Journal (Eugène Delacroix)/25 novembre 1860

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 415-416).

Paris, 25 novembre. — Je poursuis toujours mon travail ; ma résolution et ma santé se soutiennent. Que je bénirais le ciel d’achever d’ici à un mois ou six semaines, comme je le calcule, mon travail de l'église ! Il y a une dizaine de jours que je suis revenu de Champrosay avec un gros rhume que j’y avais attrapé, non pas au milieu de mes voyages continuels, bien propres à me le donner, mais pour avoir dîné chez l’excellente Mme Moutié, laquelle étant sourde, j’ai été obligé de crier à ses oreilles toute la soirée, de sorte que ma gorge fatiguée s’est trouvée saisie à ma sortie de chez elle par le froid qu’il faisait.

— Nous avons nommé hier à l’Institut l’insipide Signol[1]. Meissonier a été jusqu'à seize voix. Il ne lui restait plus pour adversaires que ledit Signol et l’antique Hesse, tous deux représentants ou nourrissons de l’École. Les deux factions, frémissant de voir entrer à l’Académie un talent original, se sont réunies pour l’accabler. En le faisant sur la tête de Signol, elles ont accompli un acte encore plus funeste que si elles l’eussent fait sur Hesse, qui est un vieillard et ne laisse pas d'élèves après lui pour perpétuer le goût de l'école de David, que je préfère d’ailleurs à ce goût mêlé d’antique et de Raphaël, genre bâtard qui est celui d’Ingres et de ceux qui le suivent.

  1. Émile Signol (1804-1892) se présentait à l’Institut depuis 1849, année où il se trouvait en concurrence avec Delacroix.