Journal (Eugène Delacroix)/10 mai 1853

Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 189-190).

Mardi 10 mai. — Les matins, je me débats avec Poussin… Tantôt je veux envoyer tout promener, tantôt je m’y reprends avec une espèce de feu. Cette matinée n’a pas été trop mauvaise pour le pauvre article.

Après avoir commencé à disposer clairement sur de grandes feuilles de papier, et en séparant les alinéas, les objets principaux que j’ai à traiter, je suis sorti vers midi, enchanté de moi-même et de mon courage à monter à l’assaut de mon article.

La forêt m’a ravi : le soleil se montrait, il était tiède et non pas brûlant ; il s’exhalait des herbes, des mousses, dans les clairières où j’entrais, une odeur délicieuse, Je me suis enfoncé dans un sentier presque perdu, environ au coin du mur du marquis ; je désirais trouver là une communication entre cette partie et l’allée qui remonte de la route pour rejoindre celle qui va au chêne Prieur : j’ai livré bataille aux ronces, aux arbrisseaux qui se croisaient devant mes pas, et je n’ai pas réussi néanmoins à atteindre mon but. Je suis retourné par un sentier plus facile, mais très couvert, à travers la partie de bois qui dépend, je crois, de la maison du marquis.

En retournant, je me suis assis le long des murs de son enclos, mais sur la partie qui mène à l’entrée de la forêt, et j’ai fait un croquis d’un chêne, pour me rendre compte de la distribution des branches.

Je me suis mis à lire le journal en rentrant. La littérature a eu le dessous, mais, au demeurant, je ne m’ennuie pas, c’est l’essentiel.

Vers quatre heures, au lieu de sortir, j’ai fait le vitrier, et j’ai peint une vieille glace.

Le soir, promenade vers Soisy. Descendu par une ruelle qui m’a conduit dans des endroits très solitaires et assez attrayants ; j’ai fait amitié à un chat angora charmant qui me suivait et qui s’est laissé caresser.