Journal (Eugène Delacroix)/12 mai 1853

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 190-191).

Jeudi 12 mai. — J’ai beaucoup travaillé au damnable article. Débrouillé comme j’ai pu, au crayon, tout ce que j’ai à dire, sur de grandes feuilles de papier. Je serais tenté de croire que la méthode de Pascal, — d’écrire chaque pensée détachée sur un petit morceau de papier, — n’est pas trop mauvaise, surtout dans une position où je n’ai pas le loisir d’apprendre le métier d’écrivain. On aurait toutes ses divisions et subdivisions sous les yeux comme un jeu de cartes, et l’on serait frappé plus facilement de l’ordre à y mettre. L’ordre et l’arrangement physique se mêlent plus qu’on ne croit des choses de l’esprit. Telle situation du corps sera plus favorable à la pensée : Bacon composait, à ce qu’on dit, en sautant à cloche-pied ; à Mozart, à Rossini, à Voltaire, les idées leur venaient dans leur lit ; à Rousseau, je crois, en se promenant dans la campagne.

Habituellement, promenade avant dîner, après avoir secoué les paperasses et l’encre, et aussi après le dîner, pour chasser le sommeil. Mais comme je dîne toujours entre cinq heures et cinq heures et demie, la soirée ne peut aller sans de grandes difficultés jusqu’à neuf heures.