Journal d’un exilé politique aux terres australes/Mémoire


MÉMOIRE.


Il y a dans la Nouvelle Galle un très grand nombre d’Aborigènes. Les Européens, n’ont jamais pu les amener à aucun dégré de civilisation. — C’est la caste d’hommes la plus stupide et la plus dégoûtante au monde. Ils sont divisés par tribus sans cesse errantes ; ils ne couchent même jamais deux fois à la même place, et toujours en plein air sans aucun abri. Ils vivent de Kangaroos, d’Opossums, de Goana, de Serpents et autres animaux qu’ils attrapent et mangent tout crus. — Ils ne portent aucune espèce de vêtement. Ils sont mal-propres et féroces à l’excès. Cependant les tribus qui avoisinent Sydney, et autres places habitées par des Européens, ont un peu perdu de leur férocité et leurs mauvaises habitudes naturelles. (Ils sont tous Cannibales.) Mais jamais ils n’ont pu être engagés à travailler et à améliorer leur condition. L’on voit ces êtres dégradés et inutiles parcourir par bandes les villes sollicitant l’aumône. À peine sont-ils couverts ; car les efforts les plus actifs des Européens n’ont pu les porter à garder des habits sur eux. — Chaque tribu a son roi dont la marque distinctive est une petite plaque de cuivre en forme de demie-lune qu’il se pend au cou et sur laquelle est écrit le nom de sa tribu. Cette marque de distinction leur vient des Colons. Car autrefois ils avaient une marque de leur propre fabrication et à peu près de la même forme que celle d’aujourd’hui. Ces rois se montrent souvent à la tête d’une partie de leurs sujets allant à la quête. Ils ne veulent point coucher sous un toit préférant coucher en plein air qu’à l’abri. Ils sont d’une laideur extrême, assez grands, mais très menus et alertes. Les tribus de l’intérieur sont toutes féroces. Elles fondent quelquefois sur les établissements Européens, massacrent tous ceux qui s’opposent à leurs déprédations, pillent et enlèvent les troupeaux de bœufs et de moutons et les emmènent dans les montagnes ou autres lieux connus que d’eux seuls, ils en repaissent leur appétit vorace. Ces funestes invasions ont obligé plusieurs Colons d’abandonner leurs fermes et de se rapprocher de Sydney afin de se soustraire, eux et leurs biens, à la rapacité de ces redoutables brigands. La moindre chose leur est un motif suffisant de guerre entr’eux, une tribu a-t-elle enlevé une couverte un couteau ou autre objet semblable, aussitôt on voit la tribu offensée en arme contre l’autre. Leurs armes consistent en une longue pique qu’ils lancent avec une dextérité remarquable. Ils manquent rarement l’Objet qu’ils ont en vue à une distance d’une trentaine de pas. J’en ai vu quelqu’un vous lancer une pique dans le trou de clef d’une serrure placée à vingt cinq pas de lui et répéter ce manège plusieurs fois sans jamais manquer.

Le fait que je vais rapporter est une preuve bien frappante de la préférence de ces sauvages pour leur vie barbare et misérable à une vie civilisée et douce ; et du souverain dégoût qu’ils ont naturellement pour toute teinture de civilisation.

Lorsque le Gouverneur Philipp fut rappelé en Angleterre, il en emmena un avec lui qu’il nomma Bénélong. Il le garda deux ans en Angleterre à vivre dans l’aisance. Il fit surtout les plus grands efforts pour le détourner de ses inclinations barbares, et lui inspirer autant que possible, les principes de la civilisation afin d’en tirer avantage auprès de ses compatriotes. Le sauvage parut bien comprendre ce but ; et promit d’y concourir. Alors après deux ans, le gouverneur le renvoya dans son pays natal rejoindre ses compatriotes, croyant avoir fait là une acquisition importante pour le pays. Mais à la grande surprise de tous, il ne fut pas plutôt débarqué sur la terre natale, qu’il se dépouilla de tous ses bons habits, les rejeta au loin et, s’enfonçant dans l’épaisseur des bois, alla rejoindre sa chère tribu d’où il ne revint plus. On le revit plus tard errant et barbare comme ses frères, et suivant toutes ses inclinations naturelles.

Les animaux indigènes du pays sont le Kangaroo, l’Opossum, le Chien natif, et plusieurs petits quadrupèdes de peu d’importance : les plus remarquables sont le Kangaroo qui est de la grandeur des plus grands lévriers, mais tout en étant aussi fin du devant ils sont beaucoup plus gros du reste du corps, leur tête est fine, les jambes de derrière longues de quatre à cinq pieds, et celles de devant de dix à douze pouces seulement, et la queue longue de quatre pieds au moins et grosse comme le bas de la jambe. Ils ne marchent ni ne courent, ils s’avancent par sauts seulement, s’aidant des pattes de derrière et de la queue pour se donner l’élan, et des pattes de devant pour s’arrêter. Ils font ainsi des bonds de quinze à dix-huit pieds lorsqu’ils sont poursuivis, et vont si vite que les lévriers les mieux dressés à leur chasse, ont peine à les rejoindre ; souvent ils cassent, avec leurs queues, les pattes des chiens qui les poursuivent tant ils sont puissants avec cette seule défense que leur a donnée la nature, on a souvent vu, et des personnes bien dignes de foi m’ont assuré ce fait, des Kangaroo surpris par un homme seul, s’en saisir avec leurs pattes de devant et le porter au marais le plus voisin, ou au bord d’un précipice, et l’auraient infailliblement fait périr sans l’arrivée de quelques personnes et beaucoup privés de ce secours ont reçu la mort de ces animaux. L’on m’a dit qu’il y en avait de beaucoup plus gros que ceux dont je viens de parler et qu’ils étaient d’une force extrahordinaire. Les plus gros que j’ai vus, avaient cinq pieds de long (la queue non comprise bien entendu). La chair est d’un goût exquis ; la peau fait d’excellent cuir. Il tient lieu de cuir de veau, et y est bien supérieur, tant à cause de sa souplesse qui résiste, sans se fendre, à la chaleur du climat, que par la finesse et la beauté de sa continture.

L’Opossum est de la grosseur de nos chats sauvages. — Comme eux aussi ils habitent les arbres creux. — Il se pendent souvent par la queue aux branches des arbres. Les femelles, de même que les femelles de Kangaroo portent un sac sous le vendre, dans lequel leurs petits se réfugient en cas de danger et trouvent aussi le lait qui les nourrit.

Les chiens appelés Natifs ressemblent beaucoup à nos renards en grosseur et en couleur. Ils font souvent de cruels ravages parmi les moutons et les volailles, et des écureuils volants de diverses espèces. Il y a plusieurs sortes de serpents venimeux ; La plus remarquable est celle appelée des serpents noirs. Ils sont long de quatre à vingt pieds, et très dangereux. Le serpent Diamant l’est encore d’avantage. Il a la faculté funeste de monter dans les arbres, de s’étendre sur les branches et de se laisser tomber sur sa proie. Il y a enfin quantité d’oiseaux d’un plumage superbe : mais aucun ne ressemble à nos oiseaux du Canada ; excepté les Corneilles qui n’y diffèrent des nôtres que sous le rapport du croassement. Le plus frappant des oiseaux du Pays est le célèbre oiseau dit du Paradis qui est trop bien connu pour le décrire ici. Il y a aussi l’Emu espèce d’Autruches de 5 à 6 pieds de haut dont le corps est gros comme celui d’un mouton, le cou long, et la tête petite. Leurs ailes ne sont pas proportionnées à leur pesanteur, et ils ne s’en servent que pour accélérer leurs courses que cette circonstance ainsi que leurs longues pattes rendent très rapides : tellement qu’un cheval allant à toute bride aurait peine à les rejoindre. L’on voit encore d’innombrables volières de Perroquets de toute grosseur et de toute couleur. — Nous en tuâmes même à coup de bâton. Il s’y trouve des ramiers assez ressemblants aux nôtres, des cignes noirs, mais bien peu de Canards.

Mais il est d’autres êtres bien plus terribles que ceux que j’ai mentionnés, — Un fléau (c’est bien là le nom) qui désole tout le Pays et qui est la juste terreur des voyageurs aussi bien que de tous les habitants en général. C’est ce qu’on désigne en Anglais par Bush Rangers, c’est-à-dire des réfugiés dans les bois. Ces réfugiés forment une classe d’hommes tout à fait dépravés, et dépouillés de toute teinture de morale, des hommes absolument incorrigibles et couverts de crimes qui se sont échappés des établissemens pénitentiaires et des maîtres auxquels ils étaient assignés et se sont réfugiés dans les bois pour y vivre de vol et de brigandage. Plusieurs vivent en commun et sous un chef qui ne manque pas d’être le plus hardi d’entr’eux. Presqu’aucun voyageurs ne peuvent se soustraire à la vigilante capacité de ces brigands qui les arrêtent et qui les dépouillent de tout ce qu’ils possèdent, chevaux, argent, montre, et habits mêmes. Et s’ils opposent la moindre résistance ils sont souvent tués sur le champ, et toujours blessés, car ces brigands sont constamment armés. Souvent ils vont pendant la nuit assaillir la demeure de citoyens paisibles, la pillent et enlèvent tout ce qu’ils peuvent, ne comptant pour rien le meurtre pour repousser la résistance. Quoique les lois soient très sévères à leur égard, et la Police très puissante, néanmoins les bois sont infestés de ces brigands ; et il est absolument dangereux de voyager dans l’intérieur et même d’y habiter. — Bien plus on n’est jamais même en sûreté dans les rues de la ville. Quelquefois un homme viendra à votre rencontre ou vous rejoindra sur la route sans manifester aucune mauvaise intention à votre égard ; liera même conversation avec vous, et, s’il trouve un moment favorable, il vous frappera à l’instant où vous y songez le moins, soit avec un bâton, ou un couteau qu’il aura dans la main, vous couchera bas, vous enlèvera ce que vous avez et s’enfuira. Ceci est fort souvent arrivé dans la ville et tous les jours encore et plusieurs fois le jour ces détestables scènes se renouvellent. Sydney est le repaire de la plupart de ces voleurs de grand chemin, qui ont l’audace de se déguiser et de se promener publiquement dans les rues au milieu des hommes de la police et des autres citoyens ; ils ne sont presque jamais découverts. Il a été plusieurs fois reconnu que les misérables de l’intérieur entretenaient des correspondances avec leurs semblables dans Sydney, que les premiers envoyaient les effets qu’ils volaient dans l’intérieur afin que ceux-ci en disposassent et leur envoyassent de l’argent.

Je n’ai que faire de marquer ce qui leur arrive quand ils sont pris. Car les lois n’ont aucun égard pour eux et leur moindre châtiment est l’exil pour la vie dans les fers. Doit on s’étonner de semblables faits dans un Pays où la population actuelle est de cent soixante à cent quatre-vingt mille âmes, et dont soixante mille consistent en ce qu’il y avait de plus vil, de plus démoralisé, et de plus méchant dans la Grande Bretagne et ses Colonies. C’est-à-dire quarante mille hommes et quarante mille femmes constituent la Colonisation primitive de ce Pays et la plupart d’eux, loin de s’être corrigés se sont endurcis davantage au crime et ont constamment enchéri sur leur brigandage. Le petit nombre de ceux qui ont voulu se bien comporter forme aujourd’hui la portion la plus riche de la Colonie. Sydney contient une population de trente mille âmes ; elle est bâtie sur le Port Jackson, à neuf milles de son embouchure. Le port est un des plus beaux et des plus sûrs qu’il soit possible de trouver. Les vaisseaux n’y peuvent rien craindre.


fin des remarques