La chaleur était devenue excessive. Le soleil était perpendiculaire à nos têtes et sur le déclin du jour, son ardeur nous accablait. On se fera facilement une idée de ce que nous souffrions dans l’entrepont pendant la nuit. Nous ne pouvions dormir ; la sueur ruisselait sur nos corps. Plusieurs furent contraint d’aller coucher sur le pont pour y trouver un peu de repos. Nous rencontrâmes aujourd’hui trois vaisseaux qui faisaient voile au Sud. Ils passèrent à une grande distance de nous.
Le 11, le vent était un peu diminué. Il nous était devenu favorable, mais à cause de sa faiblesse nous n’avancions qu’avec lenteur. Nous vîmes des multitudes de poissons de la grosseur de nos mulets en Canada ; ces poissons paraissaient se jouer à la surface de la mer en sautant hors de l’eau. Chose assez remarquable, c’est que depuis le Tropique du Capricorne comme je l’ai déjà observé, les oiseaux avaient totalement disparu ; et pourtant il s’en trouva un grand nombre qui planaient au-dessus des poissons dont je viens de parler et qui paraissaient suivre leur marche en effleurant l’eau à l’endroit où ils se montraient. Nous ne savons si ces oiseaux exécutaient ce manège pour se repaître de ces poissons : Cette opinion ne me paraît guère fondée vu qu’ils n’excédaient pas en grosseur nos pigeons domestiques ; mais ils avaient néanmoins les ailes plus longues. Nous avions atteint le 8° 35′ latitude Nord.
Le 12, le vent était tombé presque totalement ; le ciel fut couvert toute la journée. Vers deux heures P. M. un orage se fit sentir. Le vent tourna à l’Est : mais au retour du beau temps le vent repris sa première direction. Pour la première fois il m’arriva de me trouver nus-pied sur le pont, soit par négligence ou autrement j’avais perdu mes pantoufles. À ma grande surprise, je ne pus résister sur le pont. L’ardeur du soleil l’avait rendu brûlant, bien qu’il ne parût que par intervalle ; nous souffrîmes extrêmement de la chaleur.
Le 13, le temps est calme ; la chaleur excessive. Nous vîmes plusieurs dauphins se jouer autour du vaisseau. Ces poissons sont très agiles. Ils se tournaient sur tous les sens avec une violence incroyable ; ils avaient environ dix à douze pieds de long. Dans l’après midi nous vîmes deux bâtiments un au Sud et l’autre à l’Ouest de nous : ils paraissaient faire la même route que nous ; il éclaira et tonna durant la nuit.
Le 14 à six-heures du matin le temps était couvert et il commença à pleuvoir presqu’aussitôt. Pendant la journée le vent s’éleva du Sud Ouest et devint très violent jusque vers cinq heures P. M. où il tomba presqu’entièrement. Nous vîmes les mêmes vaisseaux que nous avions vus la veille ; l’un se trouvait derrière nous et l’autre à l’Est. Nous profitâmes de la pluie qui tombait pour ramasser de l’eau, nous emplîmes presque tous nos petits vaisseaux. Quoique notre ration fût de trois litres chacun par jour, comme nous en devions déduire la quantité nécessaire à notre cuisine, elle n’était pas suffisante surtout pendant que nous étions entre les Tropiques où il nous fallait continuellement boire pour se désaltérer et se rafraîchir. Le 15, la pluie continua à tombée avec abondance, le vent changea de direction plusieurs fois successivement durant le jour, il tomba même et reprit de nouveau.
Le 16, temps serein jusqu’à deux heures P. M. vent Nord-Est. Un violent ouragan survint tout à coup accompagné de pluie et de tonnerre qui dura environ une demi-heure : un calme d’environ une heure y succéda et la brise reprit ensuite. Nous étions au 9° latitude Nord. La nuit fut passablement belle.
Le 17, temps pluvieux toute la journée. Le vent changea de direction plusieurs fois dans le courant de la journée. Un calme profond succédait toujours aux orages.
le 18, le temps était devenu beau, le ciel était serein, le vent Nord-Est. Nous croyons que c’était là les vents de commerce ou les Mousson qui avaient reparu.
le 19, même vent qu’hier. Ciel clair nous vîmes beaucoup de poursils quelques baleines et des poissons volant par légions. Ces vents N. E., nous rafraîchissaient beaucoup ce que nous trouvâmes bien délicieux après avoir supporté la chaleur de l’équateur qui nous avait tant fait souffrir.
le 20, le vent continua à souffler du même côté avec un peu plus de violence, ce qui nous contraignit à faire plus de longitude Ouest qu’il ne nous était avantageux. Vers sept heures du soir, le ciel se couvrit de gros nuages, le vent devint très violent et la mer très agitée, nous étions presqu’en parallèle avec les Isles du Cap Vert 14° 3′ de latitude Nord.
le 21, le vent Nord-Est continue toujours avec beaucoup de violence, la mer est terrible ; les vagues se précipitent fréquemment sur le pont. Nous n’avions pas encore vu la mer en cet état d’agitation depuis le Cap Horn, latitude 16° Nord.
le 22, même temps que les jours précédents, la mer est plus agitée que de coutume, la violence du vent est telle que plusieurs voiles en sont déchirées et mises hors de service ; les mâtures mêmes menacèrent de se briser, latitude 18° Nord. Vers cinq heures du soir, nous rencontrâmes un brick qui passa à l’Est de nous et paraissait faire rencontre au S. P.
le 23, le vent souffle avec la même impétuosité ; le ciel est nuageux, la mer très grosse, les flots couvrent le vaisseau fréquemment dans le courant de la journée. Nous sommes au 20° 7’ Latitude, N.
le 21, le vent avait un peu diminué, mais il soufflait toujours du même côté, le ciel est serein. Vers huit heures du matin nous rencontrâmes un bâtiment qui faisait voile, — pour les Indes Occidentales. Vers quatre heures nous en aperçûmes un autre devant nous, Latitude 22° 50’.
le 25, même vent Nord-Est, mais bien modéré, faisant toujours bonne route. Nous eûmes en vue deux vaisseaux faisant même route que nous. L’un d’eux avait essuyé une tempête et avait eu ses hauts mâts de misaines et ses grands mâts brisés. Ce qui avait failli nous arriver il y avait quelques jours, Latitude 24° 30’ Nord.
le 26, temps absolument calme toute la journée.
le 27, la brise souffla légèrement du Nord-Est jusqu’à une heure P. M., après quoi le vent augmenta et nous contraignit de louvoyer. Dans le courant de l’après midi, plusieurs bourrasques fondirent sur nous avec violence. Nous croyions avoir laissé les vents de commerce et avoir repris les vents variables, Latitude 27°, Nord.
le 28, le vent soufflant du même côté et avec la même violence, nous sommes jetés loin de notre route.
le 29, même vent qu’hier. Nous vîmes beaucoup d’herbages sur la surface de la mer. Ils venaient du Golfe, du Mexique et de la Floride, entraînés par les courants et les vents d’Ouest qui sont dominant dans ces parages.
le 30, le vent s’était un peu modéré quoique soufflant toujours du même côté. Nous vîmes deux vaisseaux à une grande distance.
le 31, le temps est couvert toute la journée de gros nuages. Le vent est très inconstant.
le 1er Novembre, temps calme tout le jour. Vers le soir l’horison était assombri par des nuages noirs. Nous appréhendions une tempête violente tout prochainement, Latitude 32°, N Longitude 35’ Ouest.
le 2, à six heures du matin la brise soufflait légèrement du Sud-Ouest et augmenta graduellement jusqu’au midi où le vent souffla avec violence et par conséquent nous était favorable. Deux vaisseaux nous passèrent en poupe, faisant à l’Est ; l’un d’eux était Américain.
le 3, le vent continua toujours à souffler avec la même violence. Le ciel était couvert et annonçait une tempête. À notre grande satisfaction, nous parlions d’arriver sous douze jours à Londres si le vent ne cessait de nous être favorable. Il n’est pas nécessaire de dire que nous avions besoin de rafraîchissement et que nous étions harassés du voyage ; plusieurs d’entre nous eurent des symptômes de Scorbut. Nous étions parvenus au 34° degré Nord.
le 4, à six heures du matin le vent changea soudainement Nord-Est avec violence ; et se trouva opposé à notre route ; — temps pluvieux, et la mer très agitée.
le 5, le même vent qu’hier continuait à souffler avec la même violence quoiqu’il se fût un peu rapproché de l’Est. Le temps fut couvert, Latitude 36° 30′.
le 6, vent Est Nord-Est nous poussant, en bonne direction, temps couvert et pluvieux. Nous vîmes deux bricks. Nous nous approchâmes de l’un d’eux et lui parlâmes. C’était un brick Anglais venant de Buenos-Ayres du nom de Adino-Dundu. Le froid commença à se faire sentir. Nous étions au 38° latitude Nord.
le 7, même vent qu’hier. Temps serein. Vers minuit il ne s’en fallut guère qu’il n’y eût collision entre notre vaisseau et celui que nous avions vu la veille. Vers six heures du soir, il n’était qu’à une petite distance de nous. Nous nous rapprochâmes encore dans l’obscurité de la nuit et nous nous surprimes tout-à-coup à une légère distance d’environ cent verges l’un de l’autre, latitude 39° 40′ Nord.
le 8, vers quatre heures du matin le vent tourna au Sud-Est et souffla avec violence. Il nous était favorable ; nous laissâmes les Isles Azores à l’Est de nous le ciel était serein et le temps frais, latitude 41° 4′.
le 9, le vent tourna au Sud-Ouest dans le courant de la nuit et se trouvait encore plus favorable pour nous comme nous avions plus de longitude que de latitude à faire. Une barque Anglaise, nous rejoignit nous l’approchâmes et lui parlâmes. Elle venait de Valparaiso (Chili). Elle se nommait Orator-London ; il y avait cent vingt jours qu’elle était partie ; avait comme nous doublé le Cap Horn, longitude 34° Ouest.
le 10, le vent soufflait Ouest Sud-Ouest avec assez de violence et nous poussai en bonne direction, latitude 42° Nord, longitude 62° Ouest.
le 11, le vent avait augmenté et soufflait avec beaucoup de violence. — La mer était très agitée, elle était couverte d’écume blanche comme la neige. Nous faisions huit milles à l’heure. Aujourd’hui les matelots appareillèrent les ancres espérant arriver bientôt à Londres si le vent continuait. Nous nous réjouissions tous de voir que le vent nous était si favorable, et désirions beaucoup mettre pied à terre. Depuis cent vingt cinq jours nous n’avions seulement pas vu la terre une seule fois. Nous étions extrêmement fatigués du voyage surtout depuis quelques jours, notre nourriture se trouvant réduite à du bœuf salé d’une très mauvaise qualité et à du méchant biscuit.
le 12 il plût toute la journée ; le temps fut calme et brumeux, la mer très houleuse.
le 13 la brise s’était élevée Sud-Ouest et soufflait bien régulièrement ; le temps était couvert et brumeux. Nous rencontrâmes un navire qui se dirigeait à l’Ouest, nous gouvernions droit à l’Est : Latitude 44° Nord Longitude 24 Ouest.
le 14 et 15 temps pluvieux fort vent Sud-Ouest, favorable donc à notre route ; car nous gouvernions droit à l’Est, dans l’embouchure de la Manche. Nous vîmes plusieurs vaisseaux durant ces deux derniers jours. Vers huit heures du soir, comme la nuit était très obscure et pluvieuse nous vinmes presqu’en collision avec un navire qui venait à notre rencontre à pleine voile. Le choc eût été terrible et aurait produit la ruine de l’un et l’autre vaisseau. Heureusement que l’autre navire nous découvrit et hissa une lanterne. Un officier de l’équipage fut déchu de sa place pour ne pas avoir placé un homme de garde sur l’avant tel qu’il avait un ordre de le faire.
le 16 le temps changea ; le ciel s’éclaircit et le vent se rapprocha du Sud de quelques points. Latitude 48° 30′ Longitude 13° 30′ Ouest.
le 17 le ciel fut couvert de gros nuages ; et le vent soufflant du Sud-Est, se trouvait un peu opposé à notre route. Le temps était frais ; nous vîmes beaucoup d’oiseaux, ce que nous n’avions pas vu depuis longtems. Cela nous fit croire que nous n’étions pas éloignés de terre ; nous nous pensions même dans le chenal de la manche.
le 18 temps couvert ; vent Sud-Ouest soufflant avec violence. Nous apprîmes à notre grande satisfaction que nous étions entrés dans l’embouchure de la manche. Nous nous réjouissions tous de pouvoir dans quatre à cinq jours, mettre le pied sur le rivage. Nous vîmes plusieurs vaisseaux et un grand nombre de canards plongeur autour de nous. La première pointe de terre Anglaise qui s’offrit à nos regards, fut Lezard Point à l’extrémité méridionale de l’Angleterre. Nous nous avançâmes rapidement pendant la nuit.
le 19 vers neuf heures nous fûmes tout à coup, frappés par le cri de terre ! terre !! Nous découvrîmes en effet la terre à bâbord ; c’était Start Point que nous passâmes à une petite distance. Le jour fut bien joyeux pour nous, et tout contribuait à exciter notre joie. Le temps était beau, une brise légère et favorable nous poussait rapidement vers notre destination. Nous eûmes ce jour là pour diner du porc-frais que l’équipage avait fait la veille ; il va sans dire que nous trouvâmes cette nourriture délicieuse, n’ayant goûté à aucune viande fraîche depuis cent trente trois jours, et privés même depuis un mois de lard salé. Nous vîmes beaucoup de vaisseaux allant et venant de tous côtés, et principalement beaucoup de chaloupes qui faisaient le cabotage de la côte d’Angleterre en France. L’une d’elle vint à notre bord nous offrir du poisson. J’en remarquai entr’autres une sorte qu’ils appellent Garnet. Ces poissons étaient rouges de singulière forme, et excellents à manger. Notre capitaine fit marché avec eux pour débarquer la malle. Il lui en couta trente shellings, somme qu’il paya avec du tabac, du bœuf salé, du thé et du rum. Un des passagers de la Cabine débarqua par la même chaloupe.
le 20 nous eûmes un temps superbe quoique couvert. Le vent était frais et favorable. Nous eûmes le plaisir de voir l’Isle Wight qui nous parut être fort élevée, nous vîmes aussi beaucoup de vaisseaux. Une chaloupe vint à notre bord avec un pilote, mais qui n’avait rien à faire avec nous ; vu qu’il n’était pas licencié pour piloter les vaisseaux allant à d’autres ports que ceux de l’Isle Wight à laquelle il appartenait. Dans le courant de la nuit, nous passâmes Beachy-Head, où il avait un Phare.
le 21 il fit un temps superbe, frais et serein. Cependant le vent se trouvait contraire à notre route : nous ne vîmes la terre que vers onze heures du matin. C’était Dungeness qui est une longue pointe de sable plane, sur laquelle était érigé un Phare de brique. Nous distinguâmes aussi Hastings qui est une petite ville au Sud de Dungeness. Nous vîmes une quantité immense, de vaisseaux louvoyant de côté et d’autre. Aujourd’hui nous revîmes le pilote qui devait nous conduire à Dover. Dans le courant de la soirée nous aperçûmes à l’Est de nous un Phare superbe que l’on nous dit être un Phare Français construit depuis peu. Nous apprîmes par le pilote que la barque Jane Goudie était passé ici justement dix jours avant nous ; ce qui est frappant après une si longue route. Il fallut bien que la marche des vaisseaux fût la même, pour ne pas se devancer même d’un jour. Nous remarquâmes que l’eau de la Manche était verte. Je ne sais à quoi cela tient ; soit que ce soit là la couleur naturelle de l’eau, où qu’elle soit produite par le lit du fleuve ou autres causes. Quelques chaloupes Hollandaises passèrent près de notre bord ; nous mouillâmes un peu au dessous de Dungeness.
le 22 à six heures du matin nous levâmes l’ancre ; il soufflait une violente brise contraire à notre route ; ce ne fut qu’en louvoyant que nous pûmes gagner un peu de chemin. Vers neuf heures du matin nous aperçûmes les côtes de Dover qui sont coupés perpendiculairement à la mer et blanche comme de la neige ; elles sont en effet composées de craie ou de plâtre blanc. Nous nous en approchâmes, et vîmes Dover dans le fond d’une petite baie. Elle nous parut être une petite ville élégamment bâtie entourée par les collines blanches dont je viens de parler. Il y a aussi sur l’une des collines auprès de la ville, un superbe chateau, et un peu plus loin un Phare ; et de larges plaines qui s’étendent au Nord-Ouest et qui nous parurent bien cultivées tout le monde connait l’antiquité le cette ville et combien s’y rattachent de souvenirs. C’est là que débarqua la nombreuse armée qui apportait des chaînes aux bretons jusqu’alors libres et fiers : ce qui traça le chemin à ces hordes de barbares féroces qui inondèrent successivement le Sol Britannique et le rougirent de sang. Nous pouvions facilement d’où nous étions découvrir Calais sur la Côte de France et située précisément en face de Dover. Nous éprouvâmes tous une vive émotion en apercevant la patrie de nos ancêtres. En peu de temps nous nous rendîmes vis à vis de Deal, autre petite ville à sept ou huit milles de Dover et située sur un terrain plat et sablonneux. Comme le vent était contraire à notre route et la marée contre nous ; nous mouillâmes devant la ville que nous pûmes contempler à notre aise. Elle ne contient que huit mille âmes dont la principale occupation est la pêche. Cette place est célèbre comme étant le lieu où Jules-César effectua sa descente en Angleterre lors de sa première expédition en pays. Nous étions maintenant entrés dans les Dunes places dangéreuses par le nombre des bancs de sable qui obstruent de tous côtés le passage des vaisseaux ; aussi y voit-on fréquemment des naufrages. Le fond est composé de sable mouvant et par conséquent d’un jour à l’autre la marée y forme des bancs infranchissables et à différents lieux : aussi y-a-t-il un vaisseau à vapeur gagé par le gouvernement pour croiser et sonder journellement dans cet endroit afin de découvrir les bancs de sable et les indiquer. Nous vîmes ce vaisseau croiser en différents sens et une multitude de bouées placées çà et là ainsi que des Phares flottants. Des chaloupes vinrent à bord avec des poissons du pain, des pommes etc. Les bords de la mer de cette partie de l’Angleterre sont assez planches et unis. Je remarquai que les rapports que l’on nous faisait au sujet de l’atmosphère de fumée qui obscurcit le ciel de l’Angleterre étaient bien véritables et que la cause en était la quantité immense de charbon de terre qui se consumait dans les manufactures innombrables qu’il y a ; aussi tous les villages et toutes les villes que nous vîmes étaient ils couverts de fumée.
Le 23 à neuf heures du matin nous jetâmes l’ancre à l’embouchure de la Tamise. Nous ne pûmes avancer plus loin à cause de la marée qui baissait, et qui formait des courrants assez forts pour nous entraîner sur quelques bancs de sable qui comme je l’ai dit sont très communs ici. Plusieurs bâteaux-à-vapeur passèrent auprès de nous, allant en France, en Hollande et à différentes autres places ; plusieurs vaisseaux vinrent mouiller auprès de nous, pour là attendre la marée du lendemain. Nous encrâmes à une profondeur de 22 pieds d’eau à marée basse, sur un fond de sable. Nous nous trouvâmes vis-à-vis Margate et Ramsgate.
le 24 à six heures du matin, nous levâmes l’ancre, et favorisés d’une légère brise ainsi que par le montant de la marée, nous fûmes bientôt parvenus à l’embouchure de la Tamise du côté Sud. Nous vîmes beaucoup de gros vaisseaux de guerre en désordre. Nous prîmes un bateau à vapeur qui nous toua jusqu’à Gravesend où nous mouillâmes de nouveau pour attendre la marée. Car le flux et reflux est si fort dans la Tamise qu’il est difficile d’aller contre le courant. Gravesend est une assez jolie petite ville bien située. Un officier vint prendre son poste à notre bord pour voir à ce qu’il ne se fit point de contrebande pendant la route vers Londres. Nous changeâmes aussi de pilote ; le capitaine de notre vaisseau débarqua avec plusieurs passagers. À huit heures du soir nous levâmes l’ancre encore une fois, et un bateau à vapeur nous toua jusqu’à Londres. Les bords de la Tamise sont généralement parlant assez bas et d’un bel aspect, nous amarrâmes dans le bassin de Londres à minuit. Nous fûmes cinq jours dans Londres à nous promener et à chercher un passage pour quelques uns des Ports des États-Unis comme la saison était trop avancée pour passer par le Golfe St Laurent.
Je ne donnerai aucun détail sur Londres car elle est trop bien connue, je me bornerai seulement à dire qu’il est difficile de se faire une idée de l’étendue du commerce des Anglais. — Pour le concevoir il fait voir ces magasins immenses encombrés de marchandises tant étrangères qu’indigènes ; cette marine dont les vaisseaux de toutes dimensions, remplissent les deux rives de la Tamise depuis son embouchure jusqu’à Londres distance d’environ trente milles ; ainsi que les vastes bassins qui ont été fait dans Londres et les environs. Enfin c’est une chose presqu’incroyable que l’importation et l’exportation qui ont lieu chaque jour à Londres. Quoique je connusse déjà Londres de renommée j’avoue pourtant que j’en avais une idée bien imparfaite, et que je fus étonné en la voyant. Je ne pouvais me persuader qu’il existât une ville aussi grande et aussi commerçante. Celui qui n’a pas vu Londres ne peut pas croire ce qu’elle est. Comme nous ne devions demeurer que peu de jours à Londres, nous employâmes le temps que nous avions, à voir les lieux et les édifices les plus intéressants, tels que Covent Garden qui est une place de promenade superbe, l’Église St. Paul, si célèbre par sa grandeur et son antiquité ; la Bourse ou Royal Exchange. La Tour et les nombreux édifices publics ; le Palais et plusieurs bâtisses magnifiques appartenant au gouvernement et à quelques Lords ; enfin les monuments des places publiques, les ponts et ce que nous trouvâmes plus étonnant de tout, fut le Tunnel, comme les Anglais l’appellent ; c’est un chemin souterrain connue il est à la connaissance de tout le monde, creusé sous la Tamise, de la longueur de douze cents pieds au-dessus duquel passent les bâtiments et les bateaux à vapeur. Lorsque nous fûmes dedans, nous entendîmes à notre grande surprise, le bruit que faisaient ces vaisseaux. Ce chemin souterrain est éclairé jour et nuit par le gaz. L’on y vend des fruits et autres objets de rafraîchissement. Il faut payer un Penny pour y être admis. Avant d’arriver à la plate-forme sur laquelle se trouve le chemin il faut descendre soixante et quelques pieds par un escalier tournant. Je crois devoir ici dire un mot de notre situation à Londres. Le lecteur connaissant combien elle était critique appréciera mieux le bienfait qui nous en a tirés, et donnera à son auteur le tribut de reconnaissance qu’il mérite.
Lorsque nous partîmes de Sydney, après un calcul du prix de notre retour dans nos foyers, nous savions bien que nos moyens pécuniaires étaient insuffisants pour s’y rendre, et que nous ne pouvions aller plus loin que Londres. Cette difficulté ne nous arrêta pas ; car nous espérions que rendus en cette ville, soit par notre travail ou par les secours que l’on pourrait recevoir de nos Compatriotes, ou quelque heureux hazard, nous terminerions notre voyage. Nous nous trouvions donc sans ressource à Londres, étrangers, inconnus : et nous ne savions comment sortir de cet embarras.
Dans les circonstances ordinaires, un témoignage d’intérêt ne fait souvent qu’une faible impression sur l’esprit, et le souvenir s’en échappe bientôt ; mais si l’infortune vous frappe, alors il revient et avec une vivacité toute nouvelle. Nous profitâmes de cette bienveillante attention de la Providence. Dans nos tristes réflexions le souvenir de Mr. Rœbuck se présenta tout à coup à notre mémoire. Nous nous rappelâmes avec attendrissement que dans plus d’une occasion, il avait manifesté de la bienveillance envers nos compatriotes et nous pensâmes que son âme généreuse s’intéresserait à nos malheurs. — Nous décidâmes de nous adresser à lui par voie de lettre ; et voici ce que lui écrivit l’un de nous, M. Lanctôt.
« À John Rœebuck, Ecr M. P. &c. &c.
« Arrivé depuis peu en cette Capitale, un étranger sans nom, sans crédit, sans autres recommandations que ses malheurs, pourrait-il aspirer à la faveur de communiquer avec vous ? Victime des commotions politiques dont son pays le Canada, fut naguère affligé, c’est à la faveur du patriotisme qu’il se familiarise de bonne heure avec votre nom, et que dans ce montent il ôse se permettre de soumettre à votre considération le court exposé de sa situation.
« Banni de sa patrie, retenu dans la sujétion depuis plus de six ans, il est enfin rendu à la liberté, ainsi que ceux de ces compatriotes qui partageaient avec lui le même sort. C’est en Juin dernier qu’il reçoit l’intelligence de son rappel. Cette libération, quoique tardive, il l’apprécie, il s’en félicite ; il a désormais le doux espoir de revoir ce qui l’attacha le plus chèrement au monde, son pays, son épouse, ses parens, ses amis. Mais il ne peut encore jouir de son bonheur ; ce n’est qu’une perspective ; il lui reste des mers sans limites à franchir ; un voyage dispendieux à entreprendre, et il est sans ressources, sans moyens, et le plus grand nombre de ses compatriotes aussi. Sydney ne put offrir qu’une existence difficile à ces étrangers ; lorsqu’ils reçurent leur pardon, ce n’était que depuis 42 qu’il leur était permis de s’habiter ; jusqu’alors ils avaient été détenus dans un établissement pénal. Leur anxiété est extrême ; fatigués, harassés jusqu’à l’épuisement par les misères et privations d’une longue captivité ; toujours présente à leur esprit l’image de leurs épouses, de leurs enfans dans les angoisses de l’absence ; Ils sont impatients de sortir des lieux où ils n’éprouvèrent jamais que vexations et vicissitudes. Heureusement ce pénible état d’indécision ne devait pas être de longue durée. Une lettre du Canada arrivée à un des exilés ; elle nous apprend que nos amis ont prévu notre situation, nos besoins, qu’ils ont souscrit à la formation de quelque fonds pour aider à notre retour dans nos foyers. Là-dessus nous nous voyons, nous nous consultons sur nos moyens respectifs ; ceux qui ont le plus tendent la main à ceux qui ont moins, et voilà enfin que nous nous comptons au nombre de 38 en état de prendre nos passages jusqu’en Angleterre, et nous quittons effectivement Sydney le 10 juillet dernier, et au bout de quatre mois et demi de navigation nous touchons à cette terre ; toujours sous l’impression que les fonds et deniers en question y seront parvenus avant nous, et qu’ils auront été adressés à celui qui fut toujours l’ami dévoué des canadiens, le défenseur déclaré de leur cause. Voilà, Monsieur, le faible et imparfait détail des circonstances qui m’emmènent aujourd’hui devant vous.
Il ne me reste plus qu’à vous demander pardon pour mon extrême hardiesse, et vous supplier de croire que de quelque renseignement que ce soit qu’il vous plaise m’honorer, je les apprécierai comme je le dois ainsi que mes autres compagnons. »
Le 29 novembre, nous embarquâmes à bord du navire Américain le Switzerland du port de six tonneaux, faisant voile pour New-York, commandé par le capitaine Knight. — À deux heures P. M. nous sortîmes du bassin Ste. Catherine et nous fûmes toués par un bateau à vapeur qui devait nous conduire hors de la Tamise. Comme la nuit commençait nous jetâmes l’ancre un peu en deçà de Gravesend ; cette circonstance nous procura l’avantage de voir cette partie de la Tamise qui se trouve entre Londres et son embouchure car nous avions fait ce trajet durant la nuit en montant ; Nous eûmes le plaisir de voir Greenwich par où passe le Méridien, et qui possède une superbe infirmerie militaire sur les bords de la Tamise. On peut compter que Londres commence de cet endroit, — car jusqu’à Londres les bâtisses tant manufacturières que maisons de particulière ne forment qu’une chaîne non interrompue.
le 30, nous mouillâmes vis-à-vis Margate, le vent étant contraire et le passage difficile par la quantité de bancs de sable qui obstruent l’entrée de la Tamise, nous ne pûmes aller plus loin.
le 1er décembre, nous levâmes l’ancre de grand matin, et nous louvoyâmes toute la journée pour éviter les bancs de sable, le soir de bonne heure, nous mouillâmes l’ancre, car nous avions à lutter contre le vent et la marée, ce temps fut pluvieux et froid.
le 2, nous louvoyâmes encore toute la journée sans pouvoir faire beaucoup de chemin. Le soir nous étions vis-à-vis Ramsgate. Nous étions assez proche de la côte. La place située sur l’extrémité d’une pointe qui s’avance dans la planche nous paraît d’un assez bel aspect.
le 3, le vent se trouva favorable, nous sortîmes des Dûnes et nous arrivâmes à Portsmouth vers quatre heures de l’après-midi. Nous ne jetâmes pas l’ancre, le capitaine et quelques passagers vinrent, à bord en chaloupe. Nous pûmes voir le port qui est très vaste, — et qui contient beaucoup de bâtiments de guerre. Nous n’eûmes qu’une faible vue de la ville ; mais d’après le rapport que nous en fit M. Lanctôt la ville est divisée en trois parties, — élégamment construite, et contient quatre-vingt mille âmes. M. Lanctôt s’était rendu à Portsmouth par terre en chemin à lisses, ayant été détenu à Londres pour quelqu’affaire qui nous concernait tous.
le 4, nous eûmes un vent favorable, nous vîmes Start Point en passant, le vent tomba sur le soir, nous eûmes encore la terre en vue, à une grande distance.
le 5, nous avions perdu la terre de vue ; le vent était favorable, nous voguions rapidement vers l’Amérique, le temps était frais et couvert.
le 6, la brise continua bonne toute la journée ; le temps était couvert et froid.
le 7, la brise était augmentée et soufflait toujours du Nord-Est, nous filions de neuf à dix nœuds à l’heure.
Le 8, le vent était très violent et un peu près la mer très agitée, et la vague embarquait à chaque instant bien que le vaisseau fut gros et fort haut, — beaucoup d’entre nous furent malades, tant du mal de mer que du rhume, — le vent tomba dans le courant de la nuit.
Le 9, le temps fut calme toute la journée ; la mer très houleuse, nous eûmes le plaisir d’observer une baleine à notre loisir, elle tourna autour du vaisseau au moins deux heures apparaissant tout auprès de nous à chaque instant.
Le 10, le vent était violent et soufflait du Nord-Ouest et se trouvait contraire à notre route.
Le 11, même vent, mais beaucoup modéré, temps couvert et orageux ; nous courûmes la bordée toute la journée.
Le 12, pendant la nuit, le vent s’éleva d’une manière furieuse ; la mer s’agita à tel point que dans le vaisseau tout se dérangea, coffres, quarts, meubles, etc. La vague frappait le bateau comme s’il se fut choqué contre un roc, l’eau descendait par torrents dans l’entrepont par l’écoutille, le vent et la mer faisaient un mugissement horrible ; il faisait froid, il grêla, — le jour parut enfin, nous montrant la mer en furie telle que nous ne l’avions pas vu depuis le Cap Horn ; pour comble de malheur, le vent était Sud-Ouest et contraire à notre route, ce qui nous força de serrer le vent
le 13, le même vent régna, la mer toujours aussi grosse, — le vaisseau berça horriblement, plusieurs furent incommodés du mal de mer, le ciel annonçait le vent.
le 14, le même vent exista avec la même furie, — Nous rencontrâmes un petit brick gouvernant à l’Est. C’était vraiment une curiosité de voir ce petit vaisseau ainsi agité par la mer ; quoiqu’il ne fût qu’à une petite distance de nous, nous le perdions de vue à chaque instant, et aussitôt il paraissait comme sur une Montagne, tantôt sur le côté, tantôt soit la proue ou la pompe en l’air, on aurait dit un morceau de liège sur l’eau.
Le 15, le vent soufflait toujours avec violence du Nord-Ouest. Nous passâmes en vue des Îles Açores à une petite distance. C’est un groupe d’Isles très élevées, habitées par des Portugais. Elles produisent une grande abondance de fruits et jouissent d’un climat délicieux quoiqu’elles soient sujettes à éprouver des tremblements de terre. Fayol est le Port principal et Agra la Capitale de ces Îles. Le port est parfaitement sûr. Elles sont situées sous le 40e latt. Nord et 30e long Ouest à peu près à mi-chemin de New-York en Europe.
Le 16, le temps fut calme et couvert toute la journée. Le temps s’était bien adouci, et annonçait du vent.
Le 17, la brise s’était un peu élevée soufflant du Sud-Ouest, c’est-à-dire contraire à notre route de sorte qu’il nous fallut louvoyer toute la journée.
Le 18, même vent qu’hier, nous vîmes un navire gouvernant Nord-Est. Sur le soir la brise devint violente ; la mer fut très agitée toute la nuit. Le ciel était clair et l’air tempéré.
Le 19, le vent soufflait toujours Sud-Ouest avec violence, la mer très grosse, à chaque instant la vague couvrait le vaisseau, plusieurs d’entre nous furent incommodés du mal de mer ; moi surtout. Sur le soir le vent tomba totalement et le temps se couvrit, nous étions tous chagrins de voir le vent toujours contraire à notre route, nous qui désirions si ardemment d’arriver au sein de nos familles et qui étions si fatigués de la navigation. Tout nous faisait trouver le temps long et ennuyeux ; cependant il nous fallait encore une quinzaine de jours de navigation.
Les 20, 21, 22, le vent soufflait toujours Sud-Ouest avec violence, l’atmosphère, et le temps froid.
Le 23, le temps fut calme excepté une légère brise du Sud-Ouest, nous passâmes quantité d’herbes marines qui sortaient du Golfe de la Floride ; nous étions en parallèle avec l’extrémité Sud-Est des Bancs de Terre-Neuve. Nous vîmes une espèce de petits oiseaux de la grosseur d’un Rossignol voltiger autour du vaisseau se jeter à l’eau et plonger. Nous rencontrâmes un vaisseau Danois qui faisait voile au Nord-Est ; il échangea des signaux avec nous.
Le 24, vers minuit le vent s’éleva graduellement de l’Est Sud-Est se trouvant favorable à notre route. À huit heures du matin le vent soufflait avec violence ; nous filions onze nœuds à l’heure en bonne direction, ce qui nous réjouit tous, ayant été si contrariés par les vents d’Ouest depuis notre sortie de la Manche nous espérions être bientôt à New-York.
Mais le 25, le vent soufflait de l’Ouest, pour nous faire expier la petite satisfaction de la veille, le temps était froid et le ciel couvert.
Les 26 et 27, le vent varia du Sud-Ouest au Nord-Ouest, temps clair et froid, la mer très agitée.
Le 28, le vent tomba entièrement, il plut durant la nuit, vers dix heures du matin, la brise s’éleva de l’Est se trouvant favorable et nous donnant encore l’espoir de voir prochainement la terre, nous étions à l’extrémité Méridionale des Bancs de Terre Neuve.
Le 29, le vent tomba vers minuit, nous eûmes aussi de la pluie. Tout le jour fut calme, nous jetâmes les lignes à l’eau, car étant sur les Bancs de Terre Neuve, nous pensions prendre de la Morue. Nous vîmes quantité de Canards et plusieurs Baleines.
Le 30, le vent soufflait du Nord avec violence le temps froid et couvert.
Le 31, vent variable et temps couvert.
Le 1er Janvier 1845. Ce jour de bonheur au Canada fut pour nous bien triste, ayant été trompés par le temps. Nous avions calculé que nous serions arrivés au jour de l’an pour le plus tard, et nous nous étions fait une si grande fête d’arriver. D’ailleurs nos parents devaient nous attendre avec inquiétude, car ils avaient dû recevoir des nouvelles de notre départ de Londres par le bateau à vapeur qui devait partir de Liverpool quatre jours après nous ; et devait arriver douze ou quinze jours avant nous à New-York. Cependant nous employâmes le jour le mieux qu’il nous fut possible. Nous nous procurâmes de l’eau de vie du Capt. du vaisseau et nous renouvelâmes notre bon temps passé du Canada, encouragé par la perspective que nous avions de bientôt toucher au terme de nos misères et fatigues, et de mettre encore une fois le pied sur notre sol natal. Le temps fut calme toute la journée, sur le soir la brise s’éleva Sud-Ouest comme d’ordinaire.
Le 2, le vent souffla toujours Sud-Ouest temps froid et couvert, nous rencontrâmes deux bâtiments.
Le 3, le vent souffla avec violence, la mer fut terriblement agitée ; il grêla et neigea toute la journée, et fit bien froid. Nous nous aperçûmes que nous étions devenus bien sensibles au froid, chose peu surprenante ; après avoir habité des climats chauds depuis cinq ans ; nous eûmes une nuit affreuse.
Rien n’est plus effroyable que de voir une nuit tempétueuse ; vent violent accompagné de grêle et de neige, sifflant dans les cordages ; les vagues soulevées et rouges comme du feu embarquant à chaque instant, sur le vaisseau. Sur le jour, le vent tomba.
Le 4, temps calme jusqu’à midi ; tout-à-coup le ciel se couvre de gros nuages et un instant après éclate une affreuse tempête. Les flots lavent le pont. Le grand hunier vole en lambeaux ainsi qu’une autre voile, les cordages cèdent de toutes parts. Des chocs violents ébranlent toute la charpente du vaisseau : même vent que la nuit précédente. Jamais traversée de Londres à New-York ne fut plus laborieuse. Depuis notre sortie de la Manche, nous n’avions eu que deux jours de bon vent, cependant en dépit des vents Sud-Ouest et Nord-Ouest qui règnent en général dans cette saison, nous comptions arriver à New-York cette semaine même.
Le 5, léger vent Sud-Ouest, temps couvert, fort orage accompagné de neige durant la nuit, au jour, temps calme. Depuis quinze jours le vent est contraire, ou il fait du calme.
Le 6, calme jusqu’à midi vent contraire Nord-Ouest, temps couvert.
Le 7 durant la nuit le vent s’éleva de l’Est d’une violence furieuse, et par conséquent nous poussait en bonne direction vers les côtes de l’Amérique, à huit heures du matin, le vent se trouvait si violent que force nous fut d’abattre les voiles, excepté le grand hunier, la misaine et le hunier d’artimon, encore y avait-il des ris de pris dans ces dernières, autrement il s’en serait suivi qu’accident. Le vent dura ainsi jusqu’à midi où il changea subitement au Sud-Ouest ce qui fit que la mer fut horriblement tourmentée. Il plut, et toute la journée le temps fut brumeux.
Le 8, vent Nord-Ouest assez violent, absolument contraire à notre route. Temps froid et couvert, nous jetâmes la sonde, il y avait vingt cinq brasses d’eau. Vers quatre heures après-midi, nous rencontrâmes trois vaisseaux qui faisaient voile au Nord-Est.
Le 9, le temps fut calme jusqu’à neuf heures, alors une légère brise s’éleva du Sud-Ouest, le temps fut froid, mais beau ; nous nous attendions à voir la terre le lendemain.
Le 10, vent Nord-Ouest, temps clair et froid ; vers neuf heures à notre grand contentement nous entendîmes crier Terre, Terre ; en effet nous aperçûmes à l’avant une terre sur laquelle nous pûmes distinguer des bâtisses ; c’était Black Island située à l’Est de Long Island. Mais le vent contraire nous empêcha de nous en approcher de près et nous fûmes obligés de louvoyer au Sud-Ouest. Nous ne revîmes plus la terre de la journée. Toute la nuit fut calme et pluvieuse. Nous éprouvions tous une grande joie de voir la terre, après une traversée si longue et si laborieuse que celle que nous avions faite depuis Londres, et de cette douce espérance que nous avions de bientôt toucher au terme de notre pénible voyage, et de rentrer au sein de nos familles.
Le 11, nous louvoyâmes encore toute la journée, sans voir la terre. Le vent Nord Ouest nous combattant toujours, car je crois qu’il était écrit là haut que nous serions contrariés par les vents jusqu’au bout.
Le 12 de grand matin, l’on nous annonça que l’on voyait un Phare à l’avant, et dès que le jour parut, nous découvrîmes la côte qui était celle de New-Jersey, et que nous longeâmes jusqu’à Sandy Hook où nous mouillâmes, en attendant un Bateau à Vapeur, qui devait venir nous touer jusqu’à New-York. En effet le Bateau nous remorqua à trois heures P. M. Mais le vent s’éleva fort et contraire, et la marée se trouvant contre nous, nous fûmes contraints de mouiller à l’extrémité de Sandy Hook et de lâcher le Bateau à Vapeur qui devait venir nous reprendre le lendemain matin. Sandy Hook est une plage charmante et sablonneuse, sur laquelle il y a plusieurs Phares superbes. De cette place la vue des rivages d’alentour est enchanteresse tant par la beauté même des sites que par la splendeur des édifices. Nous aperçûmes quelques petites taches de neige le long des clôtures.
Le 13, de grand matin, le bateau-à-vapeur revint et nous toua jusque dans le port où nous débarquâmes vers dix heures. Nous eûmes le plaisir de voir plusieurs Canadiens de nos amis, qui vinrent nous recevoir sur le Quai. C’était, la première fois que nous voyions des Canadiens depuis notre départ du Canada, et pour la première fois aussi, que nous mettions le pied sur la terre Américaine. Nous pensions déjà toucher au Canada. En mettant le pied à terre, notre première pensée fut pour nos bienfaiteurs et Mr. Lanctôt en notre nom, adressa à Mr. Fabre la lettre suivante, pour remercier toutes les âmes généreuses qui avaient contribué à notre retour, sur le sol de notre patrie.
Monsieur,
Souffririez-vous que je prisse la liberté de vous
adresser un mot ? ce à quoi ma position actuelle à quelqu’égard
semble m’autoriser, mais je veux vous détourner de nos
occupations le moins longtems possible. Nous arrivons ici
tout à l’instant, moi et trente sept autres des exilés politiques,
la copie d’une lettre que nous avons adressée à monsieur Roebuck,
lors de notre court séjour à Londres, que je me donne
l’honneur de joindre ici, vous dira assez de notre situation, et
vous mettra assez bien au fait de ce que nous avons fait auprès
de ce monsieur, et des causes et motifs qui nous engagèrent à
cette démarche ; je ne doute pas non plus que Mr. Roebuck
ne vous ait écrit sur le sujet, avant moi, et que vous ne sachiez
déjà ce que ce noble ami a daigné faire pour nous dans
cette occasion. Mais cependant, je n’aurais pu me refuser sans
éprouver beaucoup de regrêt l’occasion d’en dire un mot
moi-même. Et je n’aurais cru non plus apporter trop d’empressement
à donner expression au sentiment de reconnaissance
dont m’a pénétré ainsi que mes compatriotes, l’assistance
effective que vous et grand nombre d’autres vrais amis, avez
si généreusement apportée à l’accomplissement de notre retour
d’exil.
Veuillez donc, monsieur, agréer nos humbles remercîmens et en faire part à tous ces messieurs.
Quelques affaires nous retinrent deux jours à New-York. Cette ville est assez connue pour m’épargner d’en faire une description.
le 15 au matin nous embarquâmes sur un bateau
à vapeur qui nous débarqua à Bridge Port ;
de là nous nous rendîmes à Albany où nous
couchâmes. Le lendemain matin à six heures
nous montâmes en « Stage » passant par Castle Town,
Middleberry, Virgin, Burlington, &c.
Nous arrivâmes le 18 à St. Jean, et le lendemain
nous nous divisâmes pour aller rejoindre
nos familles après une absence de cinq ans et
demi. Nous avions mis six mois et neuf jours
pour revenir de l’exil en Canada.