Journal (Eugène Delacroix)/5 août 1850

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 17-19).

Cologne, lundi 5 août. — Le matin aussi magnifique qu’avait été la nuit : le soleil en face et éblouissant.

Parti à sept heures et demie. Fait la route très rapidement et repassé par tout ce que j’avais vu la veille, éclairé diversement. À Coblentz, de bonne heure. Depuis Coblentz, resté dans la cabine du bateau pour me reposer de la veille et éviter la chaleur.

Avant quatre heures à Cologne, que j’ai trouvée tout en fête, et pavoisée de tous les drapeaux allemands possibles… On tirait des coups de canon sur le Rhin, etc. Hôtel du Rhin, où je n’ai pas été aussi bien qu’à Mayence.

Sorti vers cinq heures, à travers la ville qui me rappelle beaucoup Aix-la-Chapelle… Très animée et très intéressante. Couru à travers la ville par une chaleur affreuse.

Vu l’église de Sainte-Marie du Capitole, que j’avais prise pour Saint-Pierre. Attendu énormément pour se faire ouvrir, dans une espèce de cloître rarrangé, mais qui a dû être beau. L’église, extérieurement, du côté du chevet, très ancienne : gothique roman, en pierres de diverses couleurs. Portique intérieur très beau sous les orgues ; marbre blanc et noir. Figures et petits tableaux, dans la nef, de la vie de saint Martin et autres, composés pour la plupart avec des figures de Rubens. Tableau double d’Albert Dürer dans une petite chapelle fermée.

De là, reparti pour trouver mon Saint Pierre. Après avoir demandé inutilement, tiré d’embarras par un confrère peintre en bâtiments qui, la brosse à la main et ôtant pour ainsi dire son bonnet au nom de Rubens, que tout le monde connaît ici, même les enfants et les fruitières, m’a renseigné comme il a pu. Église assez mesquine, précédée d’un cloître rempli de petites stations, calvaire, etc. La dévotion est extrême. Moyennant mes quinze silbergroschen ou un florin ou deux francs, j’ai vu le fameux Saint Pierre, lequel a pour envers une infâme copie. Le Saint est magnifique ; les autres figures qui me paraissent avoir été faites seulement pour l’accompagner, et probablement composées et trouvées après coup, sont des plus faibles, mais toujours de la verve… En somme, j’en ai eu assez d’une fois. Je me rappelle pourtant encore avec admiration les jambes, le torse, la tête ; c’est du plus beau, mais la composition ne saisit pas.

Rentré exténué à travers les rues, mais dîné de bonne heure.