Journal (Eugène Delacroix)/14 juin 1856

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 3p. 159).

14 juin. — Je dîne à côté d’Auber, à l’Hôtel de ville. Il me dit que, malgré une vie heureuse, il ne voudrait pas recommencer à vivre, à cause de ces mille amertumes dont la vie est semée. Ceci est d’autant plus remarquable qu’Auber est un voluptueux complet : à l'âge où il est, il jouit encore de la compagnie d’une femme.

Le souverain bien serait la tranquillité ; pourquoi donc ne pas commencer de bonne heure à mettre cette tranquillité au-dessus de tout ? Si l’homme est destiné à trouver un jour que le calme est au-dessus de tout, pourquoi ne pas se mettre à une vie qui donne ce calme anticipé, mêlé toutefois à quelques-unes des douceurs qui ne sont pas les affreux bouleversements que causent les passions ? Mais qu’il faut veiller sur soi pour s’en garantir, quand elles sont devenues si redoutables !