Traduction par Louis Baraduc.
Mercure de France (p. 47-61).



CHAPITRE III

L’AMOUR — OXFORD — TURNER


Il était naturel que ce jeune poète romantique de dix-sept ans devint amoureux. En 1836, M. Domecq conduisit ses quatre filles en Angleterre pour faire un séjour chez les Ruskin à Herne Hill. Les jeunes filles qui fréquentaient la meilleure société de Paris, entrèrent toutes plus tard dans des familles titrées. John tomba éperdument amoureux d’Adèle, l’aînée, âgée alors de quinze ans, gaie, élégante et jolie. Il nous a lui-même conté toute l’histoire avec infiniment de grâce et de sentiment. Ces belles jeunes filles furent comme une apparition féerique aux yeux de notre jeune homme fruste et comme élevé dans un couvent ; en peu de jours il ne fut plus qu’un tas de cendres blanches. « Mais ce mercredi des cendres dura quatre ans » et assombrit toute sa jeunesse.

Clotilde, dit-il, comme ses sœurs l’appelaient, fut toujours pour lui Adèle, parce que ce nom rime avec shell, spell, Knell (cercueil, charme, glas.)

« La beauté de ses sœurs ne faisait que ressortir mieux encore sa splendeur, tandis que ma propre timidité, ma sauvagerie étaient comme raidies et enlisées dans mon infatuation d’anglais et de protestant que n’adoucissaient ni la politesse ni la sympathie. En sorte que, dans nos réunions, je restais assis seul et lamentablement jaloux, semblable à un poisson figé, (j’imagine que je devais ressembler a une raie s’essayant à briser la glace de son aquarium), tandis que, dans nos bienheureux tête-à-tête avec la dame de mes pensées, — espagnole de naissance, parisienne d’éducation, catholique de cœur, — je cherchais à lui communiquer mes idées sur l’invincible Armada, la bataille de Waterloo et la doctrine de la transsubstantiation. »

C’est ainsi que cinquante ans après, la jeune fille mariée et morte même depuis longtemps, le vieillard parle de ce premier amour qui, assurément, fut très profond et qui eut un réel retentissement sur sa carrière et sa santé. Les deux pères songeaient à un mariage que Mme Ruskin, sévère calviniste, considérait comme un scandale et une impossibilité. Le jeune homme tout naturellement chercha une consolation dans la poésie. Il fit d’abord « Leoni », roman italien », histoire napolitaine où le bandit de ce nom est représenté comme un être sanguinaire et aventureux tandis que Giuletta a toutes les perfections d’Adèle. Ce roman fut même imprimé dans le Friendship’s Offering et il apparaît comme une assez curieuse et assez habile imitation de Byron.

« Je ne demande point une larme, mais tandis que
Je suis encore là ou je ne devrais pas être.
Oh ! Accorde-moi un sourire d’adieu
Pour illuminer ma route solitaire ».

Adèle non seulement accorda le sourire « mais elle alla jusqu’au rire et à la moquerie, affront que je supportai courageusement, heureux de l’avoir amusée ». C’est en somme la vieille histoire du benêt de dix-sept ans courtisant un jeune tendron de quinze et un poète plus grand que Ruskin l’a également connue. Vinrent ensuite des poèmes d’amour, d’une bonne moyenne pour un tout jeune homme, remarquables seulement par leur grâce et leur correction précoces, offrant ça et là quelques passages réellement inspirés. Adèle est partie, on parle d’elle devant lui : —

« Voici que ton nom charmant vient déchirer
Le voile nuageux de l’oubli
Qui obscurcit le ciel de mon cœur ».

Il s’essaya alors à un conte romanesque, « Velasquez, le Novice » et à un drame, Marcolini, mélange de Shakespeare et de Byron, la scène se passe à Venise, l’héroïne est un amalgame de Desdémone et de Juliette et le jeune Marcolini, « un de ces hommes que les anges aimeraient à contempler » !

« Ébloui par son amour même
Il voit dans le monde des choses étranges.
Il croit à la bonté des misanthropes,
À la pitié des bravi, à la justice des sénateurs,
Et a beaucoup d’autres choses incompatibles. »

Mais sa jeune Hélène, à lui, ne sut pas reconnaître les mêmes qualités chez notre Marcolini de Herne Hill. Elle se permit même de « rire immodérément » à l’occasion d’une lettre de sept pages in-quarto qu’il lui écrivit à Paris pour lui dépeindre la solitude de Herne Hill depuis son départ. Deux ans plus tard, (elle avait dix-sept ans, John dix-neuf) il la revit en Angleterre ; malheureusement, elle se moqua encore de lui. M. Domecq mourut et Adèle se fiança à un beau jeune homme, riche et noble, le baron Duquesne. John écrivit un « Adieu », poème gracieux, quoique un peu long, dans la manière de Shelley ; il y chantait :

« La peine que mes vers étaient impuissants à exprimer
Et ta parole incapable de consoler ».

C’est une pièce rendue touchante par les circonstances, c’est presque un beau poème par sa grâce parfaite et sa tendresse, sans trace d’aucun reproche, d’aucune amertume, et même d’aucune désillusion. Dans un songe, il croit voir les fleurs de la nuit s’épanouir sous son sourire :

« Ce sourire qui tombait sur les rochers glacés, sur les vagues
Libres et insensibles — Hélas, pourquoi ne tombe-t-il pas sur moi ?

Adèle épousa le baron Duquesne, en mars 1840. On essaya de cacher la nouvelle à l’amoureux qui préparait alors un examen à Oxford. Il déclare (cinquante ans plus tard) qu’il n’en fut point écrasé comme il s’y serait attendu, mais sa santé parut démentir cette assertion, car elle présenta bientôt des symptômes de consomption. « À Paris, les choses s’acheminaient doucement vers l’abîme » (L’abîme c’était le mariage d’Adèle Domecq), lorsqu’une nuit, une toux de courte durée amena un crachement de sang. Les médecins immédiatement consultés ordonnèrent un voyage à l’étranger ; le Doyen ajourna l’examen, le commerçant laissa ses affaires et toute la famille partit pour le continent et passa l’hiver à Rome. Pendant près de deux ans, John resta valétudinaire, se déplaçant sans but, l’esprit aussi vagabond que le corps. Le mariage Duquesne fut heureux : la famille Domecq en vint peu à peu à aimer et à admirer les ouvrages de Ruskin et, jusqu’à la fin, on ne parla de lui qu’avec la plus grande sympathie. Il écrit en 1885 : « Les hommes doués de l’imagination la plus haute et la plus passionnée sont toujours ballottés par elle sur des vagues lurieuses », et il consigne le souvenir de « son absurdité, de sa douleur, de son erreur, de son amour méconnu » dans les décombres poussiéreux de l’oubli. Soit ! mais avec un tel homme, nous pouvons nous demander « ce qu’il serait devenu si l’amour lui avait mieux réussi » Quien sabe ?

Notre auteur a raconté toute l’histoire de sa carrière à Oxford avec la même délicieuse naïveté, mais il ne faut pas prendre trop à la lettre tout ce qui est dit dans les Præterita avec tant d’humour et de fantaisie. Le père, bien persuadé que son fils serait évêque, résolut de lui assurer la meilleure place dans le meilleur collège de la meilleure université. La famille Ruskin se tenait tellement à l’écart du monde que John James, malgré tout son bon sens et sa prudence, prenait souvent le parti le plus extraordinaire et le moins sage. Décidé à faire entrer son fils à Christ Church, le vieux négociant fut assez mal avisé pour faire d’un garçon timide et sans expérience un Gentleman-Commoner, lui donnant ainsi comme compagnons des jeunes gens du plus haut rang, riches et fashionables. Ces jeunes lords et ces fils de squires qui suivaient les courses, pariaient, méprisaient tout travail, et étaient même les héros de vilaines aventures, regardèrent naturellement l’étrange poète comme un objet de risée bien plutôt que comme leur égal. Un de ses commensaux de 1840, m’a raconté que Ruskin était un des jeunes hommes des plus aimables qu’on ait vus à Oxford, presque semblable à une jeune fille, et dont on se moqua d’abord, jusqu’au moment où quelques-uns devinèrent son génie et tous les autres sa bonté. Son charmant naturel, son esprit, son talent de dessinateur, son habileté aux échecs, sa générosité, son sherry tout à fait supérieur lui gagnèrent les cœurs de tous les jeunes « lions » qui, à la fin, admirent d’un commun accord qu’il était quelqu’un d’exceptionnel et d’un tout autre ordre qu’eux. En peu de temps il fut admis dans la société la meilleure et la plus choisie du collège.

Ce fut là qu’il se lia d’une amitié qui devait durer toute la vie avec (Sir) Henry Acland et le (doyen) Liddell, (Sir) Charles Newton et le Dr Buckland ; avec ce dernier il étudia la géologie. Les directeurs du Collège étaient le Rev. W. Brown et Osborne Gordon. Chez le Dr Buckland, il rencontra le Dr Daubeny et Charles Darwin. « Nous nous réunissions lui et moi, et nous passions toute la soirée à causer. » Il lut chargé de lire un essai dans la Grande Salle ; il s’en acquitta fort bien et avec succès, au scandale des gentleman — commoners qui se dérobaient à l’épreuve en se procurant un travail tout fait à raison de 1 sh. 6 d. la feuille. À la troisième épreuve, il remporta le prix de poésie avec un poème dont j’ai déjà parlé ; ce fut le seul honneur universitaire qu’il chercha à sérieusement remporter et dont il fut glorieux. Le collège fut tier de lui et le doyen Gaisford, ce Barbe-bleue académique de l’époque, eut la condescendance de lui faire répéter les parties du poème qu’il devait réciter publiquement. Ceux qui se plaisent à rechercher comment un homme simplement habile peut l’emporter sur un homme de génie compareront les « Bohémiens » du doyen Stanley avec ceux de Ruskin. Sans être plus poète que Ruskin, ne possédant même pas la dixième partie de l’esprit poétique de celui-ci, Stanley avait le flair du journaliste pour deviner le goût du jour et satisfaire les sentiments de ses lecteurs, sans se livrer et sa propre inspiration.

Un des incidents les plus singuliers de cette vie de « jeune fille » à la poursuite de grades universitaires se rapporte à la résolution de sa mère qui vint se Iixer à Oxford où chaque soir elle prenait le thé avec John. De son côté le père, laissé seul, arrivait solennellement par le coche chaque samedi, sans que lui-même, ni John, ni personne du collège ne vît rien là d’extraordinaire et sans que l’on songeàt à s’en moquer. Mais toute l’histoire de son séjour à Oxford doit être lue cum grano dans les Præterita si pleins de fine ironie et d’inimitable badinage sur lui-même et sur ses amis.

John passa son premier examen pour l’admissibilité devant Robert Lowe qui fut « très bienveillant. » En fait, il avait sérieusement étudié les matières de l’examen, bien « qu’elles ne lui inspirassent aucun intérêt ». Il est évident qu’il lisait avec beaucoup de soin et que ses connaissances en géométrie élémentaire étaient de premier ordre. À la fin, et après l’altération si grave de sa santé qui l’éloigna d’Oxtord pendant dix-huit mois (1840-41) il réussit si complètement dans son examen définitif qu’on lui décerna la quatrième classe honoraire en littérature classique et en mathématiques. Un double honorariat de quatrième classe signifie que l’élève qui poursuit seulement le degré ordinaire reçoit des examinateurs dans les deux écoles un honneur supplémentaire qu’il n’a pas sollicité. Le cas est fort rare et on avait coutume de dire que cela équivalait à une double première classe. C’était d’ailleurs dans le caractère de Ruskin de faire en perfection ce qu’il entreprenait. Savoir « toutes les syllabes de son Thucydide, » comme il le déclare, était un véritable tour de force scolaire.

Le séjour de Mme Ruskin à Oxford dont l’objet unique était de surveiller la santé de son fils, fut en quelque sorte justifié lorsque une nuit, au printemps de 1840, il fut pris d’hémoptysie et conduit par sa mère, à Londres, pour consulter les médecins qui sauvèrent sans doute sa vie en ordonnant le repos et un voyage à l’étranger. Ils partirent pour l’Italie ; ce voyage ne fut que d’un maigre profit au point de vue de la santé et de l’état moral de Ruskin, mais il y fit la connaissance de Joseph Severn et de George Richmond ; enfin, un été dans les Alpes, puis le traitement diététique du Dr Jephson à Leamington le rétablirent. Chose curieuse, les souvenirs des Præterita ne témoignent que d’un très faible intérêt lors de ce premier voyage d’Italie, même à Florence, Sienne et Rome ou l’histoire, l’art et le roman paraissent ne l’avoir guère impressionné ; sa santé, sans doute, en était cause. Après son rétablissement, il travailla ferme avec Osborne Gordon, passa brillamment son examen et fut reçu bachelier ès-arts en mai 1842.

Il est difficile de mesurer l’influence d’Oxford sur Ruskin. Avec son ironie un peu excessive il dit : « tout le temps que j’y restai, mon esprit était simplement dans l’état d’une gousse qui n’est pas encore une cosse de pois » et il se moque assez agréablement de ses succès académiques. Plus tard, Oxford l’intéressa profondément et il y travailla avec ardeur durant son professorat. Malgré cela, Thucydide et la géométrie furent peut-être les seuls objets d’études régulières et systématiques que fit Ruskin durant toute son existence. D’un autre côté, le programme universitaire de l’époque, en y comprenant les concours, la prose latine et la grammaire grecque, détourna son esprit de sa pente naturelle à un moment critique et, avec ses déboires amoureux, lui fit perdre quelques-unes de ses meilleures années. En tous cas, Ruskin ne pouvait y éprouver que des impressions fort mélangées et y travailler qu’à bâtons rompus. Il est possible qu’Oxford eût été pour lui d’une réelle utilité s’il lui avait été donné d’y choisir lui-même ses occupations et ses relations, en dehors de toutes préparations aux examens, et si ses excellents parents n’avaient pas tant rêvé pour lui les plus grands honneurs universitaires dont une des plus hautes charges de l’Église devait être le couronnement.

Dans un passage caractéristique, mais un peu morbide peut-être des Præterita, il rappelle quel était son état d’âme en quittant Oxford, ses facultés encore en germe, ses goûts naturels satisfaits beaucoup plus que sa conscience ; « le sentiment de ses devoirs envers lui-même et envers ses parents comme obscurci, celui de l’éternelle loi de jour en jour plus vague et presque assombri ». C’est le lot habituel du génie à vingt-deux ou vingt-trois ans. Il abandonna donc toute idée de devenir évêque et cela au grand chagrin de ses parents ; quant à entrer dans le commerce des vins, il s’y refusa nettement. Comme à travers le voile d’une brume flottante il distingua dès lors sa mission propre : il devait être le poète en prose de l’Art et de la Nature. Et, comme toujours, un nouveau voyage dans les Alpes avec sa famille en fut la conséquence. S’il fut d’abord et avant tout le poète en prose de la nature, l’art ne vint que plus tard et lui resta toujours subordonné. « Les nuages et les montagnes ont été ma vie », dit-il. « L’amour unique de la Nature fut pour moi la racine de tout et c’est à sa lumière que j’ai appris ce que je sais. » Personne, pense-t-il, n’éprouva jamais un tel ravissement que celui que lui causa la simple vue des montagnes. « Elles ne me hantaient point comme une passion, elles étaient ma passion même » et il en désigne deux « qui eurent une influence énorme sur sa vie ». L’enfant qui, à quatre ans, demandait un fond de « montagnes bleues » pour son portrait, qui, à sept ans, chantait le Skiddaw, qui, à la première vue des Alpes à Schaffouse, avait la révélation que « sa destinée était désormais fixée dans tout ce qu’elle pouvait avoir de sacré et d’utile », le jeune homme qui, à vingt-trois ans, avait passé la plus grande partie de son existence à étudier la nature, était évidemment destiné à devenir l’apôtre des paysages grandioses dans un siècle si bien préparé à les comprendre par Byron et Wordsworth ; il devait être aussi le juge de l’interprétation que les grands peintres nous ont donnée de la Nature.

Tout enfant, Ruskin avait commencé à dessiner, mais toujours en copiant et pour garder un souvenir des objets présents. À dix ans, il pouvait reproduire les illustrations de Cruikshank mais ne put jamais composer un dessin original. En 1832, à treize and, il réussit un croquis du pont de Dulwich et on lui fit présent de l’Italie de Rogers « qui détermina la direction principale de sa vie ». Les vignettes de Turner le ravirent et il se mit à les imiter du mieux qu’il put. Runciman fut son premier professeur de dessin, et, à seize ans, il étudia sous la direction de Copley Fielding. À vingt ans, il prit des leçons de Harding. Vers cette époque et, peu avant de prendre ses grades, il avait dessiné à Norwood une branche de lierre entourant un buisson d’épines et il a souvent répété que ce lui fut une révélation de l’exacte vérité et de la stricte observation de la Nature comme fondement de tout art véritable.

Lorsque l’œuvre de Turner, dans l’Italie de Rogers, lui fut pour la première fois révélée, un peu comme cette première vision des Alpes à Schaffouse, le jeune Ruskin n’avait jamais entendu parler du maître ; Runciman seulement lui avait dit que « le monde avait été ébloui par quelques idées splendides du peintre ». Ruskin avait dix-sept ans lorsqu’il fut soulevé d’indignation, comme nous l’avons vu, par l’attaque dirigée dans le Blackwood contre Turner, qu’on accusait d’être « contre nature » et la furieuse diatribe qu’il lança pour sa défense n’a guère été connue qu’après sa mort, car elle ne fut jamais imprimée. « L’article de la revue, dit-il, me mit dans une colère noire que je ressens encore ». Dans Prælerita, Ruskin appelle cet essai « le premier chapitre des « Peintres Modernes ». En 1837, son père lui acheta son premier Turner — le « Richmond, Surrey » ; comme son fils, il aimait a en vanter « les arbres, l’architecture, les eaux, le ciel enchanteur et les figures brillantes groupées comme dans un bouquet ». Le second tableau de Turner en 1839 fut le « Gosport ». Pour son vingt et unième anniversaire, son père lui donna le « Winchelsea », qu’il suspendit dans sa chambre de Christ Church ; et, plus tard, il acheta le « Slave Ship », le « Harlech », et d’autres ouvrages du maître ; « ils étaient dit-il, ma principale récréation dans mes heures d’abattement ». D’après ses souvenirs les plus lointains, il avait étudié les Turner de la collection de M. Windus à Tottenham. Ce généreux et admirable amateur acheta tous les dessins que Turner avait faits pour la gravure et ouvrit à Ruskin l’accès de ses salles. « Ce fut lui qui me permit d’écrire les « Modern Painters ».

Enfin survint, nous dit-il « ce que le lecteur pourrait supposer devoir être l’événement principal de ma vie ». — John Ruskin fut présenté « à l’homme qui, sans aucun doute, est le plus grand de notre époque ». Ce sont les termes mêmes de son journal à la date du 12 juin 1840 : —

Je trouvai un gentleman de tournure d’esprit bien anglais, un peu excentrique, aux manières vives, très pratique ; évidemment d’un bon naturel, évidemment aussi d’un caractère difficile, détestant tout charlatanisme, malin, légèrement égoïste, hautement intellectuel, ne manifestant pas ses facultés comme à plaisir et pour étonner mais les laissant éclater à l’occasion par un mot ou un simple regard.

C’est ainsi que le jeune bachelier de vingt-deux ans jugeait le grand peintre qu’il devait, un an ou deux plus tard, faire connaître, interpréter, louer à outrance et immortaliser en paroles brulantes devant le monde ébloui mais étonné.