Joies errantes/Suite d'orchestre

Alphonse Lemerre (p. 77-80).

SUITE D’ORCHESTRE

À François Coppée.

Chantez et pleurez,
Les Orgues, les Belles !
Pour les âmes souffrantes, pour les âmes tremblantes,
Pour les âmes brûlantes d’angoisse divine,
Pour les âmes blessées de peine muette,
Pour les âmes saignant sous les pudiques mains
De la Mélancolie, sœur chère qui les recèle,
Chantez et pleurez,
Les Orgues, les Belles !

C’est, d’abord, l’Hosanna des calmes voix unies,
Soprano juvénile et fervent contralto ;
La Prière de douceur ingénue
Qui plane, comme une mouette aux larges plumes blanches,
Au-dessus des tourmentes marines — dans la nue.


Mais, en soupirs pressés, haletants d’émoi,
Voici courir les fraiches notes du Hautbois ;
Comme par un matin tendre de Printemps
Dans tes jeunes branches d’arbres court le Vent.

Les Flûtes pastorales ont le rire léger
Des cascades, sous les feuillées nouvelles,
Où tes colombes vont boire,
Tandis qu’au firmament, clair comme leurs ailes,
Luit un Soleil joyeux aux longs rayons de gloire.

Et tes Cors brament les Hallalis
Des poursuites dans les Forêts —
Où le Cœur éperdu sanglote à la curée
Des Dieux anciens, des Rêves abolis.

Puis, Violoncelles et Violons
Enlacent leurs accords puissants —
Comme en des étreintes de Passion
Plus forte que la Mort et le Temps.

Elles disent — ces cordes saintes —
Le charme de l’Art vainqueur,
Asservissant les formes, les sons et les couleurs,
Et par qui nos mains débiles sont armées
Contre le Néant — de la brillante Épée.


Sonnez et palpitez,
Harpes irréelles !
Ouvrez vos frémissantes envergures
Pour des envols exaltés
Devers des Firmaments que le songe constelle !

Et vous, tendres Mandolines,
Quittez vos sonores tombeaux !
Guitares aux complices fredons,
Murmurez, galantes et câlines,
Le vieil air toujours nouveau
Sous les éternels Balcons !

Susurrez, nerveux Tambourins,
Aux mains des heureuses Folies !
Égrenez comme des minutes chères
Vos fugitives sonneries !
Jusqu’à ce que la voix pesante des Trombones
Mette en déroute vos babils clairs.

Les Cuivres éclatent et mugissent —
Comme en des égorgements de Vaincus, —
Leur son tragique a la couleur du Sang,
D’un noble sang, à flot répandu
Parmi les mornes étendues
Des mondes finissants.


Et les cymbales roulent comme des astres fous
Vers des abîmes de détresse.
Mais, voici les Voix, les précieuses Voix
Des hautains Espoirs — à jamais fidèles,
Qui s’élèvent lentes vers le ciel cruel,
Où leur vol s’éploie
En prismatique et pacifiante Apothéose

Chantez et pleurez
Les Orgues, les Belles !
Pour les âmes souffrantes, pour les âmes tremblantes,
Pour les âmes blessées,
Pleurez et chantez !