Journal (Eugène Delacroix)/31 août 1857

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 287-288).

31 août. — Parti de Plombières à sept heures du matin. Route avec quatre religieuses : l’une d’elles d’une charmante figure. — Souffrant toute la route jusqu'à Épinal.

Arrivé vers dix heures vers l'église sombre et d’un gothique assez primitif : très restaurée.

Chaleur affreuse pour gagner le chemin de fer. Réflexions sur la foule qui se pressait à la gare de cette petite ville. Ce chemin n’est qu'ébauché : les cloisons ne sont pas posées, et déjà des myriades d’allants et venants s’y pressent… Il y a vingt ans, il y avait probablement à peine une voiture par jour, pouvant convoyer dix ou douze personnes partant de cette petite ville pour affaires indispensables. Aujourd’hui, plusieurs fois par jour, il y a des convois de cinq cents et de mille émigrants dans tous les sens. Les premières places sont occupées par des gens en blouse et qui ne semblent pas avoir de quoi dîner. Singulière révolution et singulière égalité ! Quel plus singulier avenir pour la civilisation ! Au reste, ce mot change de signification. Cette fièvre du mouvement dans des classes que des occupations matérielles sembleraient devoir retenir attachées au lieu où elles trouvent à vivre, est un signe de révolte contre des lois éternelles.

À Nancy, vers une heure. Nous restons à la gare jusqu’à trois heures et demie. Nous retrouvons dans le wagon deux de nos religieuses du matin ; l’une, qui est supérieure de sa communauté, est une femme distinguée ; elle cause avec beaucoup d’amabilité et sans nuance de bigoterie.

Pluie, orage avant Bar-le-Duc. Je passe avec plaisir devant le berceau de mon père ; en somme, voyage agréable.

Il y avait dans le wagon un gros Anglais, type de Falstaff, avec deux abominables filles, qui ont représenté presque jusqu’au bout le rôle de Loth et ses filles.

Arrivés à onze heures et demie. Retard de plus d’une heure.