Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences1 (p. 361-363).
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ENTRÉE DE FOURIER À L’ACADÉMIE DES SCIENCES. — SON ÉLECTION À LA PLACE DE SECRÉTAIRE PERPÉTUEL. — SON ADMISSION À L’ACADÉMIE FRANÇAISE.


L’Académie des sciences saisit la première occasion qui s’offrit à elle de s’attacher Fourier. Le 27 mai 1816, elle le nomma académicien libre. Cette élection ne fut pas confirmée. Les démarches, les sollicitations, les prières des Dauphinois que les circonstances retenaient alors à Paris, avaient presque désarmé l’autorité, lorsqu’un courtisan s’écria qu’on allait amnistier le Labédoyère civil ! Ce mot, car depuis bien des siècles la pauvre race humaine est gouvernée par des mots, décida du sort de notre confrère. De par la politique, les ministres de Louis XVIII arrêtèrent qu’un des plus savants hommes de la France n’appartiendrait pas à l’Académie ; qu’un citoyen, l’ami de tout ce que la capitale renfermait de personnes distinguées, serait publiquement frappé de réprobation !

Dans notre pays, l’absurde dure peu. Aussi, en 1817, lorsque l’Académie, sans se laisser décourager par le mauvais succès de sa première tentative, nomma unanimement Fourier à la place qui venait de vaquer en physique, la confirmation royale fut accordée sans difficulté. Je dois ajouter que, bientôt après, le pouvoir, dont toutes les répugnances s’étaient dissipées, applaudit franchement, sans arrière-pensée, à l’heureux choix que vous fîtes du savant géomètre, pour remplacer Delambre comme secrétaire perpétuel. On alla même jusqu’à vouloir lui confier la direction des beaux-arts ; mais notre confrère eut le bon esprit de refuser.

À la mort de Lémontey, l’Académie française, où Laplace et Cuvier représentaient déjà les sciences, appela encore Fourier dans son sein. Les titres littéraires du plus éloquent collaborateur de l’ouvrage d’Égypte étaient incontestables ; ils étaient même incontestés, et cependant cette nomination souleva dans les journaux de violents débats qui affligèrent profondément notre confrère. Mais aussi, n’était-ce pas une question, que celle de savoir si ces doubles nominations sont utiles ? Ne pouvait-on pas soutenir, sans se rendre coupable d’un paradoxe, qu’elles éteignent chez la jeunesse une émulation que tout nous fait un devoir d’encourager ? Que deviendrait, d’ailleurs, à la longue, avec des académiciens doubles, triples, quadruples, cette unité si justement vantée de l’ancien Institut ? Le public finirait par ne plus vouloir la trouver que dans l’unité du costume.

Quoi qu’il en soit de ces réflexions, dont vous ferez prompte justice si je me suis trompé, je me hâte de répéter que les titres académiques de Fourier ne furent pas même l’objet d’un doute. Les applaudissements qu’on avait prodigués aux éloquents éloges de Delambre, de Bréguet, de Charles, d’Herschel, montraient assez que si leur auteur n’eût pas été déjà l’un des membres les plus distingués de l’Académie des sciences, le public, tout entier, l’aurait appelé à prendre rang parmi les arbitres de la littérature française.