Journal (Eugène Delacroix)/17 janvier 1860

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 366-367).

17 janvier. — Le but principal d’un Dictionnaire des Beaux-Arts n’est pas de récréer, mais d’instruire. Donner ou éclairer certains principes essentiels, éclairer l’inexpérience avec plus ou moins de succès, montrer la route à suivre et signaler les écueils sur les routes dangereuses ou proscrites par le goût, telle est la marche qu’il est bon de s’y proposer. Or, où trouve-t-on de meilleures applications de principes que dans l’exemple des grands maîtres qui ont porté à la perfection les différentes branches des arts ? Quoi de plus instructif que leurs erreurs elles-mêmes ? Car l’admiration qu’inspirent ces hommes privilégiés et venus les premiers ne doit pas être une admiration aveugle ; les adorer dans toutes leurs parties serait, particulièrement pour de jeunes aspirants, ce qu’il y aurait de plus dangereux ; la plupart des artistes, même parmi ceux qui sont capables d’une certaine perfection, sont enclins à s’appuyer sur les faiblesses des grands hommes et à s’en autoriser. Ces parties qui, chez les hommes privilégiés, sont généralement des exagérations de leur sentiment particulier, deviennent facilement, chez de faibles imitateurs, de grossières bévues ; des écoles entières ont été fondées sur des côtés mal interprétés des maîtres, et de déplorables erreurs ont été la suite de ce zèle inconsidéré à s’inspirer des mauvais côtés des hommes remarquables, ou plutôt de l’impuissance de reproduire quelque chose de leurs sublimes parties.