Journal (Eugène Delacroix)/25 septembre 1855 1

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 85-86).

Baden, 25 septembre. — Parti de Strasbourg à huit heures ; traversé la citadelle ; jolie route qui me rappelle Anvers et la Belgique. Traversé le Rhin, arrivé à Baden vers quatre heures. Belles montagnes de loin se confondant avec l’horizon : le temps un peu brouillé après mon installation au Cerf. A peine arrivé, et comme à l’ordinaire, tout me semble triste, et je suis certain de m’ennuyer ici.

Je fais une aquarelle des montagnes, de ma fenêtre. Je sors, je rencontre Séchan[1], peu après Mme Kalergi. Séchan me mène voir ses travaux vraiment surprenants par la dextérité employée à tout envoyer de Paris, tout fait. Je vois Lanton avec lui qui, habitant Baden, est enivré de Baden : tout lui semble charmant ; les femmes s’offrent à qui mieux mieux ; on y déjeune, on y dîne, on y chasse le lendemain.

Benazet m’invite à cette chasse, et je refuse, malgré sa politesse.

Le soir, après dîner, promenade solitaire, où il faut convenir que je m’ennuie un peu malgré Lanton. J’entre à la Conversation, où je vois jouer. Je suis travaillé tout à coup entre la nécessité de faire des excursions sur les invitations de Séchan, affaire de conscience, et le désir de ne pas bouger, plus conforme à ma nature.

  1. Charles Séchan (1802-1874), peintre décorateur, élève de Cicéri, s’est fait une place à part pour le goût qu’il apporta dans l’art décoratif. Le talent qu’il montra en brossant des décors pour les grands théâtres de Paris et de l'étranger le firent distinguer, et en 1849 il fut chargé de restaurer la galerie d’Apollon, au Louvre ; plus tard, on lui confia les peintures architecturales de Saint-Eustache. En 1852, au retour d’un voyage à Constantinople, où il entreprit les décorations intérieures des palais et des kiosques du Sultan, il se rendit à Baden, où il exécuta les travaux décoratifs du Casino. Il a publié un volume de Souvenirs.