Journal (Eugène Delacroix)/5 mars 1847

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 281-282).

5 mars. — Hier, en travaillant l’enfant qui est près de la femme de gauche dans l’Orphée, je me souvins de ces petites touches multipliées faites avec le pinceau et comme dans une miniature, dans la Vierge de Raphaël, que j’ai vue rue Grange-Batelière, avec Villot. Dans ces objets où l’on sacrifie au style avant tout, le beau pinceau libre et fier de Vanloo ne mène qu’à des à peu près. Le style ne peut résulter que d’une grande recherche, et la belle brosse est forcée de s’arrêter quand la touche est heureuse.

Tâcher de voir au Musée les grandes gouaches du Corrège : je crois qu’elles sont faites à très petites touches.

— Arnoux sort d’ici ce matin. Nous parlions des artistes qui se trouvent dans la position d’écrire sur leurs confrères, et il me rapporte le mot d’un M. Gabriel, vaudevilliste, qui dit à ce sujet : « On ne peut à la fois tenir les étrivières et montrer son derrière. »

— Je reçois une invitation pour dîner lundi chez le duc de Montpensier. Fatigue.

— Arnoux est venu me trouver ce matin ; il n’est pas agréé pour le Salon, à la Revue[1].

— Été à la Chambre. Travaillé avec un entrain médiocre, mais néanmoins avancé beaucoup.

— Le soir, fatigué et humeur affreuse ; je suis resté chez moi. En vérité, je ne suis pas assez reconnaissant de ce que le ciel fait pour moi. Dans ces moments de fatigue, je crois tout perdu.

— Reçu en rentrant une lettre de Mme R…, avec un bon de 300 francs payable le 15 ; elle m’écrit aussi pour me demander comment il faut placer les fenêtres de son atelier, que je n’ai jamais vu.

  1. La Revue des Deux Mondes.